Chapitre 26
Céleste est partie, il y a un peu plus d'une heure. Depuis, je tente de terminer mon dessin mais il y a toujours quelque chose dont je ne suis pas satisfait. Un trait, une ombre, une expression... Mais comme dirait mon amie, mon cerveau cherche seulement à retarder le moment où je devrais passer à l'action. Je souffle à fond et me laisse aller contre le dossier de ma chaise.
Mon regard s'évade dehors, m'informant que la vie ne m'a pas attendu. La nuit est tombée. L'éclairage urbain a pris le relai du soleil. Les petites fenêtres se sont, elles aussi, allumées. Tous les locataires profitent de leur soirée devant la télé, ou en plongeant dans un bon livre. Certains sont au téléphone, d'autres jouent à la console. Une famille est encore en train de dîner.
Je porte mon attention à mon dessin et comprends ce qu'il lui manque. L'éclat des étoiles. Je souris, heureux d'avoir trouvé le détail qui changera tout. Je récupère mon matériel et m'applique à donner de la couleur à ce bout de papier que je maltraite depuis de trop nombreuses heures. Il me faut encore un bon quart d'heure pour atteindre le résultat escompté.
Quand j'ai fini, je prends la décision de manger un yaourt n'ayant rien avalé depuis le déjeuner de la veille et lance la cafetière. Puis je vais prendre une douche. J'hésite longuement sur ma tenue mais décrète que rester naturel est sûrement la meilleure chose à faire. Un pantalon beige et un pull marron plus tard et je bataille dur pour discipliner mes cheveux.
Je balance mon peigne, exaspéré et sors de la salle de bain. Je me dirige vers la terrasse et à travers la baie vitrée, vérifie que tout est installé comme je le souhaite. Les rockings chairs sont l'un à côté de l'autre, seulement séparés par une petite table sur laquelle je poserai les boissons chaudes. Céleste a jeté négligemment les plaids sur les assises. D'ici, je ne peux pas le voir, mais il y a un carton où il y a des dessins que je n'ai jamais montré à personne. Le tout est éclairé par les guirlandes que nous avons accrochées un peu partout.
Je hoche la tête, satisfait. Cette fois, je ne peux plus reculer. J'inspire à fond et vais récupérer mon dernier dessin qui se trouve sur mon bureau. Je traverse mon appartement et sors dans le couloir de mon étage. Je me place bien droit devant la porte de Dante. La peur s'infiltre en moi, tout comme cette pointe d'impatience. J'ignore ce que ça va donner mais je n'ai plus rien à perdre. J'ai déjà perdu Dante.
— Allez tu peux le faire, murmuré-je pour moi-même.
Je m'accroupis et fais glisser le papier sous la porte. Je suis soulagé de voir que ça fonctionne et qu'il disparait de l'autre côté. Je me passe une main sur le visage avant qu'elle aille frapper doucement quelques coups sur le battant en bois. Je me redresse et retourne chez moi, sans prendre la peine de fermer derrière moi.
Sans la moindre hésitation, j'agis comme si j'avais répété cette scène des centaines de fois. Après un passage rapide dans la cuisine pour récupérer deux tasses de café, je vais m'asseoir sur mon rocking chair, sans oublier de bien positionner mon plaid sur les genoux.
Puis j'attends.
Longtemps.
Trop longtemps.
Je n'ose pas jeter de coup d'œil à l'intérieur de l'appartement. Je garde les yeux sur les guirlandes qui m'apportent un peu de chaleur, de réconfort dans ces instants d'indécision. Aussitôt, mon cerveau se fait un plaisir de lister toutes les raisons pour lesquelles je suis encore seul ici.
Dante n'était pas chez lui.
Il n'a pas entendu les coups que j'ai donnés.
Il n'a pas ouvert sa porte.
Il n'a pas compris que je voulais qu'il vienne.
Il n'a pas saisi que ça venait de moi.
Il n'était pas seul.
Il souhaite encore rester loin de moi.
Il est passé à autre chose...
C'est à cette dernière proposition cérébrale que je me stoppe. Je veux bien que toutes les autres soient plus ou moins plausibles mais il est impossible que Dante m'ait oublié. Sa confession date d'il y a trois jours. Je veux bien admettre que je sois facilement remplaçable mais peut-être pas à ce point. N'est-ce pas ?
