PDV d'Amber:

-Bonsoir à vous, mesdames et messieurs. Aujourd'hui, nous nous réunissons pour rendre hommage à ces hommes qui sont morts il y a quelques jours de cela. Je n'ai pas besoin de vous expliquer les circonstances de leurs morts, car vous le savez tous. L'une des choses qui font de notre organisation l'une des plus prospères au monde est bien notre loyauté au quotidien. Car plus qu'une organisation, nous sommes une famille. Et même si certains d'entre nous nous ont trahi, on reste une famille. Voilà ce que fait une famille : elle se serre les coudes, elle s'entraide, et elle se pardonne. Soyons francs, l'acte manqué de Merias nous a coûté cher, nous avons perdu de très bons hommes, parmi les meilleurs et même deux légendes. Mais il avait choisi son camp, lui comme tous ceux qui l'ont suivi. Et ils ont payé. Je...

Je décroche de son discours au moment où apparaît Noah. Il vient d'entrer par la porte derrière l'estrade. Les battements de mon cœur se déchaînent à sa vue. C'est fou qu'après tout ce temps, je le trouve plus beau encore. Son costume trois-pièces gris clair sur chemise blanche met en valeur sa carrure d'athlète. Ses cheveux sont moins ébouriffés qu'avant car plus court, lui conférant un air plus dur. Je vois ainsi plus clairement les changements que ces derniers mois ont eu sur lui : il est plus costaud, plus imposant mais surtout plus dur.

Ses yeux émeraudes scrutent la foule et s'arrêtent lorsqu'ils croisent les miens. Et tout disparaît autour de nous. Des multiples sentiments m'envahissent tandis que son regard reste de marbre. Il me semble à cet instant inaccessible. Une larme coule sur ma joue, une seule. Elle projette tous mes regrets, toute ma colère face à la vie et surtout toute ma tristesse face à la disparition de John. Une bouffée de culpabilité surgit mais je l'étouffe aussitôt ; ce n'est certainement pas le moment pour cela.

Notre échange s'interrompt quand l'homme qui faisait son discours, fait face à Noah et lui fait un signe de tête. Noah, qui était sur le côté, rejoint alors l'autre homme au centre de l'estrade. Il jette un coup d'œil froid à l'assistance avant de prendre la parole.

-Comme vous le savez tous. J'ai perdu mon meilleur ami. John. Une légende. C'était même plus qu'un ami, c'était mon frère. Depuis le jardin d'enfant, nous étions ensemble. Nous étions inséparables. Nous avons affronté beaucoup de choses, dont de nombreuses que l'on pensait insurmontable mais nous les avons faits. Nous les avons toutes accomplies ensemble. Nous nous sommes toujours soutenus, protégés. Et ce jusqu'à la fin : c'est pour me protéger qu'il est mort. Il prend une petite pause avant de reprendre. Il n'a pas eu la vie qu'il méritait. Et pourtant il méritait le meilleur. Mais il est parti trop vite, trop tôt.

Il s'interrompt, la salle est suspendue à ses lèvres.

-John, repose en paix mon frère, reprend-il. Tu seras toujours dans mon cœur.

Il tape deux coups de poings sur sa poitrine aussitôt répondu par son auditoire. Un phénomène impressionnant vu de l'extérieur. Ils partageaient tous la peine de leur leader, de leur chef. Il s'éloigne alors et le premier intervenant reprend sa place au micro.

Mais je n'écoute pas sa tirade, me concentrant entièrement sur Noah. Celui-ci s'est retranché sur le côté de l'estrade. Son visage est indéchiffrable. Même durant son discours qui, même s'il s'est exprimé en terme émouvant et resté en un sens froid. Comme s'il ne voulait pas montrer totalement sa peine. Et pourtant tout le monde sait ici qu'elle est immense. De ce que m'a raconté Nathan, leur amitié indéfectible était connue de tous. J'oublie cependant une chose : ce n'est plus Noah le lycéen cool que j'ai en face de moi, c'est Noah, chef et dirigeant d'une organisation mafieuse internationale. Je ne m'y ferai sûrement jamais.

Quand je repense à tous nos délires, nos fous-rires ; tous ses souvenirs que je chérirai toute ma vie. Parce que j'ai le pressentiment que c'est tout ce que je retirerai de lui dans cette histoire. Notre relation s'arrêtera bientôt. Je le sens. L'autre personne à qui je pense est Jordan. Je n'arrive toujours pas à croire que celui que j'ai considéré comme mon meilleur ami pendant tous ces mois n'était en fait qu'un traître, un imposteur qui n'avait que soif de pouvoir. Au risque de paraître méchante, je ne pleurs pas sa mort. Il a fait bien trop de mal autour de lui.

