Chapitre 7: Adrénaline
~Point de vue de François~
/!\ VIOLENCE /!\
Je faisais de gros efforts pour garder les yeux ouverts, mes paupières tombantes faisaient des siennes. Entre plusieurs nuits blanches à vendre de la marijuana, deux classes de seconde turbulentes, une première L désolante et une terminale L avec les nerfs à vif à cause du bac, je ne savais plus où donner de la tête avec mes quatre malheureuses heures de sommeil agité que j'avais réussi à avoir la nuit dernière. Avec quelques bâillements, je déballais mon discours, assis sur ma table en face de mes trente grandes filles, visiblement éreintées elles aussi. Tout en luttant pour ne pas m'endormir, je surveillai l'heure, comme un élève qui s'ennuie. Sauf que ce n'était pas l'ennui qui me fatiguait à ce point... Même avec l'heure à mon poignet, je me trouvai surpris par la cloche, qui me réveilla en me vrillant les tympans. J'avais encore oublié de rendre les dissertes... Tant pis, je les rendrais vendredi. Je rangeai mes affaires à la va-vite, les filles étaient déjà parties quand je levai la tête. Cela ne m'avait semblé être qu'une fraction de seconde, alors qu'en fait, c'était au moins cinq minutes. Je chargeai mon sac sur mon épaule et me dirigeai vers ma voiture. Le lycée était tellement silencieux et désert qu'il semblait abandonné. En douze ans, les murs, autrefois blanc-cassé, avaient adopté une couleur marron-crasse nuancée de noir et même de vert à certains endroits. L'apocalypse aurait été une hypothèse cohérente pour expliquer ce changement de couleur, voire d'environnement tellement l'endroit était devenu méconnaissable. Après une ou deux minutes de marche j'avais atteint mon véhicule. Au moment où j'allais ouvrir ma portière, la sonnerie de mon portable dans ma poche me tira de mes songes.
« Allô ? dis-je en baillant.
– J-F, il faut absolument que tu m'aides, firent les chuchotements tremblants d'une Annabelle apeurée.
Je me redressai immédiatement. J'étais réveillé pour de bon cette fois.
– Anna ? Qu'est-ce qui se passe ?
– J'ai vraiment peur. Il y a trois mecs qui me suivent en me criant des insultes depuis que j'ai quitté le lycée et je n'aime pas du tout l'expression qu'ils ont sur la figure... Est-ce que tu peux...
– J'arrive tout de suite, la coupai-je, où es-tu ?
– Sur le chemin que je prends pour rentrer chez moi, on approche d'une ruelle plutôt glauque alors fait vi... LÂCHEZ-MOI ! PUTAIN MAIS LÂCHEZ-MOI !! J'VOUS AI RIEN FAIT !! LAISSEZ-MOI !!... »
Et la conversation prit fin sur ces cris, qui continuaient de résonner dans mon téléphone et dans ma tête. Il ne me fallut pas plus de quelques secondes pour grimper dans la voiture, mettre le contact et écraser l'accélérateur de toutes mes forces. Moi qui étais, d'habitude, un piètre conducteur, l'adrénaline me donnait l'air d'un pilote de course avec des décennies d'expérience. Le chemin de la maison, elle a dit... Après deux ou trois tournants et de brèves lignes droites, j'entendis la voix d'Anna, secouée par les pleurs, en train de supplier de l'épargner. Je descendis de la voiture et commençai à courir vers la source des hurlements. Ses cris venaient en effet d'une ruelle plutôt glauque. J'aperçus son téléphone sur le sol avec l'écran cassé devant l'entrée de l'impasse. Si je la retrouve brisée comme son portable, je ne garantis pas que ces petits cons survivent à ma fureur... Les cris s'intensifiaient au fur et à mesure que je me rapprochais. J'avais déjà entendu ce genre d'appel à l'aide et supplications, mais uniquement dans les films, les entendre dans la vraie vie me glaçait le sang au point d'avoir peur d'être paralysé sur place et de ne plus pouvoir rien faire quand je verrais la scène. À cette heure, les habitants du quartier n'étaient pas encore rentrés du travail, ce qui faisait que très peu de gens entendaient les cris de détresse d'Annabelle, mais avaient-ils réagi ? Le fait que personne, avant moi, n'était venu lui prêter main forte me dégoûtait. Après un virage dans ce piège à rats, ma rage atteint son paroxysme devant ce qui se déroulait sous mes yeux. Un des gars retenait les deux bras d'Anna derrière elle, tandis qu'un autre la frappait violemment au niveau de l'abdomen. La pauvre, désespérée et en pleurs, avait la bouche en sang et le T-Shirt déchiré, dieu merci, le soutien-gorge et le reste étaient toujours là, la scène était déjà assez éprouvante comme cela. Elle avait l'air de ne plus pouvoir respirer à chaque nouveau coup que