5. Beth
Décembre
Je ne m'étais pas amusée de cette façon depuis longtemps. L'espace d'une heure, je suis presque parvenue à oublier mes problèmes et mes idées noires et je dois bien le reconnaitre, ça fait du bien. Je me suis sentie libérée. Je n'avais pas éprouvé ce sentiment depuis un certain temps et cela a commencé à éveiller quelque chose en moi. Je n'irais pas jusqu'à dire que j'étais à ma place, mais je n'ai plus eu l'impression d'être une intruse dans leur groupe. Je ne suis pas encore complètement à l'aise ; ils se connaissent depuis déjà des années, je me vois un peu comme la pièce rapportée. Ils se sont tous montrés très accueillants, même Riley m'a surprise alors c'est pour dire ! En revanche, j'aurais préféré ne pas tomber sur lui, torse nu, en allant chercher mon portable. Il n'y a pas que ma gêne qui a atteint des sommets. Ma température corporelle aussi a grimpé en flèche. Certes, on ne s'entend pas vraiment bien lui et moi, mais il serait stupide de ne pas avouer qu'il est sacrément bien foutu.
Me retrouver face à Riley simplement vêtu de son jean m'a à la fois excitée, mais surtout terrorisée. Depuis ma relation avec Aaron, je ne suis plus sorti avec un homme. Il a laissé des empreintes sur moi qui rendent le contact physique difficile avec tout individu et en particulier avec la gent masculine. Je n'avais qu'une envie, c'était qu'il me donne mon téléphone pour m'enfuir loin de lui. Seulement cet idiot en a décidé autrement. Détendre l'atmosphère... tu parles ! Si en revenant au salon Mason ne m'avait pas invitée à faire une partie avec eux, je crois que j'aurais pris mes jambes à mon cou, quitte à abandonner mes affaires sur place.
Je n'avais pas joué à Mortal Kombat depuis des années. Depuis... la disparition de Dylan. Mon cœur se serre en pensant à lui. Je suis sure qu'il aurait adoré faire un duel contre les garçons. Il était vraiment doué à ce jeu, c'est lui qui m'a appris les différents combos pour chacun des personnages. Visiblement, je n'ai rien oublié de nos parties ensemble. Des souvenirs... C'est tout ce qu'il me reste de lui à présent. Un sanglot manque m'échapper, mais je le ravale aussitôt en buvant une gorgée du breuvage qui fume dans ma tasse. Je raffole du chocolat chaud avec de la chantilly et des mini‑chamallows sur le dessus. La boisson de l'hiver par excellence !
Assise dans l'angle de mon canapé, une couverture à moitié posée sur mes jambes, j'observe les flocons qui chutent à l'extérieur. La neige a commencé à tomber le lendemain de Thanksgiving, il y a donc deux semaines maintenant. Noël approche à grands pas, la fin de l'année aussi. Une année de plus sans ma mère, sans Dylan. J'essaie de me raisonner, de me dire que depuis le temps, je devrais pourtant arriver à m'y faire, mais non. Je ne parviens pas à combler ce vide qu'ils ont laissé en partant. J'ai donné le change pendant trop d'années, cette fois, je suis à bout. J'en ai assez de faire semblant, de faire comme si tout allait bien alors que je me répète chaque jour que je suis responsable de leur disparition. À quoi bon vouloir me faire passer pour ce que je ne suis pas ?
Mon image de femme sure d'elle, bien dans sa peau, toujours parfaitement apprêtée, n'était qu'un subterfuge pour ne pas révéler celle que je suis réellement. Une femme brisée, meurtrie. Je me sens déjà un peu plus moi‑même depuis que j'ai changé de look. Je n'en pouvais plus de me faire passer pour une autre ; Jérémy a raison, celle que je vois dans mon miroir désormais, ça, c'est la vraie moi.
Je suis toujours en train d'observer les flocons tomber et recouvrir les rues et les toits d'un épais manteau blanc lorsqu'on sonne à la porte. Je me tourne vers l'entrée en fronçant les sourcils. Étant donné que je n'attends personne, je n'ai aucune idée de qui il peut bien s'agir. Eddie est sortie pour une séance de dédicaces, elle ne devrait pas rentrer avant la fin de la journée. Je fais mine de n'avoir rien entendu et reporte mon attention sur le livre posé sur mes genoux. Au même moment, mon téléphone bipe, m'annonçant que je viens de recevoir un message. J'active la bulle de discussion et hallucine en lisant ce qui s'affiche.
Matt :
Ouvre‑moi ! J'ai de la neige partout, je meurs de froid !
Ce n'est pas possible ! Dites‑moi que je rêve ! Je lâche mon portable, envoie la couverture valser au bout du canapé et me précipite vers la porte que j'ouvre à la volée. Je me fige dans l'encadrement en réalisant que Matt se tient bel et bien de l'autre côté. Mon rythme cardiaque s'accélère aussitôt, alors que je le détaille pour être certaine qu'il s'agit bien de lui.
