
32. Dans un silence de cathédrale
Après avoir eu l'impression de me mettre en danger comme une boxeuse l'aurait fait en disputant un match perdu d'avance, je m'étais soudain sentie soulagée, car contre toute attente, Fleur avait été la première à abandonner notre combat de regard.
Un signe que j'avais de suite interprété comme étant la manifestation d'une prise de conscience de sa part que les enjeux qu'il y avait à aider Jeanne allaient bien au-delà de sa petite personne. Sauf qu'encore une fois, la suite de la réaction qu'avait eue ma meilleure amie était venue déjouer tous mes pronostiques.
Tout d'abord, j'avais vu les muscles de sa mâchoire se contracter et ses lèvres s'étirer en un rictus. Puis alors qu'elle s'était mise à me percer encore davantage avec son regard franc, elle m'avait gratifiée de l'une de ses formules dont elle seule avait le secret. Une alchimie de mot qu'elle avait dû concocter de longue date, car à la manière qu'elle avait eue de la prononcer, elle était venue côtoyer le génie d'un dialogue de film de cinéma. Une logorrhée qui lorsqu'elle s'était arrêtée, m'avait mise hors de moi.
- Je t'ai dit non, mais toi tu as insisté. Je t'ai dit non et tu es allé jusqu'à quémander mon aide en me disant que tu m'aimais, sauf que je ne te dois rien. Je ne te dois strictement rien et je ne donnerai jamais mon consentement à ce que Jeanne veut faire pas plus que je le ferai pour sauver ma vie ou celle de ma famille. Et tu veux savoir pourquoi ? Parce que c'est comme ça. C'est mon choix. C'est mon choix le plus strict de te dire non et de refuser ce que tu me demandes de faire ou ce qui devrait être attendu que je fasse. Je t'ai dit non, mais toi tu ne m'as pas entendue et pour ça, tu ne vaux pas mieux que ces parents qui imposent à leurs enfants de faire des bisous ou des caresses par politesse alors qu'ils ont clairement exprimé leur refus.
Fleur et moi nous connaissions par cœur. Comme deux âmes jumelles et pour cette raison, elle avait de suite su sur quel bouton appuyer pour que ça fasse mal. Cependant et je l'ai appris depuis, mais cette nuit-là, même elle ne s'était pas attendue à ce que ma réaction soit aussi virulente, car dans un reflex qui aurait pu être pavlovien tellement il m'avait paru involontaire, la gifle que je lui avais mise l'avait fait reculer de plusieurs pas en arrière.
Bizarrement, j'avais tout d'abord cru que la seule preuve que cet acte avait bel et bien eu lieu été la douleur que j'avais ressentie à la pointe de mon bras. Sauf qu'en levant les yeux sur le visage de mon amie, j'avais compris que ce n'était pas tout. En plus d'avoir ouvert légèrement sa lèvre, mon geste instinctivement donné avait comme marqué au fer rouge la moitié de son visage avec la trace de mes doigts.
Sur le moment, je me souviens que mon champ de vision s'était soudainement réduit et ma vue s'était troublée. Surtout, qu'un bourdonnement semblable à une violente migraine m'avait empêché d'entendre clairement.
Alors que je venais de commencer à m'inquiéter que mon amie n'ait toujours pas eu de réaction en retour, je m'étais soudain mise à la fixer et ce faisant, elle était restée sans bouger, de fines mèches de cheveux ayant recouvert son visage baissé de honte. Ou bien avait-ce été de sidération ? Mais le large sourire que Fleur avait ensuite esquissé était venu contredire tout ce que j'avais pu penser.
Encore aujourd'hui, alors que j'écris tout ça, ma meilleure amie n'a toujours pas été capable de se l'avouer, mais je crois qu'après toutes ces années passées à la côtoyer, à tenter de la singer, de m'élever à son niveau, j'étais devenue un peu comme elle et elle en avait éprouvé de la fierté.
