Chapitre 3
- N O A H -
Après les cours, je me mets en route vers l'arrêt de bus.
Mon frère est derrière moi et traîne avec Julien qui prend son bus au même arrêt que le nôtre. Comme je l'avais prédit, une fois qu'Iris est partie, mon jumeau ne s'est pas gêné pour me faire une remarque sur, je le cite « ma tronche d'idiot » quand j'étais à coté de la nouvelle. Ça fait toujours plaisir à entendre. Je ne l'ai cependant contredit que pour la forme, me rendant bien compte de l'état dans lequel m'a mis la jolie française. J'ai rarement été aussi distrait qu'aujourd'hui.
J'entends distraitement les bavardages des deux amis derrière moi tandis que je sors mon casque de de mon sac et le pose sur mes oreilles. En tombant sur la même chanson que ce midi, je ne peux m'empêcher de sourire.
Ça me fait tout de suite penser à Iris, comme les fleurs. Je me demande si on lui a donné ce prénom en rapport avec elles.
Dans le bus, j'écoute cette chanson encore et encore. Je l'aimais déjà beaucoup à la base mais maintenant elle déclenche en moi un pincement dans mon ventre. J'ai des fourmis dans les doigts et n'ai qu'une envie, c'est d'arriver chez moi pour pouvoir la jouer sur mon ukulélé.
Elle me met dans une sorte d'euphorie très agréable.
Une fois à la maison, je dépose un baiser sur la joue de ma mère et monte le plus vite possible dans ma chambre. Elle se situe face à la rue, dans le toit. Le mur oblique en bois me donne toujours l'impression d'être sur un bateau. Je dépose mon sac, vais chercher mon instrument et m'installe dans mon fauteuil qui fait face à la fenêtre.
Je commence à jouer de suite. Mes doigts gauches pinçant les cordes, mêlant les accords et ma main droite grattant en rythme, le plus simplement du monde. Jouer est ce que je préfère faire au monde. Je pourrai passer des heures avec mes instruments sans ressentir le moindre ennui.
Je me mets à chantonner la mélodie qui est assez facile mais vraiment agréable et je ne peux empêcher mon sourire de se dessiner à nouveau sur mes lèvres tandis que je ferme les yeux et que l'image du beau regard bleu de la nouvelle s'imprime derrière mes paupières.
Mon gsm vibre dans ma poche ce qui me fait bien malgré moi revenir à la réalité.
Je dépose mon ukulélé et observe maussadement le message de la personne qui vient de me gâcher mon petit moment de communion intense avec mon instrument. Quand je me rends compte que l'expéditrice n'est autre que Clémence, ma soi-disant meilleure amie, mon sourire s'efface totalement.
« Sorry, je suis malade. Je ne viens pas à la répète ce soir.»
Je soupire et secoue la tête.
Depuis cet été, notre groupe est au point mort à cause d'une dispute qu'elle a eu avec Malek, le troisième membre de notre groupe et mon autre meilleur ami. Clémence ne vient plus aux répètes et de fait, nous ne pouvons pas avancer. On était pourtant bien partis, l'année passée on avait gagné le prix d'espoir musical au festival Rock and Dream.
Avant, nous répétions presque tous les soirs quand je ne bossais pas, on traînait toujours ensemble. Malek nous rejoignait à la fin de ses cours et on pouvait jouer pendant des heures. On passait de supers bons moments et ça me rend dingue que leurs histoires nous empêchent de poursuivre nos rêves.
Je lui envoie un petit sourire triste et transmets à Malek puis je me remets à jouer. Je ne peux pas imaginer que notre groupe puisse se terminer à cause d'une stupide dispute. C'est inconcevable. Mes deux meilleurs amis finiront par se reparler et le groupe reprendra comme avant. Il faut juste leur laisser un peu de temps. Enfin, c'est ce que j'espère.
Je dois jouer un long moment car je suis surpris quand ma mère toque à la porte de ma chambre et passe sa tête par l'entrebâillement.
- Salut champion, ton père ne rentre pas ce soir et j'ai mis ta sœur au lit, ça te dit une soirée Netflix ? propose-t-elle.
Ma mère est une petite femme menue. Mon père fait toujours la blague assez stupide de se demander comment mon frère et moi avons un jour pu être à deux dans son ventre. C'est vrai que quand je vois les anciennes photos, elle avait l'air d'être au bord de l'explosion quand elle nous portait, la pauvre.
