Chapitre 29
Assis en tailleur sur mon lit, les poings serrés, j'écoute les cris des parents reprendre comme tous les jours depuis que mon père est rentré à la maison. Ils ne se sont jamais disputés de la sorte et c'est effrayant. Je n'ai pas un seul souvenir depuis que je suis enfant de les avoir déjà vus aussi furieux l'un contre l'autre.
Les rares moments d'accalmies paraissent peser encore plus lourd dans l'atmosphère, comme si chaque vide, chaque silence, renfermait une quantité astronomique de reproches et que la tension s'accumulait peu à peu chaque jour avant d'exploser tous les soirs dès qu'ils se voient.
Cela fait presque une semaine que Syrius est parti de la maison et j'en viens à me demander s'il rentrera un jour. J'ai l'impression que son départ a ouvert la faille qui va disloquer notre famille et le plus terrifiant est qu'avec tous les reproches que mon père m'a balancé ces dernières années, je ne sais même pas si je le regrette vraiment.
Tandis que la voix de ma mère, d'habitude si douce, rugit au salon, des petits coups retentissent contre ma porte avant qu'elle ne s'ouvre sur Emma.
Ma petite sœur a le visage baigné de larmes et tient fermement sa peluche Nemo contre elle tandis qu'elle s'approche de moi.
- Viens, je murmure en tapotant la place libre à mes cotés sur mon lit.
Les épaules tremblotantes, elle s'assied et je l'amène contre moi. Dans mes bras, son corps est secoué par ses sanglots et je dois me faire violence pour ne pas me mettre à pleurer moi-même tant cette vision est douloureuse.
- Pourquoi ils crient comme ça ? renifle-t-elle avec sa petite voix entre deux sanglots.
Je me mords la lèvre en pensant au regard éteint de Syrius quand nous étions à l'hôpital et je ne peux m'empêcher de frissonner.
« Parce que parfois, les vérités sont douloureuses » voilà ce que j'aimerais lui dire mais à la place, je serre un peu plus fort les lèvres.
- Ils vont pas se séparer hein ? Hein qu'ils vont pas se séparer ?! Je veux pas moi, pleure-t-elle en serrant plus fort sa peluche dans ses bras.
Je resserre ma prise sur elle et souffle.
- Je sais pas Emma, je sais pas, je murmure la gorge nouée.
Je pourrai lui mentir et la rassurer en lui disant que cela n'arrivera pas mais à quoi bon ? Je n'ai absolument aucune idée de la manière dont va évoluer cette situation complètement ahurissante.
Mercredi matin, Iris se gare devant chez moi.
J'ouvre la portière et m'affale à côté d'elle sans même essayer de cacher ma mauvaise humeur.
Je n'ai pas su fermer l'œil de la nuit et cette fois-ci, aucune playlist n'a su m'arracher un sourire. Je suis resté couché à fixer le plafond en pensant à toutes les directions que pourrait prendre cette situation. Malgré la mauvaise ambiance que mon père avait l'art de ramener à la maison, avant l'incident avec Syrius, je n'avais jamais pensé que viendrait peut être le jour où la probable séparation des parents s'imposerait avec autant de force.
Iris hausse un sourcil mais ne se formalise pas de mon humeur grognon. À la place, elle allume son autoradio puis démarre.
- Hier soir je me suis souvenue d'un truc ! Tu te souviens de la photo avec mes parents sur le bateau de mon oncle ? Je me suis dit que l'enveloppe de la marina pouvait avoir un lien avec ça ! Peut-être que mon oncle a une idée de l'endroit où elle est. Ça fait un bail que je lui ai pas parlé mais je suis sûre que je pourrais trouver un moyen de le joindre sur le net. Quand j'étais petite, il était propriétaire d'un magasin d'équipement nautique.
Je pince les lèvres, c'est reparti pour un tour, j'en peux plus.
Malgré que la situation avec Syrius l'attriste, la recherche de sa mère focalise presque toute son attention. Cette semaine, j'en suis venu à me demander si cela ne faisait pas ressortir un côté égocentrique que je n'avais pas remarqué avant.
Elle a bien vu à quel point tout ça me perturbe et pourtant, la seule chose qui l'intéresse c'est encore et toujours sa mère. Ça me rend dingue mais comme je n'ai pas envie qu'on se dispute à nouveau, je la laisse parler, j'écoute en attendant que ça passe. Comme d'habitude.
