Chapitre 14
Tout ça, c'est la faute de mon frère. Azarias et moi n'avons jamais été proches. On ne se déteste pas non plus. Disons que lorsqu'on est dans la même pièce, c'est cool, on discute, on plaisante et parfois on peut avoir un semblant de complicité. Mais le reste du temps, on est quasi des étrangers, prenant des nouvelles de l'autre par l'intermédiaire de nos parents.
Cette fois-ci n'avait pas fait exception à la règle. Ma mère m'avait téléphoné, je ne sais plus quel soir. Elle désirait m'apprendre que mon frère avait trouvé un gîte qui pouvait tous nous accueillir. Il l'avait alors réservé sans me demander mon avis – à quoi cela servirait après tout ? Ma mère désirait que je fasse un virement à Azarias pour lui rembourser ma part.
Enfin ma part et celle de mon futur grand amour. Plus je lui répondais que je n'étais pas sûr de venir avec quelqu'un, plus elle affirmait que tout se passerait bien. À croire qu'elle ne sait plus comment je suis depuis tout ce temps où nous ne nous sommes pas vus en personne. Elle avait enchainé avec la question cruciale : as-tu rencontré quelqu'un sur ton site d'amoureux ?
Je crois sérieusement que ma mère est un peu trop naïve si elle pense que la majorité des inscrits sont là pour autre chose que le cul. Cependant, je n'ai pas cassé son optimisme et sa vision romancée de la vie connectée d'aujourd'hui.
Par contre, elle ne m'avait pas lâché avant que je lui affirme que j'avais un rendez-vous de prévu. Enfin à ce moment-là, c'était un affreux mensonge... Ce n'est que le lendemain que j'ai proposé à Swann, au détour d'une conversation sur la série Game of Thrones, que l'on se retrouve un jour pour boire un café. Il avait aussitôt accepté.
Tout ça est donc la faute d'Azarias si je suis sorti de mon immeuble pour me rendre dans le café de Dante en cette fin d'après-midi pluvieuse. Protégé par l'auvent, je replie mon parapluie et le secoue un peu. Après être entré dans l'établissement, je l'abandonne dans un panier mis à disposition.
À cause du mauvais temps, je n'ai même pas pu prendre le temps d'observer la devanture, c'est dommage. De ma main libre, j'ébouriffe mes cheveux qui ont réussi à attraper quelques gouttes de pluie puis relève la tête. Les locaux chaleureux s'offrent à moi.
Des chaises et des tables dépareillées sont éparpillés dans l'espace qui se révèle beaucoup plus grand que je ne l'imaginais. De grandes plantes dans de beaux pots sombres fournissent un peu d'intimité aux clients qui lisent ou travaillent pour la majorité. Des étagères accueillant des dizaines et dizaines de livres sont collées aux différents murs. Une belle pancarte en bois indique au-dessus de chacune d'elles le genre de littérature qu'elle accueille.
Je suis émerveillé et mon regard passe d'un détail à un autre. D'un tapis ancien à une lampe de chevet. D'un coussin posé sur un fauteuil à une peinture. Tout semble hors du temps, rien n'est assorti et pourtant tout cohabite dans une beauté incroyable. Je tourne la tête sur la gauche et découvre enfin le comptoir en bois derrière lequel Dante se tient.
J'ignore s'il m'a vu entrer, mais en tout cas, il est occupé à servir une jeune fille qui lui sourit comme si sa vie en dépendait. Je ricane, pas le moins étonné. Dante est un très bel homme, il doit faire tourner la tête de pas mal de ses clientes et clients. Son entreprise ne doit pas avoir du succès que pour son café, à mon avis, entre Dante et Keegan.
Je jette un autre regard impressionné vers la salle et repère une table qui me plaît beaucoup. Installée entre une bibliothèque et une plante, elle offre une cachette parfaite. Je m'approche du comptoir et m'intéresse aux boissons et pâtisseries vendues. Leur liste est faite sur des panneaux d'ardoises accrochés au mur derrière Dante.
Si je sais déjà que je vais choisir un énorme café, comme celui qu'il m'avait offert, j'ignore ce que je vais prendre à manger. En plus, c'est Sakura qui cuisine et je connais son niveau. Tout va être une tuerie. J'hésite encore quand Dante tend la monnaie à la jeune fille. Elle semble déçue quand elle s'éloigne avec sa tasse et son muffin dans les mains.