Comment a-t-il pu vouloir tuer Noah ? Ils se connaissaient depuis leur enfance bon sang ! Mais il faut bien comprendre que tout le monde n'a pas un certain sens moral. Quelqu'un a dit que les plus grandes trahisons venaient de personnes proches de nous. C'est d'une vérité cruelle.

Je reprends mes esprits quand je vois tout le monde se lever. L'hommage semble terminé, place au dîner. Dans la foule, je perds Noah de vue, me laissant entraîner par Anna et Nathan. Nous suivons alors la foule se diriger d'un seul homme vers une grande salle sur le côté où est servi l'apéritif. Nathan nous lâche la seconde d'après pour faire son pique-assiette.

Le buffet a beau être rempli de mille et une victuaille, l'appétit me manque. La seule chose que je veux, c'est parler à Noah. Anna me tient la main pour que je ne me perde pas dans la foule. Elle me donne une assiette qu'elle remplit de quelques petits fours. Je n'ai pourtant pas une once d'appétit mais je sais qu'elle fait ça pour s'occuper. Comme tous les gens dans cette salle, elle est beaucoup touchée par la disparition de John. D'où sa volonté de s'occuper un maximum pour échapper à son deuil.

Elle nous mène ensuite avec Nathan vers un coin de la salle où les chaises sont vides. Je ne peux pourtant pas m'empêcher de regarder dans la salle pour trouver Noah. J'ai besoin de lui parler. Mais la foule est si compacte à certains endroits qu'il est difficile à repérer.

-Tu finiras par le trouver. Sinon, c'est lui qui te trouvera, tente de me rassurer Nathan en me prenant la main.

-Tu crois ?

-J'en suis sûr.

J'acquiesce et essaie de grignoter les petits fours. Ceux-ci sont délicieux mais je ne parviens pas à en manger plus de deux. La situation a beau s'être améliorée pour nous, je ne sais pas trop comment s'annonce la suite. Notamment, le procès. L'échéance est bientôt arrivée. Je n'ose même pas imaginer la détresse de ma mère. Elle doit être morte d'inquiétude. Elle me manque tellement.

Je sors de mes pensées en sentant un coude s'enfoncer dans mes côtes. Nathan me fait un signe de tête vers la salle. Il n'en faut pas plus pour que je lève la tête et croise le regard de Noah. Mes yeux s'écarquillent face à son regard froid et les battements de mon cœur se précipitent. Je meurs d'envie de lui sauter dans les bras mais je sais que je ne peux pas faire ça. Tout d'abord, je ne sais pas comment il réagira. Et surtout pas devant tout ce monde. J'ai déjà surpris plusieurs regards étonnés sur ma personne, j'essayais donc de me faire la plus petite possible.

Il me fait un signe de tête pour que je le suive en dehors de la salle. Je n'hésite pas une seconde avant de me lancer à sa poursuite. Il marche vite mais s'arrête quelques fois pour savoir si je le suis. On finit par sortir de la salle à l'opposé de là où nous sommes entrés, dans un couloir désert. Il ne s'arrête pas pour autant et remonte le couloir. Nous finissons par arriver dans une pièce faisant office de bureau. Dans les tons marron chaud, il s'agit d'une pièce assez chaleureuse si l'on oublie les nombreuses armes de collection exposées sur l'un des murs. La pièce est bien entretenue avec un bureau rangé en bois sombre.

-Tu peux fermer la porte ?

Sa voix me fait sursauter tellement je ne m'y attendais pas. Son ton n'est pas froid mais une certaine lassitude s'y entend. Je referme donc la porte et me place au milieu de la pièce, ne sachant que faire. Noah me fait face mais il ne sourit pas. On pourrait presque croire que j'ai un étranger en face de moi. Mais je ne laisse pas son attitude m'intimidait et fait alors la première chose que je rêvais de faire depuis longtemps. Je lui tombe dans les bras. Je l'enlace, rassurée de le retrouver sain et sauf.

Il met quelques secondes avant de réagir et de m'enlacer en retour. Je me fonds contre lui, si heureuse de retrouver son odeur. Nous restons quelques secondes ou bien quelques minutes comme ça avant que nous ne parvenions à nous séparer.

-Je suis désolée, est la seule chose qui sort de ma bouche.

Par ses simples mots, je lui exprime toute ma tristesse quant à cette situation, que ce soit par rapport à John, à Jordan, à nous, à la mafia. Nos vies ont basculé et aucun retour en arrière n'est possible. Nous avions cru un temps pouvoir échapper à notre passé, mais il nous a rattrapé bien plus vite que prévu.

Ses yeux qui m'ont paru si froid tout à l'heure sont maintenant figé de tristesse. Rien ne se passe comme nous l'avions prévu, tout s'est écroulé. A l'heure qu'il est, nous devrions être en plein révision pour nos examens. Mais non. Le destin en a décidé autrement.

