Chapitre 30 (2/2)
https://youtu.be/BnQhYgOkmzc
~ S Y R I U S ~
Je ne sais pas quelle heure il est.
Allongé dans mon lit, je n'ai pas encore attrapé mon portable pour m'en informer. Il ne doit cependant pas être tôt vu les raies de lumière qui traversent les petits interstices libres laissés entre les rideaux. La douleur irradiant dans mon bras me rappelle également tristement que la matinée doit être bien avancée et que la prise d'un nouvel antidouleur ne sera pas inutile.
Cela fait maintenant presque deux semaines que j'ai quitté la maison parentale pour venir me cacher du reste du monde. Ça a marché, personne ne m'a plus dérangé depuis que Noah s'est barré.
Je pensais que lorsqu'on me foutrait la paix, je pourrais respirer, arrêter de penser, pourquoi pas me mettre à hiberner un moment mais rien de tout cela n'est arrivé. Au contraire, au plus les jours ont passé, au plus cette atmosphère solitaire dans laquelle je me suis enfermé est devenue pesante, jusqu'à me donner l'impression de suffoquer.
Quand ma grand-mère est entrée dans ma chambre en me demandant de sa voix angoissée si je savais où était passé Noah, je me suis vraiment demandé si le monde entier commençait à partir en couille. Voilà que mon jumeau de nature si droite s'était enfui avec une nana en pleine semaine de cours sans avertir personne. Même pas moi. Je ne peux l'en blâmer vu le peu d'intérêt que j'ai porté à sa dernière visite. Trop agacé qu'il tente de me raisonner, je n'ai pas fait attention au fait que peut être lui aussi avait pour une fois besoin de se confier. Je crains tellement.
Le bruit de la porte s'entrouvrant coupe le fil de mes pensées. Surpris, je tourne mon visage vers la source de cette intrusion dans ma piaule. Mes grands-parents viennent de partir à leur habituelle partie de golf dominicale et je suis donc censé être seul à la maison.
Malgré la pénombre régnant dans la pièce, je distingue sans aucun doute la silhouette de l'intrus. Planté près du cadre de la porte, Julien parait hésiter à entrer. Le cœur tambourinant, je resserre la prise de ma main valide sur ma couette et la ramène autant que possible sur mon visage.
- Qu'est-ce que tu fous là ? je marmonne ma voix tremblant sous la déflagration d'émotions produite par sa soudaine présence.
Sans qu'il ne réponde à ma question, je l'entends bouger et je baisse le tissu pour dégager mes yeux et voir ce qu'il fabrique. Belle erreur étant donné qu'il s'empresse d'ouvrir les tentures en grand pour dégager la fenêtre. Il inonde ainsi la chambre d'une clarté qui ne met qu'une fraction de seconde à éblouir mes yeux habitués à la pénombre depuis des jours.
- Putain Julien qu'est-ce que tu fous ? je m'énerve en plissant les paupières le temps de m'habituer à cette agression visuelle.
Les bras croisés, face à la fenêtre, il soupire tandis que ses yeux sondent le jardin. Contrairement à son habitude, il ne se tient pas totalement droit. Ses épaules rentrées vers l'avant lui donnent un air fatigué qui me fait de la peine pendant une fraction de seconde.
- À partir de maintenant, je ne te laisserai plus te morfondre dans cette chambre, dit-il de sa voix posée, légèrement rauque qui recouvre bien malgré moi tout mon corps de frissons.
Pour toute réponse, malgré mon bras douloureux, je ramène complètement ma couette sur moi.
- Je n'ai pas envie, laisse-moi tranquille.
Je pensais avoir été clair sur le fait que je ne voulais pas qu'il vienne.
Malgré toute la colère que m'inspire ce que nous avons vécu et qui a foutu le bordel dans ma vie, j'ai envie qu'il reste près de moi et ça me rend dingue. J'ai envie qu'il me prenne dans ses bras et qu'il me mente en disant que ça ira, que sa chaleur réconforte ce froid qu'à installé mon père en me regardant comme s'il ne me connaissait pas. Mais ça ne peut pas arriver.