Et maintenant j'angoisse pour ça. Aurais-je mis trop de temps à comprendre ? Je regrette de ne pas avoir pris mon téléphone pour envoyer un message d'urgence à Céleste. J'enfonce mes mains sous le plaid, et les coince entre mes cuisses. Une de mes jambes commence à s'agiter sous la peur. Mes paupières se ferment et je me concentre sur ma respiration pour m'empêcher de trop réfléchir.
Des petits coups portés à un carreau me font sursauter. Ma tête se tourne brusquement, évitant de peu le torticolis et mon regard rencontre celui de Dante. Il semble hésitant, un peu perdu. Mais au lieu de le rassurer, je me contente de me ressourcer de sa vision.
Ça ne fait que trois jours et pourtant, j'ai la sensation que cela faisait une éternité que je ne les avais pas vus. Lui et ses yeux chocolat. Lui et ses grains de beauté qui constellent ses pommettes et son nez. Lui et son petit bouc. Lui et ses lèvres pleines. Il n'a pas changé et pourtant, je le perçois autrement. Mon cœur s'accélère à sa vue et mon estomac me fait regretter mon fichu yaourt.
Habillé du jean délavé et d'un pull noir qui mettent son corps élancé en valeur, il est parfait. Mon regard se permet de le détailler plus en détails et si je ne savais pas me tenir, je baverais peut-être déjà dessus. Mais je reviens finalement à moi quand il baisse la tête, mal à l'aise. Il tient à la main mon dessin qu'il relève en disant :
— J'ai reçu ça. Tu n'aurais pas une petite idée de l'expéditeur ?
Je sens une légère timidité mais le Dante joyeux qui squattait à la maison à n'importe quel moment est toujours là. Je ne peux retenir le sourire qui apparaît à cet état de fait.
— Aucune ! Fais voir, lui demandé-je gentiment en lui faisant signe de s'approcher.
Il hésite un quart de seconde puis fait ses premiers pas sur ma terrasse. Il ne paraît pas s'intéresser à la décoration que Céleste et moi avons mis cette après-midi. À la place, il plonge son regard dans le mien tout en avançant. Mes joues chauffent, peut-être aussi mes oreilles. Il me tend mon dessin que je ne prends pas la peine de regarder et j'entre dans le petit jeu sans savoir où il va me mener.
— Sympa. Peut-être un peu bâclé par certains endroits mais...
— Il est parfait, me coupe Dante.
Je chuchote un merci en passant une main dans mes cheveux avant de tenter de reprendre contenance. J'humidifie mes lèvres mais j'ignore quoi faire à présent. J'ai le sentiment qu'il faudrait que je dise quelque chose de profond, de sincère... Cependant, je me perds dans son regard qui brille un peu trop avec ses lumières artificielles.
— Je peux m'asseoir ? me demande-t-il en faisant signe vers le second rocking chair.
Je hoche frénétiquement de la tête et il ne tarde pas à prendre place à mes côtés. Il se recouvre du plaid et laisse échapper un soupir.
— Si tu as froid...
Je déglutis face à ma bêtise. Bien sûr qu'il a froid. J'aurais presque envie de me frapper le front. Pourquoi choisir cet endroit alors qu'on est en hiver ? J'aurais dû faire ça dans mon atelier. Cela aurait peut-être eu plus de signification pour Dante.
— J'ai fait du café, si tu en veux.
Je lui montre de ma main libre les tasses qui patientent sur la petite table entre nous.
— Oh merci.
Il s'empare de la sienne et l'entoure pour se réchauffer les doigts.
— Il n'est sûrement pas aussi bon que le tien mais...
— Il sera très bien, ne t'inquiète pas, m'assure-t-il, un sourire rassurant aux lèvres.
Je hausse les épaules et me détourne de la vue de ses mains alors qu'il porte son mug à sa bouche.
— C'est quoi ?
Dante fait un mouvement du menton pour me signifier qu'il parle de mon cadeau. Cette fois, je lui jette un coup d'œil. J'ai dessiné la scène que nous vivons actuellement à quelques détails près. Vus de derrière, les deux personnages sont installés sur le ponton d'un lac. Emmitouflés dans des couvertures, ils observent les étoiles qui les surplombent.
— Mon nouveau projet, annoncé-je.
Je relève les yeux vers Dante qui me fixe avec intensité.
