Chapitre 72
— Mon lapin, tu es sûr que Cléandre ne veut pas venir ? Nous serons partis presque une semaine et vous ne vous êtes pas vu depuis...
— Je suis sûr ! Lui aussi part en vacances avec ses darons, t'inquiète, soupiré-je en lançant mon sac de voyage sur mon épaule.
Depuis les événements du karaoké, il y a trois jours, je n'ai... absolument rien dit à mes parents au sujet de mon tout nouveau célibat. Je suis allé jusqu'à faire semblant de téléphoner à Cléandre pour que ma mère arrête de me couver d'un regard inquiet.
J'ai honte de la situation. Honte de mes réactions. Honte à l'idée de devoir tout expliquer. Et je n'ai pas envie d'admettre que j'ai eu tort sur certains points. Parce que je ne suis pas fautif et personne ne parviendra à me convaincre du contraire !
Surtout pas Clarenz ou Ava. Ils ont essayé, l'autre soir, après m'avoir balancé cette bombe à propos du soi-disant deuxième frère d'Akane. J'admets que ça m'a secoué. J'admets que ça me secoue encore, que je regrette de m'être laissé aveugler par la colère. J'admets aussi que ça a ébranlé les fondations de mes certitudes... que je sui même quasiment sûr, à présent, que Cléandre n'a pas menti là-dessus. Il n'empêche qu'il m'a menti en prétendant être malade et en prétendant être chez lui.
Tout ça, c'est de sa faute à lui. S'il ne m'avait pas laissé de côté, rien ne serait arrivé. C'est ce qui arrive quand on a trop de secrets pour son petit ami, ça détruit la confiance !
Je traîne les pieds jusqu'à la voiture et m'installe à l'arrière, morose. Et ça me heurte de plein fouet : la dernière fois que je suis monté avec mes parents dans une voiture, Cléandre aussi était là. Nous étions ensemble. Couple officiel. Couple qui venait de décider de tout faire pour rester ensemble.
Qu'est-ce qui a pu foirer à ce point, depuis ?
La mélancolie m'engloutit tout à fait quand Jared monte à mes côtés. Ce n'est pas lui qui devrait nous accompagner. Ce n'est pas lui que je désire voir nous accompagner.
Cléandre... me manque. Il me manque terriblement. Il me manque tant que j'ai l'impression qu'on m'arrache les intestins et le cœur. Je lutte pour ne rien laisser paraître. Pour ne pas sangloter. Je sais que si quelqu'un me parle, je vais m'effondrer, alors je fais semblant de dormir.
Mes parents discutent un peu avec Jared, mais ils ne disent rien de passionnant. Du moins jusqu'à ce que ma mère s'égare sur le sujet Cléandre.
Je « m'éveille » en sursaut... trop tard. La malédiction du moulin a paroles à déjà frappé. Trop de mots se déversent de la bouche de mon meilleur ami. Trop d'informations. Et un silence trop épais s'ensuit. Gluant. Sirupeux même. Les mines se font soucieuses. Mes parents m'étudient dans le rétroviseur central. Il semble vouloir parler, abandonne finalement tandis que Jared me jette un regard suppliant et chargé de culpabilité.
Je ne peux pas lui en vouloir : n'importe qui aurait cru que j'en parlerais au moins à ma mère au vu de la relation fusionnelle qu'on avait avant.
Avant.
Ai-je perdu ce lien si spécial que j'avais avec elle ? Est-ce à cause de Cléandre ? Et si je ne pouvais rien réparer non plus avec ma mère ? Effrayé par cette idée, je me redresse sur mon siège et tire sur la ceinture de sécurité.
— M'man... on pourra parler en arrivant ? Je veux dire, on va d'abord au gîte, on va pas voir Abuela tout de suite, si ?
— Ton père ira voir sa mère avec ton ami et nous, nous parlerons, oui... n'oublie pas que je t'aime, quoiqu'il arrive.
Finalement, je n'ai pas dit grand-chose à ma mère : je ne suis pas encore prêt. Je me suis tenu devant elle, le menton relevé, comme si j'étais capable de tout surmonter sans effort, mais elle n'a eu qu'à m'ouvrir ses bras pour que je m'y réfugie en pleurant. Elle ne m'a pas forcé à parler, m'a juste avoué doucement qu'elle se doutait bien que quelque chose clochait quand j'ai préféré inviter Jared plutôt que Cléandre au baptême de ma petite cousine. Elle se doutait sans en être certaine, cependant, imaginant que mon désormais ex petit ami avait pu refuser de s'exposer ainsi, ou bien que moi, je n'avais pas eu le courage de présenter un homme à ma famille.
