CHAPITRE 13 - Cicatrices
Notre existence est brève. Dans l'immensité que représente l'Univers, nous ne sommes rien ; même pas un grain de sable. Nous n'avons qu'une chance sur 102 640 000 d'être là, tels que nous sommes. Autrement dit, notre chance était nulle. Mais tu es là. Je suis là. Et il n'y a personne d'autre comme nous. Nous sommes uniques, à un point que nous ne nous en rendons même pas compte. Rien que notre premier souffle relevait du miracle ! Alors ne gâche pas cette chance infime et rend justice à ce miracle d'être né(e), de respirer, de parler, de marcher... de vivre. Tout simplement.
POINT DE VUE DE TAEHYUNG :
Il a un dos fabuleux.
Bon, d'accord, il est très abimé par des coupures et des brûlures, qui se voient malgré la faible luminosité de la lune, mais il est incroyablement bien dessiné. Comment est-il arrivé à se sculpter un tel corps dans cet environnement ?
Jungkook porte Ice jusqu'au bord du ruisseau et inspecte son pelage, insistant plus largement sur sa patte défectueuse.
Il est nu, et je dois avouer que c'est toujours aussi perturbant. Cependant, il ne semble absolument pas gêné de m'offrir cette vision, comme à chaque fois.
Son corps est un appel aux regards, il est svelte sans être dénué de courbes exposant des muscles solides. Il y a une forme d'harmonie dans ses proportions, il n'est ni lourd, ni chétif, un simple mélange de force et de mystère. Il n'est pas seulement beau à regarder, une aura mystique l'entoure, le rendant à la fois attirant et repoussant. Cette composition faite de danger et d'innocence est un contraste saisissant, qui captive nécessairement.
Lorsque mes yeux tombent sur l'arrondi de ses fesses, je décide de m'allonger à la surface de l'eau. Je ne devrais pas le fixer ainsi, je suis en couple. Certes, dans un couple bancale, mais un couple quand même. Et il n'a jamais été question de libertinage.
J'ai discuté avec Aaron depuis l'incident de l'autre jour. Il a eu du mal à digérer ce qui s'est passé, mais j'ai tenté d'apaiser les choses en lui expliquant que Jungkook était défoncé à ce moment-là, et qu'il n'était pas dans son état normal. Je ne suis pas sûr qu'il m'ait cru, mais peu importe, ça l'a calmé.
D'ailleurs, j'ignore ce qui m'a poussé à défendre le comportement de Jungkook, d'essayer de le justifier auprès de Aaron, alors qu'il n'y a rien à justifier.
La violence restera toujours de la violence. Il n'y a aucune explication à donner. Pourtant, j'ai envie de comprendre parce que je ne suis pas sans ignorer que derrière chaque action, une cause, une source, une raison s'y cache, et la seule expression qu'elle a trouvée était la brutalité, un déchaînement de colère.
Je soupire en tentant de m'apaiser. Je ne ressens pas trop de douleur pour le moment, seulement quelques picotements ici et là. Même la fraîcheur de l'eau et de la pluie ne semblent pas me perturber outre mesure. Je sais que je suis dérangé, qu'un truc ne tourne pas rond dans mon esprit. Il est difficile de faire fonctionner son cerveau dans ce genre de situation, je m'en sens tout simplement incapable. Alors j'admire les étoiles.
— A quoi tu penses ?
Une voix me fait brusquement sursauter, me sortant de ma torpeur.
— Je regarde les étoiles, lui réponds-je.
— Tu essaies de les compter ? me taquine-t-il pour alléger l'atmosphère, et je ne peux m'empêcher de sourire un peu.
— Sais-tu que certaines étoiles brillent encore dans le ciel alors qu'elles sont déjà mortes ?
— Comment ça ?
— La distance entre les étoiles et nous est tellement impressionnante que le temps que la lumière nous parvienne, l'étoile peut être déjà éteinte.
Je me redresse et observe Jungkook en train de contempler les cieux, les sourcils froncés. Cette expression lui va vraiment bien, il est si concentré que ça me fait rire. Son regard retombe alors sur moi lorsqu'il m'entend m'esclaffer.
— Il y a beaucoup de choses qu'il te reste à apprendre, sauvage, et je veux bien t'en enseigner quelques-unes.
