CHAPITRE 10 - Fumée
Je n'ai aucun pouvoir sur ce que je vois.
Est-ce qu'au cœur du chaos, de belles choses peuvent fleurir ?
Un tout peut-il naître d'un rien ?
POINT DE VUE DE JUNGKOOK :
2 jours plus tard...
Je suis en colère, même très en colère. Je l'ai touché. Plusieurs fois. Je l'ai même laissé me toucher en retour.
Je n'ai pas vu tout ça venir, vraiment pas. C'est comme si c'était plus fort que moi. Mes doigts semblent bien plus curieux que mon esprit, et me demandent de mémoriser ses traits sans que je ne puisse les arrêter. Ça faisait tellement longtemps que je n'avais pas croisé d'humain que j'en avais perdu le visuel. C'est comme si j'avais besoin de renouer avec une vieille connaissance, que je me sentais obligé de la découvrir, surtout physiquement. Par contre, je refuse d'être psychologiquement relié à ce garçon aux cheveux rouges, ça serait m'exposer à un risque que je ne suis pas prêt à prendre.
Je suis sur le rocher présent à la frontière de la forêt et de la cour de son château, en pleine réflexion. Flocon est allongé sur une longue chaise, sur son balcon, un nouveau livre entre les mains. Je l'observe. Il est concentré, totalement absorbé par sa lecture.
Il est parti avant que je n'attrape le gibier, l'autre jour. Ses pores transpiraient tellement la peur que l'animal n'a pas mis longtemps à comprendre ce qui se tramait autour de lui. Il ne le sait pas, car il a pris ses affaires et s'est enfui en courant à peine la bête disparue, mais je l'ai tuée. Je m'attendais à ce qu'il ne reste pas, sans pour autant le lui dire, alors j'ai attendu que le gibier détale pour lui sauter dessus.
La chasse n'a rien d'évident, j'ai mis un moment avant d'y arriver moi-même. C'est Joe qui m'a tout appris, parce que seul, je serais sûrement mort de faim. Ce qui m'a surpris, c'est que Taehyung soit parti si vite, avant même que je ne me jette sur la bête. Je n'ai pas compris sa réaction excessive, ne sait-il pas que, pour survivre, il faut manger ?
Soudainement, comme s'il pouvait sentir mon regard sur lui, il relève la tête et tombe immédiatement sur moi. Je le vois inspirer profondément avant de refermer son livre et de se lever pour s'appuyer contre la barrière.
Je me sens un peu mal-à-l'aise d'avoir été pris sur le fait. Il a découvert d'où je l'observais le soir et ça me dérange, je dois bien l'avouer. Il me fixe pendant un instant, puis se décide à rentrer dans sa chambre.
Bon, il n'avait pas l'air fâché, mais d'ici, je n'en suis pas vraiment sûr. Peut-être m'en veut-il de l'espionner ? Après m'avoir suivi dans la forêt, ça serait tout de même mal venu de sa part.
La porte d'entrée s'ouvre sur Taehyung, un manteau rouge bordeaux sur le dos et les mains dans les poches alors qu'il se met à marcher dans ma direction.
C'est la tête baissée qu'il arrive jusqu'à ma cachette, et je comprends immédiatement que quelque chose ne va pas. Pourtant, un sourire se dessine sur son visage afin de masquer sa tristesse, comme si elle n'avait jamais existé, que je l'avais rêvée. Malgré cela, je perçois encore une ombre derrière l'éclat habituel de ses yeux, une mélancolie profonde qui semble toujours le suivre, le poursuivre même. Je la décèle facilement derrière son rictus parce qu'elle fait étrangement écho à la mienne.
Il ne me parle pas et ne me salue pas quand il s'assoit à mes côtés. Il ne prononce toujours aucun mot lorsqu'il se met à chercher quelque chose dans son manteau. Il en sort un genre de petit tube en papier orange et blanc. Je l'ai déjà vu de nombreuses fois avec ce genre d'objet et je sais qu'une fois qu'il touche ses lèvres, de la fumée s'échappe de sa bouche. Il prend un allume-feu et brûle l'extrémité du papier tout en le glissant entre ses lèvres.