— Tu attendais que je te partage mon univers alors voilà... Ce sont mes nouveaux personnages. Et je ne vais pas te mentir ni même me cacher la réalité, ils sont fortement inspirés de... nous deux.
Sa bouche s'ouvre sous la surprise.
— En tout cas physiquement parce que celui qui me ressemble est bien plus futé que moi.
Dante laisse un léger rire lui échapper.
— Tu l'es aussi, affirme-t-il.
— Non. Sinon j'aurais compris bien des choses plus tôt.
Ma phrase nous plonge dans un froid qui n'a rien à envier à celui extérieur. Je ne sais pas comment me rattraper, comment lui expliquer la situation.
— Je suis désolé, commencé-je mais les mots me manquent.
— Tu n'as pas à t'en vouloir pour ce qui s'est passé, tente-t-il de me rassurer. Et surtout d'être intéressé par un autre.
Il se frotte un peu le nez qui devient un peu rouge. Son regard se pose partout sauf sur moi.
— Les attirances et les sentiments ne se contrôlent pas.
— En effet, confirmé-je abruptement.
Dante se pince les lèvres. Encore une fois, j'ai été maladroit. Comment je peux être auteur et ne pas savoir m'exprimer ? La règle est de ne pas tourner autour du pot et lui dire les choses telles qu'elles sont.
— C'est pour ça que j'ai rompu avec Swann !
— Pardon ?
Nos regards s'accrochent. Le sien cherche l'assurance qu'il n'a pas rêvé mes mots. Je lui souris et lui explique :
— Il était sympa mais beaucoup trop jaloux. Puis on n'avait rien en commun et surtout il n'y avait aucune complicité entre nous.
Je tente même de plaisanter :
— Et il ne connait même pas la Madeleine de Proust alors qu'il s'appelle Swann !
— C'est vrai que c'est impardonnable, ça, s'amuse-t-il.
— Mais oui !
Je remonte un peu le plaid sur mes genoux, laissant l'humour s'effilocher puis me lance d'une petite voix comme si j'avais peur qu'il m'entende :
— Alors que toi, tu es plus que sympa...
— Plus que sympa ? C'est-à-dire ?
— Tu es gentil, drôle, intelligent, attentionné, beau...
Mon dernier mot n'est qu'un souffle. Je ne m'appesantis pas dessus d'ailleurs et continue mon raisonnement le concernant :
— Avec toi, j'ai plein de points communs. On passe toujours des bons moments ensemble et tu me manques quand tu n'es pas là.
— Qu'est-ce que tu essaies de me dire, Andrian ?
C'est vrai que mes mots pourraient être adressés à un vieil ami et qu'ils n'ont pas le poids que je désire leur mettre. Cependant, j'ignore lesquels utiliser pour montrer l'étendu de mes sentiments mais surtout leur sincérité.
— Hier, j'ai eu rendez-vous avec Swann et je me suis rendu compte que... ce n'était pas lui qui m'intéressait mais toi.
— Tu veux dire que...
— Que je ne peux pas supporter d'avoir une distance avec toi, ces trois jours ont déjà été une torture pour moi.
Je ne suis pas quelqu'un de tactile mais je prends sur moi et glisse ma main libre sur l'une des siennes qui tiennent toujours sa tasse. Aussitôt, il repose cette dernière sur la petite table et lie nos doigts avec tendresse.
— Je veux partager mes soirées, mes idées, mes dessins, mes rires, mes nuits... avec toi, lui avoué-je, plus touché que je ne l'imaginais.
Un sourire éblouissant se dessine sur ses lèvres pleines et illumine son visage. Il parait presque enfantin à cet instant.
— Moi aussi, me confie-t-il avec la même émotion que moi.
Je me sens soulagé par cette déclaration. Son pouce me caresse le dos de la main, m'encourageant à aller plus loin. Son regard me hurle qu'il en meurt d'envie mais qu'il ne fera rien sans mon consentement, me laissant le choix sur tout. J'ai en ma possession les commandes de la suite de cette discussion mais surtout de notre couple.
Je me rends compte alors qu'il me connait bien plus que je ne le pensais. Il sait que je ne suis pas un habitué des relations. Que j'ai besoin de temps pour réfléchir aux choses, pour me faire aux changements. Que je ne suis qu'un ours mal léché qu'il faut apprivoiser et non dresser. Alors il semble prêt à attendre que j'assimile tout ça pour passer à l'étape supérieure.
