Chapitre 16: Allez réponds !
~Point de vue de François (Bardet)~
Pourquoi est-ce qu'elle tardait comme ça ? Cela ne lui ressemblait pas du tout. Je savais très bien que vendre de la marijuana était illégal et également fatal pour ma carrière, mais même si j'adorais mon travail, mon salaire misérable de professeur de français dans un lycée public ne m'aidait franchement pas à arrondir mes fins de mois avec les impôts à payer et le prêt étudiant à rembourser. Aussi, j'aimais beaucoup trop cette drogue et le business pour m'en passer... Il fallait que je l'appelle. Il fallait que je trouve ce qui clochait dans les chargements pour enfin pouvoir reprendre les bonnes vieilles habitudes. Je composai le numéro d'Allyson. Allez ! Prends ton téléphone ! Je ne voulais pas entendre le son de la tonalité du téléphone. Je voulais entendre le son de sa voix pour comprendre ce qui se passait. Rien. Bon, encore une fois. Toujours rien.
« Allez réponds ! » me surpris-je à hurler dans mon salon.
Bon, une dernière fois. Si elle ne décrochait pas, je me verrais obligé de la confronter le lendemain au lycée... Toujours rien... Je jetai mon portable sur mon canapé et poussai un cri de frustration avant de me mordre le poing. J'avais très chaud, la douleur provoquée par mes morsures me faisait presque oublier mon stress. Je devais me calmer. Stresser encore plus que je ne le faisais déjà n'allait me servir à rien. J'attachai mes cheveux en queue de cheval et me posai sur mon sofa, ne sachant que faire de ma journée... Je n'avais aucune envie de corriger le contrôle de lecture de ma classe de seconde ni les commentaires littéraires des premières L, qui étaient vraiment des abrutis cette année. Abrutis dans le sens où ils n'en avaient rien absolument rien à battre de leurs examens et des cours. Il y avait de grandes chances qu'à deux semaines du bac, ils se mettraient à pleurer à genoux devant moi, me suppliant de les sauver car ils n'avaient strictement rien fichu de toute l'année et que les épreuves étaient derrière leur porte. Du pur foutage de gueule. J'espérais de tout cœur qu'ils prendraient conscience de leur déplorable mentalité le plus tôt possible, parce que la situation avait tout ce qu'il fallait pour devenir critique. J'allumai une cigarette. C'était devenu un réflexe depuis ces vingt dernières années à enfumer mon organisme. Ma maison, enfin surtout mon salon, empestait la fumée, la cendre et le tabac froid, d'ailleurs, j'étais surpris qu'Anna ne m'ait pas fait la remarque quand elle avait débarqué chez moi à l'improviste. Je venais de rentrer de chez elle, il était absolument hors de question de la laisser rentrer toute seule à pied alors que le soleil commençait à descendre, d'autant plus qu'un nombre considérable de kilomètres séparait sa maison de la mienne. Elle se serait trouvée dans le noir complet après avoir fait à peine la moitié du chemin et le fait que la souricière n'était pas loin m'inquiétait au plus haut point... Ma table basse était toute recouverte de cendre, mon cendrier en débordait. A côté du cendrier, des boites de pizza ouvertes pleines de mégots et une bouteille de Jack Daniels vide. La fumée que je crachais avait l'air de se sentir chez elle et ne tarda pas à plonger le salon dans un léger brouillard.
Cette histoire me préoccupait. Je repensai à l'hypothèse d'Anna. Elle n'était vraiment pas stupide... Il se pourrait même qu'elle ait eu raison. Connaissant Allyson, elle n'aurait jamais fait exprès de retarder une livraison, ou de la faire disparaître. Si l'hypothèse d'Anna était validée et que le problème venait réellement du fournisseur, on était mal barrés... Surtout moi car c'était ce qui me permettait de vivre correctement.
Je ne voulais pas accabler Allyson encore plus qu'elle ne l'était déjà. Elle avait déjà de quoi faire une dépression nerveuse entre ses examens, son orientation sexuelle, qu'elle ne faisait que refouler devant certains depuis des années, sa mère homophobe et son ex qui ne rendait la vie facile à personne, surtout la mienne. D'ailleurs, ma mâchoire en était tombée de surprise quand je vis pour la première fois que ces deux-là pouvaient à nouveau se fréquenter sans pleurer en position fœtale pour l'une et sans culpabiliser à mort pour l'autre. Mon téléphone sonna. Je fus quasi émerveillé quand je vis le nom d'Allyson sur l'écran. Je décrochai, je m'étais préparé à l'engueuler mais elle ne me laissa pas parler en premier :
« Je suis devant ta porte. »
Elle raccrocha. Eh bien, les choses se passaient encore mieux que je ne l'espérais. Mais sa voix était étouffée comme si elle avait pleuré. Effectivement, son visage était mouillé de larmes quand je lui ouvris la porte. J'en oubliai immédiatement mes envies de l'enguirlander devant son air de détresse. Elle avait ce sac de sport, que je connaissais bien, sur son épaule. Elle le posa sur le sofa.
« Il est arrivé quelque chose ? lui demandai-je avec un ton calme.
– Ma tante... répondis-elle en essuyant une larme qui venait de rouler sur sa joue.
– Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
– Lis, dit-elle en me donnant une lettre, je l'ai reçue hier avec la marchandise mais je ne l'ai ouverte que cet après-midi en rentrant. »
Je dépliai le papier. L'encre avait bavé de tous les côtés.