À cause de ce qui s'est passé, je le crains tout autant que je le désire.
Imaginer ses lèvres frôler les miennes me donne l'impression de commettre un crime, rêver de ses mains sur moi remplit mes yeux de larmes comme si mes pensées me rappelaient que je n'avais pas le droit de ressentir un tel désir pour une personne faite comme moi.
Un craquement du plancher m'informe qu'il a bougé dans la pièce et qu'il s'est approché du lit mais je ne dégage pas ma couverture pour m'en assurer.
- Lève-toi, faut que t'ailles prendre une douche, ça pue tellement dans cette piaule que si je t'avais pas vu bouger, j'aurais pu croire que t'étais mort.
Je plisse le nez et dégage un léger interstice pour sentir l'apparente mauvaise odeur de ma piaule mais je ne sens rien. L'habitude, quel merveilleux phénomène dans de telles circonstances.
- Si l'odeur te dérange, tu peux partir, moi ça me convient très bien.
Il soupire puis je sens une main agripper mon cocon protecteur et avant que je n'ai pu analyser son intention, il arrache brutalement ma couverture. Je me retrouve en caleçon, grelottant sur mon lit avec une soudaine envie de lui offrir un bon coup de pied.
- Bordel mais tu fous quoi là ? Pourquoi tu viens me faire chier ? je m'énerve en le fusillant du regard.
Il se mordille la lèvre et plie la couette avant de la poser sur un meuble un peu plus loin pour que je ne la rattrape.
- Je te sors de ton antre de la décrépitude.
- Je n'ai pas envie d'en sortir, je suis très bien là.
Il secoue la tête.
- N'essaye même pas de me faire croire ça.
Je m'assis et passe mon bras valide autour de mes genoux pour conserver le peu de chaleur qu'il me reste.
- Rends moi cette putain de couverture, je me les gèle là !
- Si t'as froid, va prendre une douche, vu ta gueule, ça te fera pas de mal.
Je suis surpris par le ton détaché qu'il emploie, sans me ménager comme il l'a fait la dernière fois qu'il m'a rendu visite. En fait, toute son attitude semble différente. Tout en ouvrant le sac de fringues que ma mère m'a ramené et en y cherchant des vêtements, il ne semble pas se formaliser de ma réaction derrière lui.
Pourquoi vient-il en ayant l'air si indifférent ?
Il finit par se relever avec mes vêtements en main et fronce les sourcils en me voyant toujours assis dans le lit.
- Mec magne toi, on a pas que ça à faire, soupire-t-il, son regard vert hypnotisant braqué sur moi.
Décontenancé je secoue la tête.
Pourquoi débarque-t-il tout à coup alors qu'il n'a pas donné le moindre signe de vie depuis que je l'ai rembarré la dernière fois ? Qu'attend t-il de moi ? Je lui ai pourtant bien dit que je ne voulais pas le voir, m'éloigner de lui un moment.
- Qu'est-ce que tu fous là Julien, t'as quoi en tête ?
Il passe une main dans ses cheveux noirs et les ramène en arrière. Son geste remonte malheureusement son t-shirt sur son ventre musclé, partie de son corps tout de suite captée par mon regard bien trop sensible à la moindre parcelle de sa peau.
- Je t'en dirai plus une fois que tu seras lavé.
Je secoue la tête. Je ne peux pas passer du temps avec lui. Je ne peux pas faire comme si de rien n'était. Tout se bataille dans ma tête.
Je veux le prendre contre moi, respirer l'odeur entêtante de son parfum qui me donne le tournis à chacune de ses étreintes. Mais ma colère ne diminue pas.
Si je n'avais pas ressenti tout cela, ma vie ne serait pas devenue un grand n'importe quoi, je ne serai pas occupé à me demander si j'aurai encore un jour le droit de regarder mes proches dans les yeux en leur parlant de moi. Je lui en veux et pourtant je sais que je suis le seul fautif. Je suis celui qui s'est laissé emporter, celui qui a lui-même miné sa vie en éprouvant des sentiments que beaucoup condamnent encore. Je ne devrais pas avoir autant de rancœur contre lui mais je n'arrive pas à faire autrement.