Un titre de Muse passe à la radio et j'essaye de me concentrer dessus mais mon attention est malheureusement encore bien vite détournée par son sujet de prédilection.
- Tu m'écoutes Noah ? Tu te souviens de la photo ? Tu penses pas que ça serait une bonne piste ?
Je fronce les sourcils et augmente le volume pour lui signifier que je n'ai pas envie de parler.
Avant de me tourner vers la fenêtre, j'ai le temps de voir son air surpris puis agacé mais je fais comme si de rien n'était. Elle soupire bruyamment avant de continuer à rouler en silence.
Pourquoi ne peut-elle pas comprendre que là, sa mère est le dernier de mes soucis ? Ma famille est au bord du gouffre et elle s'imagine que je vais réussir à me concentrer sur une femme qui l'a abandonnée ? Il ne faut pas trop m'en demander.
En arrivant près de l'école, nous marchons en silence vers notre classe. Engoncée dans sa grosse veste d'hiver, je sens son regard qui revient sans cesse sur moi mais je décide de faire comme si je le remarquais pas. Je n'ai pas envie de parler de sa mère, de tout ce qui ne va pas, je n'ai pas envie de parler tout court.
Lorsque nous entrons dans la classe, je ne peux m'empêcher de m'arrêter un instant.
Julien est revenu.
Depuis une semaine, son absence, tout comme celle de mon frère, n'est pas passée inaperçue. Je ne compte pas le nombre de personnes qui sont venues nous demander où étaient passés mon jumeau et son « meilleur ami ». Cela m'a valu pas mal de silences gênés quand je ne savais pas quoi leur dire. À ce moment-là, j'ai été heureux qu'Iris prenne les choses en mains en leur racontant qu'ils étaient malades ou je ne sais quelles autres conneries.
Julien est désormais assis au fond de la classe.
Les mains dans les poches, le visage tourné vers les fenêtres, son regard semble plongé dans la contemplation du ciel. Vic et Tristan l'observent curieusement un peu plus loin mais semblent trop intimidés par l'aura morose qui flotte au-dessus de notre ami pour s'approcher.
Après avoir ouvert la tirette de sa grosse veste et poussé un petit soupir, Iris prend son courage à deux mains et va s'asseoir sur le banc juste en face de lui. Une fois installée, elle tourne son regard vers moi et après avoir haussé un sourcil agacé, me fait signe de la rejoindre. Indécis, je resserre la prise sur les bretelles de mon sac mais un autre regard appuyé me décide à bouger.
En approchant de Julien, je ne peux empêcher mon ventre de se nouer à la vue de la douleur qu'il ne semble pas vouloir, ni même savoir cacher. Il a mis un bonnet et les cernes qui soulignent ses yeux pourraient avoir été peintes tant leur intensité semble exagérée. Ses yeux sont tellement rougis et gonflés qu'il parait presque avoir du mal à les fermer. Les poings dans ses poches ne nous empêchent pas de constater les légers tremblements qui les agitent.
Il fait mal à voir.
Le jour où il m'a demandé où étais Syrius, je savais que ce n'était pas une bonne idée qu'il y aille. Mais j'espérais bien innocemment qu'il arrangerait les choses. Mon frère avait l'air tellement bouleversé et Julien est le seul à toujours avoir réussi à le consoler, je me suis donc dit que comme toujours, à deux, ils arrangeraient les choses.
Quelle mauvaise idée.
Le lendemain quand notre ami n'est pas revenu en cours et que Syrius s'est encore davantage terré dans son mutisme, j'ai douloureusement déduit que je m'étais trompé.
- Salut Julien, dit Iris en se penchant légèrement dans sa direction.
Notre ami tourne son regard éteint vers nous.
- Salut, marmonne-t-il.
Quand ses yeux se posent sur moi, un voile de tristesse s'y glisse et son visage se crispe. Il déglutit difficilement avant de se détourner. Je sais bien que malgré toutes nos différences, mon jumeau et moi avons des traits extrêmement similaires et pendant un instant, je suis désolé que ça lui fasse de la peine.
- Comment tu vas ? demande ma voisine d'une voix que je trouve légèrement trop enjouée pour cette situation.