Finalement, Fleur avait eu plus d'atomes crochus avec Jeanne qu'elle n'en aurait jamais avec moi et ça pour une bonne et simple raison : parce que comme la scientifique qui dans son laboratoire secret était parvenue à enfanter 13.V., mon amie avait elle aussi engendré un monstre, mais à son image.
Quoiqu'il en avait été, sans même m'excuser, j'avais fini par tourner le dos à Fleur et en me mettant à marcher, j'avais vite rejoint la sortie du vestiaire, car si mon amie était prête à mourir pour ses convictions anti-spécisme, moi, je ne l'avais pas du tout été. Surtout, aussi bizarre et tordue qu'ait pu être ma relation avec ma famille, à ce moment-là de mon histoire j'avais encore eu l'espoir de pouvoir un jour la retrouver.
Certes, j'avais préféré choisir un présent que je savais médiocre, détestable, mais que je maîtrisais à un futur qu'il m'était devenu impossible d'imaginer et en ça, je ne m'étais pas trouvée meilleure que la majorité des gens qui vivaient sur Terre.
En sortant du vestiaire pour rejoindre Jeanne et Malik qui attendaient dans le couloir, j'avais de suite pu lire sur leur visage la déception, puisqu'en me voyant arriver seule ils en avaient forcement conclu que je n'étais pas parvenue à convaincre Fleur de nous aider à terminer le protocole d'isolement.
Quand les deux adultes avaient eu l'un de leurs regards entendus, le vigile s'était dirigé vers le vestiaire et ce faisant, la scientifique m'avait alors dit.
- Tu étais au courant de ce qu'elle avait l'intention de faire ?
- Non, lui avais-je répondu du tac au tac.
- Elle s'était préparée à détruire cet endroit et tu ne le savais pas ? M'avait en suite lancée Jeanne, mais j'étais restée muette et ce faisant elle était venue ajouter, je suis vraiment désolée, mais tu comprendras qu'on ne peut pas la laisser seule sans surveillance. Ce à quoi j'avais répondu dans un souffle, faite ce que vous avez à faire, lasse que j'avais été de toujours prendre la défense de Fleur, car je ne l'avais plus du tout reconnu.
Celle avec qui j'avais quelques heures auparavant franchi le seuil de l'entrée de ce sous-sol était soudainement devenue pour moi une parfaite inconnue. Une étrangère. Une tout autre personne alors que pourtant nous avions tout partagé ou presque.
- Si tu savais déjà, pourquoi tu tenais à ce point à la convaincre. À nous convaincre de t'aider ? Je veux dire, depuis tout ce temps, avec Malik, vous auriez pu finir à vous deux le protocole d'isolement. Avais-je soudain demandé à la scientifique qui à la manière qu'elle avait eue de marquer une hésitation avant de me répondre, m'avait fait comprendre à qu'elle point la situation était désespérée.
- Pour mettre toutes les chances de notre côté. Mais très franchement, je n'aurais jamais pensé que quelqu'un d'aussi jeune que ton amie préférerait mourir pour ses convictions au lieu de se battre pour sa vie, avait fini par me dire Jeanne plus dépitée que jamais.
Lorsque j'avais revu Fleur, Malik la talonnait de près et un air d'abattement sur le visage, elle était passée juste à côté de moi sans même oser me jeter un regard en coin. Et à mesure qu'elle s'était éloignée sous bonne escorte pour prendre la direction du laboratoire, j'avais ressenti un pincement au cœur.
Pire encore. J'avais vécu cet instant comme une nouvelle trahison de sa part puisque cette nuit-là Fleur avait dérogé à cette règle tacite qui en amitié comme en amour dicte toujours à l'un de prendre le temps de se retourner sur l'autre au cas ou ils ne se reverraient pas.
Dans un silence de cathédrale, Jeanne avait emboîté le pas à Malik et j'avais fait de même, persuadée sur le moment que la suite des événements ne pourrait jamais me réserver une plus déchirante séparation que celle que je venais de subir.
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