— Tu viens de briser un cœur !
— Le tien ?
— Mon cœur est intacte, heureusement pour moi. Et il débordera de joie dans peu de temps parce que tu vas me servir le meilleur café que tu aies en réserve, enchainé-je, impatient de reboire de cette merveille.
Il ricane et s'active pour réaliser ma commande. Mais tout en travaillant, il me demande :
— Alors c'est quoi cette histoire de cœur brisé ?
— La cliente précédente, me contenté-je de murmurer.
Il lève les yeux au ciel.
— Elle vient tous les jours. Je crois qu'elle n'a toujours pas compris, chuchote-t-il.
— Arrête d'être canon, toi aussi !
Ses gestes s'arrêtent d'un seul coup et il me fixe. Je rougis légèrement et tente de détourner la conversation :
— Et je te prendrai une part de tiramisu, s'il te plaît.
Il reprend sa préparation, un sourire aux lèvres. Je n'ai pas réussi. Il va me le ressortir et il n'attend pas longtemps pour le faire :
— Alors comme ça, je suis canon ?
— Comme si tu ne le savais pas.
— C'est toujours agréable de se l'entendre dire !
Il s'éloigne, attrapant une assiette au passage et arrivé à la vitrine qui paraît visible depuis l'extérieur, il s'empare du morceau de tiramisu. Il revient vers moi et me tend le dessert.
Je commence à ouvrir ma sacoche dans laquelle se trouvent mon portefeuille mais aussi tout mon nécessaire pour dessiner. C'est une manie. Je dois toujours avoir de quoi dessiner quand je sors de chez moi. Juste au cas où l'inspiration débarquerait à l'improviste.
— Range-moi ça ! déclare Dante quand je m'apprête à sortir ma carte bancaire. Cadeau de la maison.
— Je ne peux pas accepter !
— On ne dit pas non à un cadeau. Tu n'auras qu'à revenir souvent en contrepartie.
— Tu sais bien que je ne sors pas...
Il se tourne, s'empare de ma tasse et la fait glisser sur le comptoir.
— Tu es bien sorti aujourd'hui, me fait-il remarquer.
— Oui mais c'est différent...
— Donc pour un inconnu, tu fais l'effort de sortir de chez toi mais pas pour un ami ?
Il me prend par les sentiments, c'est malin. Mais je le suis encore plus que lui.
— C'est parce que lui, je ne le veux pas chez moi, alors que toi, tu es le bienvenu !
Souriant, il secoue la tête.
— Bien joué, Andrian.
La clochette de la porte retentit alors. Je regarde en arrière et aperçois la femme qui vient d'entrer. Je récupère mon café et dis :
— Je vais te laisser t'occuper de tes clients et aller m'installer là-bas.
Automatiquement, je lui désigne la table que j'ai repérée plus tôt et qui est toujours libre.
— Merci beaucoup pour le goûter, ajouté-je en levant mes mains prises à hauteur des épaules.
— Pas de quoi, ça me fait plaisir.
Je lui adresse un sourire et me dépêche de rejoindre la place que je convoite. Je pose mon repas sur la table et mon sac par terre. Je retire mon manteau, le plie correctement et le laisse sur le dossier d'une chaise. Après m'être installé sur cette dernière, je soupire.
Les yeux fixés sur le liquide noir, je commence à tapoter sur la surface de bois. Le stress monte en moi. Ce n'était pas une bonne idée ce rendez-vous. Vraiment pas bonne. Je n'aime pas les gens, je déteste faire la conversation. Ça n'a aucun sens de me trouver ici pour rencontrer Swann. Aussi agréable soit-il.
Cela fait plus de deux semaines nous discutons sur l'appli de Lovers. Nos conversations sont même devenues quotidiennes. Il est gentil et intéressant. Tout du moins, en virtuel. Parfois, la réalité est tout autre. Alors j'attends de le découvrir en vrai pour me faire une vraie opinion sur lui.