Il souffle et hausse les épaules mais ne prend pas la peine d'y répondre. Il n'en a de toute manière pas besoin, son attitude est bien assez éloquente.
Après s'être légèrement mordu la lèvre inférieure, il relève ses yeux rougis vers moi puis les baisse tout de suite vers le banc en fronçant les sourcils.
- Comment va-t-il ? demande-t-il finalement d'une voix rauque en se plongeant dans la contemplation des petits mots écris à l'indélébile sur le banc.
Je resserre ma prise sur les bretelles de mon sac que je n'ai pas encore déposé.
J'ai rendu visite à Syrius le dimanche et j'ai eu l'impression d'entrer dans l'antre de la personnification même de la souffrance et de la tristesse. Comme si tout l'air s'était chargé d'une tension douloureuse qui m'avait moi-même attaqué de plein fouet, me donnant envie de pleurer après quelques secondes dans cette pièce fantomatique.
Mon frère était allongé sur son lit, son bras cassé contre lui, il fixait le plafond dans un état léthargique qui m'a fait froid dans le dos. Les rideaux étaient tirés et ne laissaient passer qu'un mince rai de lumière , qui, pour accentuer l'horreur de la scène, barrait son visage éteint et soulignait sa mine affreuse. Ses yeux gonflés et ses lèvres gercées jusqu'à en saigner n'étaient qu'un infime signe de son état pitoyable comparé au reste de son corps qui semblait presque paralysé.
Je me suis assis à côté de lui mais il n'a même pas semblé s'en apercevoir.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté, je ne savais même pas quoi dire, alors j'ai pris sa main valide dans la mienne et je l'ai serré longtemps.
Au bout d'un moment, il a fermé les yeux et j'ai cru qu'il s'était endormi mais son corps a commencé à trembler et de grosses larmes ont coulé sur ses joues. Il a pincé les lèvres mais cela n'a pas suffi à retenir ses sanglots qui se sont petit à petit intensifiés jusqu'à en devenir des plaintes qui m'ont retourné et que je n'arriverai sûrement pas à oublier.
Je l'ai pris dans mes bras et j'ai attendu que ses pleurs se calment. Ça a pris du temps, beaucoup de temps, mais quand la nuit est tombée, il s'est endormi.
Ce soir-là, il m'a brisé le cœur, toute la colère et la jalousie que j'avais à son égard se sont effacés pour ne laisser place qu'à la peine extrême de ne pas savoir comment l'aider.
Je tourne les yeux et plonge mon regard dans celui de Julien qu'il a relevé vers moi. Je ne peux pas lui dire à quel point Syrius va mal. Ce serait beaucoup trop cruel.
- Je ne sais pas. Il ne parle pas.
Ce qui n'est concrètement pas faux.
Julien fait la moue, descend un peu plus son bonnet gris puis replonge ses mains tremblantes dans ses poches.
- Est-ce que vous ? commence Iris.
Notre ami fronce les sourcils.
- Est-ce que nous ?
Elle prend son inspiration avant de lâcher rapidement :
- Vous avez rompu ?
Je lui donne un coup de coude en fronçant les sourcils.
Elle se fiche de moi ou quoi, c'est possible d'avoir un tel manque d'empathie ?
- Sérieusement Iris ? je grogne.
Agacée par ma remarque, elle roule des yeux.
- Quoi ? Il faut dire les choses comme elles sont !
- Ça c'est clair que tu te retiens pas toi hein ? je souffle exaspéré.
Nous nous dévisageons un instant. Elle parait surprise tandis que moi je suis tellement énervé par son comportement que j'ai envie de lui sortir tout ce que je retiens depuis une semaine. Mais comme d'habitude, je garde mon calme et me tourne à nouveau vers Julien qui n'a même pas l'air de s'être rendu compte de l'ambiance tendue entre elle et moi.
Il soupire puis secoue la tête.
- Franchement Iris, j'en sais rien. Et je ne veux pas en parler de toute façon, murmure-t-il la voix légèrement tremblante.
Après avoir bossé chez Jozz, Iris me conduit chez mes grands-parents pour que je vois Syrius.
La boutique était calme aujourd'hui et je me suis donc occupé d'accorder quelques guitares et d'essayer une basse qui vient d'arriver et qui m'a donné envie de dépenser toutes mes payes des derniers mois, mais comme je suis réaliste cela n'arrivera pas, dommage. Iris, elle, est restée assise dans un coin et a recopié les feuilles d'un cours qu'elle a raté en se rendant chez son médecin en début de semaine.