Ces deux théories s'avèrent pertinentes, toutefois, la vérité est moins reluisante. Accaparé par mes problèmes, j'ai tout simplement occulté l'existence de ce voyage. Je n'en ai même pas parlé à Cléandre. Pas une seule fois, et même pas par malice.
Ce n'est pas plus mal, au final. Peut-être qu'ainsi, il souffrira un peu moins...
Mais bien sûr, t'essaies de convaincre qui, là ?
Les horreurs sorties de ma bouche étaient telles que Clarenz, en partant, a menacé de venir m'égorger si j'approchais encore son cousin. Avec un air si sérieux que j'en ai eu des frissons. Un air si sérieux que je n'ai même plus osé composer le numéro de Cléandre après ça.
Ce n'est que lorsque ma famille s'amasse autour de moi pour fêter dans la joie le baptême de Carla, ma petite cousine de huit ans, que je prends enfin conscience de toute ma situation et de tous mes sentiments.
Pleurer dans les bras de ma mère a dissipé ma colère et mes doutes. Ne me restent plus que la tristesse, les regrets, la culpabilité et cette terrible vérité : ces derniers jours, je pensais ne pas aimer suffisamment Cléandre pour que notre relation ait un sens après tout ça. Et là, debout à côté de Jared, alors qu'une absence me crève le cœur, je me rends compte que c'est l'inverse.
Je viens de faire la plus grosse erreur de ma vie.
J'aime Cléandre, du plus profond de mon cœur. Je l'aime à un point que j'aurais pu, au fond, lui pardonner n'importe quoi. Même ses mensonges.
Jared se rapproche de moi et, penaud, pose une main sur mon épaule. Il n'en mène pas large depuis qu'il a passé un moment avec mon père, je me demande même s'il n'a pas pleuré. Je passe mon bras autour de sa taille pour le serrer contre moi.
C'est un baptême, mais nous avons des mines d'enterrement que nous essayons tant bien que mal de cacher derrière des sourires de façade.
— Je suis désolé, me murmure Jared quand la cérémonie se termine. On s'est un peu trop emballé avec cette affaire tulipe...
Son bras continue de peser sur mon épaule : ça me fait du bien.
— C'est pas ta faute, Ja ». J'étais pas obligé de te suivre et... et puis si Cléandre s'était mieux comporté, on en serait pas là.
Même si je suis prêt à lui pardonner ses écarts, je lui en veux toujours. Et un reste faiblard de colère stagne dans mon cœur de savoir qu'il a refusé de reconnaître sa part de responsabilité.
— Mais on aurait dû attendre qu'il te donne sa version. Ton daron m'a engueulé tout à l'heure... enfin, pas engueulé, mais tu sais comment il fait, là, avec ses yeux plissés et déçus. J'me suis senti minable.
Jared regarde ses pieds, la bouche plissée en moue contrite.
— On a été minable...
— Nath... je vois bien que tu regrettes... tu crois qu'on peut faire quelque chose ?
Il me lâche pour se décaler et me faire face.
— Ça m'étonnerait. On est allés trop loin. Je... j'vais en parler avec ma mère, elle saura peut-être quoi faire.
— Ta mère, cette sauveuse...
— Essaie pas de pécho une de mes cousines en attendant !
— J'vais surtout pécho les gâteaux du buffet, rit-il un peu platement avant de se diriger vers la table.
Des yeux, je cherche ma mère et finis par la trouver dans la salle à manger avec ma grand-mère et mon père. Je prends bien sûr le temps de la saluer, de lui donner de mes nouvelles : oui, mes études se passent bien, mes partiels commencent la semaine prochaine ce qui me laisse encore du temps pour réviser. Non, je n'ai pas encore mon propre appartement même si je commence à réfléchir à mon indépendance. Et non... je n'ai personne dans ma vie.
Ma voix tremble sur cette dernière partie, et mon abuela s'en rend compte. Sa main fripée se pose sur la mienne, réconfortante. Elle s'excuse de sa rudesse passée. Me souhaite de trouver bientôt ma complémentarité, homme ou femme. Elle aura du mal, mais elle m'acceptera : la vie est bien trop courte pour se priver de ses petits-enfants à cause de sottises. Puis elle se pend au bras de mon père, son fils aîné, et le prie de la reconduire dehors auprès de sa tribu.