« Ma très chère Allyson,
Premièrement, tu me manques énormément. J'aurais aimé pouvoir venir te voir à la fin de ce mois-ci, comme je te l'avais promis, mais ce ne sera malheureusement pas possible et j'en suis tellement, mais tellement désolée... La dernière fois que nous nous sommes vues était, hélas, la dernière. Je ne sais pas qui, et j'aurais bien aimé le défoncer cet enculé, mais quelqu'un de mon entourage m'a trahie et vendue aux autorités de l'Oklahoma... Cela fait déjà deux ou trois semaines, mais je ne voulais pas t'affoler... Ils n'ont pas trouvé de preuves pour m'arrêter pour trafic de drogues, mais, je suis arrêtée pour meurtre, plusieurs même, et ils ont des preuves, des preuves réelles et solides... Je sais que tu es contre ma façon d'éliminer la concurrence justement parce que cela pourrait m'attirer des problèmes et tu avais raison. Je me sens extrêmement bête de ne pas avoir pris cette possibilité de me faire prendre plus au sérieux, même si je faisais déjà très attention... Le procès s'est terminé hier et la sentence est tombée: je serai exécutée dans les 48 heures, et c'est une machine qui va s'en charger. Une machine ! Ils savent qu'ils ne valent pas mieux que moi et pourtant, ils n'ont même pas les couilles de venir le faire eux-mêmes. C'est scandaleux ! Foutus ricains... J'aurais aimé te l'apprendre autrement que par cette malheureuse lettre mais je suis pieds et poings liés, en train de pleurer toutes les larmes de mon corps dans une cellule et je serais probablement déjà partie quand tu recevras ces bouts de papier... Oui je pleure maintenant ! C'est encore un peu nouveau pour moi... Les larmes sont en train de faire baver l'encre sur le papier... Nous ne nous reverrons plus mais je ne vous laisserais pas sans rien toi et François. Les chargements vous seront envoyés à chaque fin de mois comme d'habitude, ils seront un peu plus lourds mais vous vous en sortirez avec au moins un million d'euros cash chacun une fois le dernier gramme vendu si vous procédez comme d'habitude. Ce chiffre doit te paraître impressionnant, il faut faire partir tout ce qu'il y a dans les réserves, donc, j'ai fait rajouter de l'acide à votre inventaire, forcément, ça rapporte plus gros. J'ai pu m'arranger pour que la lettre ne soit pas tracée, donc personne ne te trouvera, ni toi, ni François, ne vous en faites pas pour votre sécurité. Et puis c'est des ricains, ils sont très cons et le français et eux ça fait dix mille... J'en ai eu des idées de merde, mais mettre les pieds aux États-Unis de putain d'Amérique, c'était la pire ! Surtout, n'y va pas. Je suis navrée que les choses se passent ainsi, mais cette fois, je n'ai rien pu faire pour les changer.
Je toujours été réticente à l'idée que tu intègres le business, mais après ce qui s'est passé avec ta mère à la mort de ton père... Cette femme a une lourde dette envers toi et moi, rappelle le lui bien. Si elle manque à ses devoirs de mère encore une fois, je ne me gênerai pas pour venir la hanter sans aucune forme de pitié, mais ça, ne le lui dis pas, j'aimerais lui faire la surprise (et puis tu sais que je ne l'ai jamais aimé de toute façon, je ne sais pas comment Alex faisait pour la supporter). Enfin bref... Ne laisse pas les évènements t'affecter et sois forte. Tu es la fille, ou devrais-je dire, la femme la plus courageuse, intelligente, gentille, belle et attentionnée que je connaisse. Je t'aime plus que tout ma chérie, depuis ton premier jour sur cette terre. Tu n'es peut-être pas mon bébé, mais je t'aime comme si tu étais mon bébé. Adieu ma puce.
Ta tante Marie qui est désolée pour tout.
PS : Fais un gros câlin à Danny et Emily pour moi. »
Je perdis pied et me laissai tomber sur le sofa. Ally me rejoignit et alluma une cigarette. La pauvre en avait besoin...
« Toutes mes condoléances... lui dis-je après avoir retrouvé ma voix.
– Merci J-F... Bon, assez chialé, je change de sujet. Il va falloir mettre les bouchées doubles sur la vigilance et la vitesse à partir de maintenant.
Elle ouvrit le fameux sac et dévoila la marchandise.
– Comme tu peux le voir, les chargements sont plutôt balèzes, poursuivit-elle, Comme d'habitude, je vais te donner un coup de main pour la vente. Il faut que tout soit écoulé avant la fin du mois parce qu'il y en aura un autre de cette taille qui va arriver, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus, et laisse-moi te dire que Marie a une réserve bien remplie, donc, ce n'est vraiment pas le moment de s'encombrer.
Je hochai la tête. C'était elle le chef maintenant que Marie n'était plus parmi les vivants.
« Bon allez, lâcha-elle avec un nuage de fumée et un ton complice, on pourra peut-être se partager un chargement pour se faire plaisir. Une fois que tout ce bordel sera terminé... »
Un sourire malicieux vint s'afficher sur son visage. J'admirais énormément cette jeune femme forte, pleine de bons sentiments et de courage. Elle arrivait à surmonter chacun de ses problèmes, aussi accablants soient-ils. Je l'enviais un peu pour cela. Comment le faisait-t-elle ? Apparemment, elle-même n'en savait rien.
« Ah ben écoute, je n'ai rien contre cette idée ! » acquiesçai-je avec un air faussement innocent.
Elle rit. J'aimais la faire rire. Elle était beaucoup plus belle quand elle riait. On partagea les drogues destinées à être vendues en parts égales. Le poids de la marchandise avait quasiment doublé. Je n'avais pas plus peur que d'habitude mais il fallait être doublement plus efficace à partir de ce soir. Elle prit le chemin de sa maison une fois le partage terminé. Vu que la grande majorité des ventes se faisaient la nuit, je sentis que j'allais avoir besoin de beaucoup, beaucoup de red-bull pour survivre...
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