Chapitre 69
Une sensation de gueule de bois me réveille. Un mal de crâne lancinant. La bouche pâteuse. Les membres lourds. Sauf que je ne me suis pas noyé dans l'alcool, hier, mais dans les larmes et la solitude.
Gaspard et Célia ont annoncé la nouvelle de leurs fiançailles à tout le monde. Je n'ai pas voulu gâcher la fête : j'ai gardé le silence sur la venue de Cléandre. J'ai mastiqué cette information, je l'ai déglutie, j'ai tenté de la digérer, mais elle m'est restée sur l'estomac jusqu'à tourner en mauvais vinaigre.
Pour ça que j'ai passé une nuit atroce, à me réveiller toutes les demi-heures pour surveiller mon téléphone et guetté désespérément le point vert qui m'annoncerait qu'il est en ligne sur Facebook. Le point est resté rouge. Cléandre n'a pas appelé. Il n'a pas laissé de messages.
En même temps, je vois pas pourquoi il l'aurait fait, j'l'ai largué et j'ai presque couché avec une meuf sous ses yeux.
Les remords m'accompagnent jusqu'à la cuisine, où ma mère fait peser un regard lourd sur ma nuque. À elle non plus, je n'ai rien dit, mais elle se doute de quelque chose. Ses battements de cils et les rides de sont front me le crient.
— Comment va Cléandre, s'enquiert-elle subitement.
Un sursaut manque de me faire renverser mon chocolat chaud.
— Quoi ? Qu'est-ce que j'en sais moi !
— C'est ton petit ami, non ? Celui avec qui tu imaginais passer ta vie il y a deux semaines encore. Celui à qui tu as demandé s'il voulait vivre avec toi. Celui à qui tu as promis d'attendre qu'il soit prêt
Je souffle. La surface de ma boisson ondule.
— Hey, m'man... tu t'es déjà demandé si l'histoire avec Kaname était vraie ? Je veux dire... y a rien nulle part à part dans sa famille, là... et même sa famille n'a pas été témoin directement du truc, alors...
— Alors si ta confiance vacille, votre relation fera de même. Si tu aimes sincèrement Cléandre, tu auras confiance en lui. Si tu n'as pas confiance... peut-être que tu n'es pas encore assez mature pour la relation dont Cléandre a besoin.
— Genre, c'est ma faute ?
— Non, mon lapin, mais il est évident que vous n'en êtes pas au même stade sur bien des points, et ce n'est pas grave ! Ça fait aussi partie de la vie et des relations ! Le tout est de savoir si vous parviendrez à vous aligner ou non... Le principal, c'est que tu écoutes ton cœur et non tes peurs.
Elle m'embrasse sur le front avant de quitter la pièce d'un pas aussi léger que mes regrets pèsent lourd. Oui, je n'ai pas été à la hauteur sur ce coup. J'y ai été un peu fort hier soir. Beaucoup trop fort.
Rompre par SMS. Chercher du réconfort sexuel juste après. Refuser de l'écouter. Le tout à cause de mes doutes et de ma colère... ma mère a raison : je ne suis pas assez mature pour ce type de relation. Et le pire, c'est que je ne sais pas si c'est positif ou négatif.
Je regrette mes actes. Je ne crois pas à l'illusion du « on reste ami », mais si on moins on peut éviter de se taper dessus quand on se croise, c'est pas mal. Si je m'excuse, peut-être qu'il s'excusera lui aussi.
Et puis... la curiosité commence à me ronger. Je veux savoir ce qu'il avait à dire. Je veux découvrir si j'ai eu raison ou si j'ai été stupide.
Après une douche froide (qui ne me remet même pas les idées en place), je m'installe en tailleur sur mon lit, ordinateur portable sur les genoux et smartphone en main. J'hésite à lui téléphoner, abandonne l'idée et vais vérifier une nouvelle fois nos réseaux sociaux.
Mon cœur effectue un looping, passe de ma gorge à mon estomac lorsque mon œil avise la vignette grise qui a remplacé son avatar sur notre conversation Facebook. Les doigts tremblants et moites, le cerveau en vrac, je clique sur l'icône.... qui ne mène à rien. Il n'y a plus rien. Plus de profil, plus de Cléandre, plus de compte.
Mes yeux papillotent. Mes dents maltraitent ma lèvre. Supprimé... il a tout supprimé ? Avec des gestes gourds et maladroits, je déverrouille mon téléphone portable pour vérifier notre conversation Skype.
Le résultat s'avère identique : il n'y a plus rien.
