57. Par miracle
Malgré sa puissance et contrairement à ce que j'avais pu penser avant qu'elle ne se produise, l'explosion que je venais de déclencher n'avait pas été entendue à des kilomètres à la ronde, car souterraine. En revanche, ses conséquences à l'extérieure avaient été retentissantes et il n'était plus rien resté de la ferme des 20000. Plus rien en dehors d'un immense incendie dont les flammes qui s'étaient élevées haut vers le ciel avaient comme semblé vouloir lécher les étoiles d'une nuit sans aucun nuage.
Cette vision de l'apocalypse sur Terre, j'ai pu m'en faire une représentation exacte, car depuis la route où il conduisait, Jérem l'avait vu. Il l'avait vu, puisqu'après avoir écouté mon message laissé sur son répondeur, il s'était précipité pour nous rejoindre Fleur et moi. Sauf que ça n'avait pas été son premier réflexe.
Avant que Jérem ne se mette au volant de sa voiture, il avait tout d'abord passé un appel qui à la seconde même où il s'était terminé avait déclenché une opération top secrète qui allait mener ces mercenaires jusqu'à nous : ces tueurs vêtus de noir qui après avoir attaqué les véritables secours, s'était mis à nous tirer dessus au moment où Jeanne avait fait s'ouvrir l'entrée B.
Quoiqu'il en avait été, en voyant les conséquences de l'explosion, Jérem avait immédiatement cherché à me joindre avant de se mettre à accélérer en faisant fit des limitations de vitesse. À mesure qu'il s'était rapproché du foyer de l'incendie, sa visibilité s'était faite plus difficile et pour cause : une épaisse fumée noire avait bouché sa vue.
En fonçant malgré tout pour venir défoncer la barrière du poste de garde, Jérem n'avait pas mis longtemps avant de comprendre que s'il s'obstinait à vouloir davantage avancer vers l'incendie, il allait finir carbonisé dans son véhicule et donc, il s'était brutalement arrêté.
Lorsque le vent s'était enfin levé, aussi loin que le regard de Jérem avait pu porter, tout n'avait été que théâtre de désolation. À la place de la maternité des truies, de la pouponnière, du puits à CO2 et de l'usine de transformation, il n'était resté que des décombres et de profondes crevasses. Les vestiges d'une installation qui n'avaient été qu'un leurre.
Une escroquerie organisée à grande échelle et qui avait eu pour seul objectif de faire croire aux consommateurs que la viande qui était produite dans la ferme des 20000 venait bien d'animaux d'élevages et non d'un Meatlab.
D'ailleurs, de cette agriculture cellulaire, de cette promesse de mettre un jour fin au spécisme, à l'élevage, à la maltraitance et l'exploitation animale, il n'était plus rien resté. Tout comme il n'était plus rien resté du laboratoire secret, de l'enceinte de confinement et de toute l'entièreté du sous-sol dans lequel Fleur et moi avions passé les six dernières heures.
Par miracle, les pompiers qu'avait fini par appeler Jérem étaient rapidement intervenus et ce faisant, ils avaient éteint les flammes et par un autre miracle, ils m'avaient retrouvée vivante au beau milieu des décombres.
Trempée jusqu'aux os, mes habits en haillons et pieds nus, les ambulanciers qui m'avaient pris en charge s'étaient étonnés que je n'aie que des égratignures et très vite, ils s'étaient mis à me parler de scanner, d'IRM, mais aussi d'hôpital alors que tout ce dont j'avais rêvé s'était de liberté, d'air frais et de lumière du jour.
À la simple idée de devoir à nouveau me retrouver enfermée entre quatre murs, j'avais eu une réaction épidermique et je m'étais soudain mise à m'éloigner des secouristes. Sauf que l'instant d'après j'étais venue percuter le torse de Jérem et en reconnaissant son visage familier, un tourbillon de joie m'avait emportée.
