Chapitre 4 - Numéro 9
Les jambes flageolantes et les mains moites, je détachai ma ceinture d'une main tremblante puis me laissai glisser lentement à bas du siège vers la portière ouverte. Tout se bousculait dans ma tête, la résignation tout comme l'envie de fuir et je n'aurais su déterminer laquelle dominait lorsque je posai le pied à l'extérieur.
Il pleuvait toujours, une petite bruine persistante qui collait à la peau et ne rafraichissait aucunement l'atmosphère étouffante de cette nuit d'été. Dans un déclic caractéristique un parapluie se déploya au-dessus de ma tête dès que j'eus quitter la voiture tandis qu'une nouvelle main invisible me poussait en avant. J'eu envie de leur crier que je savais très bien marcher toute seule, lorsque quelqu'un m'attrapa par le bras et me tira vers l'avant.
— Nous devons nous dépêcher, mademoiselle, il ne faut pas traîner ici, m'indiqua l'homme à la voix grave d'un ton anxieux en m'entraînant dans son sillage.
La nuit sans lune était tellement sombre que je ne distinguais que des ombres se mouvant autour de moi et l'urgence des pas précipités et des respirations saccadées qui m'entouraient. Nous arrivions en vue d'un bâtiment faiblement éclairé lorsque l'homme à la voix grave m'exhorta encore à accélérer.
— Mais qu'est-ce qui se pas...
Ma question mourut dans ma gorge lorsque les premiers flashs crépitèrent, déchirant l'obscurité et illuminant la foule massée derrière des barrières improvisées. Lorsque les cris et les premières questions fusèrent nous n'étions plus qu'à quelques dizaines de mètres de notre destination et mon escorte resserra encore les rangs. La poigne qui m'enserrait toujours le bras se relâcha à l'approche de la porte. Un bip électronique, un éclair de lumière artificielle, avant que l'on ne me pousse encore en avant pour franchir le seuil. J'entrai en trébuchant alors que la porte se refermait déjà derrière moi gommant aussitôt les odeurs et les sons extérieurs.
— Et bien, quel comité d'accueil ! s'esclaffa Joachim de son ton horripilant s'attirant les foudres oculaires des personnes présentes.
— Je croyais que tous les abords du terrain devaient être sécurisés ?! aboya dans un talkie-walkie, l'homme à la voix grave qui m'avait conduite jusqu'ici. S'il y a des fuites dans la presse avant l'annonce officielle, vous en serez responsable ! ajouta-t-il avant d'appuyer rageusement sur le bouton off de son appareil. Ce n'est pas vous qui les avez avertis, j'espère ?
— Moi ?! Mais comment osez-vous ?! s'offusqua Joachim, dont le teint était lentement en train de virer au rouge brique sous le coup de l'indignation.
L'homme, à première vue un militaire, le fixa d'un regard furieux, avant de se détourner dans un claquement de langue agacé.
— Cherchez d'où vient la fuite ? ordonna-t-il à l'une des deux autres personnes présentes, qui s'empressa de tourner les talons, s'enfonçant dans les profondeurs du bâtiment. Désolé pour l'arrivé mouvementée, reprit-il à mon intention. Je ne voulais pas vous brusquer, mais une seule photo de vous dans la presse du matin et c'était la catastrophe assurée.
— Pourquoi ? demandai-je sans réfléchir, comprenant la bêtise de ma question aux airs surpris et étonnés de mes interlocuteurs.
— Personne ne doit connaître l'identité des douze avant l'annonce officielle. Ce serait un incident diplomatique sans précédent ! me répondit une femme, comme si cela était une évidence absolue.
Le silence qui suivit cette annonce mélodramatique faillit me faire éclater de rire tellement je trouvais cela ridicule. Pourtant autour de moi, personne n'avait l'air de trouver ça drôle.
— Nous ne devons pas nous attarder ici, il y a un planning à respecter. Suivez-moi, c'est par ici, reprit l'homme en me faisant signe d'approcher. Non, pas vous ! invectiva-t-il Joachim. Vous, vous restez là ! Vous avez fait déjà assez de mal comme ça...
— Co... comment ?! Mais qu'insinuez-vous au juste ? J'ai toujours été d'une probité exemplaire, je...
— C'est ça, oui ! grommela l'homme en me faisant signe de passer devant lui.
Nous nous engageâmes dans un long couloir, les imprécations outrées de mon soi-disant mentor nous accompagnant jusqu'à la porte suivante. Soulagée de ne plus l'avoir sur le dos et surtout de ne plus l'entendre, je risquai un sourire timide en direction de mon sauveur qui me répondit d'un simple signe de tête. De l'autre côté, nouveau couloir identique. Sol en béton, toit en tôle et murs de guingois. Le bâtiment ressemblait à un entrepôt à l'abandon, aménagé à la hâte. Impression renforcée par les portes de fortunes en contreplaqué gondolé et qui fermaient mal. L'homme s'arrêta enfin devant l'une d'entre elle et dû forcer sur la poignée pour l'ouvrir. Le bas racla bruyamment sur le sol mal équarri avant qu'il ne s'écarte et me fasse signe d'entrer. J'avançai machinalement de deux pas, avant de m'arrêter, hésitante.