Une chose est sûre, il n'a jamais eu de commentaire déplacé avec moi contrairement à tous les autres messages que j'ai pu recevoir et c'est agréable. Je ne suis pas contre le sexe, j'en imagine et écris bien trop pour l'être mais je préfèrerais connaître vraiment mon partenaire avant de me lancer dans l'échange de sextos.
— Cette place est libre ?
Ma tête se relève rapidement vers le propriétaire de cette jolie voix qui vient de me parler. Premier point positif, Swann ressemble aux photos qu'il a mises sur le site. Je dirais même qu'il est encore plus beau en vrai. Ses yeux sont magnifiques, pénétrants et un charisme incroyable s'échappe de lui. Il m'adresse un sourire et je me retiens de soupirer quand je suis conquis par la petite fossette qui apparait sur sa joue droite.
Mécaniquement, je hoche la tête pour seule réponse et ma réaction doit l'amuser parce qu'un léger ricanement lui échappe. Intérieurement, je tente de me faire la morale. Il faut que je sois présentable pour ne pas lui faire une fausse impression ou pire, le faire fuir. Il enlève son long manteau noir dont il se débarrasse sur une chaise entre nous et s'installe en face de moi.
Les doigts liés devant lui sur la table, il plonge son regard dans le mien et cela me met mal à l'aise. Ce bleu glacial me donne l'impression qu'il peut lire dans mon âme. C'est dérangeant. Surtout au premier rendez-vous. Je baisse les yeux et l'interroge :
— Tu n'as rien pris à boire ou à manger ?
Mon encas, lui, m'attend bien sagement entre nous. D'ailleurs, j'entoure sa tasse de mes mains pour me réchauffer et me donner une certaine contenance que je n'ai clairement pas. La dernière fois que je suis allé à un rencard remonte à plus d'une décennie. Je ne sais plus comment les choses doivent se passer dans ce genre de situation.
— Si, si mais le serveur m'a dit qu'il m'apporterait tout ici.
Je hoche la tête, ignorant quoi répondre. Je deviens timide. La tuile ! Son léger rire attire mon attention. Il est toujours aussi souriant et à l'aise. Il pose son menton dans sa paume et me questionne :
— Je te fais peur ?
— Non mais... je te l'ai dit dans nos messages, je ne suis pas quelqu'un de très sociable en temps normal alors je sors peu et... c'est tout nouveau pour moi tout ça.
— Ne t'inquiète pas, je comprends, affirme-t-il.
Il repose son bras sur la table et se penche un peu en avant pour se rapprocher de moi. Il me murmure :
— Je cherche seulement à faire ta connaissance, je n'attends rien de plus. On ira toujours à ton rythme quoiqu'il se passe. Donc pas de stress, OK ?
Un sourire se dessine sur mes lèvres, heureux d'entendre ses mots.
— Merci, c'est important pour moi.
— Il n'y a...
— Et voici votre commande, l'interrompt Dante en déposant un chocolat au lait et une tartelette au citron meringuée.
Swann le remercie poliment. Juste avant de partir, Dante me fait un clin d'œil qu'il pense discret mais qui ne l'est pas le moins du monde. Je secoue la tête et le suis du regard tandis qu'il retourne derrière son comptoir.
— Alors soit le serveur est un ami à toi, soit il te drague ouvertement devant moi, propose Swann.
— Non, non... c'est Dante. Le propriétaire de ce café. Et accessoirement mon voisin et ami.
— Je comprends mieux pourquoi tu as choisi cet endroit.
— Ouais...
Aussitôt, j'observe les lieux. C'est chaleureux et intimiste. Il y a encore un quart d'heure, je ne connaissais pas ce café et pourtant, je pourrais presque me sentir comme chez moi ici. Je reporte mon regard sur Swann. Il passe une main dans ses cheveux, les décoiffant encore plus qu'ils ne le sont en temps normal.
— Puis la pâtissière est fabuleuse, tu ne vas pas en revenir, ajouté-je.
— Oh ! Vraiment ?
Ses yeux semblent pétiller à cette découverte. Il s'empare de la petite fourchette que Dante avait mise dans l'assiette et prend un bout de tarte avec. Il le porte à sa bouche et le déguste, les paupières fermées. Quand il les rouvre, une conversation simple et naturelle s'entame autour de la nourriture. Un sujet que je maîtrise plutôt bien.
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