44. Sauf que
En faisant régulièrement des poses forcées, Jeanne et moi étions parvenus à porter notre fardeau jusque là où s'était trouvée l'entrée B, cette échappatoire dont il y avait une heure à peine j'avais encore ignoré l'existence.
Quand nous étions arrivés devant, j'avais de suite compris que l'énorme double porte qui en avait bouché l'accès ne pouvait servir qu'à une seule chose : faire sortir et entrer en quantité importante les marchandises de l'installation secrète qui avait été construite sous la ferme des 20000.
Après avoir déposé sur le sol Fleur qui était toujours inconsciente, avec la scientifique nous n'avions plus eu qu'à attendre que les secours arrivent et par chance, ça n'avait pas été très long, car sur l'écran d'un interphone fiché dans le mur près de la sortie, le visage d'un homme était apparu et Jeanne s'en était approchée pour s'identifier.
Puis, la serrure à l'extérieur avait été déverrouillée, mais quand à son tour la scientifique avait voulu faire de même avec son badge côte intérieure, Fleur s'était soudainement réveillé. En la voyant se mettre à courir vers Jeanne, j'avais immédiatement cherché à la stopper en utilisant l'aiguillon électrique dont je ne m'étais jamais vraiment séparé, sauf que mon amie m'avait violemment percuté avec son épaule et en tombant à la renverse j'étais venu me cogner la tête sur le sol.
En redressé le haut de mon corps, tout ce que j'étais parvenu à voir de la suite avait été un combat confus entre Fleur et Jeanne et ça jusqu'à tant que cette dernière prenne le dessus sur l'autre.
Lorsqu'avec la scientifique nous nous étions rendus à la Fabrique pour récupérer son badge d'accès, à cause de la fatigue, en tirant avec son pistolet hypodermique, elle avait visiblement manqué sa cible et depuis, mon amie nous avait laissés croire que ça n'était pas le cas. Une stratégie qui lui avait permis d'attendre qu'une occasion de passer à l'action se présente. Une opportunité qui je me l'étais imaginé sur le moment aurait fait qu'elle parvienne à récupérer ce qui lui avait été repris.
Alors qu'au terme de son combat avec Jeanne, Fleur s'était agenouillée en signe de reddition, elle avait supplié la scientifique de ne pas laisser entrer ceux qui se trouvaient derrière l'entrée B. Mais l'adulte l'avait ignorée et en venant appliquer son badge sur la surface du lecteur fiché dans le mur, Jeanne avait provoqué son ouverture.
Après qu'un puissant son magnétique se soit fait entendre, dans un long craquement métallique, l'immense double porte avait commencé à s'écarter et à mesure que l'interstice entre ces deux battants s'était agrandi et que j'avais pu voir de mieux en mieux ceux qui étaient arrivés pour nous sauver, une joie intense était montée en moi. Une sensation de bonheur du genre de celle que l'on ne peut ressentir que lorsqu'après avoir connu la guerre, il ne peut rester que la paix.
D'ici quelques minutes, m'étais-je alors mise à rêver, Fleur et moi allions enfin pouvoir quitter ce calvaire qui avait tout d'abord pris les allures d'une innocente balade en plein air avant de tourner au plus sordide des scénarios de film d'horreur. Et sur le moment, malgré tout ce que nous avions vécu, j'avais eu l'intime conviction qu'avec ma meilleure amie nous allions parvenir à reprendre nos vies là ou nous les avions laissées.
Celles où le printemps laisserait bientôt place à l'été. Une période de l'année qui sonnerait la trêve pour les actions de notre groupe anti-spécisme et où comme chaque année, nous irions travailler à l'hôpital gérontologique et médico-social qui se trouvait près de chez nous.
Puis à la rentrée, plus que jamais prête à laisser s'exprimer notre rage, notre tristesse, mais aussi notre révolte nous reprendrions notre militantisme en plus d'attaquer notre dernière année de lycée. Et si tout se passait comme prévu, une fois le BAC en poche, j'entrerais en BTS audiovisuel et Fleur en fac de journalisme.
Sauf que de happy-end, il n'y en aurait jamais comme me l'avait pourtant laissé croire Jeanne, car alors que j'avais souri à la scientifique pour lui témoigner toute ma gratitude, j'avais soudain vu son visage se tordre pour devenir une grosse boule de frayeur.
Quand à mon tour j'étais venue fixer ce qui avait provoqué chez elle la naissance de ce sentiment d'imminent danger, mon cœur s'était soudain glacé et à raison : ceux qui étaient arrivés pour soi-disant nous aider et qui s'étaient mis à avancer vers nous n'en avaient eu ni l'apparence ni l'attitude.