ce type lui assénait. Le troisième gars, lui, se contentait de regarder, la main dans le pantalon. L'expression malsaine qu'il avait sur le visage était une autre raison de me mettre hors de moi. Je ne sais qu'elle force s'empara de moi à ce moment-là. Les trois mecs, étant trop occupés à torturer une gamine innocente, ne m'aperçurent pas tout de suite, j'avais donc l'avantage d'un léger effet de surprise sur eux. Le gars qui frappait Anna n'eut pas le temps de complètement se retourner, que mon poing lui avait déjà écrasé l'estomac. Il s'effondra, les yeux exorbités, sur le sol, en luttant pour respirer et ne tenta même pas de se relever. Celui qui avait passé son temps à s'astiquer, parut, d'abord, surpris. Il était vrai que je possédais un physique que l'on pourrait qualifier sans mal de « maigrichon » et que me voir frapper avec une telle force pourrait donner un choc à certains. Il me dévisagea pendant une demi-seconde, puis, chargea dans ma direction. Avant qu'il ne réussisse à m'atteindre, je l'agrippai par les épaules et l'envoyer valser contre le mur, il alla s'écraser, tête la première, contre le béton et s'effondra lui aussi. Le troisième gars qui s'occupait d'immobiliser Anna l'avait lâchée depuis un moment déjà. Je vis sur son visage qu'il hésitait à attaquer après ce que j'avais fait à ses copains. Je fis un pas vers lui. Ne voulant pas se risquer à finir comme ses potes, il préféra s'enfuir, laissant l'un d'eux se tordre de douleur en se tenant le ventre et l'autre inconscient. Lâche, mais compréhensible comme réaction... Le premier garçon que j'avais mis à terre se releva peu de temps après. Je vis sur son visage qu'il n'en avait pas fini avec moi et chargea dans ma direction. Au lieu de l'envoyer contre le mur, j'abattis mon poing sur sa joue. Le coup le fit tituber et il tomba face contre terre sur le sol. Le choc de son front contre le béton lui fit perdre connaissance. Sur trois mecs, j'en avais mis deux K-O, le troisième avait pris la poudre d'escampette en laissant ses copains à ma merci.
Anna s'était recroquevillée sur elle-même dans un coin de la ruelle. Elle sanglotait, la tête enfouie dans ses genoux. Je m'approchais et m'accroupis devant elle. Elle tressaillit quand je posai ma main sur son épaule, mais se calma aussitôt quand elle s'aperçut que le danger était passé. Je m'assis à côté d'elle et relevai un peu sa tête afin de la regarder dans les yeux, et pour constater l'étendue des dégâts. Ils l'avaient bien amochée. Le sang perlait dans un coin de sa bouche. Elle aurait plusieurs bleus sur la figure, les bras, le ventre et la poitrine. Je m'excusai auprès d'elle, comme d'habitude, j'étais arrivé en retard.
« Ils attendaient d'arriver devant cette ruelle pour me sauter dessus, je crois qu'ils n'ont même pas remarqué que j'étais au téléphone, dit-elle en reniflant, peut-être que s'ils avaient su que j'appelais à l'aide, ils auraient laissé tomber... J'aurais peut-être du...
– Ce n'est pas de ta faute Anna... la coupai-je, Ces gars sont des petits enfoirés et rien ne leur donnait le droit de te faire du mal.
– J-F ?
– Oui ?
– Merci pour tout.
– C'est normal. »
On resta silencieux pendant une petite minute. Anna brisa le silence :
« Dis, est-ce que tu aurais une clope ? me demanda-t-elle, Celui qui s'est enfui m'as volé les miennes avant de... »
Cette fois, ce fût sa voix qui se brisa. Ses yeux débordèrent de larmes. Je passai mon bras par-dessus ses épaules et elle passa les siens autour de mon torse avant de me serrer très fort. Elle sanglota sur ma poitrine pendant un long instant jusqu'à ce qu'elle réussisse à se calmer. Quand elle fut plus détendue, je sortis deux cigarettes de mon paquet présent dans ma poche. Je lui tendis l'une d'elles et portait l'autre à mes lèvres. On fuma en silence dans la ruelle. Il fallait se calmer. On ne bougea que quand Anna trouva enfin la force de se relever. Elle ne le fit pas sans mal, elle grimaça à plusieurs reprises à cause des douleurs que lui procuraient les coups qu'elle avait reçus au ventre, au thorax et à la figure. J'espérais qu'elle n'avait pas de côtes fracturées... Je lui donnai mon manteau pour vêtir le haut de son corps, que son T-Shirt récemment mis en lambeaux ne couvrait plus. Nous regagnâmes ma voiture. Quand nous fûmes tous deux assis sur les sièges, je la prévins avec tout mon sérieux :
« Avant qu'on démarre je voudrais te dire une chose. Tu n'arriveras pas à me dissuader d'en parler à tes parents.