— Oublie ce que j'ai dit, ma température vient de remonter d'un seul coup !
Je hausse un sourcil sans comprendre de quoi il parle. Son regard me parcourt des pieds à la tête et un sourire charmeur s'affiche sur son visage.
— Si tu m'accueilles dans cette tenue chaque fois que je rentre d'une tournée, je vais partir plus souvent, ajoute‑t‑il amusé.
Je baisse les yeux et remarque que je porte toujours mon short de pyjama, très court, et un débardeur qui s'arrête au‑dessus de mon nombril. Oui, on est en plein hiver et je suis habillée comme en été, mais mon appartement est très bien isolé et Eddie déteste le froid, donc... Un iceberg pourrait fondre ici !
— Mais qu'est‑ce que tu fais là ? lui demandè‑je en retrouvant l'usage de la parole.
— Tu as l'intention de me faire entrer ou tu veux qu'on discute sur le palier ?
— Euh, ouais pardon, je t'en prie, fais comme chez toi, déclarè‑je en me décalant pour le laisser passer.
— Tu n'es pas contente de me voir ? me questionne‑t‑il en se débarrassant de son blouson et de son écharpe.
— Bien sûr que si ! Mais je croyais que tu ne devais rentrer que la veille de Noël, répliquè‑je en me dirigeant vers la cuisine.
— J'ai changé mes plans. J'apprécie d'être en tournée, mais j'avais besoin d'une pause, avoue‑t‑il en s'asseyant sur un tabouret.
Je me tourne vers lui, préoccupée.
— Matt... tu me le dirais si...
— Ce n'est pas le cas, Beth, ne t'inquiète pas, me rassure‑t‑il en me coupant la parole. La copine de Tyler a eu quelques soucis, il a préféré rentrer auprès d'elle. Je ne sais plus pour quand est prévu l'accouchement, mais c'est pour bientôt, et il ne veut pas le rater. Où est ta colocataire temporaire ?
— Eddie ?
— Il y a d'autres filles canons qui vivent ici à part elle et toi ?
Je redresse la tête, pas certaine d'avoir bien entendu.
— Tu trouves Eddie canon ?
— Comme n'importe quel mec qui la croiserait dans la rue.
— Et moi qui me demandais pourquoi tu étais encore célibataire, soufflè‑je en levant les yeux au ciel.
— Ça veut dire quoi, ça ?
— Que ta technique de drague marche peut‑être sur tes groupies, mais que si tu comptes attirer l'attention d'Eddie de cette manière, tu te mets le doigt dans l'œil, chéri. Je te sers quelque chose ?
— Un chocolat chaud avec...
— Chantilly et chamallows, je sais.
Il me sourit et je secoue la tête amusée. C'est notre boisson préférée depuis que nous sommes gosses.
— Et donc, d'après toi, je devrais m'y prendre comment ? me questionne‑t‑il alors que je m'affaire pour lui préparer son chocolat.
— Tu es sérieusement en train de me demander des conseils ? À moi ? Je te rappelle que la plupart de mes expériences dans ce domaine se sont soldées par un échec, quand elles ne m'ont pas envoyée à l'hôpital.
Un silence passe entre nous.
— Euh, je rêve ou tu viens de faire de l'humour noir ?
Je me fige aussitôt en constatant qu'il a raison. C'est bien la première fois que je fais allusion à mes problèmes de cette façon. Je me demande si le produit utilisé pour ma couleur n'a pas fini par traverser mon cuir chevelu et se transformer en substance toxique qui me ronge le cerveau.
— C'est d'avoir commencé à fréquenter des gens autres que Jérémy, Eddie et moi qui fait que tu sembles plus...
— Plus quoi ? questionnè‑je en déposant son mug devant lui.
— Libérée, termine‑t‑il.
— J'ai seulement passé une soirée et Thanksgiving avec eux, c'est tout, répliquè‑je en allant au salon récupérer ma propre tasse.
Je sens le regard de Matt fixé sur moi et quand je me retourne, il relève aussitôt les yeux.
— Tu n'étais pas en train de me mater, j'espère ?
— Absolument pas ! répond‑il rapidement.
— Ouais... Bien sûr. Ne me dis pas que tu es en manque alors que tu dois avoir une horde de groupies collée à tes baskets chaque fois que tu descends de scène.
Il me sourit de toutes ses dents et m'adresse un regard coquin.
— Aucune ne t'arrive à la cheville, chérie, dit‑il sans cesser de me fixer alors que je m'approche.
Je m'arrête face à lui, de l'autre côté du comptoir et me penche pour poser mes coudes sur le plan en bois. Matt ne perd pas une miette du spectacle que lui offre mon débardeur. Il s'installe plus confortablement sur son tabouret et saisit son mug quand j'en fais autant. Il m'observe par‑dessus la montagne de chantilly et de chamallows.
— Délicieuse... murmure‑t‑il en léchant la mousse qui s'est déposée sur sa lèvre.
— Tu parles de la crème ?
— Évidemment !
— Mouais...
Il ricane et repose sa boisson devant lui.