Elle ne m'a pas adressé un mot et c'est à peine si son regard a daigné se poser sur moi.
Depuis l'épisode devant Julien ce matin, l'ambiance est tendue entre nous et cette fois-ci, je n'ai pas envie de faire le premier pas, je n'ai pas envie d'être le Noah tolérant qui s'excuserait, hausserait les épaules puis continuerait à l'écouter parler.
À vrai dire, j'en ai marre d'être gentil.
J'en ai marre de dire oui.
Ces derniers temps, j'aurai presque envie de réellement me barrer, mais pas pour retrouver quelqu'un, juste pour moi, pour laisser tout ce qui va pas de côté un moment et prendre le temps auquel j'ai droit. Aller si loin que tout ce que je connais me paraîtrait lointain et que je puisse oublier à quel point chez moi, les choses ne vont pas.
En tout cas, ce que j'ai dit lui a apparemment fait passer l'envie de parler et aussi cruel que ça puisse sembler, ça me fait du bien. Malgré la tension qui règne entre nous, ce silence me donne l'impression de pouvoir souffler. Je vois bien qu'elle n'est pas du même avis étant donné sa mâchoire crispée, ses mains serrées sur le volant et ses yeux plissés mais elle ne parle pas pour autant et c'est apaisant.
Nous n'avons même pas mis la musique. La seule chose que nous entendons, c'est le bruit de la soufflerie qu'elle a branché pour chasser la buée des vitres.
Quand elle se gare devant le grand portail, elle ne se tourne pas vers moi et continue de fixer la route devant elle.
- Tu veux que je t'attende ? marmonne-t-elle.
Je hausse les épaules.
- Je ne sais pas combien de temps ça va prendre.
Un sourire narquois apparaît sur ses lèvres.
- Oh de toute façon, j'ai un tas de choses à penser, tout ce que je retiens pas, tu vois ? grogne-t-elle en me fusillant du regard.
Je lève les yeux au ciel puis ouvre la portière.
- Tu sais quoi, va réfléchir chez toi, m'attends pas, je préfère encore rentrer en bus, je soupire en sortant mais je sens sa main agripper le dos de ma veste.
Je me tourne vers elle, les sourcils froncés et je tombe sur ses grands yeux tristes.
- Noah, pourquoi on se dispute toujours comme ça ?
Je hausse les épaules.
- Tu me demandes vraiment pourquoi ? Franchement, réfléchis y en rentrant chez toi, là j'ai ma dose moi, salut, je grogne avant de me dégager de sa prise, de sortir et de claquer la portière.
Je ne me retourne même pas pour la voir partir tandis que je sonne à l'interphone.
Après quelques secondes, je l'entends tout de même s'en aller et j'en ai la gorge nouée.
Je déteste ce que tout ça fait de moi, je déteste me prendre la tête, surtout avec elle, mais là je n'en peux plus.
Quand j'entre dans la chambre que mon frère occupe, je dois plisser les yeux pour l'apercevoir. La nuit commence à tomber et l'obscurité gagne peu à peu la pièce.
- Syrius ? je murmure.
Un mouvement près de la fenêtre attire mon regard. Un infime soulagement m'envahit quand je comprends qu'il a quitté son lit.
- Qu'est-ce que tu fais là ? grogne la voix cassée de mon jumeau.
Je m'approche et le discerne, assis sur l'appui de fenêtre, une couverture posée sur ses épaules nues.
Je m'installe en face de lui sur cette banquette où nous avons si souvent installé tous nos Legos quand nous étions petits et qu'on jouait pendant de longs après-midi.
- Je viens voir comment tu vas.
Mon jumeau plisse les yeux et grince des dents.
- Comment crois-tu que je vais ? soupire-t-il après un bref instant.
J'observe son bras dans son attelle et ses cheveux ébouriffés dans tous les sens. Je n'ai même pas besoin d'allumer la lumière pour voir que son visage est aussi triste à voir que la dernière fois.
- Tu vas rentrer à la maison ? je demande prudemment.
Il souffle et secoue la tête.
- Non.
- Tu vas vivre ici indéfiniment ?