Je sais que je lui ai déjà fait cette proposition, mais je sens que quelque chose a changé entre nous. C'est comme si nous avions enfin décidé que nous voulions mutuellement en savoir plus l'un sur l'autre. Nous avons vu nos pires visages, j'ai découvert que sous son masque calme, la tempête régnait et n'attendait que d'exploser, et sous le mien, il y a vu mes larmes et le sang coulant que je cherche par-dessus tout à panser.
— Okay, dit-il, acceptant réellement ma demande, par envie et non par besoin d'argent.
Je me dirige vers le bord de l'eau, mais chaque pas me coûte. Jungkook tente une approche, prêt à m'aider, mais je lève la main pour l'en empêcher. Je veux prouver que je peux le faire seul, que je ne suis pas aussi fragile qu'ils semblent tous le penser. Je suis un homme, et je veux qu'on me considère comme tel.
Après un moment, j'atteins enfin le rivage. Mes yeux se posent sur Ice, dont les crocs sont tachés de sang et une question me vient à l'esprit : qu'a-t-il bien pu chasser pour revenir dans cet état ?
— Tu veux rester avec moi ce soir ?
Je relève la tête sur Jungkook et nos regards se croisent. J'ai presque la sensation de lire une supplication dans ses prunelles, il semble ne pas pouvoir supporter un refus de ma part. Je dois probablement rêver cette expression, ma tête a dû cogner trop fort.
Tout à coup, je me sens fatigué, écrasé par le poids de la vie. C'est avec un simple hochement de tête que je lui réponds alors, acceptant sans savoir réellement pourquoi. Il s'agit encore de son aura magnétique qui me pousse à chaque fois vers lui.
Il me sourit en retour tandis qu'Ice vient se frotter gentiment contre ma cuisse. Je serre les dents pour ne pas laisser échapper un gémissement de douleur lorsque ses poils effleurent ma plaie. Elle n'a pas complètement cessé de saigner, mais au moins, le sang ne coule plus en continu le long de ma jambe.
Jungkook s'avance vers moi et quand je comprends qu'il veut me porter jusqu'à la cabane, je recule d'un pas.
— Arrête ça, bon sang ! râle-t-il, les dents serrées.
Il ne me laisse pas le choix et, en quelques secondes, je suis dans ses bras.
Tout à l'heure, je n'avais pas remarqué que nos peaux nues se frôlaient, étant perdu dans des sentiments troubles. Mais maintenant que je retrouve peu à peu mes esprits, je prends pleinement conscience de ce contact. Je m'en rends même un peu trop compte, d'autant plus que je ne suis couvert que d'un caleçon. Un frisson me traverse et je préfère me dire que c'est à cause de la fraîcheur de la pluie.
Ses pas sont silencieux, comme un murmure chuchoté à l'oreille de quelqu'un, ce qui détend mes muscles et fait ralentir ma respiration. Je peux enfin respirer plus sereinement, au moins pendant un instant. La douleur commence à me mordiller la peau et à s'installer dans ma chair, mais je tiens bon.
Ce n'est pas le moment de pleurer, Taehyung. Tu es vivant, estime-toi heureux de l'être.
Parfois, être mort est moins douloureux que d'être vivant, me susurre une voix dans ma tête et je m'efforce de ne pas l'écouter. Pour le moment.
Une fois arrivés dans son repère, il me remet debout, en appui contre l'encadrement de la porte, et me demande de ne pas bouger. Il prépare son lit de fortune, sensiblement le même que la dernière fois. Je sais déjà que je vais avoir froid, surtout que je suis à nouveau trempé et que le peu de vêtements que j'avais est toujours au bord du ruisseau.
Il déplie la mince couverture avant de me porter jusqu'au lit avec une délicatesse surprenante. Une fois installé, il me recouvre avec le tissu, en prenant soin de bien m'envelopper. Je suis perplexe face à cette tendresse inattendue, une douceur qui est en totale opposition avec ce que j'ai perçu dans ses yeux lorsqu'il s'est confronté à Aaron. Comment peut-il montrer une telle dualité ? Comment une personne peut-elle afficher des comportements aussi diamétralement opposés, aussi paradoxaux ?
