Le cube de Clarenz cliquette entre ses doigts. Ça fait bien quinze minutes qu'il cliquette. Quinze minutes que nous attendons que son rendez-vous se pointe. Quinze minutes qui nous rapprochent dangereusement du début de la séance.

— Hey, Clary, t'es sûr de lui avoir donné la bonne heure ?

Il secoue ses boucles et braque sur moi son regard noisette.

— Je ne suis pas bête. Et elle a confirmé aussi. En plus, c'est elle qui voulait ce rendez-vous, pas moi.

Il se tait. Ses yeux se perdent sur Ava et Jared qui discutent un peu plus loin. 

Après une rencontre chaotique où mon meilleur ami s'en est pris plein la tronche, Ava s'est montrée étonnamment conciliante. Et maintenant, ils ont l'air de se connaître depuis toujours. Ils plaisantent, se montrent des vidéos délirantes sur leur téléphone... 

Ça m'agace. Moi, j'ai le droit à des regards suffisants et des soupirs exaspérés tandis que Jared a le droit à des sourires et des bourrades amicales dans l'épaule.

— Sois pas jaloux, Nath. Toi, Ava te maltraite parce que tu couches avec Cléandre. Si ton pote se tapait aussi Clé, Ava le décalquerait.

— J'aime pas trop l'idée, là, bougonné-je.

— Je suis certain que mon cousin non plus n'aime pas l'idée. C'est sur toi qu'il craque depuis le début de l'année, pas sur Jared. 

Le cube recommence à cliqueter.

— Je sais. Mais ça a été dur de lui faire dire... j'ai dû attendre... février pour qu'il change. 

— En vrai, il a commencé à changer quand tu lui as offert la boucle scorpion. Même si elle a failli finir à la poubelle, m'annonce platement Clarenz.

Je m'étouffe. 

— Excuse-moi ? Cléandre a failli jeter mon cadeau ? J'sais bien qu'on s'aimait pas, mais...

— C'est pas lui qui a jeté la boucle. Moi, je l'ai récupéré et je lui ai rendu. Parce que je trouvais qu'il était plus détendu quand il avait cette boucle. Même si ça se voyait presque pas, ça me sautait aux yeux.

— J'aime bien quand tu es bavard, Clary, mais je comprends rien à ce que tu racontes, là...

— Pas grave. Oh ! Dans le bus !

Il tend l'index si brusquement qu'il en lâche son cube. Le temps de le ramasser, le bus s'est immobilisé à l'arrêt à quelques dizaines de mètres de nous.

— Tu crois qu'elle est dedans ? murmure Clarenz, un brin anxieux.

— J'espère, sinon on va louper le début.

— Si elle est pas là, tant pis : on entre quand même, décrète-t-il.

— Tu es sûr ?

— Je suis d'accord avec lui, intervient Jared. J'ai des fourmis dans les jambes à force de piétiner, et c'est mauvais pour ta cheville.

— C'est pas faux.

— Oh...

Clarenz se tourne vers moi.

— Pardon, reprend-il, je n'y ai pas pensé. Tu veux t'asseoir ?

Je secoue la tête, amusé. Non seulement il est un peu tard pour penser à ça, mais, en plus, il n'y a pas de chaise ou de banc aux alentours.

— Bon, ton rencard. Dis-nous à quoi elle ressemble, déjà ?

Clarenz braque son attention sur le bus qui vomit ses passagers. Il semble réfléchir, comme s'il ne savait pas comment décrire sa chère et tendre.

— C'est une fille...

— Sans déconner, ironise Jared. Et elle a aussi deux yeux, un nez et une bouche ?

— Oui. Et des cheveux. Je dirais... à peu près là, répond calmement Clarenz en montrant ses épaules. Noirs. Raides. Souvent avec des barrettes dedans. Ou des rubans, des fois. Et ses habits... j'en sais rien, j'ai jamais fait attention, en vrai. Ha, et elle a la peau un peu mat. Plus tannée que Nathéo. je crois ? Ou un peu moins. Je sais plus, en fait. 

— OK, donc t'as rencard avec une meuf que t'as jamais regardée, quoi, soupire mon meilleur ami.

— Ben, c'est elle qui m'a invité. Je ne l'avais jamais vraiment remarquée avant ça.

Jared étouffe un ricanement tandis que je le fusille du regard.

— Ne perds pas ton temps à lui répondre, Clary. Jared te taquine.

— Ha ? Oh ! Elle est là !

De nouveau, Clarenz tend l'index, en direction d'un groupe de fille, cette fois. Quelle discrétion. D'autant que les adolescentes ont toutes les regards rivés sur nous. 

Hm. Quelque chose me met mal à l'aise.

— Clary... tu ne m'avais pas dit qu'elle venait accompagnée.