- Je n'ai pas envie de faire quoi que ce soit avec toi.
Ses épaules se crispent et ses yeux se plissent mais il secoue la tête, manifestement pas d'accord.
- Que tu veuilles ou non de ma compagnie, je vais te sortir d'ici Syrius. Il est hors de question que tu continues à te lamenter tout seul dans cette piaule.
Je serre les dents et il me fait un signe de tête pour m'intimer à me lever.
- Aller lève-toi ou je promets que c'est moi qui te ferais bouger et tu vas pas aimer ça.
Son impatience transparaît dans la vitesse à laquelle son pied tape le sol et au vu de son air, je comprends qu'il n'y a pas une once de plaisanterie dans sa remarque. Agacé, je me fais donc violence et obéis.
Le corps recouvert de chair de poule à cause du froid, je suis pendant une fraction de seconde légèrement gêné de me retrouver en caleçon devant lui. Ce qui est bien ridicule étant donné le nombre de fois où il m'a vue dans mon plus simple habit.
Je me dirige vers l'une des salles de bain de cette monstrueuse baraque et il me suit.
Après avoir déposé mes vêtements sur une surface en marbre près des éviers, il s'apprête à me laisser mais au dernier moment, une main sur la poignée de la porte, il se retourne, l'air pour le coup un peu nerveux.
- Je reste tout près donc... prends ton temps.
Ses yeux parcourent mon torse nu et je le vois déglutir avec difficulté avant qu'il ne les relève vivement. Ses joues se colorent et un souvenir de nos nombreuses étreintes sous la douche me revient en mémoire. Pendant un instant, je m'imagine l'amener avec moi, allumer l'eau brûlante et mêler mon corps au sien jusqu'à ne faire plus qu'un.
Je secoue cependant la tête pour chasser ses idées. Son simple effleurement du regard a suffi à réveiller mes instincts les plus primaires et je me tourne pour attraper un essuie et faire en sorte qu'il ne soit pas témoin de l'intensité de mon désir.
- Je croyais que je devais me magner, je marmonne la voix rauque.
Il toussote et dans le reflet du miroir, je l'observe se masser la nuque en fermant les yeux.
- Ouais mais je pense que là, prendre le temps de te laver sera pas plus mal pour mon odorat.
Sympathique, pour le coup, sa remarque fait pas mal baisser l'ambiance électrique dans la pièce. Je plisse les yeux, pas super heureux de l'entendre pour la troisième fois parler de ma pseudo mauvaise odeur mais il ne s'en rend pas compte car il quitte la pièce.
Je soupire puis inspecte mon reflet dans le miroir et grimace.
C'est fort possible que je sente pas la rose mais putain, c'est carrément sûr que j'ai une sale gueule. Mes cheveux sont si gras que je suis sur que je n'aurai pas forcément besoin d'un quelconque gel pour les faire tenir en l'air. Vu leur longueur, cela ne m'étonnerait pas non plus que je puisse presque les attacher en un truc informe comme Noah. Les cernes sous mes yeux semblent avoir été colorées en bleu par un gosse de cinq ans pour me transformer en une reproduction peu flatteuse d'un panda géant.
Je fais peine à voir.
J'observe mon bras cassé et les bleus qui recouvrent l'endroit où je suppose être la fracture. Tout en serrant les dents, je défais l'attelle et j'ai tout à coup l'impression d'être extrêmement vulnérable. Plus vivace, la douleur refait surface et je plisse les yeux le temps de m'y habituer.
Après avoir enlevé mon dernier habit, je me glisse dans la douche et ne tarde pas à faire couler l'eau pour réchauffer ma peau glacée.
Je ne me savonne pas tout de suite et laisse à mon corps le temps de profiter de la chaleur. Mes muscles se détendent peu à peu et j'ai l'impression qu'une once d'énergie s'insinue dans mes veines tandis que chaque goutte me lave des pensées lugubres des dernières semaines.
