51. Mon ADN
En partant se réfugier dans le Meatlab, puisqu'après qu'il se soit nourri des collègues de Jeanne il avait acquis toutes leurs connaissances, 13.V savait déjà qu'il n'y trouverait aucune issue pouvant le mener vers la surface et pourtant, ça ne l'avait pas dissuadé de s'y rendre. Et qu'il l'ait fait en désespoir de cause en pensant qu'avec la scientifique nous allions bêtement le suivre pour qu'il puisse nous y tendre un piège n'avait en définitive plus eu aucune espèce d'importance, car entre-temps, Fleur l'avait rejoint rebattant ainsi toutes les cartes de sa stratégie.
Dans la clameur de cette usine de viande artificielle, 13.V avait aussitôt trouvé en mon amie une alliée de poids et ce faisant, il avait immédiatement accepté les termes de son accord qui était sensé garantir à l'un la liberté et à l'autre non seulement sa propre survie, mais aussi la mienne ainsi que celle de nos familles.
Cependant, pour que cet échange de bon procédé puisse avoir lieu, il aurait fallu que 13.V parvienne à tuer Jeanne, puis à prendre son apparence afin qu'il fasse lever la quarantaine, sauf que fort heureusement pour la scientifique, ce plan était depuis tombé à l'eau.
Quand il n'était resté à Fleur que la stratégie d'un kamikaze, ma meilleure amie s'était alors jeté à corps perdu dans une entreprise qui allait lui être fatale : en faisant semblant d'avoir été touchée par la flèche hypodermique que lui avait tirée dessus la scientifique, elle avait dû croire qu'une fois l'entrée B d'ouverte, elle parviendrait facilement à récupérer le badge d'accès qui lui avait été repris. Ce saint Graal qui aurait pu faire sortir 13.V de là où il avait été enfermé, mais encore une fois, rien ne s'était déroulé comme prévu.
Avec Jeanne et Maria, le plan que nous allions devoir mettre en oeuvre se baserait donc sur le fait qu'aux dernières nouvelles, 13.V attendait toujours que Fleur ou que qui que ce soit d'autre libère l'accès qui lui permettrait de quitter définitivement la Fabrique avant d'atteindre l'entrée B qui idéalement serait déjà ouverte.
Et durant cette course folle vers la liberté, il ne pourrait que croiser la route de ces mercenaires qui chercheraient alors soit à le tuer soit à le capturer. Un destin qui sur le moment nous était devenu égal, puisque pendant ce temps-là, avec la scientifique nous allions pouvoir nous faufiler dans l'espoir de réussir à atteindre l'extérieur.
Idéalement, d'ici à ce que nous y arrivions, la seconde équipe envoyée pour nous secourir serait déjà sur place et ce faisant, elle couvrirait notre. Et au pire, même si l'affrontement entre 13.V et ces tueurs ne les avait pas tous mis hors d'état de nuire, en ayant au préalable piégé le sous-sol il n'y aurait plus qu'à le faire exploser.
Avant de parvenir à mettre en oeuvre la diversion que nous venions d'envisager, Jeanne et moi avions tout d'abord consulté les plans de l'installation dans le but de définir le chemin que devrait prendre 13.V pour qu'à coup sûr, il rencontre les mercenaires. Mais aussi et surtout celui que nous allions devoir emprunter pour assurer notre fuite.
La chose de fait, la scientifique avait évoqué les stocks de produits chimiques comme étant la seule source de matériel qui allait nous permettre de fabriquer des explosifs suffisamment puissants pour faire s'effondrer tout l'endroit dans un déluge de flammes et de lumière. Et non sans ironie, même dans la mort Fleur allait devoir participer à cette ambition à laquelle pourtant, elle n'aurait jamais consenti. Un choix qu'elle n'a depuis eu de cesse de me reprocher dans mes rêves.