Soudain, Ice entre dans la cabane alors que Jungkook allait fermer la porte.
— Ice, laisse-nous ! Va dehors !
Alors que le loup obéit, la tête baissée, visiblement déçu, je siffle. Il s'arrête net et se retourne vers moi, la tête penchée sur le côté, attentif. Je tapote le sol à mes côtés et il ne met pas longtemps à me rejoindre, calant son museau dans mon cou.
Je ne comprends pas d'où vient ce revirement de situation : d'agressif, il est passé à affreusement affectueux. J'ai l'impression que c'est ma tristesse qui lui a fait changer d'avis, ou peut-être que c'est le regard de son maître sur moi. D'ailleurs, celui-ci expire longuement, mais ne dit rien. Il ferme simplement la porte pour que la brise ne s'engouffre plus à l'intérieur de l'habitacle.
Il s'avance lentement vers un coin sombre de la pièce et ramasse quelque chose que je ne vois pas à cause de l'obscurité. Il s'approche ensuite avec la chemise que je lui avais donnée. Il s'agenouille au sol, puis sort ma cheville de la couverture afin de la caler sur sa cuisse.
Je ne comprends pas, qu'est-ce qu'il fabrique ?
Il doit saisir l'interrogation sur mon visage parce qu'il s'explique aussitôt :
— Il faut arrêter le sang de couler.
Il enroule le tissu autour de ma jambe, appliquant une pression soutenue sur la blessure en le nouant. Je pince les lèvres et ferme les yeux pour étouffer un cri de douleur, expirant difficilement une fois qu'il a terminé.
Lorsque je rouvre les yeux, je découvre Jungkook assis à une bonne distance, le regard baissé. Il passe une main distraite dans ses longs cheveux, comme pour apaiser ses propres tensions.
Je tends alors le bras pour saisir une mèche et tire doucement dessus. Il tourne lentement la tête vers moi, une lueur d'hésitation dans le regard, montrant clairement qu'il n'est pas encore prêt à me faire face.
— Tu crois que tu me laisserais te les couper un jour ? demandé-je, brisant le silence avec un léger sourire visant à le dérider.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ses cheveux ne sont pas sales, ni moches. Au contraire, ils sont même très beaux, épais et soyeux à souhait. J'en serais presque jaloux, mais je pense qu'avec sa mâchoire saillante, une coupe plus courte lui rendrait davantage justice.
— Pourquoi ?
Il me regarde avec curiosité, mais ne répond pas à mon rictus. Le Jungkook que je connais est de retour.
— Ça t'irait bien, je pense.
— On verra ça plus tard, Taehyung. Maintenant, dors, tu as besoin de repos pour te remettre de tes blessures.
Son ton n'est pas dur et pourtant, ses mots me font l'effet d'une gifle. Il s'est totalement refermé et ma gorge se serre en réponse. Ce n'est pas auprès de lui que je vais trouver du réconfort. Qu'est-ce que je croyais en restant dormir ici ?
Il s'en fiche, il a fait tout ça seulement par courtoisie, pour sa conscience. Comme il l'avait fait en empêchant Ice de me sauter à la gorge.
Je décide de ne rien ajouter, je n'en ai pas la force de toute manière. Je me tourne vers Ice, montrant mon dos à Jungkook. Je caresse le chien tout doucement alors qu'il est blotti tout contre moi. Son poil me réchauffe légèrement, mais ça ne m'empêche pas de frissonner, vu que je suis encore mouillé.
Je renifle légèrement, gêné par la douleur causée par les plaies, aggravée par la couverture qui frotte dessus, et par un mal-être persistant qui semble me suivre comme une ombre. Les images de la soirée défilent devant mes yeux sans que je ne puisse les en empêcher. Mon père était incontrôlable, comme possédé. Il a déjà été violent envers moi, surtout depuis qu'il s'est mis à boire, mais jamais à ce point-là.
Il a découvert que je consommais de la drogue après en avoir trouvé dans ma chambre, alors qu'il la fouillait pour une raison que j'ignore. Lorsque je suis rentré des cours, je les ai trouvés en train de m'attendre dans le salon, ma mère et lui. Il a complètement craqué, et je me suis retrouvé sans mots. Rien de ce que je pouvais dire ne semblait pouvoir le calmer. Le pire, c'est que je n'avais aucune excuse valable à lui présenter, du moins aucune qu'il pourrait comprendre. Comment réagirait-il si je lui avouais que, en grande partie, c'était de sa faute ?