Je ne sais même plus quand j'ai pris ma dernière douche.
Je plisse le nez, attrape le savon et en fous tout de suite sur mon torse à la place d'utiliser mon bras invalide. J'en mets beaucoup puis frotte toutes les parties qui me sont accessibles pour me désincruster de toutes les merdes qui trottent dans ma tête depuis l'accident avec mon père.
Je ne sais pas pourquoi je ne l'ai pas fait plus tôt. Sans que mes soucis disparaissent, prendre une simple putain de douche me donne soudainement l'impression que tout n'est pas si horrible que ce que je m'imagine. Aussi con que cela puisse paraître, malgré ma douleur, ma tristesse, ma colère, je me rends compte que pendant tout ce temps, j'ai vécu comme un foutu condamné. Un condamné qui se serait torturé avec sa peine, qui se serait fourvoyé et qui n'aurait en réalité qu'à tendre la main pour attraper sa liberté.
Une fois complètement propre et réchauffé, je sors de la douche et attrape un essuie.
Je m'applique à me sécher mais je n'arrive pas à atteindre mon dos. Agacé, j'enfile rapidement un caleçon propre puis pose une main sur la poignée de la porte. J'hésite un instant pour demander à Julien de m'aider mais je secoue la tête et me rétracte. Je ne veux plus revoir la pitié dans ses yeux. Cela m'a fait bien trop mal la dernière fois.
J'enfile un jean et mes chaussettes puis me regarde dans la glace. Me raser ne serait franchement pas une mauvaise idée et cela laisserait à mon dos un peu de temps pour sécher avant de remettre mon attelle.
Torse nu, je sors de la salle de bain pour aller chercher mon rasoir dans mon sac et je frissonne en entrant dans la chambre. Julien a ouvert en grand les fenêtres et est occupé à changer les draps de mon lit.
- Qu'est-ce que tu fais ? je demande, plus par surprise que par réel questionnement.
Il se tourne vers moi et son regard tombe sur mon torse nu.
- Mais quel crétin, reste pas comme ça, tu vas attraper la crève, s'inquiète-t-il avant de s'approcher.
Il m'arrache l'essuie des mains et le pose délicatement sur mes épaules. Je frissonne sous son contact mais il ne parait pas s'en rendre compte ou alors il ne s'en soucie pas.
- Mec ton dos est trempé.
- Je sais, j'attendais qu'il sèche, j'arrive pas à l'atteindre.
Il hausse un sourcil et m'observe comme le dernier des attardés, chose peu agréable mais il ne tique pas sur le regard meurtrier que je lui rends.
- T'es vraiment grave, pourquoi tu demandes pas de l'aide ?
Je ne réponds pas. Qu'est-ce que je pourrai lui dire ?
Parce que je ne veux pas de ta pitié.
Parce que j'ai bien trop envie que tu me touches.
Parce que je déteste ça.
Il se met à frotter mon dos en faisant attention à mon bras blessé et je suis heureux qu'il ne soit pas témoin du rouge qui me monte aux joues et à mon cœur qui s'emballe au contact de ses mains sur ma peau.
Il finit par s'écarter en hochant la tête, l'air satisfait. Ses pupilles vertes glissent sur moi avant de revenir à mon visage et l'idée de poser une main sur sa joue pour la caresser du bout du pouce me vient en tête. Je n'en fais cependant rien et me contente de l'observer.
- Tu mets un t-shirt ou tu attends de te transformer en glaçon au milieu de la pièce?
Je cligne des yeux tandis qu'il quitte la chambre pour revenir avec mon t-shirt et mon attelle. J'enfile le premier puis secoue la tête quand il me désigne l'attelle. Je me dirige vers mon sac et en sort mon sweat des Twenty one pilots.
Immédiatement, le souvenir de notre nuit ensemble après la soirée d'Halloween me revient en mémoire. Quand il a retrouvé mon pull le lendemain matin et que je lui ai confié à quel point l'idée de l'embrasser m'avait toujours habité.
