les regrets
sœurette,
ça fait longtemps que je ne t'ai pas écrit je crois. je sais pas je sais plus, j'ai envie de te dédier tout un livre tu sais.
quand je pense à un texte que je pourrais écrire j'ai toujours ces larmes qui montent et j'sais pas pourquoi, j'te jure c'est une sensation bizarre. (j'ai peur, ça vient de sonner. il est 5h27 du matin. ça le fait des fois dans le vide.)
avec toi je sens que c'est pas la même mer c'est pas les mêmes larmes. je sais toujours quand c'est les tiennes. c'est comme une emprunte ou une signature en bas à droite de la feuille quand t'écris une lettre à ta meilleure amie parce que t'es en CM2 et qu'elle habite pas dans la même ville mais celle d'à côté et ça c'est comme le bout de la terre où t'es pas pour toi.
c'est tes larmes sœurette, j'le sais et j'le sais probablement parce que t'es ma grande sœur donc c'est évident. elles résonnent pas comme les autres. elles c'est l'océan et la mer mélangé·e·s, elles je sens l'effet du sel sur ma peau et ça me donne encore plus envie de pleurer. elles demandent juste ça et je les entends tu sais. partir des poches de mes yeux et couler jusqu'à mes pieds puis même après. je les comprends. mais j'suis pas triste rassure-toi. ça va j'crois. je pense parce que j'ai le tout va bien facile.
ça va parce que la tristesse c'est ce qu'il me reste comme bout de toi, ça va pas parce que je suis triste, ça va parce que j'suis triste, ça va pas parce que j'le suis, mais être triste ça me fait du bien, mais être triste j'le sens à l'intérieur.
je tremble. ma main ; mais je crois pas que c'est un signe du ça va pas parce que l'autre elle tremble pas. ça doit être parce que elle a trop tenue mon téléphone.
ça tremble trop. ça commence à me faire trembler là-dedans.
c'est étroit à l'intérieur et quand c'est toi dans mes pensées je sais pas trop comment c'est représenté. je me sens pas limité par l'espace, je sens juste que je prends toutes les formes possibles et qu'ça s'arrête pas non.
ces temps-ci je pense à toi sous un autre aspect. je marche sur le chemin du deuil mais j'comprends pas si j'ai tout bien coché. ça m'énerve qu'on pense que y a un chemin de guérison comme une rupture amicale ou sentimentale. y a juste une rupture de tout y a juste une rupture du tout.
je me suis rendu compte que j'avais pas de photo de toi et moi et de moi et toi et de ce nous ensemble et que y avait pas de photo où je pouvais voir ce mot de nous : "ensemble".
ça m'a fait peur sur le coup, je me suis senti prendre des formes géométriques, avec des pointes et des angles mais rien de bien formé. ça m'a angoissé, ça m'a frustré, j'ai pas su m'en remettre jusqu'ici. ça a accentué quelque chose de basique et simple d'après orelsan et même toute la terre sur le deuil : tu es PARTIE.
c'est exactement ça que je n'arrive pas à comprendre. c'est trop dur pour moi j'arrive même pas à retenir les mois dans l'ordre. j'veux dire tu pars tout le temps pour moi, (ah, ma main recommence à trembler) on vit dans la même chambre la même maison et t'sais quoi t'es jamais là, c'est pas un reproche mais un reproche que je me fais à moi-même, t'es jamais là parce que t'as toujours fait de ton mieux pour vivre ta meilleure vie même dans la galère mais moi j't'ai pas suivi et merde j'suis resté enraciné là, juste ici. j'suis allé NUL PART, j'ai pris aucune destination.
donc j'ai pas suivi vraiment j'ai comme tout raté y a tout qui a défilé, j'ai pas vu une seule image et je commence à tout oublier.
"partie" ? j'ai pas eu le temps de comprendre que t'étais vivante, comment on peut me dire que t'es morte maintenant ?
y a la mer et l'océan et le sel et les formes qui remontent et y a tout j'te jure c'est un brouhaha mais dans ma chambre c'est silencieux et finalement dans ma tête aussi mais tout ça ça fait juste beaucoup pour moi tu sais, c'est dévastateur. ça fait des années que j'essaye de reprendre mon souffle.
j'aurais seulement voulu coller une photo de notre "ensemble" sur un de mes quatre murs avec ce moi actuel. avant c'est plus moi. donc j'ai du mal à l'accepter.
y a quelques cadres photos tout moches que plus personnes n'utilisent et j'sais pas s'ils l'ont été un jour un peu partout.
moi aussi j'veux être le cliché de cette famille qui met des photos de famille sur le bureau pour faire tout beau, tout propre. j'veux nous deux dans un cadre photos.
maman a mis exactement 9 photos visibles de toi dans la maison. y en a dans les couloirs, sa chambre et y en a dans le salon, y en a qui traînent entre deux feuilles et dans la pièce qui précède ma chambre. sans compter les autres trucs ici et là qui t'appartiennent et qui te sont dédiés comme le mur ardoise dans les toilettes qui est devenu une sorte d'havre de paix où tes ami·e·s écrivent des trucs au fur et à mesure de leur venue.
elle a raison maman. tu dois être partout.
j'aimerais que tu sois sur toutes les bouches du monde. faut te voir pour croire en ton existence. j'comprends si certain·e·s ont l'impression de t'avoir raté. moi aussi j'ressens ça.
à ma sœur mais j'sais pas pourquoi je te parle à la deuxième personne du singulier. j'suis agnostique. j'ai besoin de me raccrocher à quelque chose d'me sentir proche de toi.
à ma sœur.
samedi 25 juillet 2020, dans la nuit
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