Il a commencé à me violenter dès qu'il a compris que je ne comptais pas parler, ni me justifier. Il m'a secoué avec une intensité que je n'avais jamais connue auparavant, sa colère se déchaînant de manière irrépressible. Puis, dans un élan de frustration, il m'a poussé violemment en arrière. Malheureusement, derrière moi se trouvait une table en verre, qui n'a pas survécu à l'impact. Comme moi, elle a volé en éclats.
Je ne sais pas trop comment j'ai réussi à me relever, sous le regard médusé de mes parents. Eux aussi, ils étaient surpris. Probablement pas autant que moi, mais ça ne fait rien. J'ai longuement fixé ma mère, qui a assisté à la scène sans jamais intervenir, sans jamais lui demander d'arrêter, sans même me défendre un tout petit peu. Moi, son seul et unique enfant. Elle m'a abandonné entre les griffes de mon père et m'a laissé à mon triste sort sans même essayer. Je compte alors si peu à ses yeux ? A leurs yeux ? Qu'est-ce que je représente pour eux ? Un pion dans leur échiquier ?
Je suis parti, courant aussi vite qu'il m'était possible de le faire. Mon père me criait de revenir, mais je ne me suis pas retourné lorsque j'ai accéléré pour m'enfoncer toujours plus loin dans la forêt. Il me suivait, mais je ne sais jusqu'à quand, car, le cœur battant à tout rompre et l'esprit embrumé par la panique, je ne voulais plus jeter un seul regard en arrière. Plus jamais.
Je sais que je me suis arrêté un moment pour retirer un éclat de verre coincé dans ma cuisse, puis, après cela, je ne me rappelle de rien. Je suis revenu à moi une éternité plus tard, et j'étais en train de flotter sur l'eau, à des années-lumière de mes malheurs. J'étais bien, sincèrement bien. Mais maintenant que la sensation de flottement est derrière moi, les événements me rattrapent et l'angoisse associée me prend aux tripes. Je ferme vigoureusement les paupières pour empêcher le débordement de mes larmes, mais elles sont plus fortes que moi. Elles ont le dernier mot et je ne peux pas lutter contre elles.
Putain que je suis faible...
J'essaie de contrôler les soubresauts de mon corps, mais c'est difficile, il n'en fait qu'à sa tête et se retourne contre moi.
Merde.
Ice émet un petit couinement qui me va droit au cœur. Il semble si bien percevoir ma douleur qu'il vient doucement lécher le bout de mon menton. J'ai un petit sourire tout fabriqué qui se plaque sur mon visage sans que je ne crois en sa sincérité. Il ne doit pas être très beau ce sourire-là...
— Tu pleures ? j'entends Jungkook me demander alors qu'il se redresse sur un coude pour apercevoir mon visage.
Je prie pour que la lumière de la lune soit de mon côté.
— Non, réponds-je faiblement.
Si la lune avait pu me donner raison, ma voix, elle, ne le convainc pas.
— Flocon, dit-il, dans un souffle.
Je ferme à nouveau les yeux pour combattre cette tristesse qui m'accable, qui m'enserre le corps comme une combinaison trop étroite.
Lorsque sa main se pose sur le haut de mon bras, par-dessus la couverture, j'ai envie de faiblir, mais je ne peux pas. Enfin, je ne veux pas.
Tu es pitoyable, me rappelle la voix de mon père.
Non, je ne le suis pas ! Non...
Je renifle encore.
— La douleur physique va partir, Taehyung, je te le promets. Mais la douleur psychologique, toi seul peut choisir de la faire disparaître.
Je serre les poings dans les poils d'Ice à ses mots, mais je les relâche aussitôt, par crainte de lui faire mal.
— Lorsque c'est trop dur pour moi, je crée. Je réinvente les passages qui ont été difficiles pour les arranger à ma manière.
Je ne sais pas s'il a remarqué que sa main montait et descendait sur mon bras, dans un geste qui se veut rassurant. Je me concentre avant tout là-dessous, pour ne pas perdre pied.