Aujourd'hui, je ne sais plus quoi en penser, c'est trop douloureux.
Je serre les dents puis enfile le vêtement sous son regard trop électrique, trop intense, trop empli de sentiments qui me donnent envie de le plaquer contre moi pour retrouver une trace de ce j'ai l'impression d'avoir perdu. Le droit de l'aimer.
Une fois habillé, je m'approche en lui montrant l'attelle qu'il tient toujours en main. Je ne suis pas assez idiot pour croire que me passer de son aide m'aiderait à éviter un moment douloureux.
- Tu peux m'aider à la mettre ?
Il acquiesce puis sans un mot, nous nous activons à reprotéger mon bras sans me faire mal.
J'ai bien trop conscience du silence pesant qui règne entre nous. Comment pourrait-il en être autrement ?
Une fois paré, je pars m'occuper de la barbe qui me donne l'air d'un sauvage. Je me dépêche de me raser car je sais qu'il m'attend. Ça m'agace mais je ne sais pas faire autrement.
Une fois la peau de mon visage redevenue toute douce, je rentre dans ma chambre à nouveau métamorphosée en un nid douillet.
Assis sur mon lit, refait aussi parfaitement qu'à l'hôtel, se trouve Julien. Il lit, appuyé contre le cadre de lit dans en posture qu'on pourrait qualifier d'apollinienne. Il ne m'a pas entendu arriver et j'en profite pour l'observer en douce.
Comme toujours lorsqu'il est plongé dans ses lectures, il fronce légèrement les sourcils. Une mèche retombe devant ses yeux verts qu'il ne semble pourtant pas remarquer. Alors qu'il doit lire une scène particulièrement haletante, il entrouvre les lèvres et se masse la nuque tout en secouant légèrement la tête.
C'est indéniable, je ne me lasserai jamais de l'observer.
- Si j'ai bien compris, tu ne vas pas me laisser tranquille aujourd'hui ? je soupire en posant mon épaule valide contre le cadrant de la porte pour interrompre cette contemplation qui ne m'apportera rien de bon.
Il hausse un sourcil en relevant le regard vers moi tandis qu'un sourire fugace parcourt ses lèvres. Je sais qu'il me préfère sans barbe, il me l'a déjà dit, ce n'est cependant pas la raison pour laquelle je me suis rasé. En tout cas, j'essaye de m'en persuader.
- Ouais, c'est exactement ça, murmure-t-il.
Je fais la moue mais en mon for intérieur, je ne suis pas si agacé que ça.
J'ai un peu envie qu'il reste avec moi. Juste un peu. Quel doux mensonge.
- Je vais te sortir, ça te fera du bien.
Je fronce les sourcils en me tournant vers lui.
- On dirait que tu sors un clebs quand tu dis ça.
Il sourit.
- Excuse-moi de te dire que selon moi, même le plus inactif des clebars à davantage bouger que toi ces dernières semaines.
Je dodeline de la tête, acceptant qu'il n'a pas tort.
Alors que son rire résonne dans la chambre, ses pommettes remontent et plissent ses yeux.
- Si tu l'admets, c'est déjà une bonne chose, poursuit-il indifférent à mon regard qui s'est posé sur ses lèvres dessinant le sourire qui a toujours réussi à effacer tout le reste.
Je me fais violence pour m'arracher à cette vision qui pourrait presque me persuader que le reste importe peu. Presque.
Est-ce possible d'être à la fois, fou de désir et d'amour pour quelqu'un mais également de colère et de tristesse ? Je deviens complètement timbré.
- Du coup, on fait quoi ? je soupire, conscient que je ne pourrai pas avoir l'air impassible bien longtemps.
- Tu comprendras si tu viens.
Ce n'est pas du jeu, je suis curieux et il le sait.
Je jette un regard à mon plumard dans lequel je me tourmente depuis trop longtemps puis à son petit sourire en coin qui me hurle de le suivre n'importe où, juste pour pouvoir encore l'admirer un peu.
- Cela ne veut rien dire.
Il fronce les sourcils et penche la tête de côté, ne comprenant pas.