En me jetant dans ses bras, je m'étais enfin sentie sauvée et en plus d'éclater en sanglots, je lui avais appris de but en blanc le décès de Fleur comme si d'avoir porté ce fardeau durant tout ce temps était devenu trop lourd pour moi.
La chose faite, avec toute la courtoisie qui le différenciait de la plupart des gens, Jérem avait convaincu les ambulances que ça allait être lui qui me conduirait à l'hôpital et sans avoir échangé un traître mot, il m'avait escorté jusqu'à sa voiture.
Après qu'il m'ait ouvert la portière côté passager, je m'étais installé sur le siège et lorsque Jérem était venu attacher ma ceinture comme un parent l'aurait fait au moment du coucher en bordant son enfant, j'avais échangé avec lui un large sourire et je m'étais sentie en sécurité.
Maintenant que j'écris tout ça, lorsque l'ambulance s'était mise en route et qu'en tenant sa promesse, Jérem l'avait suivie, je me souviens qu'alors que petit à petit j'avais vu disparaître dans le rétroviseur ce qu'il était advenu de la ferme des 20000 et de ses entrailles, j'avais à la fois été soulagé et triste.
Soulagé, car j'avais pu avoir la confirmation que mon calvaire était bel et bien terminé. Que le pire était enfin derrière moi. Triste, parce que soudain j'avais repensé à tous ceux qui y étaient morts et au fait que s'il y avait un jour des obsèques en leur honneur, leurs familles, leurs amis et leurs proches ne pourraient jamais vraiment faire leur deuil à cause de l'absence des corps. Tout le reste de leur existence, ils nourriraient ainsi l'espoir que peut-être, quelque part, celui ou celle qu'ils ont perdu continue à mener sa vie comme ci de rien n'était.
Nous roulions depuis près d'un quart d'heure quand Jérem s'était finalement décidé à m'adresser la parole et en le faisant, il m'avait rappelé que je n'étais pas seule au monde.
- Si tu veux en parler, je suis là pour toi. OK ? m'avait-il dit de la voix la plus douce qu'il ait pu faire. Mais alors que je m'étais tourné vers lui pour acquiescer à son altruisme et que ce faisant je m'étais mise à réfléchir à ce par quoi j'allais bien pouvoir commencer, il ne m'avait pas laissé le temps d'ouvrir la bouche et avait ajouté, désolé de te demander ça maintenant, mais est-ce que tu as pu rapporter des images ? C'est juste que ça pourrait tout changer. Tu comprends ? Sauf qu'encore une fois, je n'étais pas parvenu à formuler la moindre réponse, car il s'était fait plus insistant encore en me disant, tu avais bien pris ta caméra ?
En regardant fixement Jérem, j'avais de suite remarqué le léger tressaillement qui venait de tordre la commissure de ses lèvres. Un rictus que j'avais alors interprété comme étant une marque de nervosité, ce qui ne lui ressemblait pas. Pas du tout même. Le signe avant-coureur d'un aspect de la situation qui m'échappait totalement. Mais au lieu de le questionner en retour et de lui demander pourquoi ça ne l'intéressait pas de plus tôt savoir comment j'allais ou encore comment Fleur était morte, je lui avais sèchement répondu.
- Elle est restée là-bas.
Alors que pour lui faire comprendre tout mon mécontentement je venais de lui tourner le dos en plus de me mettre à regarder vers l'extérieur, Jérem s'était empressé d'en rajouter une couche en me disant.
- Et tu n'as pas pensé à récupérer la carte mémoire ?
- Non, lui avais-je répondu du tac au tac, mais au lieu de s'arrêter là, il s'était dépêché de réagir en essayant de m'amadouer, Anna, c'est moi. Jérem. Si tu as récupéré la carte et qu'il y a dessus des images compromettantes, je...
- Je t'ai dit que je ne l'avais pas. Maintenant, laisse-moi tranquille s'il te plaît, lui avais-je craché en le coupant dans sa phrase.
- OK. J'ai compris. Excuse-moi, avait-il alors préféré me dire tout en faisant son mea-culpa.
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