— Ne vous inquiétez pas, vous n'avez rien à craindre, me dit-il au moment où j'osais enfin franchir le seuil.
Surprise, je voulus le remercier mais lorsque je me tournai vers lui, le battant s'était déjà refermé, me laissant seule sur le seuil de cette pièce sinistre. Devant moi, un carré de béton meublé en tout et pour tout, d'une table, d'une chaise et d'un écran de télévision qui s'alluma à la seconde où je posai les yeux dessus.
Une jeune femme brune au chignon impeccable et aux dents aussi bien alignées qu'un clavier de piano, me souriait depuis la fenêtre bleuté. Debout derrière un bureau, elle me fit signe d'avancer et s'adressa à moi comme si elle se trouvait dans la pièce.
— Bienvenue chère élue des douze ! C'est ici que va réellement débuter votre participation à « l'Infinity Game ». Douze systèmes et douze planètes susceptibles d'abriter une colonie humaine. Douze vaisseaux prêt à partir en reconnaissance et douze capitaines exceptionnels pour en prendre les commandes. Vous avez été choisi pour être l'un de ces douze visages. L'une de ces douze personnes que l'humanité n'oubliera jamais. Avancez, numéro neuf, et asseyez-vous sur la chaise.
La main crispée sur la bandoulière de mon sac, je n'en croyais ni mes yeux ni mes oreilles ! Qu'est-ce que c'était que ce laïus sortit tout droit d'une émission de seconde zone ? C'était ça leur accueil personnalisé, un film préenregistré ? Ce devait être une blague, me dis-je en réprimant un rire nerveux. Après tout, je ne les avais pas signé ces fichus papiers et miss chignon n'était pas avec moi dans la salle. Qu'est-ce qui m'empêchait de sortir de là ? Rien.
— Numéro neuf, veuillez-vous avancer et vous assoir sur la chaise, répéta la femme à l'instant où je me retournais vers la porte, me faisant sursauter.
Même pas en rêve, pensai-je en me précipitant vers la porte, le désir de fuir prenant soudain le pas sur ma raison. J'allais toucher la poignée lorsque celle-ci se mit à tourner toute seule. Le battant s'ouvrit manquant me percuter alors que je faisais un petit bond en arrière pour l'éviter.
— Vous ne pouvez pas partir d'ici, me dit l'homme à la voix grave, d'un ton chagriné. Je leur avais pourtant dit que ça ne fonctionnerait pas, maugréa-t-il en s'avançant d'un pas dans la pièce en sortant un petit objet de sa poche.
Il le pointa vers le mur et la femme disparut, ne laissant plus qu'un écran vide et noir, comme une fenêtre sur les ténèbres. Je fixai l'homme sans vraiment comprendre, jusqu'à ce que mon regard ne soit irrésistiblement attiré par la porte restée ouverte. Avant même que je n'en ai conscience, mes jambes s'étaient mises en mouvement en direction de la sortie et de la liberté. Je ne fis pas trois pas qu'un bras m'enserra la taille en me tirant en arrière tandis qu'une main s'abattait sur le battant de la porte le refermant d'une poussée si violente que les murs en tremblèrent.
— Qu'est-ce que vous ne comprenez pas dans « vous ne pourrez pas partir d'ici » ?! gronda-t-il en me faisant pivoter vers lui. On est surveillé, jouez le jeu, ajouta-t-il dans un murmure en me repoussant avant de se placer devant la sortie.
Les yeux exorbités et le souffle court, j'entendais mon cœur tambouriner dans mes oreilles tandis que l'adrénaline décuplait mes sens. Je ne comprenais rien à ce qu'il venait de se passer. Venait-il de me mettre en garde ? Mais en garde contre quoi, exactement ?
— Vous réalisez que n'avez pas le choix, n'est-ce pas ? me demanda-t-il d'un ton un peu moins âpre. Vous et onze autres avaient été choisis. À présent, vous devez jouer votre rôle et faire de votre mieux, sinon...
— Sinon quoi ? ne pus-je m'empêcher de lui répondre. Vous rallumerez miss chignon perfection pour me faire la morale ? Je ne comprends pas ce que je fais là, ni à quoi rime toute cette mascarade ! Je n'ai pas signé les papiers, je...
— Ce que vous désirez n'entre plus en ligne de compte ! m'interrompit-il d'une voix farouche tandis que son regard essayait de me faire comprendre quelque chose. Dorénavant, le seul moyen pour qu'il vous remplace c'est que vous soyez dans l'incapacité totale d'assumer vos fonctions. Vous comprenez ? ajouta-t-il d'un ton lourd en posant subrepticement la main sur la crosse de son arme.