Une bouffée d'angoisse et de mal-être me submerge. Une émotion que je ne connais pas vraiment. Ce n'est pas du regret. Pas de la culpabilité. Pas de l'inquiétude. C'est un mélange des trois. Un mélange détonnant, bien plus fort, bien plus dévastateur. Il gonfle, il gonfle jusqu'à exploser dans ma poitrine et se déverser en torrent sur mes joues.
Cette détresse ne dure que le temps d'ouvrir ma messagerie pour envoyer un message à Cléandre. Je veux savoir s'il va bien. Je veux savoir pourquoi il a désactivé ses comptes. Évidemment, il ne me répond pas, mais si j'en crois la couleur des bulles, il ne m'a pas bloqué.
Pas encore.
Une fois n'est pas coutume, je prends le temps de réfléchir. De vraiment réfléchir à ce que je vais lui envoyer. À ce que je vais lui dire. Mais aussi à mes limites, à ce que je suis prêt à entendre ( ou plutôt, à lire) et à ce que je veux.
Il ne me faut pas moins d'une heure (ce qui, pour moi, est un exploit digne du Guinness des records !) de réflexion pour me décider à rédiger un SMS... que je manie et remanie des dizaines de fois avant de l'envoyer.
Je ne compte pas lui demander pardon pour que l'on se remette ensemble : je ne lui fais pas assez confiance pour ça. Je ne lui fais pas confiance du tout. Nous ne voyons pas l'avenir de la même manière, alors ce serait inutile de persister dans cette voie... malgré tout, je ne supporte pas l'idée que Cléandre puisse me détester. Ça me brise le cœur aussi sûrement que de le savoir avec son ex !
Peut-être que je l'aime sincèrement, finalement ? Ou est-ce que c'est juste dur de dire adieu à ma première vraie relation ?
À Cléandre, 11 : 52
Je me rends bien compte que j'ai agi de manière inconsidérée hier et que je t'ai totalement manqué de respect. Je suis désolé, je n'aurais jamais dû me comporter de la sorte. Ce n'est pas une excuse, mais j'étais vraiment énervé. Tu as toutes les raisons de m'en vouloir de rompre de la sorte, mais vraiment, j'aimerais que nous restions en aussi bons termes que possible après ça. Je ne te demande pas de me pardonner (je n'ai pas l'intention de te pardonner pour ma part), mais j'ai agi comme un con, et je voulais m'en excuser. Voilà.
Je relis mes mots, fier de moi. Ce n'est pas si mal, j'ai même fait un effort de rédaction ! Et puis, dans mes autres tentatives, j'ai été tantôt méchant, tantôt sec, tantôt larmoyant et le pire des messages était celui qui laissait croire que j'étais prêt à tout pour qu'il me revienne.
Pour ne pas subir une attente interminable, je furète dans ma bibliothèque à la recherche d'un manga que je n'aurais pas encore lu une dizaine de fois. J'ai à peine la main dessus qu'une vibration me fait sursauter. Je suis si tendu que ça ? Oui, je le suis.
Prudent, je récupère mon téléphone en tentant de me raisonner. Impossible que Cléandre ait répondu aussi vite. C'est probablement Jared qui veut sortir ce soir ( après tout, nous sommes vendredi !) ou bien Célia et Gaspard qui ont oublié quelque chose hier. Ou peut-être la fille, qui a malgré tout pris mon numéro hier soir.
Rien d'urgent en somme. C'est ce dont j'essaie de me convaincre en commençant à lire la BD. Sauf que mon regard est attiré par le smartphone. Impossible de me concentrer sur ma lecture, que je finis par abandonner, excédé.
— Ça va, le tel, tu as gagné, je te prends, tu vois ? râlé-je en passant mon index sur l'écran.
Les premiers mots du SMS s'affichent aussitôt à côté du nom de l'expéditeur. Cléandre. C'est Cléandre.
Mon ventre se serre et mes dents grincent alors que je déchiffre la première phrase : Bonjour. Ceci est une réponse automatique, merci de ne pas répondre.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il raconte ?
Une boule se forme dans ma gorge.
" Cléandre ici présent, mais absent pour toi, n'a strictement rien à se faire pardonner. Quant au... reste, la rupture était actée (même si salement envoyée), le dénommé Nathéo n'a donc rien à se faire pardonner non plus. Il peut se faire sucer par toutes les filles du quartier si ça lui chante, par tous les mecs aussi, et même visiter tous les culs qui passent sous son nez, c'est son droit.
Traduction : va te faire foutre bien bien profond, connard.
Non cordialement.
PS : Rester en bons termes ne fait pas partie des possibilités d'avenir de cette relation."
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