Chapitre 1
La sonnette de la porte d'entrée résonne depuis de nombreuses minutes. Mon sommeil est tellement lourd que je l'entends à peine malgré le bruit persistant. Des coups retentissent à leur tour ainsi qu'une voix :
— Andrian !
Je me tourne dans mon lit, ramenant un oreiller contre moi pour l'enlacer.
— Lève tes fesses !
Seul un léger ronflement qu'elle ne peut pas entendre répond à son ordre.
— Bon sang !
Un dernier coup de poing fait trembler la porte d'entrée et je soupire dans mon demi-sommeil. La sonnerie de mon téléphone brise le silence qui avait commencé à s'installer. Quand je me couche, je mets presque toujours mon mobile sous mon traversin pour être sûr de l'entendre en cas d'urgence. A priori c'était l'une d'elles.
Je marmonne, cachant mon visage dans l'oreiller que je tenais déjà entre mes bras. Malheureusement pour moi, ça n'atténue en rien le son. Je bascule alors sur le dos, les bras en étoile et les paupières toujours closes. Je laisse mon esprit se réveiller lentement. Et difficilement. Je suis presque sûr que je serai de mauvaise humeur pour le reste de la journée.
Voyant que la sonnerie continue sans relâche, j'abdique et glisse une main sous ma tête pour récupérer mon bien, tout en bâillant bruyamment. J'aurais tellement aimé dormir encore. Au moins une année entière. Je n'ai même pas besoin de regarder l'écran pour savoir qui me téléphone. Rares sont les gens qui possèdent mon numéro. Je grogne et décroche sans la moindre motivation. Une voix excédée me perce aussitôt le tympan :
— Sacre bleu, Andrian !
Je n'ai pas mis encore un pied par terre qu'un mal de crâne commence déjà à pointer son nez.
— Quoi ?
— Ouvre cette fichue porte !
Une de mes paupières s'ouvre pour me permettre de jeter un œil à ma fenêtre. Aucune luminosité ne passe la barrière des volets que j'ai pour une fois pris le temps de fermer avant de m'avachir dans mon lit.
— Qu'est-ce que tu fais ici aussi tôt ?
— Aussi... ? Mais bordel, Andrian, il est plus de midi, souffle-t-elle.
Je me redresse en position assise. Un léger vertige m'informe que, malgré l'heure, je n'ai clairement pas assez dormi. Comme toujours.
— Tu peux venir m'ouvrir ?
Je baille à nouveau. De manière instinctive, j'observe ma chambre ou plutôt la pièce où je dors puisqu'il y n'a qu'un grand lit ici.
— Si c'est pas trop te demander bien sûr, ironise-t-elle.
J'abandonne mon téléphone à côté de moi tout en levant les yeux au ciel et roule sur le matelas pour en descendre. Après avoir passé mes claquettes, je traine les pieds dans l'appartement jusqu'à l'entrée. Je déverrouille les quatre serrures puis abaisse la poignée. J'ai à peine ouvert la porte qu'elle la pousse, m'obligeant à reculer pour ne pas me la prendre en pleine figure.
Une tornade blonde passe devant moi, un sac en plastique à la main. Elle ne me regarde même pas et se dirige directement vers ma cuisine. Je claque la porte et n'attends pas pour rejoindre mon canapé. Je regrette d'avoir laissé sur la terrasse le plaid que j'ai utilisé cette nuit. Je m'allonge, les bras derrière la tête, prêt à me rendormir ici.
Cependant, elle ne m'en laisse pas l'opportunité avec son monologue habituel. Les mots se succèdent les uns avec les autres mais je ne m'y intéresse pas. Elle n'a pas besoin de moi pour râler de toute manière. Surtout que les trois quarts du temps, je suis le sujet de son mécontentement alors ne pas y participer apporte de l'eau à son moulin. Puis je crois qu'à mes yeux, ça la rend adorable d'une certaine façon.
— Quinze minutes, s'exclame-t-elle me forçant à l'écouter.
Je surélève ma tête pour l'observer s'agiter tel un petit singe sous stéroïdes. Elle s'arrête brusquement et me pointe du doigt en répétant :
— Quinze minutes. Tu sais à quoi ça fait référence ?
Je pourrais essayer de chercher une réponse mais je sais parfaitement qu'elle n'attend pas que je le fasse.