– Avec la tête que j'ai, ils verront tout de suite qu'il s'est passé un truc... répondit-elle avec un ton assez nonchalant, Tu n'auras rien à faire, je leur dirai moi-même...
– Très bien, je te fais confiance sur ce point-là... Et aussi pour aller porter plainte contre ces garçons.
– Mes parents vont sûrement me traîner au poste pour aller le faire soit ce soir, soit demain matin, t'inquiète pas pour ça... »
Je hochai la tête. Je ne connaissais pas ces garçons, mais une description de la part d'Anna aux policiers et un coup d'œil dans les registres du lycée devrait pouvoir les faire payer ce qu'ils avaient fait.
« Aussi, reprit Anna après une pause, Comme mes parents sauront que tu es intervenu, ils voudront certainement te remercier, alors ne pars pas tout de suite après m'avoir déposé.
– D'accord.
– Une dernière chose, commença-t-elle.
– J'écoute.
– Quoi qu'il arrive, n'en parle pas à Ally, me supplia-t-elle, elle sera complètement en panique et j'ai peur que ses crises d'angoisse ne lui fassent perdre le contrôle... »
J'acquiesçai et démarrai la voiture.
Quand nous arrivâmes chez Anna, je vis cette dernière anxieuse. Elle devait dire la vérité à ses parents sur l'incident de tout à l'heure. Ses yeux paraissaient au bord de l'inondation. Je l'accompagnai jusqu'au pas de la porte. Ce fut Enrique, le père d'Anna, qui nous ouvrit la porte. Une expression de surprise et d'horreur s'installa sur son visage quand il vit l'état de sa fille. Il appela sa femme qui nous rejoignit aussitôt en trombe. Quand il lui demanda ce qu'il était arrivé, Anna fondit en larmes et vida son sac sur l'instant, très vite, en espagnol. J'imagine qu'elle voulait en finir le plus rapidement possible. Les seuls mots que j'avais réussi à comprendre furent « horrible », « catastrophe » et « homosexuel ». La mère comme le père étaient stupéfaits face à cet aveu et ne savaient trop quoi dire. Rosa prit sa fille dans ses bras et lui chuchota quelques mots en espagnol. Je ne parlais pas cette langue, bien que je la trouvais magnifique, mais je compris, avec sans trop d'efforts, que c'était pour la rassurer. Comme Anna l'avait prévu, ses parents me remercièrent, du fond du cœur. Elle rentra dans la maison en premier, sa mère allait suivre mais Enrique la retint. Ils eurent un très, très rapide échange, toujours en espagnol. A la fin de leur micro-conversation, ils conclurent en hochant la tête simultanément et Rosa put enfin rentrer à l'intérieur panser les blessures de sa fille. Enrique me retint moi aussi alors que je m'apprêtais à dire « au-revoir ».
« François, il faut que je vous parle de quelque chose. Rosa et moi comptons en discuter avec le proviseur de toutes les façons, mais je voulais vous mettre au courant.
– Je vous écoute.
– Je sais que cette année, c'est le bac et que la présence d'Anna en cours et plus que primordiale, mais, pour sa sécurité, il vaudrait mieux qu'elle ne retourne pas au lycée tout de suite et qu'elle suive les cours par correspondance.
– Je comprends, lui répondis-je, Ce sera plus dur pour elle, vu qu'elle ne sera plus en classe et qu'elle n'aura pas les professeurs à sa disposition, mais c'est pour le mieux. Aussi, comme la littérature est loin d'être facile en terminale, surtout avec les œuvres au programme cette année, je pourrais passer lui faire cours pendant mon temps libre, proposai-je, Si vous êtes d'accord.
– Avec plaisir, accepta-t-il avec un sourire, et puis je suis sûr qu'Anna sera contente de voir un visage amical. Et merci encore pour ce que vous avez fait pour elle.
– Pas de quoi, c'est normal.
– Je ne doute pas des talents d'infirmière de ma femme, mais on devrait quand même amener Anna à l'hôpital, histoire de vérifier si ses blessures ne sont pas plus profondes qu'elles ne le paraissent.
– C'est une sage décision. Passez une bonne soirée malgré tout. »
Sur ces mots, je regagnai ma voiture et pris le chemin de ma maison avec le plan de descendre une bouteille entière de rhum bon marché afin d'oublier cette fin d'après-midi complètement bousillée. Heureusement que je n'ai cours qu'à treize heures demain...
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