— Raconte-moi ce qu'on te faisait.
C'est une supplique plus qu'une simple demande. J'ai le besoin égoïste de comprendre que je ne suis pas seul dans ce navire de la désolation, que d'autres personnes que moi souffrent ou ont souffert. C'est affreux comme pensée, mais j'ai horriblement peur de cette solitude émotionnelle.
Je le sens se tendre au même rythme que sa respiration s'accélère. J'espère ne pas l'avoir contrarié.
— Désolé, je... je n'ai pas à te demander un truc pareil, dis-je rapidement en reniflant à nouveau.
Alors que le silence s'installe, il prend la parole d'une voix que je ne lui reconnais pas. Elle est neutre, détachée, comme si ce qu'il allait me raconter ne l'atteignait pas, ne le concernait pas. Mais la difficulté avec laquelle il peine à trouver ses mots ne me trompe pas sur ce qu'il ressent vraiment.
— Mes parents aimaient les jeux. Des jeux plutôt..., dit-il avant de s'arrêter un instant, le souffle court. Des jeux plutôt axés sur la souffrance. Ils avaient pour habitude de m'amener dans une forêt où il y avait un labyrinthe, à chaque fois différent, pour qu'on ait aucun repère.
Il déglutit et je perçois toute la peine qu'il a à s'exprimer, l'envahissant tout entier. J'ai envie de me retourner, de l'aider à parler, mais je ne sais pas si j'en suis capable. Et puis, je ne veux pas l'interrompre, je ne veux surtout pas qu'il s'arrête.
— Les parties se jouaient la nuit avec onze jeunes, filles et garçons mélangés. On était installés dans des petites voitures qui clignotaient en rouge, sauf un, qui, choisi au hasard, clignotait en vert. Et c'est celui-là qu'il... qu'il fallait attraper.
Je n'en peux plus de me tenir à l'écart, il faut que je le vois, et l'expression que je lui découvre lorsque je lui fais face me retourne l'estomac. La souffrance profonde qui se reflète dans ses yeux brillants m'est insupportable. L'intensité de sa douleur me bouleverse et j'appréhende soudain la suite de son histoire.
— Celui qui clignotait en vert avait trois minutes pour partir et se cacher le mieux qu'il pouvait afin d'échapper aux autres. Parce que, lorsque les trois minutes étaient écoulées, il fallait retrouver cette personne, puis... puis l'attacher à sa voiture pour le traîner jusqu'au centre du labyrinthe. On pouvait parfois mettre une éternité à trouver le centre...
Tout l'air présent dans mes poumons reste bloqué jusqu'à me faire tousser.
Quoi ? Comment un tel jeu peut exister ?
— On n'avait pas trop le choix de faire ça... Sinon, c'était nous qui prenions sa place.
Il a le regard baissé, semblant avoir honte. Mais cette culpabilité ne devrait pas lui appartenir, seuls les organisateurs devraient en être accablés.
Cependant, une question me brûle la langue, mais je crains sa réponse. Je tente alors d'une voix penaude :
— As-tu déjà eu une voiture qui clignotait en vert ?
Il relève les yeux vers moi et pince les lèvres.
— Trop de fois, m'avoue-t-il.
Je ferme les yeux, essayant de faire passer la douleur qui me serre la poitrine. Chaque mot semble me frapper comme une onde de choc, rendant la réalité encore plus difficile à encaisser.
— Mais je faisais en sorte qu'on me place sur le dos, pour ne pas prendre les écorces dans le visage, rajoute-t-il, comme pour me signifier qu'il avait pris toutes les précautions nécessaires.
Je rouvre précipitamment les yeux et le fixe avec surprise. Comment peut-il penser comme ça ? Comme si tout ça était normal et que ce n'était pas grave ?
— Sur le dos ou sur le ventre, c'est affreux, Jungkook, tranché-je.
Il hausse les épaules.
— Tu sais, à force, la douleur n'est plus si intense, si importante. On se concentre sur d'autres choses pour l'oublier.
Je suis médusé par ses paroles, je ne peux pas être d'accord avec lui. Comment ses parents ont-ils pu lui faire ça ?
Comment les tiens ont-ils pu te faire ça ? me rappelle une sombre voix dans ma tête.