— Bon, raconte‑moi un peu, quoi de nouveau depuis Thanksgiving ? Jérémy m'a dit que son père t'avait proposé de revenir travailler aux Éditions Cole, mais que tu avais refusé.
Je l'observe et hoche la tête pour acquiescer.
— Charles a toujours veillé sur moi comme sa propre fille.
— Tu es en quelque sorte celle que Lise et lui n'ont jamais eue, confirme Matt.
— Et je ne les remercierai jamais assez de m'avoir prise sous leurs ailes quand je me suis retrouvée seule.
— Alors, pourquoi ne pas accepter le poste que Charles t'a proposé ? Je pensais que cela te plaisait, l'aspect commercial de ton boulot.
— Au début, oui. J'aspire à autre chose maintenant.
— Comme quoi ?
Je lui souris et saisis ma tasse avant de lui faire signe de me suivre vers le salon. Il m'emboite le pas, en silence, et s'assoit près de moi sur le canapé. Il place sa boisson sur la table basse puis se recule pour se positionner plus confortablement.
— Il faut que je te montre quelque chose, lui expliquè‑je. À part Eddie, personne d'autre n'est au courant, je ne l'ai pas encore annoncé à Jérémy non plus.
Matt hausse les sourcils, de plus en plus perplexe.
— Arrête de faire autant de mystère, tu m'intrigues.
J'attrape mon ordinateur et le pose sur mes genoux ce qui oblige Matt à se rapprocher pour regarder de plus près. Je me fige quand je sens son souffle effleurer mon épaule. Mon ami remarque aussitôt mon changement d'attitude et se recule avec un sourire contrit.
— Désolé, j'avais oublié, s'excuse‑t‑il.
Je secoue la tête pour le rassurer.
— Non, ça va, c'est juste...
— Je sais. Alors qu'est‑ce que tu voulais me montrer ? me demande‑t‑il pour alléger l'atmosphère.
Matt a failli péter les plombs quand il a appris pour Aaron. Il a clairement laissé entendre qu'il aurait été capable de le tuer s'il avait été là. Je n'en doute pas une seule seconde, mais si j'en crois les dire de Chelsea, Riley avait lui aussi la même intention. Les garçons et moi sommes très proches, je pourrais presque les considérer comme des frères, mais... Je n'y arrive pas. Je ne peux pas.
— Tu es sure que ça va ? s'enquiert‑il.
Je tourne la tête vers lui, et remarque son air inquiet.
— J'aimerais te dire que oui, mais ce n'est pas le cas, alors, on va faire comme si ça l'était, réponds‑je en haussant les épaules avant de reporter mon attention sur mon écran. Voilà pourquoi je n'ai pas repris le poste que j'avais laissé aux Éditions Cole, déclarè‑je en pivotant l'ordinateur dans sa direction.
Matt se penche en avant et fronce les sourcils en observant de plus près ce que je lui montre. Il reste silencieux un instant puis un sourire illumine son visage.
— Tu pensais à ça depuis combien de temps ? me demande‑t‑il, curieux.
— Un trop long moment. Ce projet est tombé aux oubliettes quand j'ai commencé à travailler aux Éditions Cole. Puis, un jour, en discutant avec Eddie, le sujet est revenu sur le tapis. Elle m'a tout de suite encouragée à le faire, mais je ne m'en sentais pas prête.
— Tu comptes te lancer quand, justement ?
— Je ne sais pas encore. Je t'avoue que j'avance un peu à l'aveuglette, là.
— Et ça, c'est quoi ? me demande‑t‑il en désignant un autre dossier sur le bureau de mon ordinateur.
— Un second projet que j'aimerais mener en parallèle du premier, réponds‑je en ouvrant le document.
Matt le parcourt rapidement avant de se tourner vers moi.
— Et celui‑là, quand est‑ce que tu as l'intention de le mettre en route ?
— Quand j'aurais trouvé quelqu'un pour créer le blog. Je ne m'y connais pas assez là‑dedans et je ne veux pas faire quelque chose de bâclé.
— Tu penses faire appel à qui pour le développement ?
— J'ai une petite idée, mais c'est un peu délicat.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas si elle acceptera, c'est tout.
— Tu t'es trouvé un pseudo ou tu gardes ton vrai prénom ?
J'esquisse un sourire en coin et triture une mèche de mes cheveux.
— Un pseudo, mais j'ignore encore lequel. Du moins... j'ai peut‑être une idée, mais je dois y réfléchir.
— Dylan aurait adoré ces idées, tu sais ?
— Oui.
— Tu comptes en parler quand à Jérémy ?
— Aujourd'hui. Je dois le voir ce soir, déclarè‑je.
— Ce sont de super projets, Beth. Je suis vraiment content pour toi, j'ai l'impression que tu t'es enfin décidée à avancer.
— Parce que tu m'as dit de le faire.
Il ricane et tourne ses yeux vairons dans les miens.
— Non, moi je t'ai juste donné un conseil. Tu as fait ce choix toute seule.
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