Chapitre 2: Tu peux m'expliquer ?
~Point de vue de François~
Je me hâtai vers ma salle pour y faire cours. Le retard était une véritable malédiction chez moi. Je n'écoutais jamais la cloche, même si je me forçais. Je perçus ma classe au bout du couloir en train de m'attendre. Je passai devant les filles, les joues pivoines, elles avaient tellement l'habitude qu'elles pouvaient à présent détecter mes excuses juste en me regardant dans les yeux. Je leur fis signe d'entrer dans la salle après avoir déverrouillé cette dernière. Les filles entrèrent et s'en suivit l'éternel brouhaha du déplacement des chaises et des tables. Annabelle, Allyson et Meredith entrèrent en dernier. La première chose qui me mit réellement la puce à l'oreille fut l'expression du visage d'Annabelle. Elle avait une mine abattue et paraissait légèrement tendue. Je ne m'inquiétai pas plus que cela en me disant juste que la journée d'aujourd'hui l'avait seulement fatiguée.
« Bon, commençai-je, j'espère que vous n'avez pas oublié Madame Bovary ! »
Des plaintes s'élevèrent dans la classe.
« Oui, c'est vrai qu'elle est chiante, dis-je en adoptant un ton compatissant, Si j'avais pu choisir les œuvres, je ne vous aurais certainement pas fait travailler celle-là. Mais malheureusement pour vous, ce n'est pas moi qui fais le programme cette année. »
Cette fois ce furent des soupirs de déception qui s'élevèrent.
« Allez, sortez vos bouquins ! On va décortiquer tout ça. »
J'aimais tellement mon métier. J'étais pauvre, certes, mais si gagner de l'argent devait me revenir à faire quelque chose que j'allais détester pour survivre, j'aurais mille fois préféré ne rien faire et mourir de faim. Enfin pauvre, ce n'était que sur le papier, j'avais quand même mon job de dealer à temps partiel qui me rapportait pas mal. Le cours se déroulait normalement, si ce n'était qu'Anna ne participait pas comme d'habitude. Elle adore la littérature pourtant ! Discrètement, j'observai son visage. Oui. Elle n'avait l'air vraiment pas bien. Quelque chose s'était définitivement passé. Elle était pâle et semblait extrêmement tendue.
« Anna ? appelai-je, Ça va ? Tu as l'air malade.
– Ce n'est rien... Je suis fatiguée, c'est tout...
– Tu m'étonnes, il y a eu une bagarre tout à l'heure ! » ajouta l'une des filles.
Meredith lui lança un regard noir afin de la faire taire. Mes yeux, quant à eux, s'étaient écarquillés.
« Une bagarre ? » demandai-je surpris.
Je connaissais Annabelle depuis assez longtemps pour savoir qu'elle n'était pas violente. Il lui arrivait parfois d'être méchante et amère avec ses mots, mais jamais avec ses poings. Les filles voulurent presque toutes expliquer ce qui s'était passé.
« Les filles, pas toutes en même temps ! » m'écriai-je pour les calmer.
Anna était repliée sur elle-même à présent, la tête enfouie dans ses bras sur la table, la figure écarlate. Meredith essayait de la réconforter en silence avec une main sur son épaule.
« Anna ? appelai-je, Tu m'expliqueras à la fin du cours. »
Elle se redressa et se contenta d'hocher la tête. Puisque le sujet était clos pour l'instant, je continuai mon cours jusqu'à la cloche. Quand celle-ci sonna, toutes les filles sortirent. Je pus rattraper celle qui m'intéressait avant qu'elle ne réussisse à s'enfuir.
« Annabelle Garcia, je ne t'ai pas oublié ! » lui lançai-je.
Elle s'arrêta net juste devant la porte de la salle. Elle se retourna et s'avança vers moi. Nous nous assîmes sur les chaises, elle face à moi. Elle n'avait pas l'air de vouloir s'ouvrir, mais je sentais que quelque chose lui pesait sur les épaules. Je lançai la conversation avec un ton très calme pour essayer de la mettre à l'aise:
« Je t'avoue que tu m'inquiètes un peu là... Tu une mine complètement abattue, tu ne dis plus rien et tu es très blême... Et puis cette histoire de bagarre, ça me surprend... Est-ce que tu peux m'expliquer ? Ça ne sortira pas de cette salle.