— Non, bien sûr que non. C'est le temps que j'ai attendu dans ton couloir comme une harceleuse.
Ma bouche a envie de lui dire que c'est exactement ce qu'elle est si elle a passé autant de temps devant ma porte mais mon cerveau semble penser que ce n'est pas la chose à dire. Alors je me rabats sur une autre réponse :
— Et tu as mis autant de temps pour me téléphoner ?
Vu son visage furibond, il est assez clair que mon cerveau aurait dû mettre son véto pour celle-là aussi.
— J'avais l'espoir que Monsieur m'entendrait mais comme toujours, Monsieur dormait sur ses deux oreilles parce que Monsieur ne dort pas la nuit.
— Ça fait beaucoup de monsieur dans une seule phrase, tu sais...
— Tais-toi !
Je pince les lèvres pour lui signifier que je vais m'exécuter. Elle semble ravie. Elle s'affaire à nouveau derrière le comptoir comme si elle était en préparation du repas de Noël alors qu'elle est passée chez le japonais en bas de la rue avant de venir ici
— Il y a bien un jour où il va falloir que tu me donnes un double de tes clés.
Je grimace à cette idée. Je préfère être réveillé, harcelé et avoir une migraine du tonnerre pendant des jours que de donner mes clés à qui que ce soit. Même si c'est à Céleste.
— Quand il t'arrivera quelque chose de grave, il me sera impossible d'entrer pour te venir en aide.
— Les gens normaux utilisent le conditionnel pour dire ça.
Elle s'arrête, une boîte de plats à emporter en main et me foudroie du regard.
— Comme si tu savais ce que c'est que la normalité, marmonne-t-elle avant de reprendre son activité.
Pour ça, je ne peux pas la contredire. Je ferme les yeux et fais le vide dans mon esprit pendant qu'elle continue de tout préparer en parlant à tort à travers. Je suis devenu doué à ce petit jeu. Il faut dire que nous avons de l'entrainement après six ans à nous côtoyer.
Quand elle a débarqué la première fois ici et dans ma vie par la même occasion, elle était déjà aussi hystérique et moi aussi... solitaire ? Désagréable ? Asocial ? Bref, je l'ai mise dehors sans même prêter attention à un seul mot de sa part. Tout ce que je savais, c'est qu'elle allait me coller et m'empêcher de vivre comme je le désirais. Après tout, c'est son rôle d'assistante.
Bien sûr, Céleste n'est pas le genre de femmes à qui on puisse dire non. Je crois que jamais personne ne lui a tenu tête très longtemps. En tout cas, ceux qui l'ont fait ne doivent plus être vivants pour en témoigner. Elle est donc revenue chez moi tous les jours, pendant deux semaines jusqu'à ce que je craque et la laisse pénétrer dans l'entrée. Ma plus grosse erreur de ma vie. Mais peut-être aussi ma plus grande chance.
— Tu crois qu'un jour, tu pourras parler à d'autres personnes qu'à tes parents et moi ? m'interroge-t-elle finalement.
Sa question me laisse dubitatif. Je fronce les sourcils, cherchant une réponse plausible. La seule qui me vienne ne lui plairait sûrement pas.
— Pousse tes pieds de là !
Dans la seconde, je me redresse et me mets en tailleur. Elle pose notre déjeuner sur la table basse qu'elle rapproche du canapé pour que nous puissions manger plus facilement. Je la remercie et attrape mes baguettes dans l'espoir d'attaquer mon japonais.
— Alors ?
— Alors quoi ? m'étonné-je, un maki à quelques centimètres de ma bouche.
— Est-ce qu'un jour, tu ressembleras à un être humain ?
— Je suis malheureusement un être humain. Je mange, je dors, je bois, je parle, je pisse...
— Andrian !
— Quoi ? Tu m'as demandé, non ?
— Oui mais ce que je te demande, c'est quand vas-tu sortir d'ici et avoir une vie sociale ?
J'enfourne enfin mon maki californien et le déguste, le regard porté sur la télé éteinte. Cette conversation me fatigue. De manière régulière, Céleste et mes parents ramènent ce sujet sur le tapis. Cela paraît beaucoup les inquiéter alors que moi, je vis ma meilleure vie. D'accord, mon quotidien ne ressemble clairement pas à celui de toute personne de trente ans. J'en ai conscience mais je m'en fous.