-Ne le sois pas, finit-il par dire en s'éloignant. Ce n'est pas de ta faute. C'est le monde qui est injuste, que veux-tu.

Sa voix est résignée. Il est toujours aussi beau, encore plus imposant qu'avant. Ses quelques mois n'ont pas été rudes que pour moi. Quelque chose à changer chez lui. Il semble avoir pris dix ans d'un coup. Terminée la période des mauvaises vannes, on avait affaire à un homme d'affaire implacable.

-Et maintenant ?

Il me regarde avant de se diriger vers le bureau pour prendre une pochette.

-Tiens.

Je m'approche et saisis la pochette. Il s'agit d'un accord de confidentialité concernant le procès.

-Je ne comprends pas.

Plus je lis le document, et plus mon cœur s'emballe.

-A partir de ce soir, Nathan et toi seraient libérés. Tu pourras ainsi te rendre au procès et témoigner contre ton beau-père. C'est très simple, tu diras seulement ce que tu auras vu mais tu ne devras en aucun cas mentionner son implication dans la mafia. Tu ne sais rien à propos de tout ça, et c'est que le jury doit entendre. Après cela, tu pourras reprendre une vie normale sous ta véritable identité. Tu n'auras plus rien à faire avec nous.

Sa voix est redevenue froide et ses yeux, remplis de tristesse tout à l'heure sont maintenant dénués de toute expression.

-Pardon ? Une vie normale ? Mais dis-moi qu'est-ce qu'une vie normale après tout ça Noah ?

-Passer tes examens, aller à la fac, te trouver un bon boulot et vivre ta vie. Voilà ce que tu dois faire.

-Et toi ? Est-ce... est-ce qu'on se reverra ? Je demande la voix tremblante.

Il me toise d'un regard torve avant de me répondre.

-Tu connais très bien la réponse. J'ai des responsabilités maintenant. Nous ne pourrons plus nous voir, plus jamais.

Mon cœur se brise en entendant ces mots. Je manque m'effondrer mais Noah me rattrape et me maintient debout.

-Je suis désolé mais c'est le mieux à faire pour nous deux, rajoute-t-il avec une voix radoucie. Nous n'avons pas le choix.

-Mais comment ça on...

-Écoute-moi ! Le monde dans lequel je vis est trop dangereux pour toi. Tu y as été exposée trop longtemps. Tu dois quitter ce monde et cette atmosphère néfaste. Tu dois vivre ta propre vie. Et tu ne pourras pas le faire avec la mafia dans les parages. Il faut que tu sois heureuse, et crois-moi, tu ne le seras pas à mes côtés.

Une larme coule sur ma joue qu'il récupère de son doigt.

-Ne pleure pas s'il te plaît, c'est la seule chose à faire.

Malgré ses mots, les larmes continuent de couler. Je ne peux pas me faire à l'idée que nous vivons nos derniers moments ensemble. Nous avions traversé tellement de choses, nous sommes devenus amis et je suis sûre que nous aurions été bien plus si le monde ne nous tombait pas dessus. Mais nous n'avions pas voix au chapitre. Tout était terminé. Nous nous étions déjà dit au-revoir mais ceux-là avaient un goût bien plus définitif. J'avais eu cet espoir qu'une fois tout cela terminé, nous aurions pu devenir quelque chose. Mais maintenant tout a changé. Des mois sont passés et l'avenir plus cruel.

Sans pouvoir m'en empêcher et même si cela risque de me causer plus de mal qu'autre chose, je pose mes lèvres sur les siennes une dernière fois. La dernière fois. Je ne lui laisse pas le temps de me répondre que je quitte brusquement ses bras. Le document en main, je prends un stylo dans un pot et le signe rapidement, sans même prendre la peine de le lire entièrement. Je sais que dans tous les cas, notre chemin se sépare définitivement.

-Au revoir Noah, je dis en reposant le document sur le bureau mais incapable de le regarder de nouveau.

Je me dirige vers la porte précipitamment, pour éviter de fondre de nouveau en larme. Je ne veux pas m'effondrer. Pas comme ça. Mais avant même que je n'ouvre la porte, Noah me retourne et fond sur mes lèvres. Cette fois-ci, nous nous échangeons un vrai baiser. Il demande un accès à ma langue, que je ne peux lui refuser. Un baiser passionné et douloureux. Un baiser au goût d'adieu et de tristesse. Un baiser de fin. Nous nous détachons l'un de l'autre au prix d'un terrible effort, et pourtant Dieu sait que l'on aurait préféré que ce baiser ne se termine jamais. Mais toute chose a une fin, et notre histoire, une fin prématurée.

-Je t'...

- Non, ne le dis pas, me répond-il en posant un doigt sur mes lèvres. Je le sais. Moi aussi Alicia.

FIN