Leurs visages impassibles, leurs combinaisons intégralement noires de combat et leurs bottes énormes les avaient fait ressembler à un véritable escadron de la mort. Une comparaison qui lorsqu'ils étaient venus braquer sur nous le canon de leurs lourds fusils mitrailleurs, avait soudain pris tout son sens.
Dans un réflexe, j'avais vu Jeanne se précipiter vers le lecteur fiché dans le mur et ce faisant, en utilisant son badge, elle avait forcé la fermeture de la double porte. Après quoi en l'imitant je m'étais à mon tour jetée sur le sol.
Malgré le fait que j'étais venue couvrir ma tête de mes bras repliés pour me boucher les oreilles, le grondement perçant des armes qui s'étaient mises à cracher une véritable pluie de projectiles mortels avait soudain rendu mes tympans douloureux.
Quand les tirs avaient pris fin, j'avais lentement rouvert les yeux, sauf qu'il m'avait fallu toute une minute avant d'oser me redresser sur mes jambes et la chose faite, j'avais été soulagée de voir que la double porte s'était bien refermée sur ceux qui venaient d'essayer de nous tuer.
En échangeant avec Jeanne un regard, j'avais été heureuse de la trouver saine et sauve, sauf qu'au moment où j'avais voulu m'assurer que Fleur allait bien, je l'avais vue inerte et allongée sur le sol. Alors qu'une peur panique venait de me rendre atone, je m'étais tout de même précipité vers mon amie qui n'avait toujours pas donné signe de vie.
Arrivé tout près d'elle, je m'étais soudain figée sur place, car la flaque de sang que j'avais pu voir et qui s'agrandissait sous elle avait en quelques secondes à peine atteintes la pointe de mes pieds. Lorsque je m'étais agenouillée à son côté, j'avais immédiatement cherché l'endroit par lequel la vie avait commencé à fuir de Fleur et aussi gros qu'une cerise, j'avais vite trouvé au niveau de son ventre le trou qu'avait laissé dans son sillage l'un des tirs.
Subitement en sanglots, je m'étais alors mise à implorer pour que Jeanne vienne la sauver, mais malgré mes cris et mes hurlements, rien ne s'était passé. Absolument rien, comme si depuis mon arrivée dans cet endroit, le cours des choses était toujours allé à l'encontre de mes intérêts.
Les yeux embués de larmes, je m'étais donc mise à chercher du regard la dernière position connue de la scientifique, cependant, alors que je m'étais attendue à la voir se ruer vers moi, elle m'avait fixé en retour un masque de sidération sur le visage.
- Jeanne ! Mais viens l'aider putain ! lui avais-je alors hurlé, et ça jusqu'à ce qu'elle me rejoigne.
Au chevet de mon amie, la scientifique avait dans un premier temps cherché à savoir si elle était toujours consciente et ce faisant, après lui avoir saisi les épaules de ses deux mains pour la secouer, elle lui avait demandé si elle l'entendait, en vain.
En lui attrapant les mains, Jeanne avait alors dit à Fleur.
- Fleur, si tu m'entends, serre moi les mains s'il te plaît, mais en l'absence de toute réaction de la part de sa patiente la scientifique avait ajouté avec un supplément de panique dans la voix, Fleur si tu m'entends, cligne des yeux.
Sauf qu'en venant fixer le regard de mon amie, rien ne s'était passé.
La seconde qui avait suivie, Jeanne s'était penchée sur Fleur et en plaquant l'une de ses oreilles contre sa bouche en plus d'observer d'un regard aigu sa poitrine, la scientifique avait vérifié si mon amie respirait toujours, ce qui par chance avait été le cas.
Quand Jeanne s'était soudain redressée avant de se mettre à s'éloigner de nous, je n'avais pas compris ce qu'elle cherchait à faire en dehors de fuir ses obligations et donc je lui avais hurlé dessus. J'avais crié pour qu'elle revienne.
Mais au moment ou je l'avais vu atteindre un autre lecteur fiché dans le mur pour utiliser son badge et qu'un épais rideau de fer s'était mis à descendre du plafond pour se superposer à l'entrée B, j'avais de suite été soulagé de savoir le pourquoi.
À son retour, sans même échanger avec moi un simple regard, Jeanne avait saisi Fleur comme l'aurait fait un marié avec sa femme avant de lui faire franchir le seuil du domicile conjugal. Puis, elle s'était mise à courir en prenant la direction du laboratoire.
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