Chapitre 20
Mon poignet bouge au rythme des traits que je trace sur ma tablette graphique. Ma tête se penche sur le côté pour avoir un autre angle de vue. Je fronce les sourcils, peu convaincu par mon dernier dessin. Je reprends les esquisses que j'ai faites de mes personnages pour voir où j'ai pu commettre une erreur.
Après m'être occupé des dernières modifications demandées par ma maison d'édition, j'ai pu me concentrer sur mon nouveau projet. Les jours précédents, j'ai pu monter un plan détaillé pour savoir dans quoi je m'embarquais. Autant pour l'écriture de mes livres, j'y vais toujours au feeling, autant pour mes mangas, je me dois d'être un minimum organisé.
Même si les débuts ne sont jamais faciles, j'adore ce moment de recherches, de tâtonnements et de libertés aussi. Les personnages sont encore modulables. Je peux faire ce que je souhaite et j'ai la sensation que ceux-là vont être de vrais coups de cœur pour moi. Ce qui n'est, étonnamment, pas toujours le cas.
J'ai profité de ce dimanche, durant lequel je suis comme toujours seul, pour bien avancer. Ce soir, une planche entière est presque terminée ce qui n'est pas rien, surtout qu'en temps normal, c'est la nuit que je suis le plus productif.
Je trouve enfin le détail qui me perturbait. Un grand sourire aux lèvres, je récupère mon stylet et apporte les modifications nécessaires. Le haut de mon corps se penche vers mon écran pour mieux visualiser les détails de ce que je suis en train de faire.
Comme un idiot, je sursaute quand la sonnette de la porte d'entrée retentit. Je soupire et remonte un peu mes lunettes sur le nez, déçu de devoir abandonner mon travail. Je me lève et jette un dernier coup d'œil à mon personnage qui attend d'être terminé. Je sors de mon atelier, sans oublier de le fermer et traine les pieds jusqu'au hall. Je regarde par le judas et fronce les sourcils en découvrant qui est mon visiteur. Je lui ouvre aussitôt.
— Livraison express, déclare-t-il, enthousiaste.
Il me sourit et je l'imite en le voyant lever son grand sac en kraft entre nous. Cela fait plaisir de le voir ainsi après la soirée de vendredi où il était en pleurs.
— En quel honneur ?
— Pour te remercier.
Un de mes sourcils se hausse à cette affirmation.
— Je peux ?
Pour ponctuer sa question, il fait signe vers l'intérieur de mon appartement. Après une légère hésitation, je hoche la tête. Il passe devant moi, retire ses baskets et disparait dans le couloir. Depuis qu'il est entré dans ma vie, j'ai la sensation qu'il la bouleverse. Avant lui, personne ne me rendait visite les soirs. J'étais seul et cela m'allait très bien mais ça serait mentir de dire que je ne passe pas de bons moments avec lui. Je referme et rejoins le salon où... il n'y a personne.
— Je suis là, m'indique-t-il depuis la cuisine.
Je retrouve Dante debout devant mon plan de travail, en train de sortir des ingrédients de son sac. J'avais imaginé qu'il était allé chercher des plats dans un restaurant du quartier, j'avais faux. Il veut qu'on le cuisine ensemble.
— Qu'est-ce que tu as en tête ? l'interrogé-je, perplexe.
— On va se faire un bon petit mafé de poulet.
Mes yeux s'écarquillent, à cause d'un mauvais pressentiment.
— Ne me dis pas que tu veux que je cuisine quelque chose ?
— Tout seul, non. Je ne suis pas fou non plus mais j'ai pensé que ça pourrait être sympa de cuisiner ensemble.
Pendant quelques secondes, je l'observe. Un pot de beurre de cacahuète à la main, Dante attend que je lui donne mon feu vert. Je vois sur son visage sa peur que je refuse, il est adorable alors je craque.
— Si tu veux mais ne viens pas te plaindre si je te coupe, brûle ou...
— Promis, promis, s'empresse-t-il de me dire en reprenant l'inventaire des articles qu'il a ramenés.
Il ne met pas longtemps à vider son sac qu'il finit par jeter par-dessus le comptoir. Il tape dans ses mains, satisfait.