— Je n'ai jamais été aussi heureux que depuis que je suis ici, tu sais ? me rassure-t-il avec un demi-sourire. Je vais bien, flocon.
Ce surnom réchauffe mon cœur et allège ma peine, apportant une douceur inattendue à ce moment difficile. En mordant ma lèvre inférieure, je grimace à cause de la douleur persistante de la plaie qui s'y trouve. Je cherche à me convaincre que je ne rêve pas cet instant de complicité, qui m'apporte un réconfort que je ne pensais pas mériter. Le Jungkook calme et attentif semble revenir, et je reste immobile, redoutant qu'il s'évapore aussi rapidement qu'il est apparu.
Ses doigts viennent attraper mon menton, puis son pouce exerce une pression sur ma lèvre pour que mes dents relâchent leur emprise sur celle-ci. A nouveau, je respire vite.
Merde, je ne devrais pas ressentir ça. Je crois que j'ai envie qu'il m'embrasse. Comment ça se fait ? Ses lèvres pleines, malgré leur sécheresse, m'appellent alors qu'il ne m'attire même pas.
Menteur, tu reluquais ses fesses il n'y a pas une demi-heure, me rappelle encore cette voix. Ne va-t-elle pas se taire à la fin ?
Pour chasser ces pensées absurdes, je saisis sa paume et dépose un baiser délicat sur le bout de ses doigts, cherchant dans ce geste à lui apporter un réconfort silencieux. Pendant un instant, je redoute qu'il retire sa main, mais il reste immobile, bien que je perçoive une légère tension dans ses muscles. Sa paume, légèrement plus petite que la mienne, est cependant bien plus rugueuse, marquée par une cicatrice qui traverse sa peau. À travers notre contact, mon corps semble percevoir sa douleur, comme si une forme de communication tacite s'établissait entre nous, un langage que seul notre toucher peut comprendre.
Il a le regard fixé sur notre point de contact, particulièrement lorsque ma paume rencontre la sienne et que j'entrelace nos doigts. Sa chaleur traverse ma peau, et des picotements se font sentir jusqu'au bout de mes orteils. C'est une sensation tout aussi déconcertante qu'agréable. Elle me fait peur aussi.
C'est la première fois que j'initie volontairement une intimité entre nous et c'est électrisant. Mes yeux remontent vers les siens, et je remarque qu'il me fixe déjà. Dans son regard, j'y lis, comme dans un miroir, toutes mes incertitudes. Je suis content de le voir aussi perdu que moi parce que, quelque part, ça me rassure. Je ne suis pas fou, je ne rêve pas toutes ces émotions étranges.
Je me rends compte que mes pleurs ont cessé à la minute où nos mains se sont rencontrées, que mon cœur s'est calmé à la seconde où nos yeux se sont retrouvés.
Je fronce les sourcils, pas certain de vouloir analyser ce qui se passe. Est-ce ainsi que les cœurs se réparent, en trouvant une autre âme aussi brisée pour se comprendre ?
Un bruit de ronflement nous fait alors sortir de notre bulle et nos doigts se séparent tout aussi brusquement.
C'est Ice qui s'est endormi.
Je me mets alors à rire pour briser cette ambiance devenue pesante. Jungkook, lui, reste silencieux, se laissant submergé par ses pensées. Je réalise alors combien je dois paraître ridicule à rire seul dans cette atmosphère chargée de non-dits. Submergé par un sentiment de gêne, je finis par m'arrêter, mon rire s'évanouissant dans le vide.
— Bonne nuit, dis-je rapidement avant de me retourner pour, à nouveau, lui montrer mon dos.
Il ne me répond pas. J'attends un moment, espérant une réaction, mais le silence persiste. Peu à peu, je laisse tomber, bien que le sommeil semble toujours hors de portée. Les émotions, les sensations, la douleur, et les angoisses s'entrelacent dans mon esprit, créant un tourbillon incessant qui m'empêche de trouver les bras de Morphée. Résigné à rester éveillé, je décide de m'occuper du pelage d'Ice. En le câlinant doucement, je cherche à évacuer ma frustration et ma peine, comme si le contact avec sa fourrure pouvait apaiser les tumultes intérieurs.