Je l'observe répéter ce geste plusieurs fois, chaque mouvement étant accompagné de volutes de fumée. Tout à coup, il se tourne vers moi et me tend son bien, d'où émane une forte odeur. Ce parfum est étrangement ambigu ; il n'est ni particulièrement agréable ni entièrement désagréable, mais il me rend curieux.
— Tu veux essayer ? me propose-t-il d'une voix fatiguée.
— C'est quoi ? demandé-je, sincèrement intéressé.
— Tu veux la version franche ou celle que je donnerais à un enfant de huit ans ?
Un sourire se dessine sur ses lèvres, mais ses yeux ne me sourient pas. Qu'est-ce qu'il a ?
— Je veux la vérité, toujours la vérité.
Cette fois, un véritable rictus le gagne.
— C'est une cigarette. Il y a ce qu'on appelle du tabac dedans et c'est relativement dangereux pour la santé. Notamment pour tes poumons, lorsque ta consommation est excessive.
— Si c'est dangereux, pourquoi tu utilises ce truc ?
— Parce que c'est un bon déstressant et que je fume depuis que j'ai douze ans, alors, comme c'est addictif, c'est compliqué pour moi d'arrêter, dit-il en haussant les épaules. Alors, tu veux essayer ?
Je suis intrigué de savoir si le goût ressemble à l'odeur et si je vais aimer ça autant qu'il semble l'apprécier.
J'attrape l'objet, mais il m'arrête pour glisser la cigarette entre mon index et mon majeur, comme je l'ai vu faire tant de fois, surtout le soir.
— Lorsque tu vas la mettre dans ta bouche, il faut que tu inspires doucement pour ne pas directement enflammer tes poumons. Ensuite, tu recraches la fumée en expirant. Il est probable que tu tousses à la première taffe.
— La première taffe ?
— La première inspiration, si tu préfères.
Je fixe un moment ce que je tiens dans la main, me demandant si c'est une bonne idée de faire ça. Il a été honnête avec moi, c'est dangereux pour la santé, mais une partie de moi a envie d'essayer, d'en apprendre plus sur le « monde civilisé » et de comprendre ce qu'a d'aussi important cette substance pour lui.
Je place la cigarette dans ma bouche et hésite un instant.
— Inspire doucement, me répète-t-il, m'encourageant à tenter l'expérience.
Je m'exécute alors.
J'inspire légèrement, et aussitôt, ma gorge se transforme en brasier. La brûlure est intense, et lorsque j'expire enfin, je me mets à tousser violemment, comme si mon corps rejetait instinctivement cette intrusion. À côté de moi, Taehyung éclate de rire, un son clair et moqueur qui, étrangement, m'amuse aussi. Je ne peux m'empêcher de sourire, malgré la gêne. Moi qui suis capable de traquer et d'abattre un gibier à mains nues, je me retrouve déstabilisé par un simple morceau de papier enflammé.
— Ce n'était pas si mal, s'esclaffe-t-il, continuant de se moquer.
Il me reprend la cigarette des mains avec aisance, avant de reproduire le geste que j'ai tenté un instant plus tôt. Mais chez lui, le résultat est tout autre. Taehyung a cette nonchalance innée qui lui confère un côté intimidant et charismatique. Sa façon d'inhaler la fumée, la tête légèrement inclinée, puis de l'exhaler doucement, lui donne une assurance tranquille, comme s'il maîtrisait parfaitement ce qu'il faisait, sans y accorder une grande importance.
— Laisse-moi réessayer, lui dis-je en lui volant la cigarette de la bouche.
Il râle, mais ne dit rien de plus.
Je recommence, tentant de reproduire son flegme et souris en m'apercevant que je tousse un peu moins fort.
— Partage la fumée avec moi la prochaine fois.
— Comment ?
— Tu n'as qu'à souffler la fumée sur moi.
Je ne réponds pas et m'exécute sans réellement comprendre l'intérêt de sa demande. J'inspire tranquillement et recrache cette brume blanche sur son visage. Il s'approche un peu plus de moi pour l'accueillir, mais il ne paraît pas satisfait.
— Attends, déclare-t-il avant de me reprendre la cigarette des doigts. Je vais te montrer comment on fait.