Attendri, je lui adresse un sourire. J'aimerais lui dire que ces dernières vingt-quatre heures m'ont déjà apporté tout ce dont j'avais besoin pour accepter mes sentiments et tout ce qui va avec. Cependant, à la place, je rapproche de lui le haut de mon corps avec lenteur. Mon cœur tambourine dans ma cage thoracique et semble exploser lorsque nos bouches se frôlent. Se cajolent. S'aiment.
Notre baiser ne pourrait pas être qualifié de fougueux ou de passionné. Il n'y a même rien de sexuel dans cet échange. Par contre, je suis envahi d'un mélange de sentiments profonds. C'est plus doux, plus sensible, plus intime. Aucun de nous ne cherche à approfondir ce que nous avons parce que cela nous convient, nous suffit pour ce soir. Je me sens en confiance, en sécurité d'une certaine manière et par-dessus tout aimé.
Je réalise alors que c'est ce que j'ai toujours attendu dans une relation. Dante a toujours été d'une écoute et d'une compréhension à toute épreuve. C'est de ça dont j'ai besoin. C'est de lui dont j'ai besoin dans ma vie. J'ignore combien de temps cela va durer mais je suis heureux de plonger, ce soir, la tête la première dans cette nouvelle aventure.
Après une caresse sur ma joue de sa main libre, Dante s'éloigne de moi, mettant fin à notre doux baiser. Nos regards s'accrochent et je ne pourrais pas aller mieux qu'à cet instant. Quoi que je ne dirais pas non s'il me prenait dans ses bras pour me réchauffer. Je me contente pourtant de lui dire :
— Merci de m'avoir laissé le temps de comprendre mes sentiments...
La tête penchée sur le côté, il me sourit.
— Je vais t'avouer que... lorsque tu m'as laissé partir de ton appartement jeudi soir, je n'avais plus aucun espoir. Je pensais vraiment que rien n'était possible entre nous.
— Je suis lent quand il s'agit de ma vie.
— Ce qui compte, c'est qu'on soit là, tous les deux.
Je souffle un Oui, pour lui montrer que je suis du même avis que lui. Peu importe comment les choses se sont faites, maintenant elles sont parfaites.
— Mais rends-moi ça ! m'ordonne-t-il d'un ton plaisantin. C'est mon cadeau.
Je lui adresse un sourire et lui obéis aussitôt.
— Je t'en ferai d'autres si tu veux.
— Je prends ça comme une promesse...
Je hoche la tête pour lui confirmer. Le rictus qui étire ses belles lèvres est tellement lumineux qu'il pourrait m'aveugler.
— Tout ce que tu voudras !
Il se penche vers moi et dépose un baiser chaste sur ma bouche. Bien que j'aimerais en recevoir d'autres, je n'ai pas le temps d'en quémander parce qu'il tapote déjà sur le carton qui est devant lui.
— C'est pour faire quoi cette boîte ?
— Avant de commencer un manga, je m'entraine plus ou moins longtemps à dessiner mes personnages. Pour trouver leur physique exact et aussi leurs expressions.
Faisant tomber mon plaid, je m'accroupis pour ouvrir le carton puis ajoute :
— Tout ce travail n'est jamais visible pour les lecteurs ou même ma maison d'édition.
Je caresse doucement la tranche de toutes les chemises colorées. Chacune d'entre elles concerne un de mes projets et renferme tous les essais que j'ai pu faire.
— Je l'ai toujours gardé caché au fond de mon placard dans mon atelier. Maintenant...
Je me trouve soudain ridicule. Hier, l'idée me paraissait logique et géniale. Je croyais qu'ainsi je pourrais lui prouver que je l'accepte complètement dans ma vie et que je veux tout partager avec lui.
— J'ai le droit de regarder ?
— Oui...
— Génial, s'écrie-t-il.
Mes yeux s'écarquillent à sa réaction. Il se ratatine un peu sur lui-même en se rendant compte qu'il a crié.
— Oups, désolé.
Je secoue la tête pour lui signifier que ce n'est rien. Je suis même soulagé qu'il accueille cette proposition avec autant d'enthousiasme.
— Merci...
Il m'embrasse à nouveau. Plus longuement. Une main posée sur ma joue. Avec une telle tendresse que j'en oublie tout. Je m'évade dans les étoiles qu'il crée seulement pour moi.
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