Sans perdre plus de temps, Jeanne et moi étions donc parties de la salle de réunion avant de rejoindre son bureau et en y entrant, elle était venue ouvrir l'un des placards de la pièce. Puis elle en avait extirpé le sac de mon amie : celui qui lui avait été confisqué au début de notre aventure et qui à mon insu avait transporté des câbles électriques, des explosifs, mais aussi des détonateurs ainsi qu'une commande faite pour les déclencher à distance. Un équipement digne d'une terroriste et que Fleur serait parvenue à utiliser si quelques heures auparavant la scientifique ne l'en avait pas empêché.
Quoiqu'il en avait été, lorsque j'avais revu le sac de ma défunte amie, j'en avais eu un pincement au coeur, car pour elle il n'avait pas seulement s'agit d'un banal accessoire de transport, mais bel et bien d'un véritable fétiche. D'un doudou, d'une sorte de compagnon de route qu'au fil des années elle avait customisé au grès de ses envies et de ses humeurs.
Ainsi, en plus d'avoir brodé dessus un énorme V pour signifier son appartenance au mouvement végane, elle avait écrit au marqueur blanc et dans différentes calligraphies le plus important principe de l'anti-spécisme : animaux = humains. Et cerise sur le gâteau, elle avait accroché à l'un des fermoirs une figurine de bouddha : une petite statuette faite de bonze qu'elle avait ramenée de l'un de ses voyages au Tibet.
Je le sais à présent, mais lorsque Jeanne avait posé sur son bureau le sac de Fleur avant de le vider de son contenu, elle ne s'était pas doutée une seule seconde que j'avais hésité à m'en emparer pour en le collant à moi tenter de m'imprégner de son odeur. Sauf que bien évidemment je ne l'avais pas fait, car contrairement à ce que j'avais pu penser dans les premiers instants qui avaient suivi sa mort, mon amie n'allait jamais cesser de se rappeler à moi.
Après qu'elle se soit emparée des câbles électriques, des détonateurs, de la commande pour les déclencher à distance et des explosifs, Jeanne avait ouvert la marche et en la suivant nous étions vite arrivés devant la porte de la salle de Stockage : là où s'étaient trouvés tous les produits chimiques.
En y entrant, la scientifique avait tôt fait d'y fabriquer des bombes et en nous aidant d'un chariot à roulette pour les transporter, nous les avions déposés une à une à différents endroits du sous-sol qui avaient été désigné comme étant des points faibles. Puis, une fois de retour au laboratoire, nous y avions laissé le plus puissance des engins : celui qui d'après ma partenaire ferait presque à lui tout seul s'effondrer l'endroit comme s'il n'avait été qu'un vulgaire château de cartes.
Alors que Jeanne et moi avions échangé un large sourire de contentement, un instant de silence s'était fait entre nous et avec son arrivée, j'avais immédiatement compris qu'en ayant terminé cette phase-là de notre plan, était venu le temps des adieux.
Sans que la scientifique ait eu besoin de me le demander, je m'étais donc éclipsée pour la laisser seule avec Maria, car j'avais tout autant qu'elles eu des au revoir à faire. Certes ça avait été à une morte, mais ça en avait tout de même été.
Une fois devant la porte de l'infirmerie, j'avais longuement hésité à y entrer et pourtant dans un reflex ma main était venue se poser sur la poignée prête à la faire tourner, sauf que je n'étais pas allé plus loin dans mon geste.
Avais-je vraiment eu envie de m'imposer la vision du corps de ma presque-soeur qui devenu inerte ne pouvait que me replonger dans la plus profonde des dépressions ?
Jusqu'où mon subconscient avait-il était façonné par la fiction à tel point que j'avais été prête à m'infliger un tel supplice ?
Et de toute manière, quel bénéfice pouvait-il y avoir à imprimer pour toujours sur mes rétines l'absence de vie d'une personne que j'aurais aimé garder vivante et en bonne santé auprès de moi jusqu'à la fin de ma propre existence ?
Malgré le fait que j'avais fini par me perdre dans toutes ces conjectures, j'avais tout de même décidé que c'était la moindre des choses à faire : de rendre un dernier hommage à Fleur, et après une longue inspiration, j'avais tourné la poignée de la porte avant de la pousser.