- Si je t'accompagne, cela ne signifiera rien.
Son visage se crispe un moment et son regard se fait si triste que j'en frissonne. Il s'en aperçoit et se redresse avant d'acquiescer.
- Cela ne signifiera absolument rien, on sera juste deux gars qui vont se balader.
Ma gorge se noue.
Cela ne sera jamais aussi simple, il doit en être aussi conscient que moi. Mais pour l'instant, c'est tout ce dont je suis capable. Malgré mes sentiments qui me hurlent le contraire, en ce moment, il doit juste devenir un simple gars.
- Dans ce cas, allons-y, je souffle avant de le suivre.
Cela fait plus d'une demi-heure que nous roulons avec comme seul bruit, le souffle de la ventilation et les musiques d'une chêne de radio sans pub diffusant des morceaux indies assez sympas.
Quand il a dit qu'on bougeait, je ne pensais pas qu'il nous conduirait aussi loin de chez mes grands-parents. La confiance que j'ai éprouvée en le suivant sans aucune explication s'étiole au fur et à mesure que nous dépassons bon nombre de villes.
- On va où ? je marmonne nerveux tandis que nous dépassons la sortie menant à Gand.
Il sourit et pianote des doigts sur son volant. Je lui fais les gros yeux pour lui faire comprendre que ça ne m'amuse pas, ce qu'il perçoit au moment où il se tourne vers moi.
- Julien, ma patience à ses limites, tu nous conduis où comme ça ?
Après avoir changé de bande pour dépasser une voiture, il souffle non sans cacher son sourire.
- À Bruges.
Mon ventre se serre et il lit la surprise sur mon visage sans cacher sa satisfaction.
- Pardon ? j'articule lentement, lui laissant encore la possibilité de changer de réponse.
Il n'en fait rien.
- T'as bien entendu. Je t'ai prévenu qu'on avait pas le temps de traîner.
Je secoue la tête en me réinstallant face à la route.
- Qu'est-ce qu'on va faire la bas ?
- Se changer un peu les idées, se balader. T'adore cette ville.
Je fais la moue.
- Ouais quand je pouvais prendre des photos, mais là ...
Il fait un signe de tête vers l'arrière.
- Mate un peu ce que j'ai amené.
Intrigué, j'obéis et ne peux cacher ma surprise teintée d'angoisse car mon sac comportant mon appareil photo est posé sur la banquette arrière.
- Je sais que tu es persuadé que tu n'arriveras pas à prendre de photos tant que ton bras sera cassé mais je vais te prouver le contraire.
Mon ventre se tord et je secoue la tête en serrant mon poing valide. Pourquoi fait-il ça ? Il ne devrait pas être aussi gentil, pas alors que je lui ai si violemment dit que je ne voulais plus de lui.
Mon silence agrandit encore davantage son sourire, il a tapé juste et il le sait. Qu'est-ce que je pourrai ajouter ? Je suis surpris, angoissé et terriblement épris par ce gars qui me donne l'impression de me connaître mieux que moi-même. Il fait toujours tellement pour moi.
Nous arrivons dans la ville portuaire aux nombreux canaux vers la moitié de l'après-midi. Après avoir mis mon sac sur son dos, Julien verrouille sa caisse et nous partons en direction du centre.
Nous longeons les canaux tout en observant les façades des vieux bâtiments ayant conservé un charme qui m'a toujours attiré. À chaque fois que je viens à Bruges, j'ai l'impression d'être transporté à une autre époque. Les habitants de cette ville ont su conserver toute la magie des vieilles ruelles bordées de leurs canaux et ça me fascine.
Je m'arrête devant une bâtisse dont la façade est enfouie sous un rosier couvrant toute sa surface et commençant à fleurir.
Julien se pose à côté de moi.
- Tu l'aimes hein cette maison ? Tu t'arrêtes toujours devant.
Je me tourne vers lui et acquiesce, surpris qu'il s'en soit rendu compte. J'ai toujours cru être l'observateur de notre duo mais tout ce qui s'est passé me montre à quel point je me suis trompé. Je n'ai jamais complètement perçu qui était le vrai Julien tandis que lui me connaissait et m'observait réellement.