- J'en sais rien putain. Pourquoi tu me demandes ça ? Je sais même pas ce que je vais faire demain alors me parle pas du reste.
- Mais il ne faut pas que tu restes enfermé comme ça. Il faut que tu sortes, que t'essayes de te remettre à vivre normalement.
Il s'esclaffe en secouant la tête.
- C'est bien beau de dire ça mais je ne peux rien faire normalement, comme avant.
- C'est faux, tout ne sera plus comme avant mais ta vie n'est pas foutue Syrius.
- Ma vie n'est pas foutue ? Sérieusement ? Papa me déteste et m'a littéralement cassé le bras. À cause de ça, je peux pas courir, ni même prendre de photos ! Et si je peux pas prendre de photos, comment je vais continuer ma formation et mon book pour rentrer dans l'école de photo l'année prochaine ?
Je fronce les sourcils.
- L'école de photo ?
Il souffle.
- Ouais l'école de photo. Un projet avorté avant même d'avoir débuté, marmonne-t-il douloureusement.
Il ne m'avait jamais parlé de ça.
- Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu allais dans une école de photo ?
Il baisse le regard et hausse son épaule valide.
- Je n'avais pas encore envie d'en parler.
Je serre les poings.
Nous n'avons jamais été proches au point de nous confier tous nos secrets mais le fait qu'il ne m'ait même pas parlé de quelque chose d'aussi déterminant pour lui me blesse.
J'ai naturellement toujours partagé les choses importantes de ma vie avec lui, je croyais qu'il en faisait de même. Apprendre qu'il ne me fait manifestement pas assez confiance pour me parler de ce genre de chose me fait mal mais je décide de ne pas le laisser paraître.
Ce n'est pas ce dont il a besoin maintenant.
- Nous pouvons t'aider pour la photo Syrius. Tu n'es pas seul. Iris, Julien et moi pouvons t'assister, faire ce qui t'es impossible. On est là pour toi.
À la mention de Julien, ses épaules se crispent.
- Je ne sais même pas si j'en ai encore réellement envie, marmonne-t-il.
Je serre les dents.
- Qu'est-ce que tu veux ? Parce que si je ne le sais pas, je ne pourrai pas t'aider.
Il secoue la tête.
- Je ne pourrai jamais avoir ce que je veux, souffle-t-il en regardant par la fenêtre.
Je me relève et me dresse devant lui.
- Bordel Syrius, si tu n'essaies pas, moi je ne peux rien pour toi !
- Mais qu'est-ce que tu veux que j'essaie ?! J'ai tout fait foirer !
- Mais non tu n'as pas tout fait foirer ! Papa n'est pas un dieu qui a le contrôle sur toute ta vie ! Rien n'est terminé ! Au contraire, tout ne fait que commencer, maintenant, c'est à toi de choisir ce que tu veux vraiment devenir sans qu'il ne décide à ta place! Tu peux enfin être vraiment toi-même !
Il continue de secouer la tête.
- Ça a l'air si facile pour toi. Tu t'es toujours contrebalancé de ce qu'il pensait. Tu as toujours fait ce que tu voulais. Mais moi je ne suis pas comme toi. Je ne sais pas comment faire ça.
- Tu te trompes, pendant tout un temps, il y'a beaucoup de choses que je n'ai pas faites à cause de lui. Ce qu'il m'a dit et me dit encore m'a toujours touché mais au bout d'un moment, j'ai décidé de continuer malgré ça, parce que personne ne peut réaliser nos rêves pour nous Syrius. Si tu laisses les autres te mettre des bâtons dans les roues, si tu abandonnes à cause de ce qu'on te dit, sans t'être battu jusqu'au bout, tu seras le seul à souffrir de tes regrets plus tard.
Il me fixe un long moment et je sais que mes paroles l'ont percuté à la façon dont il pince les lèvres. Mais après un moment de réflexion il baisse le regard.
- Tu ne comprends pas, j'ai besoin qu'il approuve ce que je fais, j'ai besoin de lui. Mais contrairement à toi, il ne pourra jamais me pardonner ce que je suis ! Moi il me voit comme une .... il ne me verra jamais autrement que comme une pédale.
Je plisse les yeux.