— Allez, cuisinons !
Depuis tout le temps où il vient squatter les soirs, Dante sait exactement où se trouve des ustensiles dont il a besoin pour cuisiner. Il ne met donc pas longtemps à sortir une planche et un couteau.
— Tu coupes les oignons ?
Je secoue la tête, presque apeuré et cela l'amuse.
— Alors déjà, je n'aime pas les oignons et ensuite... tu es inconscient ? Ou alors tu veux vraiment que je me blesse en éminçant ces trucs ?
— Tu ne sais pas cuisiner mais tu connais les termes, à ce que je vois !
— J'ai dessiné un manga qui se passe dans cet univers, avoué-je naturellement.
Il se fige, en me fixant. Sa bouche forme aussitôt un bel O.
— Quoi ?
— Je viens d'obtenir un sérieux indice pour découvrir tes œuvres et ton pseudo, m'explique-t-il.
— Ce n'est pas comme si j'étais le seul à avoir écrit avec ce thème. Ce n'est pas très original.
Il fait un geste comme pour balayer mes mots en râlant :
— Ne gâche pas ma victoire, vaurien !
— Vaurien ? Carrément !
Il grimace et avoue :
— Premier truc qui m'est passé par la tête !
Nous ricanons mais très vite, il reprend son sérieux et me demande :
— Tu as des échalotes ?
Je hausse les épaules. Je sais que Céleste en avait acheté à un moment pour faire sa flammekueche mais est-ce qu'il en reste ? Et si oui, où se trouvent-elles ? Je lui fais un signe hésitant vers un placard vers lequel il se dirige et ouvre. Il se penche, me laissant une belle vue sur sa chute de reins et son... Je secoue la tête et détourne le regard, en me maudissant.
— Yes ! Parfait, s'exclame-t-il, en se redressant.
Il me montre sa trouvaille, triomphant.
— Je vais m'en occuper et toi...
Il passe son regard sur la pièce et un sourire se dessine sur ses lèvres pleines.
— Tu vas nous servir un verre ! C'est dans tes cordes, ça, hein ?
— Je suis le meilleur !
— Parfait. J'ai ramené un Monbazillac. Ça ne se mariera sûrement pas avec le plat mais c'est mon vin préféré, me raconte-t-il.
— C'est le mien aussi !
Il me tend son poing et je comprends directement que je dois taper dedans. Alors même si ce n'est pas un geste que j'ai l'habitude de faire, je m'y plie avec plaisir. Puis je me dirige vers la bouteille qu'il me désigne.
— Par contre, j'en ai pris qu'une.
Il appuie sa phrase d'un clin d'œil qui me fait rire. Il est vrai que vendredi soir, nous avons fini par descendre trois bouteilles de vin sans qu'on s'en rende compte. Il ne faut pas se demander pourquoi on a fini par dormir dans le même lit, Dante dans mes bras.
Pendant que je m'attelle à ma mission, il coupe les échalotes comme s'il avait toujours fait ça de sa vie. Je fais glisser son verre devant lui et lève le mien pour lui signifier que je souhaite trinquer avec lui. Il abandonne quelques secondes son couteau et s'exécute aussitôt.
Une seule gorgée d'alcool nous permet de soupirer de bien-être. J'adore tellement. Nous échangeons un regard et nous savons que nous pensons la même chose. Meilleure boisson au monde. Après le café, bien entendu. Il reprend son découpage et je m'adosse au frigo à côté de lui. Je l'interroge alors :
— Comment va ton père ?
Il a une seconde d'arrêt puis il me répond :
— Ça va. Enfin autant que la situation le permet. Il a un peu mal partout mais... il est vivant.
— Qu'en disent les médecins ?
— Que tout finira par rentrer dans l'ordre des choses. Après une petite rééducation et beaucoup de repos.
— C'est une bonne nouvelle !
Il hoche la tête mais je sens qu'il n'est pas aussi soulagé que j'aurais pu l'imaginer.
— Quel est le souci, Dante ?
Il me jette un coup d'œil, étonné par ma question.
— Ça m'a fait quelque chose de voir mon père dans ce lit d'hôpital, murmure-t-il comme s'il avait peur que quelqu'un d'autre que nous l'entende.