Il prend une longue inspiration, gonflant ses poumons de cet air si particulier, puis il tourne la tête dans ma direction. Sans que je n'ai le temps de réagir, il saisit mon menton, m'incitant par une légère pression à ouvrir la bouche. Je suis quelques secondes paralysé par son contact, complètement figé par cette intrusion. Encore une fois, il me touche et je ne m'énerve pas. Je ne sais pas pourquoi ça ne m'irrite pas tant que ça. Peut-être est-ce parce que, au fond, je sens que son geste n'a rien de menaçant, qu'il n'est pas là pour me faire du mal, mais pour m'enseigner quelque chose.
J'entrouvre les lèvres, suivant son conseil silencieux tandis que je le vois envahir mon espace. Son visage est seulement à quelques centimètres du mien lorsqu'il souffle dans ma bouche cette fumée blanche. Il garde sa main sur mon visage, se voulant assez ferme, et son front se colle presque contre le mien durant son geste.
Mon cœur s'emballe.
Je stresse.
Pourquoi ? Je ne comprends pas ce qui m'arrive.
Est-ce ce qui vient après la haine ?
Il a fermé les yeux durant le processus, alors je prends le temps de détailler ses traits. Son visage est marqué par une finesse et une douceur qui contrastent avec l'intensité brûlante de son regard, tellement ardant qu'il pourrait me glacer les pupilles. La simple magie d'un flocon. Ses cheveux d'un rouge vif sont coiffés en arrière, comme à leur habitude, mais certaines mèches viennent effleurer ses tempes et dissimulent ses yeux. Je réalise que je n'ai jamais observé un visage humain d'aussi près, et je suis frappé par la beauté presque sculpturale de ses traits. Cette beauté est d'autant plus saisissante qu'elle semble en opposition avec la cruauté qui, je le sais, se cache sous la surface de l'humain. Ce contraste entre l'apparence extérieure et la noirceur intérieure m'impressionne, et je ne peux m'empêcher de me demander comment un être si fascinant peut être aussi redoutable.
Je suis tellement absorbé par mes pensées que je ne remarque pas tout de suite que Taehyung a ouvert les yeux. Je ne peux pas m'empêcher de trouver le grain de beauté dans son œil gauche intriguant, comme s'il menait sa propre existence seul. A-t-il été abandonné ou s'est-il marginalisé ? Telle est la question.
Il s'éloigne avec rapidité et je suis frustré de ne pas avoir eu cette même réaction plus tôt. Il se râcle la gorge pour reprendre contenance alors que je passe une main dans mes longs cheveux.
Mon regard se fixe sur un point derrière lui, et je reconnais immédiatement Ice, qui apparaît au loin. Il s'approche en trottinant, son attitude méfiante trahissant une tension palpable alors qu'il semble fusiller Taehyung du regard. Un soupir m'échappe, marqué par une certaine frustration. Au moins, Ice affiche une détermination que je n'arrive pas à égaler.
Lorsque Ice arrive enfin à mes côtés, je perçois clairement son désir de grogner dans sa posture rigide et ses muscles tendus qui traduisent une irritation contenue. Cependant, je sais qu'il se souvient de l'ordre que je lui ai donné : ne pas l'agresser. Pourtant je sens qu'il lutte contre son instinct de défense.
Ice vient s'asseoir à mes pieds, cherchant visiblement des caresses. Ce qui est rare. C'est donc ce que je fais, plongeant ma main dans la blancheur de ses poils. Malgré l'habitat dans lequel il vit, le pelage de ce chien loup a toujours été incroyablement doux. C'est quelque chose qui m'a toujours frappé depuis que je l'ai.
Je me demande si Taehyung, possédant la même particularité qui m'a titillée dès notre première rencontre, celle d'un grain de beauté dans l'œil, a également une peau tout aussi douce.
A cette pensée, je me gifle intérieurement. Putain, je suis tellement con.
— Tu crois que je pourrais le caresser aussi ?
Je me tourne vivement vers flocon.
— Pas si je ne suis pas là. Il est très méfiant et aussi très protecteur.
— Ça, j'avais remarqué, rit-il, se remémorant probablement leur confrontation.