- J'ai l'impression que tu te cherches des excuses là, vraiment. Parce que bon sang, ça fait des semaines que tu vis ta vie sans trop te soucier de lui et tout allait bien non ? Je dis pas que ce sera facile de recommencer, et je sais même pas comment tout va se passer avec lui mais il n'est pas le seul pour qui tu comptes ! Pour moi, rien ne changera jamais, que tu aimes une nana ou un gars, tu resteras mon jumeau et rien ne nous séparera, tu le comprends ça ?
Son souffle me fait savoir qu'il se retient de pleurer.
- Je suis sûr que maman, Emma et tous les autres, pensent ou penseront comme moi. Alors ne désespère pas, et arrête de croire que tu es seul face à tout ça, car ce n'est pas le cas.
Il fait la moue et essuie ses larmes de son bras valide avant de tourner son visage vers la fenêtre pour essayer de se cacher.
- Moi ce que je veux vraiment, c'est que tout redevienne comme avant. Tout ça, c'est trop pour moi, je ne le supporte pas.
Je fronce les sourcils.
- Et Julien alors ? Tu aurais aimé que rien ne change entre vous ?
Il se crispe au possible et serre ses lèvres tremblantes un moment avant de mettre une main sur son visage pour que je ne le vois pas pleurer.
- J'en sais rien. Je ne comprends plus rien. Et franchement, à quoi bon essayer si c'est pour que tout se termine comme ça ? Reprend t-il la voix vacillante.
- Mais tout n'est pas terminé ! Arrête de dire ça !
- C'est facile pour toi de dire ça ! Ton groupe fonctionne, tu t'es trouvé une copine, tu sais ce que tu vas faire plus tard et tout le monde l'accepte ! Moi tout a changé cette année, tu imagines si tout le monde commence à me regarder différemment ? Je ne peux pas, je ne le supporterai pas
Je me masse la nuque en pensant à la mine malheureuse de Julien se matin. J'ai de la peine pour lui, vraiment beaucoup de peine.
- Donc le vrai problème c'est pas spécialement papa, c'est seulement...Julien, c'est ça ?
Syrius ne répond plus mais j'ai dû viser juste car il ramène ses genoux devant lui et enfouit son visage dessus avant de replier son bras valide pour se cacher encore davantage de moi. C'est une bien piètre tentative car tout son corps s'est si soudainement mis à trembler que je n'ai aucun doute sur le fait qu'il s'est sérieusement remis à pleurer.
- Je ne sais pas, souffle-t-il douloureusement.
- Oh si tu le sais. Et la seule chose que tu dois décider maintenant, c'est si tu auras les couilles d'assumer qui tu es et ce que tu désires ou si tu feras ce que tu as toujours fait, t'adapter aux désirs des autres et vivre la vie de quelqu'un d'autre.
Je donne une légère tape sur son épaule valide.
- Tu sais déjà ce que tu veux faire Syrius, alors prends ton courage à deux mains et lance toi. De toute manière que peut-il arrive de pire que ce qui s'est déjà produit ? Il faut seulement que tu apprennes à avancer et les choses finiront par aller mieux.
Comme je le lui ai demandé, Iris est rentrée et j'ai donc pu retrouver « les joies » de prendre le bus. Les gosses qui passent en bousculant tout le monde et qui s'affalent de tous leurs longs aux places libres, les travailleurs fatigués qui lancent de regards noirs si on ose les frôler, j'adore prendre le bus, vraiment.
Cette expérience aurait pu être moins désagréable si je ne m'étais pas rendu compte que j'avais oublié mon casque. Là pour le coup, ça m'a moi-même donné envie de flinguer la gonzesse qui s'est assise à côté de moi en brandissant son iPhone et en secouant la tête au rythme de sa musique beaucoup trop forte.
En remontant ma rue, je passe devant la maison d'Iris et constate quelques raies de lumières derrière ses rideaux tirés. Cela me rassure, si elle n'était pas rentré, je crois qu'après ma discussion avec Syrius qui m'a mis assez à fleur de peau, j'aurai carrément frôlé la crise de nerfs.
En rentrant dans le hall d'entrée à la maison, je vois deux gros sacs encore ouverts et contenant les fringues de mon père entassées dans tous les sens, sans aucun ordre, ce qui ne lui ressemble pas.
Troublé, je dépose mon sac et marche vers le salon mais Emma se précipite vers moi, les yeux rouges en secouant la tête et en mettant un doigt devant ses lèvres pour m'intimer de me taire.