Mes yeux s'écarquillèrent et mon souffle se bloqua dans ma poitrine alors que toutes les implications de ce qu'il venait de sous-entendre parvenaient enfin jusqu'à mon cerveau paniqué.
— Vous êtes prêtes à aller vous assoir sur cette chaise, maintenant ?
Encore sonnée par ce que je venais de voir, je hochai mollement la tête et d'une démarche flageolante, rejoignit la table devant laquelle je m'assis. Je baissai les yeux et aperçus un coffre en plastique moulé posé sur le plateau, un chiffre neuf à peine plus foncé que le fond, s'étalant sur toute sa surface.
— Ouvrez-le, me dit l'homme en venant se positionner devant moi de l'autre côté de la table.
— Comment ? Il n'y a pas de serrure, lui répondis-je d'une voix blanche quelques secondes plus tard, après avoir chercher vainement un système d'ouverture.
— Approchez votre main, cela suffira.
Sceptique, j'obtempérai malgré tout. Dès que mes doigts effleurèrent le matériaux lisse un léger déclic retentit et le couvercle se souleva dans un chuintement discret.
— Comment... murmurai-je éberluée, en contemplant presque sans les voir les vêtements pliés, la paire de baskets et le sac en toile noire décoré lui aussi du chiffre neuf.
— Reconnaissance A.D.N, m'expliqua le garde qui, à la réflexion, de devait certainement pas être que ça, compris-je lorsque nos regards se croisèrent de nouveau. Tous les vêtements contenus dans ce coffre sont à votre taille, m'expliqua-t-il quelques secondes plus tard. Changez-vous, puis transférez les affaires que vous désirez garder dans le sac. Lorsque vous serez prêtes, frappez trois coups sur la porte, ajouta-t-il avant de sortir rapidement, me laissant seule pour la deuxième fois.
Seule, désemparée et désespérée. Je sentis les larmes monter mais les repoussai de toute la force mental qu'il me restait. Qu'avait-il voulu me faire comprendre ? Jouer le jeu... de toute façon, je n'avais pas vraiment d'autre choix, apparemment ? résumai-je amèrement tandis que je me levai et récupérai le contenu du coffre. Je me changeai, nerveuse et étrangement gênée, comme si des centaines d'yeux invisibles m'observaient. J'enfilai rapidement le pantalon et le tee-shirt noir, agrémentés d'un neuf rouge, presque certaine que la pièce était truffée de caméra. Puis je transférai, sans trier, le contenu de mon sac à main dans le sac en toile, avant d'en passer la bandoulière autour de mes épaules.
La porte s'ouvrit dès que j'eus terminer de taper le troisième coup et je me reculai pour le laisser entrer. Il jeta un coup d'œil à ma tenu sans faire de commentaire puis avisa mes anciens vêtements pliés et rangés dans la caisse à la place des autres.
— Vous voulez les conserver ?
— Parce que je peux ?!
— Je pense que oui, me répondit-il après une seconde de réflexion.
— Dans ce cas, oui je veux bien.
Le silence retomba, étrange, tandis que nous nous observions, chacun à un bout de la pièce.
— Et maintenant ? finis-je par demander.
— Maintenant, c'est par ici, me dit-il en s'écartant, dévoilant une porte que je n'avais pas vue, dissimulée dans les ombres.
Je m'avançai, consciente qu'attendre ou lui poser des questions ne servirait à rien. Parvenue à un mètre du battant, ce dernier pivota sans un bruit. De l'autre côté, tout était sombre et seul un léger courant d'air indiquait qu'il y avait une sortie de à l'autre bout. Résistant à l'envie de me retourner, je pris une grande inspiration tremblante et m'apprêtais à franchir le seuil lorsque quelque chose m'arrêta.
— Quel est votre nom ? demandai-je à l'homme qui m'observait toujours, debout non loin de la table.
— Mon nom n'est pas important, me dit-il en s'approchant, un sourire énigmatique sur les lèvres. Maintenant, il faut y aller, ajouta-t-il, puis il me poussa en avant.
Dès que je franchis le seuil, la porte se referma derrière moi dans un claquement sinistre. L'obscurité fut totale et immédiate, emballant mon cœur, qui se mit à battre dans ma gorge. Pourtant, malgré ma peur et mon stress, j'attendis sans bouger, certaine qu'une autre porte allait s'ouvrir ou une lumière s'allumer pour m'indiquer le chemin à suivre. Mais les secondes passaient, l'obscurité pesant comme un linceul sur mes épaules. Qu'est-ce qu'ils attendaient ? me demandai-je. J'étais prête à tambouriner sur la porte, quand plusieurs choses se produisirent simultanément.
Un cliquetis, un chuintement sinistre et l'impression que le sol se mettait à bouger. Puis l'air changea, devenant plus épais et lourd à respirer. Ma tête se mit à tourner et avant même que je n'aie le temps de me retourner vers la porte, mes jambes se dérobèrent et se fut le néant.
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