- Qu'est-ce qui te charme tant dans cette maison ?
Mon regard se pose sur le rosier montant tandis que des idées de clichés me traversent l'esprit.
- Je la trouve poétique.
Son regard glisse vers la vieille maison et il penche légèrement la tête.
- À chaque fois, je m'imagine le nombre de personnes qui ont dû voir pousser ce rosier le long de cette sublime façade. J'imagine un couple, l'un cueillerait une rose avant de rejoindre sa moitié pour la lui offrir. Ou une famille qui observerait les boutons de roses chaque jour jusqu'à les voir fleurir sous les rayons du soleil et la tiédeur du printemps.
Je me tourne vers Julien et constate que son regard s'est posé sur moi. Il cligne plusieurs fois des yeux puis enlève son bras d'une bretelle du sac et l'ouvre pour en sortir mon appareil.
À la vue de l'instrument qui ne m'avait jamais quitté avant l'explosion de ma vie, je retiens mon souffle. Mon ventre se tord et je secoue la tête en faisant un pas en arrière.
- Je n'ai pas envie.
Il hausse un sourcil.
- Tu ne veux pas essayer ?
- Non.
- J'ai le petit trépied, tu pourrais...
- Julien s'il te plait, non, je réponds un peu plus sèchement que prévu.
Il se mordille la lèvre, acquiesce puis remet la bretelle tout en gardant l'appareil en main.
- Cela te dérange si moi je fais des photos ?
Je fronce les sourcils et hausse mon épaule valide.
- T'as envie de faire ça toi ? Je croyais que tu préférais profiter de l'instant présent.
- Aujourd'hui j'ai envie de prendre des photos.
Surpris, je finis cependant par hocher la tête.
- Fais ce que tu veux.
Il allume l'appareil et amène le viseur près de son œil.
Intrigué, je l'observe braquer l'objectif vers la vieille bâtisse. Ses mains tremblent légèrement mais je ne fais aucun commentaire. Il prend un premier cliché et je me tourne à nouveau vers le modèle de sa photo.
À l'une des extrémités de la façade, j'aperçois une rose presque éclose sur une branche qui a poussé près d'une petite fenêtre ronde aux vitraux colorés et je me mords la lèvre en constatant que Julien ne la photographie pas.
J'attrape sa manche quand il a fini un cliché et le tire près de ma cible.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demande-t-il, inconscient de mes pensées.
- Tu vois la rose, là-bas ? Celle près de la petite fenêtre ronde ?
Il plisse les yeux puis hoche la tête.
- Ah ouais, c'est super joli.
- Prends là en photo.
Il hoche la tête puis approche le viseur près de son œil tout en fermant l'autre. Je suis cependant frustré car il ne choisit pas l'angle qui mettrait les vitraux en valeurs face à la luminosité dans la ruelle.
- Attends, je vais te montrer ce que tu dois prendre, je murmure.
Tout en gardant mon bras invalide contre moi, je pose ma main sur la sienne et pousse lentement l'objectif vers ce que je pense être la meilleure prise de vue. Il se crispe quand ma peau touche la sienne mais je fais comme si de rien n'était. Enfin, j'essaye plutôt car mon cœur n'est pas du même avis.
- C'est pas mieux là ? je demande doucement.
- Carrément, comment tu fais ? demande-t-il la voix rauque avant de prendre un cliché.
La photo prise, il apporte l'écran près de moi pour me montrer le résultat. Elle n'est pas totalement nette ce qui doit être causé par le léger tremblement de ses mains mais ce n'est pas disgracieux, au contraire, cela ajoute un certain charme au cliché.
- Je ne sais pas, je visualise ce que je veux photographier puis je cherche la meilleure manière d'arriver à capter mon idée.
Il sourit puis acquiesce avant que nous nous remettions en route.Le long du chemin, nous nous arrêtons régulièrement et à chaque fois, il se laisse guider, suivant mes conseils pour capturer les moments dont nous sommes tous les deux témoins.