Ses boucles brunes encadrent son visage et tandis qu'elle me sourit ses hautes pommettes remontent. Rien qu'en la regardant, on sait qu'elle est vraiment gentille.
- Parfait ! Et Syrius il fait quoi ce soir ? je demande.
Elle ouvre davantage la porte et s'accoude au chambranle.
-Il va s'entraîner et reviendra sûrement avec Julien comme d'habitude.
Je hoche la tête.
Ils font tous les deux de l'athlétisme. Parfois, je me demande comment c'est possible d'aimer passer des heures à courir chaque semaine. Enfin, je sais que c'est leur délire mais pour moi ça ressemblerait plutôt à un cauchemar.
On connaît Julien depuis qu'on est gosses. En primaire, mon jumeau et lui sont vite devenus inséparables tandis que moi je me suis rapproché de Clem. Toujours occupés à courir ou faire les quatre cent coups ensemble, ces deux-là, c'est quelque chose qui dure. On ne les imaginerait pas l'un sans l'autre. Quand on fait des sorties avec eux, y a pas à dire, on se sent toujours un peu mis de coté. Ils ne le font cependant pas exprès, c'est juste qu'ils sont meilleurs potes et qu'avec eux, ces mots ont une réelle signification.
- Et il fait quoi papa ?
Elle soupire et hausse les épaules.
- Il a dû rester au boulot pour gérer je ne sais pas quoi. Enfin bon, profitons-en, me dit-elle en souriant.
Mon père est militaire. Soit il est en mission, soit il reste en Belgique mais il n'est pas souvent présent à la maison. Ce qui n'est pas plus mal d'une certaine manière, comme ça je ne vois pas la déception que j'ai toujours l'impression de lire en lui quand il me regarde.
Il a du mal à m'accepter, moi, son exact opposé. Je ne suis pas un grand sportif, je suis végétarien, ce qui l'exaspère car selon lui par ma faute, ma mère s'y est mise également et surtout il déteste voir mes kilos en trop que je me trimballe chaque jour.
J'ai pourtant déjà essayé de me mettre à plein de sports différents et j'ai réussi à perdre du poids mais je me lassais rapidement et mes vieux démons revenaient encore plus vite. Que voulez-vous, je suis un gourmand dans un corps qui n'aime pas le sport. Ça ne fait pas bon ménage, il n'y a rien d'autre à dire.
Je sors de mon fauteuil vraiment trop confortable et suis ma mère.
On passe devant la porte d'Emma, le petit bébé de la famille. Elle n'a que sept ans mais c'est déjà une fonceuse comme mon frère, ce qui ne manque jamais de m'impressionner. À son âge, elle peut se vanter d'avoir déjà deux médailles d'athlétisme accrochées à coté de son lit. Tout ça en plus des autres sports qu'elle pratique. Cette gamine est surdouée et hyperactive, je ne vois pas d'autre explication.
Je m'arrête pour l'observer un instant et ne peux m'empêcher de sourire tandis qu'une vague de douceur me prend. Elle dort en tenant fermement une peluche de Nemo, son dessin animé préféré, contre elle. On ne peut d'ailleurs pas manquer l'affection qu'elle porte à ce film en regardant un peu plus attentivement sa chambre. Sa housse de couette représente les tortues qui apparaissent dans le film et elle a également la petite peluche du poulpe qui crève l'écran dans Le monde de Dory. On l'a acheté quand nous sommes allés à Disney land Paris cet été, c'était dingue, elle voulait carrément plus le lâcher. Disney doit se faire tellement de fric avec des gosses comme ma sœur qui craquent devant la moindre bricole à l'effigie de leur dessin animé préféré.
Je reprends ma route jusqu'au salon et constate que ma mère à déjà préparé un bol de tortillas et un autre avec de la sauce salsa, un vrai délice. Elle, elle sait ce qui est bon.
Je m'installe à côté d'elle et à mon grand malheur, elle ébouriffe mes cheveux qui n'ont vraiment pas besoin d'être plus emmêlés qu'ils ne le sont déjà.
On continue de regarder la première saison de Sense8, l'une de mes séries préférées et pourtant j'ai du mal à me concentrer.
Je pense aux dessins qu'Iris gribouillait dans la marge de sa feuille pendant les cours et je me rends compte avec surprise que c'est la première fois que je n'arrive pas à m'ôter une fille de l'esprit. Étrangement, une douce sensation de bonheur s'installe en moi et je souris en me disant que j'ai déjà envie de revoir la nouvelle au joli regard bleu.