Sitôt que nous sommes seuls, ma formidable maman m'enlace et me fait prendre place dans le canapé moelleux. Je n'ose pas bouger les cousins, je sais que ma tante est très à cheval sur la décoration de sa maison : chaque chose a sa place définie et ne doit pas en bouger.
— Dis-moi tout, murmure-t-elle simplement.
— Je crois que... je me suis planté. Complètement. Quand j'ai rompu avec Cléandre, j'étais tellement sûr que c'était juste un connard qui s'était foutu de moi et qui m'avait trompé !
Elle fronce les sourcils, mais ne dit rien.
— Mais il me manque tellement, maman. Il me manque trop ! Je crois que même s'il s'est fichu de moi, je peux l'accepter ! Sauf que je lui ai dit des trucs pas cool, et je crois pas que lui pourra me pardonner.
— Tu n'as rien pu dire de si terrible que ce ne soit pas pardonnable, mon lapin...
— Je... j'ai qualifié Kaname de pseudo cadavre parce que j'ai cru que Cléandre avait menti sur sa mort. Et je lui ai dit aussi qu'il avait menti sur sa mort et qu'il fallait être dérangé pour faire ça.
Un sursaut secoue ma mère dont les yeux se voilent d'effarement.
— Comment... en es-tu arrivé à ces conclusions ?
Alors je lui raconte tout. Nos enquêtes. L'affaire tulipe. Les rencontres avec Akane. Les déclarations d'Akane quant à son frère, le fait qu'elle ait parlé de frère unique et pas simplement de frère. Les différents mensonges de Cléandre et ses réactions. Le fait qu'il ait pris le coup que Servan me destinait. Nos derniers échanges SMS également. Tout sort dans le désordre, sans consistance et ponctué de bégaiements.
Ma mère ne m'interrompt pas. Elle écoute tout avec attention tout en massant ma paume qu'elle continue de caresser et triturer alors que je me tais.
Enfin, elle prend une longue inspiration :
— S'il y a une chose dont je suis certaine, c'est que Cléandre ne t'a jamais menti à propos de Kaname. Que tu remettes ce fait en doute a dû le blesser bien plus que tout le reste. La douleur qui l'habite encore n'est pas une douleur qu'on peut simuler.
— Tu crois qu'il pourrait me pardonner ?
— C'est une réponse qu'il est le seul à avoir.
Je baisse les yeux sur nos mains jointes. Mes paupières battent, chassent les larmes qui reviennent m'embuer.
— Sauf qu'il voudra plus jamais me parler après ça. « Fin... moi, je voudrais plus lui parler.
— Je n'en aurais pas non plus envie à sa place, mais cela ne signifie pas que tu ne dois pas essayer si c'est vraiment ce que tu veux. Mais je pense que tu dois prendre le temps d'y réfléchir. Profite de tes vacances pour réfléchir. Profite de votre semaine de partiel pour essayer de te rapprocher de lui en douceur, et si ça ne marche pas, tente de le confronter une dernière fois. Il me semble que ça avait plutôt bien marché la dernière fois, non ?
J'esquisse un faible sourire à ce souvenir : j'ai l'impression que c'était il y a des années.
Elle dépose un baiser sur une de mes joues, une caresse tendre sur l'autre et se lève alors que ma famille s'engouffre dans la pièce à cause d'une averse.
Je quitte le canapé à mon tour et rejoins Jared qui semble en grande discussion avec mon seul cousin.
À mesure que la journée passe, mon humeur s'améliore et je me sens presque bien lorsque mon meilleur ami et moi nous glissons dans nos duvets.
— Alors, chuchote-t-il. Tu m'as pas dit comment ça c'était passé avec ta mère !
Après un résumé sommaire, un sourire malicieux étire les lèvres de Jared.
— Donc, on doit monter un plan pour que tu puisses parler à Capuche encore une fois, c'est ça ?
— Ouais, c'est ça ! On... non. En fait non. Je crois que c'est un truc que je dois faire tout seul. Du début à la fin.
Note de l'auteur : je ne sais plus du tout si Nathéo a déjà passé ses partiels, donc je vous ai potentiellement mis une grosse incohérence ici ! Si quelqu'un se souvient, n'hésitez pas à me le dire !
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