Ma première réaction en entrant dans l'infirmerie avait été d'immédiatement fermer les yeux avant de les rouvrir aussi sec comme quand étant encore enfant j'avais pu le faire par peur de découvrir ce qui se cachait réellement sous mon lit. La chose faite, j'avais secrètement remercié Jeanne et pour cause : après qu'elle m'ait aidé à marcher jusqu'à la salle de réunion, la scientifique avait pris le temps de venir recouvrir le cadavre de Fleur d'une bâche de plastique noire. Un geste grâce auquel je n'avais pas eu à être frontalement confronté à l'horreur.
En avançant vers la table d'examen, d'une main tremblante j'étais venue soulever le linceul qui recouvrait mon amie et en le repliant légèrement, j'avais simplement laissé apparaître son visage. De la voir le teint blafard, les joues creusées et les yeux clos, figé dans une rigueur qu'on ne retrouve nulle par ailleurs sauf dans la mort, ça m'avait fait l'effet d'une lente descente aux enfers et j'avais senti une lancinante et étrange chaleur monter en moi.
Lancinante, parce qu'elle s'était mise à aller et venir en suivant le rythme des battements de mon cœur. Et étrange, parce que son origine exacte m'avait semblé être extérieur à ma propre personne tellement elle m'avait irradié de partout et nulle part à la fois.
Subitement en larmes, je m'étais effondrée sur le cadavre de Fleur et en l'espace d'un dixième de seconde, je lui avais tout pardonné : de sa récente trahison durant laquelle elle s'en était prise à Jeanne en espérant récupérer le badge, à celle plus ancienne ou enfermée dans cette prison de verre elle avait feint de vouloir se réconcilier avec moi pour que je l'aide à en sortir. Jusqu'au fait que depuis le commencement de notre expédition clandestine, elle m'avait caché son intention de tout faire exploser avant que la scientifique ne l'en empêche.
Des dernières heures, comme des mois et années qui venaient de s'écouler aux cotes de ma meilleure amie, j'avais soudain décidé qu'il ne resterait que le best of. La crème de la crème. Le top du top.
En l'espace de ce dixième de seconde durant lequel j'avais serré tout contre moi le corps sans vie de Fleur, je m'étais surtout rendu compte qu'elle avait été pour moi bien plus qu'une presque soeur. Bien plus qu'une confidente, et bien plus encore que le catalyseur de toutes mes angoisses. Elle avait été une chance. Un privilège, car en côtoyant cette personnalité pleine de rage, de tristesse et de révolte ça m'avait aidé à me construire. Ça m'avait permis de passer plus sereinement tout un tas d'étapes avant de pouvoir entrer dans l'âge adulte.
Cette nuit-là, plus qu'aucune autre, ça n'avait donc pas seulement été la nostalgie de ces derniers instants passés avec Fleur ou l'évocation dans ma tête de nos meilleurs moments qui s'étaient imposés à moi comme le montage d'une séquence en flash-back, mais la certitude que lorsque la destruction du sous-sol aurait lieu et que son cadavre se retrouverait enseveli sous des tonnes de décombres, mon amie continuerait à vivrait en moi à tout jamais.
À la manière des écrits qu'elle avait pu faire sur son vieux sac à dos, Fleur allait rester gravée sur moi comme s'il avait s'agit de son épitaphe et ainsi, elle deviendrait intemporelle comme une chanson populaire, un tableau de maître ou encore une fable de Jean de La Fontaine.
Lors de sa mort, je m'étais demandé si un jour, on connaissait vraiment les gens avec qui on vivait, et ça même après dix-sept ans de passé à leurs côtés et bien aujourd'hui, alors que tout ça est derrière moi, je peux affirmer qu'on ne connaît jamais réellement les personnes aussi bien qu'elles se connaissent elles-mêmes.
C'est bête à dire, voire stupide, mais si je peux me permettre de le penser c'est parce que depuis qu'elle a disparu ma meilleure amie fait partie intégrale de qui je suis, et ça dans des proportions que jamais je n'aurai cru possibles lorsque j'étais venu me recueillir sur son futur tombeau. J'irai même jusqu'à dire que d'une certaine façon elle fait à présent partie de mon ADN.
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