Il arrête de couper et s'empare à nouveau de son verre et prend appui sur le plan de travail. Il hausse les épaules et ajoute :
— Avec cet accident, j'ai réalisé que j'avais toujours vu mes parents comme des gens forts, presque indestructibles. Comme si rien ne pouvait leur arriver, tu vois ?
Je hoche la tête, étant dans le même cas que lui.
— Mais maintenant, j'ai vu que mon père avait ses limites comme n'importe quel être humain en fait. C'est comme lorsque j'ai appris que le père Noël n'existait pas. Un mythe vient de s'effondrer dans mon esprit. Je dois juste digérer cette information et mûrir d'une certaine manière.
— Je comprends.
On prend une gorgée de vin et pour tenter d'atténuer la lourdeur de l'atmosphère, je plaisante :
— Mais le père Noël existe vraiment !
Dante rigole avant de se retourner et de reprendre son travail. Puis viennent les ordres pour que je m'y mette aussi parce que selon lui, je dois quand même mériter ma pitance. Alors je prépare un cookie géant qui, selon lui, est trop bon. J'ai presque envie de lui dire qu'avec moi aux commandes, le meilleur plat peut devenir une arme à grande capacité destructive.
— Au fait, tu en es où de ton nouveau projet ? me demande-t-il.
Un petit sourire en coin s'affiche sur mes lèvres. Vendredi, nous en avons parlé. Je ne suis pas entré dans les détails mais je lui ai résumé l'histoire et il a eu l'air d'adhérer. Mais sur le coup, j'avais mis ça sur le compte de l'alcool. Mais a priori, il s'en souvient donc il n'était peut-être pas si bourré à ce moment-là de la soirée.
— J'ai presque fini la première planche. J'étais en train de dessiner quand tu es arrivé.
— Oh je suis désolé !
Il relève la tête de sa poêle.
— Pas de souci, il me fallait une pause de toute manière. Je reprendrai plus tard.
Je mélange la préparation puis ajoute :
— Enfin si mon voisin me laisse tranquille. Il met la musique à fond constamment !
— Tu exagères, s'offusque-t-il. C'est arrivé qu'une fois.
— Plus toutes les fois où je n'ai rien dit.
Il me détaille un instant, les sourcils froncés.
— C'est vrai ?
Je hoche la tête.
— Mais jamais aussi fort que la première fois. Tu n'avais pas fait semblant cette nuit-là.
— C'est Keegan qui avait levé le son !
— Pourquoi ça ne m'étonne pas de lui ? le taquiné-je.
Il m'adresse un clin d'œil.
— Il était bien encouragé par Anna, pour sa défense.
— Encore moins étonnant !
Il lâche un ricanement adorable.
— Ça me fait penser qu'on pourrait se refaire une soirée comme la dernière fois, propose-t-il.
— Pourquoi pas !
Il plante un couteau dans une des pommes de terre qui cuisent dans une casserole.
— Surtout qu'Anna ne cesse de me parler de toi, poursuit Dante.
— Vraiment ?
— Ouais ! Elle aimerait vraiment te revoir et te poser des centaines de questions sur ton boulot.
— Ah bon ?
Il hoche la tête.
— Elle souhaiterait surtout que tu lui montres tes dessins, je pense. Elle adore ça.
— Vu le métier qu'elle veut faire, il vaut mieux.
— Pas faux.
J'ajoute les pépites de chocolat, touche finale de mon dessert. Je suis presque fier de ce que j'ai fait. La pâte ressemble à quelque chose pour une fois et c'est incroyable.
— Je ferai attention.
Ses mots me laissent interdit. Je ne comprends pas d'où ils sortent.
— Pour le son, précise-t-il.
— Pas besoin. Je crois que je me suis habitué à travailler avec ce fond sonore maintenant.
Je renverse ma pate dans le plat et vais le mettre au four. Je me relève et croise le regard de Dante.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Il secoue la tête et se détourne.
— Rien. C'est juste impressionnant de te voir cuisiner.
Je lui tape l'épaule en me plaignant d'avoir un voisin si désagréable.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro