Je croyais pouvoir l'accepter, mais depuis hier, je ne décolère pas. Cléandre ne répond même plus à mes messages. Je sais bien qu'il m'a demandé quelques jours, mais ça me fait mal au cœur et ça m'agace de constater qu'il ne veut pas s'appuyer sur moi. 

Je voulais être un homme responsable pour lui, un homme sur lequel il peut compter, et lui m'envoie en pleine face que je ne suis pas à la hauteur. Je ne peux que me consoler en sachant qu'il m'expliquera tout, bientôt. 

Sauf que je pensais déjà tout savoir de cette histoire, j'ignorais qu'il avait encore des « détails à régler ». Qu'est-ce que ça peut bien être ? Aller s'excuser auprès de la famille de Kaname, Ça m'étonnerait. Aller poser une fleur sur sa tombe, comme dans les films ? Il m'a avoué n'y être jamais allé. 

— Nath, pourquoi t'es aussi maussade ? Vu la nuit que t'as passé avec ton mec ET ton idole, tu devrais transpirer la joie par tous les pores, là !

Je lorgne mon meilleur ami, hésitant. Lui parler des cachotteries de Cléandre risquerait de ressusciter l'affaire tulipe, et j'ai promis à mon amoureux que nous n'enquêterions plus sur lui. Cela dit, j'ai aussi été très clair avec Jared, qui m'a promis de ne plus jamais rien faire dans son dos. 

Non. Reste sérieux, Nathéo. Tu n'as qu'à prendre ton mal en patience, même si ça doit te tuer de l'intérieur. Ta curiosité ainsi que mon impatience passe après son bien-être ! Sois responsable !

— Bon, il a fait quoi, encore, Capuche ? Me dis pas que ça le concerne pas, tu deviens débile dès que ça le touche.

—Tu me connais trop bien, bougonné-je. 

— Et vu ta tête, je peux même prédire que ça concerne aussi son ex. C'est quoi le problème, il est pas vraiment mort, un truc du genre ?

— Mais ça va pas de dire des trucs pareils ? Evidemment qu'il est mort ! 

— Il y a un truc pas net dans toute cette histoire. Même Ava élude les trucs quand je lui en parle.

— Sans doute parce qu'elle respecte ses désirs, rétorqué-je avec humeur.

Mais le moulin à paroles ne m'écoute pas.

— Genre : où il est enterré ? Pourquoi Cléandre est jamais allé le voir ? Pourquoi Akane lui en veut autant ? Ils étaient meilleurs amis au point de faire des mini-gay pride ensemble quand même. Et...

— Mais arrête Jared, tu vas me rendre parano !

Il commence vraiment à me taper sur les nerfs ; je n'ai pas besoin de ses doutes, j'ai déjà assez à faire avec les miens. 

— Je te l'ai déjà dit, reprends-je. Akane lui en veut parce que son frère adoré est mort de la faute de Cléandre. Même si c'était une agression, même si Clé n'a rien prévu, rien pu faire et qu'il n'était pas responsable, elle estime que c'est de sa faute parce que sans lui, Kaname serait toujours vivant. Et même Cléandre est d'accord avec ça, malheureusement, il a bousillé deux ans de sa vie à cause de ça. Arrête de le juger sans savoir.

— Je serai convaincu quand tu le seras toi-même, réplique-t-il. Allez, viens, Gaspard et Célia nous attendent et t'as bien besoin de cet aprem entre potes pour te changer les idées.

C'est exact, j'en avais bien besoin. En revanche, il n'était pas nécessaire que Gaspard et Célia se rangent à l'avis de Jared concernant mon petit ami. Depuis le temps, je croyais que Cléandre avait été accepté par mon groupe d'amis. Aujourd'hui, je découvre avec stupeur qu'il était à peine toléré. 

Célia le trouve trop distant. Trop froid. Trop silencieux et trop proche de son cousin.

Gaspard estime que Cléandre ne fait aucun effort pour moi et ne prend pas mes sentiments en compte. Qu'il est trop focalisé sur sa petite personne et sur ses problèmes, et que son passé ne justifie pas son comportement. 

Moi, je ronge mon frein. Je ne leur ai jamais dit toute la vérité : ils savent que Kaname est décédé au cours d'une agression, oui, mais ils ignorent que Cléandre était présent. Pire, que Cléandre le tenait dans ses bras. Que c'était son anniversaire. Qu'il en a été traumatisé. 

Mon cerveau s'embrouille de leurs conversations, et je ne sais plus ce que Cléandre m'a autorisé à leur révéler, alors je tiens ma langue. Je les écoute le descendre, le cœur au bord des lèvres, la gorge serrée.

Je déteste cette situation. J'en veux à mes amis. J'en veux à Cléande. Je m'en veux, à moi.

Et les jours qui passent sans nouvelle n'arrangent rien à la situation.

Quand le samedi arrive, je suis au bout de ma vie. Peu de sommeil depuis quatre jours, une alimentation aléatoire. Même ma mère s'inquiète et me demande s'il s'est passé quelque chose avec Cléandre ! Au moins, elle le ne dénigre pas. Elle m'exhorte à la patience et à la confiance. Me conseille de ne pas oublier l'état mental et affectif de mon amoureux. Me rappelle qu'il ne peut pas tout surmonter avec la magie de l'amour, que la réalité est bien plus compliquée que ça.

L'arrivée d'un SMS me sort de ma torpeur. Déçu, je constate qu'il ne s'agit que de Gaspard, qui m'invite chez lui pour essayer le jeu vidéo qu'il s'est acheté hier. Comme ce sera un de nos dernier après-midi tranquille avant de devoir plonger dans les révisions des partiels, j'accepte sans hésitation. Ce n'est pas comme si Cléandre m'attendait de toute façon.

Il commence à faire vraiment chaud dehors. Vêtu d'une simple veste, je claudique sur le trottoir. Aller à pieds chez Gaspard me prendra une bonne demi-heure, mais m'aérer l'esprit ne peut que me faire du bien. 

Sans rien attendre, j'appelle Cléandre, qui ne répond pas. Puis, mu par une pulsion, j'envoie un SMS à Clarenz.

Moi, 14 h 6
Hey, Salut, tu pourras passer le bonjour à ton cousin quand tu le verras ? J'espère qu'il va bien, il ne me répond pas en ce moment. 

Le téléphone rangé dans ma poche, je flâne le long de quelques rues avant de sursauter quand une vibration chatouille ma cuisse. 

Clarenz, 14 h 12
Je lui ai passé ton bonjour, il va bien, il te contacte bientôt.  Imagine pas n'importe quoi. 

Moi, 14 h 12
Attends, tu es avec lui ?!

Clarenz, 14 h 23
Je suis toujours avec lui les vendredis soirs.

Moi, 14 h 23
Mais on est samedi !

Clarenz, 14 h 24
Oui, on est restés ensemble, rien d'exceptionnel. Imagine pas n'importe quoi, je t'ai dit. Bye !

Moi, 14 h 25

J'imagine rien, je suis juste surpris ! Je croyais qu'il s'isolait de tout !

Évidemment, Clarenz ne répond plus. La jalousie bout dans mes veines. J'adore Clarenz, oui. Je suis même devenu ami avec lui, mais... mais Cléandre n'a toujours pas dépassé ce stade, Il fait toujours passer son cousin avant moi ? 

Mon estomac se révulse. Mes muscles se crispent. Soudain, je ne trouve plus le ciel aussi bleu ni le soleil aussi radieux. 

Que Gaspard ait acheté un jeu de combat me ravit au plus haut point. Je peux massacrer, frapper, cogner et faire souffrir tout mon soûl ! Je me montre tellement féroce que Gaspard finit par abandonner la partie pour aller nous chercher des canettes et un paquet de chips.

— C'est pas la peine aujourd'hui, il est enragé ! s'agace Célia après une nouvelle défaite.

— C'est parce que Capuche le gosht encore, grogne Jared, qui pose sa manette à son tour. 

— Il ne me gosht pas, rétorqué-je, ulcéré.

J'ai beau m'en défendre, c'est pourtant ce que je commence à ressentir, moi aussi.

— Ah oui ? Et t'as pas de nouvelle depuis quand ? s'enquit Jared, suspicieux.

— Clarenz m'en a donné tout à l'heure.

— C'est le cousin qui t'en donne ? Désolé, Nath, mais ça pue, m'assène Célia. 

— Arrêtez, tout va bien entre nous !

— Tu déconnes, Nathy ?

J'avais bien besoin que Gaspard s'en mêle, tiens.

— Vous êtes le couple non officiel le plus fusionnel du monde, tu l'as pas vu depuis une semaine et tu fais genre « Au calme, tout va bien » alors que d'hab, tu pètes un câble après deux jours sans le voir ? Il t'as ensorcelé ou quoi ?