En fin d'après-midi, la lumière commence doucement à décliner et l'air se rafraîchit quand nous arrivons sur un petit pont au-dessus d'un des canaux.
Un mouvement attire mon regard près de l'eau et de mon bras valide, je stoppe Julien.
- Regarde, un héron.
Il se tourne dans la direction que je lui indique et ouvre grand les yeux.
- Qu'est-ce qu'il fout là, celui-là ? murmure-t-il étonné.
- Il faut absolument faire une photo avant qu'il parte, je m'exclame en tapotant son bras avec énergie.
Il se dépêche de porter l'appareil devant lui mais je serre les dents car il ne choisit pas le meilleur angle.
- Donne-moi l'appareil Ju, je souffle rapidement.
Il me regarde surpris moi, puis ma paume ouverte.
- Allez dépêche, il va partir.
Il s'exécute et une fois l'appareil en main, je le guide en le poussant de mon coude valide vers le coté du petit pont surplombant le canal.
- Baisse toi un peu tu veux, je murmure en passant la languette autour de mon cou.
Sans protester Julien se baisse et tout en me mettant derrière lui, je pose l'appareil sur son épaule. J'approche mon œil du viseur et fait légèrement pivoter mon trépied vivant. Il tremble cependant un peu donc je me colle à lui pour lui offrir davantage de stabilité.
Malgré sa veste, la chaleur de son dos me gagne vite et je me fais violence pour ne pas lâcher l'appareil et l'entouré de mon bras valide.
- Voilà, ne bouge plus, c'est parfait, je murmure avant d'appuyer sur le déclencheur.
Le cœur tambourinant contre mes cotes, je fais quelques clichés jusqu'au moment où le splendide volatil prend son envol.
Satisfait, je me décolle d'un dos particulièrement chaud et observe mes photos. Elle ne sont pas aussi nettes que d'habitude mais j'en suis pourtant satisfait et je ne peux m'empêche de sourire.
Je relève le regard vers Julien et croise le sien.
Ses joues rougies et ses lèvres entrouvertes me font instantanément tout oublier. Ma gorge se noue tandis que nos yeux ne se quittent plus. Pendant une fraction de seconde, je m'imagine comblant la distance nous séparant pour l'étreindre jusqu'à m'en couper le souffle puis goûter à la douceur de ses lèvres pour offrir à notre journée un baiser qui nous ferait tout oublier.
Je n'en fais cependant rien et décroche mon regarde du sien.
- Tu...tu me montres les photos ? balbutie-t-il incertain.
J'acquiesce et relève l'appareil pour lui montrer l'écran. Il observe les clichés en essayant de conserver un air assuré mais je le connais trop bien pour ne pas percevoir la tension qui l'habite.
Nous reprenons notre chemin et finalement, il me prête son épaule pour que je puisse photographier tous les magnifiques endroits de Bruges par lesquels nous passons. Je suis conscient qu'il a atteint son objectif, il m'a sorti de ma chambre et je fais des photos.
J'aurai pensé être agacé mais il n'en est rien. Au contraire, je ne m'étais pas senti aussi serein depuis longtemps. Être dans cette ville que j'adore pour prendre des photos en sa compagnie me réchauffe tellement le cœur que j'en ai les yeux qui brillent.
La nuit tombe et nous finissons par nous poser sur un banc en face d'un petit canal. Les mains dans les poches, Julien observe la surface de l'eau en se mordillant la lèvre.
Mon cœur se gonfle du trop-plein de sentiments qui s'y bousculent et je prends mon inspiration:
- Julien ?
Il se tourne vers moi tandis que je serre les poings dans mes poches.
- Merci pour aujourd'hui, je murmure en essayant d'empêcher ma voix de trembler.
La douceur gagne son visage tandis qu'il acquiesce.
- Si t'as encore envie de partir en ballade avec un simple gars, je serai toujours là.
Un mince sourire se dessine sur mes lèvres et cela fait briller les yeux du simple gars que j'aimerais plus que tout prendre dans mes bras.
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