Je fronce les sourcils et la laisse m'emmener légèrement à l'écart tandis qu'un soudain éclat de voix nous fait tous les deux sursauter.
- Tu n'as pas le droit de dire de telles choses ! Ton fils est ce qu'il est et tu dois l'accepter ! C'est tellement ignoble de mentir sur l'amour et la fierté que tu éprouves pour lui et de t'en séparer à cause de cela ! Il est toujours le même ! Alors ne dis pas ça !
Le cœur battant, je fais un pas pour m'approcher du salon malgré Emma qui me tire en arrière. Je passe doucement les yeux et constate qu'ils se font face. Mon père porte sa tenue militaire tandis que ma mère est dans l'une de ses tenues de sport habituelles.
- Je n'ai pas élevé ce garçon pour qu'il soit comme ça, pour qu'il devienne ça.
- Ah parce que tu penses que tu l'as élevé ? Mais où étais tu pendant qu'il grandissait ? Tes enfants ont toujours vécu dans la crainte de ce que tu penserais d'eux à chaque fois que tu rentres de missions ! Ils ne demandent qu'à se faire aimer et toi, tu as tout gâché. Depuis des années avec Noah et maintenant avec Syrius ! Je ne le supporte plus ! Je n'ai pas besoin de vivre avec un homme psychorigide et homophobe. Je t'interdis d'oser encore dire la moindre chose de mes enfants devant moi ! crie-t-elle.
- Calme toi, souffle mon père d'une voix faible que je ne lui ai jamais entendu.
Il s'avance mais elle recule en secouant la tête.
- Comment veux-tu que je me calme ! Cela fait des jours, non qu'est-ce que je dis, des années que je supporte tes convictions et tes attentes conditionnées par un mode de vie bien trop carré mais aujourd'hui je n'y arrive plus. Je ne veux plus de tout ça. Je veux que Syrius rentre à la maison et qu'il ose montrer la joie et le bonheur qu'il partage avec le garçon qu'il aime, je veux qu'il aille dans cette école de photographie dont il n'a même pas encore osé me parler ! Je veux que Noah puisse jouer de la musique et enfin se sentir bien comme il est, ce qu'il n'a jamais pu faire avec les remarques que tu lui as toujours fait et je veux qu'Emma grandisse dans un environnement sain où elle n'aura pas peur de faire des choix quant à la personne formidable qu'elle deviendra !
Mon père fronce les sourcils.
- Mais j'ai toujours fait cela pour leur bien !
Ma mère s'esclaffe amèrement.
- Pour leur bien ? Tu crois vraiment que ça a fonctionné ?
Ils se dévisagent, ma mère avec une rage qu'elle ne semble pas vouloir cacher et mon père avec une tristesse qui me fait froid dans le dos.
- Qu'essaies tu de me dire ? finit-il par demander.
Ma mère serre les poings.
- Je ne veux plus que l'on vive ensemble. Je veux qu'on divorce.
Mon père se crispe et secoue la tête tandis que tout mon corps se met à trembler.
- Ne fais pas ça.
- Ma décision est déjà prise.
Il émet un drôle de bruit et je dois cligner plusieurs fois des yeux pour me rendre compte qu'il s'est mis à pleurer.
Je décide que j'en ai assez vu et après m'être retourné, je constate qu'Emma a disparu. Trop choqué pour aller à sa recherche, je pose une main sur ma bouche pour empêcher un quelconque son d'en sortir puis je quitte la maison.
Je cours jusqu'à celle d'Iris tandis que les larmes inondent mes yeux.
Ces derniers jours, je me suis attendu plusieurs fois à ce que cette décision tombe et pourtant, maintenant que ça arrive, j'ai réellement l'impression que tout s'écroule. Comme si ce qui s'était passé avec Syrius n'avait été que les premiers coups de grue qui avaient détruit les murs de notre maison et que maintenant, les parents se chargeaient eux-mêmes d'en démolir les bases.
Je ne sais pas comment elle a fait, si elle observait la rue et qu'elle m'a vu arriver mais dès que j'arrive devant son entrée, elle ouvre la porte et là je ne retiens plus mes larmes.
J'éclate en pleurs devant elle et il ne lui en faut pas plus. Elle s'approche de moi et me prend dans ses bras sans me poser la moindre question.