J'aime rester enfermé dans mon appartement et me faire livrer tout ce dont j'ai besoin. J'aime n'avoir que des amis virtuels qui répondent présents dès que j'en ai besoin. J'adore ma passion et suis fier qu'elle soit devenue mon métier. Et j'adore passer la moitié de mes nuits sur ma terrasse à tenter d'observer les étoiles. Je soupire, fatigué de devoir encore une fois lui expliquer.
— Écoute, Cély, je vais bien, je n'ai pas besoin de voir un psy comme ma mère me le serine depuis des années mais surtout... tu t'es trompée de makis !
Je balance mes baguettes de manière théâtrale et lève les yeux au ciel.
— Si t'es pas content, va te les chercher toi-même tes makis, marmonne-t-elle, la bouche pleine de riz.
Je lui souris, amusé. Céleste a mis longtemps à m'amadouer, je ne laisse pas facilement les gens entrer dans ma vie mais je dois reconnaître que je ne regrette pas. Nos caractères sont sans doute diamétralement opposés mais je crois que c'est ça qui me plait chez elle. Enfin heureusement que je ne vis pas avec elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
— Je vais être grand seigneur, et ne te tiendrai donc pas rigueur de cette grave erreur, affirmé-je en récupérant mes baguettes.
— T'es surtout un grand crétin !
À peine sa critique lâchée, j'explose de rire. Céleste m'imite très vite. Lorsque nous retrouvons notre calme, nous continuons de manger sans un seul mot de prononcé. Ceci me convient parfaitement mais c'est loin d'être pareil pour mon amie qui déteste les silences.
— Bon, on parle du boulot maintenant ?
Je grogne. J'aime imaginer, créer, partager mais tout le reste de mon boulot m'ennuie prodigieusement.
— Ton éditeur demande à voir ton chapitre.
Je baisse les yeux un court instant, un peu gêné. Elle le remarque aussitôt. Une main devant la bouche, elle me questionne :
— Qu'est-ce qui se passe ?
Je m'empresse de prendre mon dernier maki en bouche.
— Andrian ! me sermonne-t-elle. Tu m'as dit que tu étais en train de dessiner le dernier chapitre. Tu m'as menti ?
— Non...
— Alors ?
Je m'essuie les lèvres avec une serviette et me laisse aller dans le canapé. Céleste me donne une tape sur la cuisse pour me faire parler.
— Alors je n'y arrive pas, Cély.
Elle abandonne le reste de son riz et se tourne vers moi, passant ses jambes sous elle.
— Si tu étais au lit à midi, c'est que tu étais debout toute la nuit. Et si tu étais debout toute la nuit, c'est parce que tu as dessiné. Alors si ce n'est pas ton dernier chapitre, qu'est-ce que tu as dessiné ?
Son raisonnement me perd pendant quelques secondes mais je dois me rendre à l'évidence qu'encore une fois, elle a lu en moi comme dans un livre ouvert.
— J'ai des images, me contenté-je de dire.
— Comme toujours, soupire-t-elle. Mais il faut que tu finisses ton livre avant d'en commencer un autre. Sinon ça va encore être le bordel avec la maison d'édition.
Je hausse les épaules. Elle lève les yeux au ciel et se plaint :
— Toi, tu t'en fous parce que c'est moi qui dois tout régler.
— Tu es mon assistante, je te rappelle. C'est un peu ton boulot.
— Quand on m'a engagé, on m'avait surtout parlé du fait de faire à bouffer et te réveiller et pas du fait de devoir essuyer les tempêtes... que dis-je ? Les ouragans éditoriaux !
— Tu peux toujours démissionner, lui proposé-je avec le grand espoir qu'elle refuse.
— Tu en as d'autres des âneries comme celle-là ?
Je lui adresse un sourire, rassuré.
— Mais pense à moi, bon sang !
— Je ne le fais pas exprès.
— Je sais... C'est bien ça, le pire.
Elle se laisse tomber en avant. Sa tête atterrit sur mes jambes. Installée ainsi, elle me souffle :
— Je t'aime, Andrian mais qu'est-ce que t'es casse-bonbons par moments !
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