Chapitre 23
La fin de la soirée est passée plus vite et s'est révélée plus agréable, ma conversation avec Dante me déridant quelque peu. Cependant, on a été raisonnables, s'arrêtant de boire de l'alcool après ma tournée. Quoique celle-ci a semblé de trop pour Anna. Keegan a dû aider Sakura à la ramener chez elles. Même si ce n'était pas drôle, voir Anna avachie sur le dos du blond m'a arraché un immense sourire.
Dante et moi avons décidé de prendre un taxi pour que ce soit plus rapide mais je crois que le chauffeur a fait quelques détours inutiles en voyant qu'on ne le surveillait pas. Peu importe. On arrive sans encombre dans le couloir de notre étage. Il ne doit pas être loin de trois heures du matin. La fatigue commence à se faire sentir, mes paupières sont lourdes.
En dehors de ça, on est frais comme des gardons. Ou presque. Je marche droit, je ne vois pas en double, aucune douleur ne semble avoir pris possession de mon crâne, mes paroles ont encore un sens. Juste, je suis un peu trop joyeux pour être sobre. Je ricane à chaque phrase que Dante peut me dire et ce n'est clairement pas mon état naturel.
Autant je me rends compte de mon état un peu éméché, autant mon cerveau est incapable d'y remédier. C'est comme si quelqu'un avait actionné l'option simplet et qu'il m'était impossible de la résilier. C'est comme pour le téléphone, c'est frustrant. Tellement que je donne une tape à Dante qui n'a rien fait de mal pour le mériter.
— Aïe, dit-il, avec quelques secondes de retard.
Encore une fois, je ricane ce qui me fait lever les yeux au ciel. Je suis ridicule. On arrive enfin au niveau de nos portes et on s'immobilise. Je tâtonne mon corps à la recherche de mon trousseau et le trouve dans la poche intérieure de mon manteau. J'insère la clé du premier coup et tourne. La porte est déverrouillée mais je ne l'ouvre toujours pas. Je jette un coup d'œil à Dante qui semble avoir plus de mal que moi dans sa chasse aux trésors. Brusquement, il se tourne vers moi, les sourcils froncés. Il m'interroge alors :
— Pourquoi tu m'as tapé ?
— Aucune idée.
— C'est pas gentil.
Je hausse les épaules.
— Tu dois t'excuser, affirme-t-il en me donnant une claque sur le torse protégé par mon manteau.
— Pardon.
— Pas comme ça.
Finalement, Dante est peut-être plus bourré que je ne le pensais pour qu'il agisse comme un gamin. Ses cocktails devaient être costauds. Je ricane à nouveau et souffle :
— Bonne nuit, Dante !
Cette fois, j'entre dans mon appartement mais je n'ai pas le temps de refermer derrière moi que Dante s'est faufilé à l'intérieur.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je dors ici.
À cette déclaration, j'ai la sensation que tout le sang dans mes veines s'évapore. Plus un seul ricanement ne va m'échapper à présent. Mon cœur bat un peu trop vite sans que j'en comprenne la raison.
— Mais... pourquoi ? Ton lit est littéralement de l'autre côté du couloir.
— T'as dit que tu t'occuperais de moi comme la dernière fois, me rappelle-t-il.
— Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit.
Il hoche frénétiquement la tête plusieurs fois puis retire ses chaussures. Je soupire et abdique. Il est trop tard pour que je puisse argumenter face à un Dante qui n'est pas totalement dans son état normal. À mon tour, j'enlève mes baskets ainsi que mon manteau que j'accroche à une patère.
Je le retrouve assis sur le dossier de mon canapé, le regard posé sur la porte fermée de mon atelier. Je m'accote au mur, les bras croisés devant moi et attends qu'il bouge, réagisse... Mais rien ne semble se passer. Alors au bout de longues secondes, je le coupe dans son observation :
— On va se coucher ?
Il secoue la tête et chuchote :
— Depuis que je t'ai rencontré, tu m'impressionnes.
Ses mots n'ont aucun sens. Je fais un petit bruit dédaigneux, trouvant sa réplique stupide. Pourtant, sa voix n'a plus rien de celle d'un homme ivre. Comme moi, un peu plus tôt, il paraît s'être débarrassé de son alcoolémie en un claquement de doigts.