— Il m'appelle bientôt. Il avait des trucs à régler et en plus, son arrière-grand-mère va vraiment pas bien !

Célia pince les lèvres, en pleine réflexion.

— OK, ça justifie la présence du cousin, admet-elle. Mais pas de le transformer en pigeon voyageur. Et...

Jared, Gaspard et elle échangent un drôle de regard. Le genre qui m'empêche de répliquer pour les envoyer paître.

— Crachez le morceau, qu'on en finisse, soupiré-je avant de m'emparer d'une canette.

Cette conversation commence à me mettre mal à l'aise.

— On l'a croisé en ville cette semaine, m'apprend Jared.

— Tu parles d'un scoop, il habite au centre-ville ! 

— Attends, c'est pas tout, hier, il n'était pas seul. Il était... avec Servan. 

— Ils ont rejoint un asiat', après ça, renchérit Gaspard. Le mec l'a serré dans ses bras. Longtemps. 

J'éclate de rire, qu'est-ce qu'ils sont en train d'insinuer, là ?

— Cléandre était avec Clarenz hier, arrêtez de raconter des conneries. Et Cléandre ne connaît pas d'Asiatique. En plus, c'est vague, ça, asiatique. 

Jared lève le pouce :

— Je suis d'accord sur ce point, les Russes aussi sont asiatiques ! Par contre, c'était bien Servan, pas Clarenz. Et l'autre mec avait l'air japonais ou coréen. Mais plutôt japonais, je dirais. Un Japonais qui était vraiment très très proche de Cléandre.

S'il continue d'insister sur ce ton, il va prendre mon poing dans la figure : il n'a pas à sous-entendre que Cléandre me trompe. Cléandre est fidèle. Je n'ai aucun doute sur le sujet et le fais remarquer à mes amis... qui ne trouvent rien de mieux que de me rappeler qu'il a trompé Sarah avec moi, il y a quelques mois de ça.

— Il ne l'a pas trompé, protesté-je, ils étaient en couple libre ! Et puis, c'est différent, il n'aimait pas Sarah.

Célia lève le visage vers moi, m'attrape le menton et plante ses yeux noisette dans les miens.

— Capuche t'a enfin fait une déclaration d'amour et tu nous l'a caché ?

— Il me l'a fait comprendre.

Je repousse sa main, de plus en plus contrarié, et bois mon soda d'une traite.

— Donc il a rien dit, conclut Jared. 

Mes doigts écrasent la canette qui cède dans un crissement métallique. Mon meilleur ami sait comment frapper un homme à terre. 

Je m'enferme dans le mutisme, leur fais signe de passer à autre chose. Mais l'ambiance reste terne. Célia s'excuse d'être allée trop loin. Gaspard marmonne quelques mots incompréhensibles. Jared, lui ne dit rien du tout. 

Dans un soupir, je me lève. Autant rentrer chez moi, je n'arriverai plus à me détendre. Mon meilleur ami me propose mollement de me raccompagner, mais je décline la proposition. Là, j'ai vraiment besoin d'être seul. De ne plus être pollué par ce qui devient une haine de Cléandre.

Comment ont-ils pu changer d'avis à ce point à propos de mon chéri ? Uniquement parce qu'ils l'ont croisé deux ou trois fois cette semaine ? Ça n'a pas de sens. 

Et malgré moi, les mots de mes amis commencent à se frayer un chemin en moi. Un sentiment incontrôlable de panique enfle dans ma poitrine. 

Non. Je ne dois pas les écouter. Je dois juste parler avec Cléandre. 

D'une main tremblante, j'extirpe mon téléphone de la poche de mon jean.

Moi, 17 h 52
Cléandre, je sais que tu as besoin de temps et tout, mais là, je commence vraiment à paniquer. J'ai peur que tu me goshtes, que tu t'éloignes trop, et puis tu me manques. Si t'as pas beaucoup de temps, on peut juste se faire un resto, même si c'est en tant que pote, peu m'importe, mais j'ai vraiment besoin de te voir, ça fait une semaine, là !

Je t'aime.

Je ne reçois pas de réponse avant d'atteindre ma maison et, quand enfin la notification s'affiche sur mon téléphone (que je n'ai pas pu me résoudre à ranger), je pousse un cri triomphant qui fait déguerpir le chat des voisins. 

Cléandre, 18 h 5 
Tu me manques aussi, je suis désolé de m'être éloigné cette semaine ! OK pour demain, envoie-moi le nom du resto!
Hâte d'y être <3