Je ne suis pas dupe : les minutes, puis les heures s'écoulent sans que le sommeil ne vienne, et je commence à accepter que cette nuit sera probablement une nouvelle nuit blanche. Une de plus, ce n'est pas bien grave.
Tout à coup, Jungkook commence à bouger dans mon dos, ses mouvements se faisant de plus en plus amples et fréquents. Je me rends compte qu'il est probablement en train de rêver, surtout quand j'entends ses murmures confus. Ses songes semblent particulièrement agités, mais je fais de mon mieux pour ignorer son trouble. Cependant, lorsque je reçois un coup de pieds dans la jambe, je lutte pour réprimer un cri de douleur.
Mais qu'est-ce qui lui prend ?
Avant même que je ne me retourne, il se calme tout seul. Il s'est peut-être réveillé ?
— Taehyung ?
Je ne lui réponds pas, préférant faire semblant de dormir. Je n'ai pas envie de devoir me justifier sur le fait que je ne dorme pas.
Il soupire longuement et doit probablement passer une main dans ses cheveux, comme une vieille habitude. Je suis très surpris lorsqu'il se met à parler, dans un chuchotement à peine perceptible.
— Je suis désolé que tu ais dû vivre ça, que tu ais dû vivre le même genre de choses que moi. Je suis vraiment désolé. Tu ne mérites pas ça, flocon.
Mon cœur se resserre à ces mots. Comment peut-il avoir une telle influence sur moi ? J'ai l'impression de ressentir ce qu'il ressent, de vivre ce qu'il vit, et même dans ma tête, je trouve cette réflexion totalement absurde.
Je suis à deux doigts de sursauter lorsque sa main se pose à nouveau sur mon bras. Et même si, encore une fois, c'est par-dessus la couverture, je perçois néanmoins son énergie qui se diffuse en moi. Tout à coup, il la fait descendre le long de mon flanc jusqu'à mes hanches. Je sens ma respiration devenir plus lourde, et ma main, qui caressait Ice, se fige immédiatement dès qu'il entre en contact avec moi.
Je suis troublé par son geste, mais terriblement touché qu'il le fasse. Le réconfort dont j'ai besoin me semble plus près que jamais.
Je l'entends soupirer à nouveau et sa main me quitte.
Je ne le laisse pas faire.
Je rattrape son poignet au vol, privant mon corps de la chaleur de la couverture. Alors, sans rien dire, je le tire vers moi pour placer sa main sur mon flanc, à découvert.
Des picotements naissent au contact de sa paume contre ma peau nue et le temps que je ferme les yeux, je le sens se rapprocher encore plus près. Il relève la couverture afin de la placer de sorte à nous couvrir tous les deux. Son corps se colle tout naturellement contre le mien, venant épouser mes formes comme si elles étaient faites pour s'emboîter. Sa main, elle, descend sur mon ventre. Je sais qu'il est nu derrière moi et cette constatation fait battre mon cœur un peu plus fort. Je devrais être affreusement gêné, ou mieux, je devrais détester ça et penser à Aaron, mais, à cet instant, ça semble être le cadet de mes soucis.
Sa paume est suffisamment grande pour recouvrir presque l'entièreté de mon abdomen et, plaquée ainsi contre moi, me rapprochant au plus près de son propriétaire, je me sens enfin en sécurité.
Maintenant, entre ses bras, je sais que je peux lâcher prise et dormir.
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NOTE DE L'AUTEURE :
Oulalala !! Ce chapitre est vraiment plein d'émotions, vous ne trouvez pas ?
Tout d'abord, que pensez-vous de cette relation entre Tae et JK ? Son rythme vous plaît-il ?
Ils se rapprochent fortement, vous ne trouvez pas ? Vont-ils garder cette dynamique ou bien cela risque d'être encore compliqué ?
Et les révélations de Jungkook sur ce que ses parents l'obligeaient à faire ? Qu'en pensez-vous ? A quel point tout cela l'a-t-il détruit ?
J'ai très envie de connaître votre impression concernant l'histoire ? Oui, j'ai besoin d'être rassurée, le manque de confiance en moi est toujours un problème haha ^^
A jeudi pour la suite, mes Dumiz ! Prenez soin de vous !
Era xx
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