— Ne dis pas n'importe quoi. Allez viens ! insisté-je.
— Je te dis ce que je ressens, m'assure-t-il toujours tout bas. Pour toi.
Je déglutis, mal à l'aise.
— Quand tu as surgi derrière ma porte avec ta veste en moumoute rose, je t'ai trouvé tellement adorable...
Un fin sourire étire ses lèvres à ce souvenir. Tout ce que je me rappelle, c'est que j'étais très mal habillé et un peu remonté par le raffut qu'il faisait.
— Dante, tenté-je de l'arrêter de parler. On a trop bu, une bonne nuit nous fera du bien.
J'ignore pourquoi il me dit ça mais je n'aime pas spécialement la tournure que prend la soirée. On devait juste rentrer chacun chez soi et dormir.
— Tellement mignon, souffle-t-il.
C'est comme si je n'avais pas ouvert la bouche, presque comme si je n'étais pas dans la même pièce que lui.
— Ton comportement était en contradiction avec ton apparence. J'ai adoré ça. Et tu n'as plus quitté mon esprit une seule seconde.
Cette fois, je panique. Mon cerveau me hurle que Swann avait vu juste alors que moi, je n'avais absolument rien capté. Mais une partie de moi refuse encore d'accepter. Dante est mon voisin et mon ami, ça ne peut pas se terminer sur une telle déclaration.
— Dante, arrête s'il te plaît, l'imploré-je.
— J'aimerais.
Il tourne pour la première fois les yeux dans ma direction et ils accrochent aussitôt les miens. Il est au bord des larmes et ça me serre le cœur de le voir ainsi. Mon regard se fait suppliant pour qu'il fasse marche arrière et ne détruise pas ce que l'on avait construit ces derniers mois. Mais il n'en fait pas cas.
— J'aimerais continuer à venir ici les soirs, bouquiner avec toi, cuisiner pour toi, échanger sur les livres, faire encore semblant que je n'ai toujours pas trouvé ton pseudo et dévoré tous tes mangas...
Ma bouche s'ouvre sous la surprise.
— Tu...
— C'était plus facile que tu ne peux l'imaginer. Il m'a suffi d'aller sur un forum de passionnés et de donner tous les indices. Les évidents et ceux que tu as échappés.
— Pourquoi tu n'as rien dit ?
— Tu ne voulais pas que je le sache alors...
Il hausse les épaules puis se redresse, son regard retrouve la porte de mon atelier.
— J'ai rêvé que tu m'ouvrais cette pièce, que tu me montrais tes dessins mais... tu ne l'as jamais fait. Mais je me disais que tu avais besoin de temps. Puis... Swann est apparu dans ta vie et...
De légers trémolos se font entendre dans sa voix et les entendre me brise le cœur.
— Ce mec a tout fait exploser en une fraction de seconde. Tes habitudes et mes espoirs.
Il renifle.
— Tu étais ce mec qui détestait les gens et pourtant, pour lui, tu es sorti des sentiers battus. Pour lui, répète-t-il.
— Dante...
Ma voix est à peine audible.
— J'ai vraiment essayé d'être pour toi seulement un ami. Un qui t'écoute parler de ton mec, te conseille mais à chaque fois, j'en sortais détruit. Alors je ne peux plus faire ça.
— Comment ça ?
— J'avais pensé m'éloigner de toi naturellement. J'ai d'ailleurs essayé de le faire...
Je repense à toutes ces fois où il ne venait plus à l'appartement sans raison. Maintenant, je comprends mieux et ça me fait mal de réaliser que ces jours-là, il tentait de m'éviter.
— Mais comme tu as pu le voir, ça a été un échec.
Il se passe une main sur le visage.
— Quand mon père... la vérité, c'est... tu étais le seul que je voulais voir ce soir-là. Le seul dont j'avais besoin alors je suis venu directement chez toi. Par contre, j'avais vraiment oublié que tu avais ton rencard, je te le promets, se défend-il.
Je n'ai pas de mal à le croire, vu son état. De plus, je pense que c'est un gars bien et sincère. Il n'aurait jamais rien fait pour me séparer de Swann. Ma vue est devenue floue par les larmes qui se sont formées.