– Il ne s'est quasiment rien passé... C'est juste cette sale garce qui est venue me chercher des noises à midi.
– Quelle garce ?
– Morgane Lefebvre... De la STMG 2...
– Oh, celle-là... lâchai-je avec lassitude.
– Si elle avait su fermer sa grande gueule et garder sa main dans sa poche, je ne lui aurais pas sauté à la gorge...
– Attends, la coupai-je, Tu ne m'as pas dit qu'il ne s'est « quasiment rien passé » ?
– Il ne s'est quasiment rien passé parce que Meredith a empêché le massacre et ma retenu juste avant que mes mains n'atteignent sa grosse tête... à claques.
– Je vois...
Je soupirai.
– Qu'est-ce que cette peste t'a dit pour t'énerver à ce point ? l'interrogeai-je, Je te connais Anna, je sais que tu n'es pas violente.
– Disons qu'elle a dit les mauvaises choses sur le mauvais sujet... » avoua-t-elle.
Mes yeux s'allumèrent. Je compris enfin la raison de cette altercation.
« Des homophobes il y en a partout Anna, tu le sais ça, je ne t'apprends rien...
– Je sais, mais disons que je suis plus habituée aux messes basses derrière mon dos... Là, elle est carrément venue devant moi juste pour me faire savoir qu'elle ne pouvait pas me saquer, ni moi, ni les gens comme moi. Elle a aussi mal parlé à Meredith alors qu'elle ne la connaît même pas et on n'a vraiment pas apprécié. Ensuite, c'est parti en clash entre elle et moi et j'ai eu le dernier mot. J'avoue que j'y suis allée un peu fort avec ce je lui ai dit, mais elle nous a vraiment provoqué Ally et moi.
– Elle est au courant pour Ally ?
– Non et heureusement ! Morgane n'a pas tiré sur sa corde à propos de ça. Elle l'a insulté et rabaissé à cause de sa réputation de... Tu sais...
– Oui, je vois de quoi tu parles...
– Après qu'elle ait dit toutes ses conneries, elle a vu que mes mains tremblaient et que j'étais très en colère, raconta-t-elle, C'est là qu'elle a vraiment commencé à me provoquer, moi en particulier, et c'est parti en cacahuètes.
– Qu'est-ce que vous vous êtes dites pour vous emporter comme cela ? »
Elle me raconta la scène en prenant bien soin de prendre une voix irritante pour Morgane. Cela aurait pu être un bon sketch, mais malheureusement, la méchanceté de Morgane était réelle. Anna avait plutôt bien gardé son sang-froid durant la partie verbale de la dispute, c'est cette baffe qui avait tout fait basculé. Mais heureusement que ce n'était « qu'une baffe » et pas un crêpage de chignon avec de coups de poings, de griffes et de dents. Je ne donnais pas raison à Anna d'avoir essayé de sauter sur Morgane, et encore moins à Morgane d'avoir giflé Anna, mais en toute honnêteté, je trouvais que Morgane méritait bien qu'on la remette à sa place. Ce n'étaient pas des choses à dire puisqu'elles étaient blessantes et dégradantes, d'autant plus qu'Anna ne lui avait rien fait à la base. Aussi, Anna n'était pas la première et n'allait sûrement pas être la dernière à se plaindre du comportement de cette pimbêche.
« Je vois... Franchement, elle l'a bien cherché, lui dis-je avec un ton compréhensif, Cela dit, je n'approuve pas ta réaction à la claque que tu t'es prise.
– J'ai perdu mon sang-froid. J'aurais dû faire plus d'efforts pour le garder... admit-elle.
– Effectivement, tu aurais dû.
Elle se mordit la lèvre et baissa la tête, penaude et rouge comme une tomate.