— Personne d'autre que moi ne l'a jamais caressé, alors je ne sais pas trop comment il pourrait réagir. Il pourrait te mordre.
— Tu crois ? grimace-t-il. Mais j'aimerais essayer.
Aime-t-il vivre dangereusement ? Je me demande si ce goût pour l'aventure est une constante dans sa vie et ce qui le pousse à rechercher sans cesse de nouvelles expériences. Peut-être que, comme moi, il a simplement soif d'apprendre et de découvrir le monde sous des angles toujours différents. Ou bien peut-être que cette quête incessante d'excitation et de nouveauté est son propre moyen de chercher à combler quelque chose.
Je hoche la tête, lui signifiant qu'il peut essayer, mais à peine a-t-il bougé qu'Ice le fixe, les crocs saillants.
— Calme, lui ordonné-je et il range ses canines.
Son regard n'est toujours pas avenant, mais au moins, il ne semble plus sur le point de le mordre.
Taehyung avance lentement la main, pourtant, dès que cette dernière s'approche du pelage d'Ice, celui-ci se remet à grogner, comme un avertissement clair. Je décide alors d'intervenir en posant ma main sur celle de flocon, essayant de transmettre à Ice que l'intention de Taehyung est amicale et qu'il n'y a rien à craindre.
Ainsi, il finit par toucher l'animal. Il parvient même à glisser les doigts entre ses poils et un sourire vient égailler son visage. Sa main toujours sous la mienne, je réalise à quel point sa peau est effectivement douce, bien plus que la mienne. Ses doigts sont fins et élégants tandis que je suis rugueux, abîmé par la vie. Un tel contraste me fascine et me rappelle le fossé qui existe entre nous. Malgré nos efforts, nous ne serons jamais les mêmes. Nous avons été marqués de manière différente, nos chances n'ont pas été distribuées de la même façon, de toute évidence.
Mon regard retombe sur son visage et puis sa tristesse passée me revient en mémoire. Sa peau a beau être lisse, ses iris froids et intenses prouvent que l'apparence est une façade. A quel point l'extérieur correspond à l'intérieur ? Un corps a-t-il besoin d'être blessé pour prouver sa souffrance ou bien la douleur sourde, invisible, peut-elle être une plus grande cicatrice encore ?
Je retire ma main et Ice se renfrogne à ce moment-là. Taehyung décide alors de faire de même, pour ne pas énerver davantage l'animal.
— Tu as encore beaucoup de choses à apprendre sur mon monde, sauvage, dit-il soudainement. Et il n'y a pas que de belles choses, crois-moi. Les cigarettes, qui sont dangereuses, ne sont rien à côté des vices de ce monde, mais je peux essayer de t'apprendre à survivre.
Il se lève en écrasant ladite cigarette sur le rocher pour la ranger dans son manteau.
— Suis-moi si tu veux en savoir plus.
Il tourne les talons sans même regarder si je le suis. Pourtant je le fais, sans trop savoir pourquoi. Comme à chaque fois, je me sens irrésistiblement attiré par son aura. Comme si je savais que mon destin avait un lien avec lui, que je n'avais pas vraiment le choix.
Alors je lui emboîte le pas, comme l'idiot que je suis.
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NOTE DE L'AUTEURE :
Ce chapitre amène quelques rapprochements, vous ne trouvez pas ?
Taehyung paraît être accablé par la vie qu'il mène et Jungkook n'a pas tardé à le voir. Malgré ce qu'il peut dire, il est attentif aux états d'âme de Tae, vous ne croyez pas ?
Et Taehyung a choisi d'envahir l'espace personnel de JK en fumant dans sa bouche, est-ce que c'est délibéré ou simplement irrésistible ?
JK ne semble plus aussi dégoûté par le contact physique, par ces effleurements... Il est curieux et peut-être Tae lui rappelle ce qu'il était, ce qu'il a vécu, en quelque sorte.
Le monde est rempli de vice et Jungkook est-il prêt à survivre dans celui qui est "civilisé" ?
Que pensez-vous de l'histoire et de sa tournure ?
A bientôt, mes Dumiz !!
Era xx
PS : Sachez que je suis approximativement à 1/3 de l'écriture du Trompeur !! ;)
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