Je ne sais même pas combien de temps cela dure.
Tandis que je l'entoure de mes bras, j'enfouis mon visage baigné de larmes au creux de son cou et je sens sa main caresser doucement mon dos dans un geste de soutien.
Elle finit par en remonter une dans mes cheveux et m'amène encore davantage contre elle.
- Je veux partir Iris, je veux partir loin d'ici, je finis par lâcher entre deux sanglots.
Assis sur son lit, nous nous observons.
Ses cheveux sont relevés dans un chignon avec un pinceau et son mascara a légèrement coulé sous ses yeux mais je la trouve toujours aussi belle. Des tas de feuilles de dessins sont éparpillées au sol et je reconnais le portrait de Mark, le belgo-coréen qu'elle m'a présenté un jour où je l'ai accompagnée à l'atelier.
- Tu veux qu'on parte maintenant ? Répète t-elle encore une fois.
- Ouais, je murmure en détournant le regard.
Elle se mordille la lèvre et fixe son bureau sur lequel est toujours posée la lettre de sa mère.
- Réfléchi bien Noah, je te laisse encore une chance de changer d'avis mais après, je ne pourrais plus, tu sais à quel point j'en ai envie moi aussi.
Je me masse les tempes. Elle me casse les pieds avec ça depuis presque trois semaines, si je le lui dis c'est que ma décision est prise.
C'est une mauvaise idée, une très mauvaise idée et pourtant là, pour une fois, j'ai envie de suivre les conseils que j'ai donné à Syrius, faire ce que moi je veux, vivre, suivre mon instinct, ne pas trop réfléchir, partir, ne pas me soucier de ce que pensent les autres, des conséquences.
- Je suis sûr que je veux partir Iris. Je me fous de l'endroit où on va, éloigne-moi juste de tout ça.
Elle se mordille la lèvre puis attrape sa main, noue ses doigts aux miens et acquiesce.
- Dans ce cas nous partirons demain.
Cela fait maintenant des heures qu'on roule.
Le soleil monte lentement dans le ciel et nous quittons définitivement la Belgique en traversant la frontière française. Tandis que le paysage défile au fur et à mesure des kilomètres qui me séparent de la maison et que mon esprit revient peu à peu à la raison, le doute s'installe en moi.
A-t-on eu raison de partir aussi vite ?
Aurais-je dû en parler aux autres ? Ils auraient sûrement pu me calmer et me dissuader d'accepter de partir dans cette recherche folle. J'ai même envie d'espérer qu'ils auraient peut-être pu trouver les mots pour la raisonner.
Je secoue vivement la tête. Quelle idée stupide.
Personne ne peut raisonner Iris. Ni moi, ni même son père.
Et ne parlons pas de mes parents. Je ne sais même pas s'ils ont déjà remarqué mon absence.
Je voulais partir et si je n'avais rien fait, j'en suis persuadé, elle aurait disparu seule. Je ne pouvais pas la laisser faire.
Je n'ai qu'à tourner la tête et la regarder pour être sûr de mon choix.
Dans son autoradio, ma clef usb passe les chansons qu'on aime et avec lesquelles on a passé de si bons moments durant cette année. Elle ne semble cependant pas s'en apercevoir.
Sa mine est déterminée tandis qu'elle conduit. Elle se mordille la lèvre et serre le volant entre ses mains comme si sa vie en dépendait. Sa fenêtre est ouverte et sa chevelure vole dans tous les sens autour de son doux visage. Je me retiens d'y passer la main par crainte de briser cette image d'une Iris forte et sûre d'elle alors que je connais pourtant maintenant ses nombreuses faiblesses.
Je serre mes poings, les empêchant de trembler tandis que nous filons à toute allure sur l'autoroute française. Si on m'avait dit à quel point ma vie changerait en la rencontrant en début d'année, je ne l'aurai pas cru. Je n'aurai jamais imaginé un jour être celui qui se lancerait dans une aventure rocambolesque avec une fille.
Tout ce qui est arrivé depuis que je la connais me parait si irréel que j'ai du mal à croire que c'est vraiment moi qu'elle a embrigadé dans tout ça.
J'espère que nous allons la retrouver, cette femme qui crée un orage perpétuel dans le cœur de la personne qui m'a montré à quel point on peut aimer.
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