– Mais ne crois pas que j'approuve la gifle de Morgane. Si une situation de ce genre se reproduit, surtout, fais tout ce que tu peux pour ne pas perdre le contrôle. Cela aurait pu devenir très grave si vous vous étiez battues, Morgane et toi. Vous auriez toutes les deux finies chez le proviseur, ce dernier aurait convoqué vos parents et vous vous seriez fait renvoyer toutes les deux. Au risque de passer pour rapporteuse, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose, va voir un surveillant ou la C.P.E si quelqu'un t'embête. Et n'oublie pas de donner des noms. »
Elle hocha la tête. Un silence s'installa. Je m'apprêtais à clore le sujet quand Anna rapprocha soudainement sa chaise de la mienne. Apparemment, on n'avait pas fini.
« Je m'inquiète de plus en plus pour Ally... me confia-elle, Elle a disparu pendant la dispute. On l'a cherché avec Meredith pendant tout le reste de la récré.
– Et vous l'avez trouvée ?
– Enfermée dans les toilettes, en sanglots...
Je vis que ses yeux allaient bientôt déborder.
– Qu'est-ce qu'il y sur ton cœur ? lui demandai-je en essuyant les quelques larmes qui roulaient sur ses joues.
– Quand je l'ai vue, j'ai enfin compris pourquoi Ally a tellement peur, répondit-elle la voix tremblante.
– Il ne faut pas. Il ne faut pas avoir peur, ni pleurer pour ce genre de choses. C'est ce que les salauds veulent.
– J-F, aujourd'hui je me suis fait insulter. Tu as dit que des homophobes il y en avait partout, comment est-ce que tu crois que ceux qui ont assisté à toute la scène vont réagir ? »
Mes yeux s'illuminèrent encore. Mais cette fois, une grande inquiétude était au rendez-vous... Je fermai les yeux, soupirai, les rouvris et avouai :
« J'avais oublié ce détail...
– Maintenant que quelqu'un a enfin osé venir me dire les quatre vérités, il y en aura plein qui vont suivre et ils vont se lâcher ! s'écria-t-elle, J'ai vraiment peur là ! Et s'ils ne peuvent pas juste se contenter de mots ? Comment je fais ?! »
Je ne savais pas quoi lui répondre. Ce genre de scénario me dépassait, mais je ne pouvais pas l'ignorer. La particularité de l'idiot, c'est que c'est un mouton, il a besoin d'un meneur à imiter. Le vrai idiot est trop idiot pour agir seul. Tant que quelqu'un de légèrement plus intelligent ne le mène pas à la baguette, il restera dans le minuscule pré que sa connerie a aménagé tant bien que mal, surtout mal, pour lui. Il continuera à brouter sa propre bêtise sans remarquer le reste du monde devant lui, parce que l'idiot est myope aussi ! Tant qu'il n'a pas remarqué le reste du monde, il ne le respectera et ne le comprendra jamais. Ceux qui avaient trouvé leur meneur aujourd'hui en la personne de Morgane ne sont malheureusement pas tombé sur un ange... Anna n'avait pas tort, il y avait des chances qu'elle passe un sale quart d'heure. Espérons que ces chances soient minimes...
« Anna... commençai-je.
– Ma vie est fichue... sanglota-t-elle le visage enfoui dans ses mains.
– Non ! la repris-je, Enfin, rien n'est sûr, tu ne peux pas prédire l'avenir et moi non plus. Mais, je sais qu'il ne faut pas laisser tout cela te déprimer. On sait tous les deux que tu vaux mieux qu'eux. Ignore-les, les cons resteront cons et puis c'est tout, on n'y peut rien, ils sont cons. Tu ne vas pas en laisser un te miner le moral quand même ?
– Non. Ce serait con... répondit-elle timidement avec humour.
– Je retrouve ma Anna ! Avec de la chance, tout sera vite oublié. Et puis... Tu sais que je suis là si tu as besoin. Tu as aussi deux supers amies et n'oublie pas que tu peux en parler à tes parents. »
Sur ces mots, elle sécha ses larmes et afficha un grand sourire sincère. Nous nous levâmes et elle se réfugia dans mes bras. Elle était beaucoup plus qu'une élève. Pour moi, elle était comme une fille. C'était la première fois que je la voyais aussi fragile, elle qui, d'habitude, débordait d'assurance, de courage et de bonne humeur... Quelque chose en moi se briserait s'il lui arrivait malheur. Après qu'elle soit sortie de la salle, je fis signe à mon autre classe d'entrer.
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