- I R I S -
Mon père n'est pas encore rentré du boulot et je suis donc seule dans notre nouvelle maison bien trop calme à mon goût.
Comme la plupart du temps, je n'ai pas faim et la vie me semble tout à coup assez morne. Allongée sur mon lit, j'observe mes murs vides. Je n'ai pas encore eu le cœur d'accrocher toutes mes photos qui décoraient pourtant fièrement ma chambre à Perpignan.
Celles avec Steph et Marine durant toutes nos soirées près de la plage. Celle où je suis dans les bras de Romain, le garçon avec qui j'aurai eu la relation la plus longue avant de tout gâcher. Les couchers de soleil, la mer, les pinèdes. Mais surtout, les plus importantes, celles de ma mère. Je ne peux pas regarder tout ça, tout ce que j'ai perdu en quelques mois, je n'en suis pas encore capable.
Mes lèvres se mettent à trembler et je pose mes mains sur mes yeux pour m'empêcher de pleurer. Je sais très bien que j'entre maintenant dans ce qu'on appelle une phase basse. Je commence à ruminer à cause des mauvais souvenirs que j'ai gardé de l'année passée et les pensées sombres en amènent toujours d'autres, me menant sur la pente douloureuse de mon chagrin qui ne s'est encore jamais éteint.
Il faut que je trouve quelque chose pour m'occuper, une activité qui me permettra de m'évader pendant un instant. Comme je ne connais encore rien dans le coin, je me décide à aller courir. Ça ne peut que me faire du bien et l'effort me distrait toujours de tout ce qui ne va pas.
J'enfile un short et un top, mets mes chaussures de sport et sors dans l'air frais du début de soirée. Je grelotte et remonte me chercher un sweat en grognant, la douce époque où je courrais en simple t-shirt est apparemment bien révolue. Satané pays.
Je ferme la porte à clefs et vais la planquer sous un pot d'hortensias près de l'entrée avant de commencer à courir. Cela me permet également d'apprendre à connaître les environs ce qui n'est pas plus mal vu que je n'ai eu personne pour me faire visiter.
Je fais tout le tour du quartier et constate le charme de chaque maison. Les battisses ont toutes des formes plus étranges les unes que les autres, assez rectangulaires et modernes sans toutefois tomber dans les caricatures des blocs de béton. Les jardins sont soignés et c'est agréable de voir les parterres de fleurs qui illuminent chaque habitation.
Après une longue course, je reviens dans ma rue et m'arrête en face d'une maison charmante, attiré par un son que je reconnais. Je fronce les sourcils, une fenêtre est ouverte et laisse passer la chanson que j'ai écoutée tout à l'heure avec Noah, j'en suis certaine.
Un chant accompagne la mélodie et c'est agréable. C'est vraiment étrange de l'entendre ici, surtout dans ma rue. J'ai presque envie de m'asseoir pour écouter mais je n'en fais rien, n'ayant pas envie que mes nouveaux voisins me prennent pour une folle.
Je termine ma course jusque chez moi et une fois à l'intérieur, je coure chercher mon portable. Je le branche à la sono qui est heureusement déjà installée dans le salon. Je trouve la chanson sur youtube et la mets à plein volume avec un grand sourire aux lèvres.
J'ouvre la baie vitrée et passe dans le jardin tandis que la musique résonne toujours. J'attrape mon paquet de cigarettes et mon briquet et en allume une. Je me mets à bouger en rythme avec la chanson tout en aspirant la fumée.
Je n'ai pas encore pu me résoudre à m'arrêter, trop attachée à cette sensation de plénitude que m'apporte l'une des pires crasses existantes. Comme à chaque fois, je sens tout mon corps se détendre grâce à la nicotine.
Je profite que mon père ne soit pas encore rentré du boulot pour m'octroyer ce genre de petits moments. Il n'est pas au courant que je fume et je préfère que cela reste ainsi. S'il savait, j'aurais droit à de longs discours sur les dangers que ça peut causer. Mais je n'ai pas besoin de lui pour m'apprendre ce genre de chose, je sais que c'est mauvais, encore une fois ce n'est qu'une pure faiblesse dans laquelle je suis tombée et dont je ne me suis pas encore relevée.
Mais un jour ça viendra.
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