— Ce soir, être si près de toi mais ne rien pouvoir laisser transparaître, ça m'a fait tellement de mal. Maintenant, ce mal dépasse le bien et le plaisir d'être à tes côtés, avoue-t-il.
Je confirme, je déteste la tournure de la discussion. Moi qui pensais juste qu'il était bourré et que j'allais devoir peut-être batailler pour qu'il retire son jean pour dormir, je me suis mis le doigt dans l'œil jusqu'au coude.
— Je pense que... j'ai besoin de temps pour... t'oublier. C'est pour ça que je t'en parle, pour que tu comprennes pourquoi... pourquoi je vais mettre une distance entre nous à partir de maintenant.
— Non, murmuré-je.
Mes barrières sont brisées. Les larmes dévalent mes joues.
— Je suis désolé.
— Non, réitéré-je plus fort.
Il quitte son assise improvisée et baisse la tête.
— Je te promets que je veux garder notre amitié mais je...
— Non, crié-je presque.
Il se tourne vers moi et remarque mon état. Il hésite une seconde puis se précipite vers moi pour me prendre dans ses bras. Dans un élan instinctif, mes mains remontent jusqu'à son dos et se referment sur son manteau qu'il porte toujours. Je le serre contre moi, pour l'empêcher de me filer entre les doigts. Mon visage se cache dans son cou et je pleure tout mon soûl. Je crois qu'à cet instant, j'ignore pour quelle raison précise je craque.
Parce que je suis encore un peu éméché ?
Parce que son aveu brise d'une certaine manière notre amitié et nos habitudes ?
Parce que sa détresse me bouleverse ?
Parce que je réalise que pendant des semaines je l'ai fait souffrir sans le savoir et sans m'en rendre compte ?
Parce que mon cœur ne peut plus s'arrêter de ravager ma cage thoracique à cette découverte ?
Parce qu'un sentiment de soulagement s'est emparé de moi ?
Tout ce que je ressens se bouscule en moi. Tout ça me dépasse. Puis je réalise que Dante est en train de me réconforter alors qu'il n'a pas à le faire. Je suis celui qui est responsable de son état. Bien malgré moi, certes, mais je suis celui qui lui fait du mal. Je devrais être celui qui le rassure, qui lui affirme que cela ne changera rien entre nous, qui lui assure que notre amitié sera toujours présente quand il reviendra vers moi.
Mais j'en suis incapable. Est-ce que je réfléchis trop ? Est-ce que je n'ai pas encore pris conscience de la situation ? Peut-être. Mais je n'ai pas envie de lui dire tout ça. Je ne veux pas qu'il s'éloigne de moi. Mais au-delà de ça, une partie de moi ne souhaite pas qu'il arrête de m'aimer.
Parce que c'est bien ce qu'il vient de m'avouer à demi-mots, non ? Il m'aime ?
Je me recule, mettant une légère distance entre nous. Mon avant-bras passe presque rageusement sur mon visage pour l'essuyer. Mon regard le détaille. Ses yeux rouges et embués qui tentent de ne pas laisser couler ses larmes. Ses grains de beauté. Ses lèvres pleines. Je dois le fixer un peu trop longtemps, le mettant mal à l'aise. Il baisse la tête et chuchote :
— Je suis désolé.
— Arrête de toujours t'excuser, m'énervé-je. Tu n'as rien fait de mal, je...
Je me passe la langue sur les lèvres pour les humidifier.
— Je suis celui qui devrait s'excuser...
— Tu n'as rien fait de mal non plus... Tu n'y peux rien si tu ne partages pas les mêmes sentiments que moi.
Ses mains sans doute moites frottent le devant de son manteau.
— Je devrais y aller. Je ne sais pas... tout ça n'a aucun sens. Juste... ne m'en veux pas pour ça, me supplie-t-il en plongeant son regard dans le mien.
— Jamais...
Il murmure des remerciements, hésite un peu avant de s'éloigner. Je ne me retourne pas pour le voir partir. Le bruit de ses pas sur le sol et de la porte est accablant. Le silence assourdissant qui s'empare de mon appartement alors me brise le cœur...
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