— Parce que j'étais pas au courant. Elle m'a dit qu'elle venait seule.

L'une d'elles, une brune avec les cheveux raides, fait signe à Clarenz d'approcher. Docile, il avance d'un pas.

— Attends !

Ava et moi le stoppons dans un même geste.

— Quoi ? s'étonne-t-il.

— C'est mauvais signe.

— Pour une fois, je suis d'accord avec l'élément rapporté, murmure Ava. 

— Je comprends pas...

Jared pose une main sur l'épaule de Clarenz, qui frémit et fait cliqueter son cube de plus belle.

— Moi, je crois que je comprends ce que veulent dire Nath et Ava. Dis-moi, tu es populaire, dans ton lycée ?

— Je ne sais pas trop. JE crois qu'elle m'appelle le « beau gosse mystérieux ».

— Tu es une cible à abattre, asséné-je. LE mec à séduire pour devenir populaire. Cette fille... on dirait qu'elle veut juste te montrer à ses copines...

— En mode « regardez, je l'ai eu » ! achève Ava. Mais il y a un moyen très simple de vérifier ça.

— Comment ?

Nous lui demandons tous les trois en même temps. Honnêtement, si j'ai bien compris que le comportement de ces gamines cloche, je ne vois pas comment le prouver. 

— En regardant leur réaction face à un Clarenz en couple.

— Mais je suis pas en couple.

— En effet, mon chéri, mais elles ne le savent pas. Il te suffit d'embrasser quelqu'un pour étudier leur réaction ! Pas moi, évidemment, je suis ta tante.

— Moi, j'suis hétéro, s'épouvante Jared.

D'un bloc, les deux terreurs se tournent vers moi. Clarenz, lui, reste perdu dans ses pensées.

— Euh... non. J'suis en couple avec Cléandre, j'vous signale !

— Vu les circonstances, réfléchit Clarenz à vois haute, ça ne le gênerait pas. Tout ce qui peut me protéger, il est OK avec. 

— Mais, c'est quand même vachement intime, d'embrasser quelqu'un, protesté-je.

— Je l'ai vu te sodomiser, c'était un peu plus intime que maintenant.

— QUOI ? hurle Jared. Tu as vu quoi ? Non, je veux pas savoir !

— Moi, j'aurais bien aimé savoir, mais on a pas tout ce qu'on veut dans la vie, soupire Ava.

— Non, mais vous allez pas bien, vous. Je n'embrasserai pas Clarenz !

— Roh, ça va, c'est un bisou de rien du tout, grogne Ava. Pour le bien de Clarenz !

— Non, Ava, tranche Clarenz d'une voix ferme que je ne lui connais pas. Il a dit non. Il veut pas. Alors moi non plus. Cléandre m'a appris que c'est important, le consentement... 

Je me mordille la lèvre, m'excuse auprès de Clarenz qui balaie mes paroles d'un geste. Devant nous, le groupe de filles avance, et à chacun de leur pas, mon stress grimpe autant que celui de mon nouvel ami. 

— Je sais ce que je vais faire, déclare soudain Clary. Je vais lui parler. Lui demander carrément en face si je suis un trophée.

Ava se racle la gorge. Lui demande s'il est sûr que ce soit une bonne idée. Honnêtement, je me pose aussi la question, et en même temps, j'admire sa détermination. Alors, sous le regard furibond de sa tante, je l'encourage.

Son pas se fait hésitant alors qu'il approche des gloussements. Il baisse la tête. Triture encore son cube. À son approche, le groupe cesse de parler. Les filles l'écoutent en silence. Certaines prennent soudain une mine horrifiée. D'autres se lissent nerveusement les cheveux. Et l'une d'elles arbore un air victorieux, comme si elle était heureuse que ses amies soient percées à jour.

La brunette aux cheveux raides pique un fard. Elle a l'air sacrément gênée. Elle secoue les mains, la tête. Elle recule d'un pas. Elle finit par se pendre au cou de Clarenz qui décroche ses mains avec froideur. Puis il lui indique l'arrêt de bus avant de tourner les talons pour nous revenir. 

Seul.

Ava le serre dans ses bras. Jared lui tapote l'épaule. Puis ils détalent vers le cinéma.

— Clary, j'suis désolé... ça va ?

Il me surprend avec un sourire presque imperceptible.

— En fait... oui. Je me sens même bien. Parce que cette fille, c'était pas mon « Nathéo ». 

Désolé pour ce chapitre un peu laborieux, et merci à tous de me lire et me soutenir, lecteurs et lectrices visibles comme invisibles ! 

Si vous voulez comprendre ce que Clarenz à raconté à Nathéo à propos de la boucle d'oreille, rendez-vous sur le #défi 1 du recueil " les défis de Cara et Tia !"