20. C'est notre faute !
Après le départ de nos geôliers, je m'étais soudain retrouvée incapable de bouger, car j'avais été tétanisée par mon angoisse : celle d'être devenu responsable d'une future catastrophe. D'une possible pandémie.
Mon regard venait de se perdre dans celui de Fleur quand comme ci de rien n'était, mon amie s'était remise à frotter ses liens contre l'angle du bureau. Certainement parce qu'au bout de plus d'une minute elle ne m'avait toujours pas vu faire comme elle, devenue haletante à cause de son effort, mon amie avait fini par me dire.
- Anna, tu fous quoi ? Avant d'ajouter, on doit se tirer d'ici, tu te souviens ?
Soudain sortie de ma torpeur tout ce que j'avais trouvé à lui répondre avait été.
- C'est notre faute ! On a libéré ces truies sans se poser la moindre question alors qu'elles étaient dangereuses et maintenant le seul espoir qu'ils ont de sauver la situation c'est de retrouver celle qui s'est perdue dans cet endroit.
- Parce que tu crois vraiment que c'est à cause de ça qu'ils se sont tous mis à s'exciter comme des puces ? S'était alors empressée de me répondre mon amie entre deux respirations avant d'ajouter, fais-moi confiance, ça n'a rien à voir. Sinon pourquoi ce vigile aurait parlé d'une chose ? De cette chose au lieu de dire : cette truie, ce cochon ou encore cette bête ?
Fleur venait de marquer un point et instantanément, je m'étais sentie mieux. Après quoi, nous nous étions mises à nous dévisager avec mon amie et la première elle avait été celle qui avait été capable de verbaliser le fruit de notre réflexion commune.
- Tu te souviens de ces photos qui illustraient les articles sur Jeanne ? Celles de cette ferme au Cambodge avec ces cochons énormes et tout pleins de muscles ?
- Ouais, lui avais-je alors dit dans un souffle ce à quoi elle avait répondu du tac au tac, bah tu sais quoi, je suis prête à parier que c'est l'un d'eux qui s'est échappé de leur laboratoire, ce que j'avais accepté sans broncher, car à cet instant-là de nos péripéties, j'aurais pu croire tout et n'importe quoi pour atténuer encore davantage mon sentiment de culpabilité. Pour me sentir définitivement soulagée et apaisée.
Fleur venait à nouveau de se remettre à frotter ses liens contre son coin du bureau quand elle avait trouvé bon d'ajouter.
- En tout cas, qu'est ce que tu dois prendre ton pied.
- Hein ! Quoi ? Pourquoi tu dis ça ? Lui avais-je alors répondu sans comprendre pourquoi elle venait de faire cette remarque.
- Et c'est toi la cinéphile de la famille ! m'avait-elle de suite lancé avant de préciser, Anna, on est dans un véritable cliché de film d'horreur. Frankenstein, Jurassic Park où je ne sais pas moi, Robocop. Il y a toujours un moment dans ce genre de films où la créature échappe au contrôle de son créateur. Et bien on y est. On est précisément en train de vivre ce moment du film.
La remarque de ma meilleure amie n'avait pas eu le temps de faire deux tours dans ma tête qu'elle avait de suite renchérie avec un insultant, mais totalement mérité.
- Tu sais que t'es grave comme meuf ! Ça fait des années que tu me bassines avec tes théories sur le cinéma et quand enfin tu peux briller avec, tu les as toutes oubliées.
Humiliée par Fleur, en l'imitant je m'étais lentement remise à frotter mes entraves contre mon angle de bureau et très vite, seul avait pu se faire entendre le couinement que faisait nos chaises à cause de nos mouvements incessants de va et viens.
- N'empêche, ce serait vraiment cool que cette chose les massacrer un à un, avait alors trouvé bon de plaisanter mon amie, sauf que je n'avais pas du tout fait preuve du même enthousiasme qu'elle et ce faisant je lui avais répondu, mais seulement dans ma tête, et nous, tu y as pensé ? Si on arrive à sortir d'ici, elle pourrait vouloir nous attaquer.
Je m'apprêtais à confier mes craintes à mon amie, quand après avoir stoppé net sa tentative de se libérer de ses liens, en se tournant vers moi elle m'avait dit.
- Anna, tu sais que je déconne ? Il n'y a aucune chance pour cette chose soit aussi dangereuse. D'accord ?
À la façon que Fleur avait eue de changer de ton pour me parler comme à une gamine, j'avais de suite comprise que la violente trouille qui s'était abattue sur moi venait de se lire sur mon visage. Mais au lieu de la remercier de s'en être inquiété, je n'avais eu plus qu'une seule envie : que mon amie la ferme définitivement puisque de m'infantiliser de la sorte m'avait soudain rappelé que j'étais encore trop immature pour faire face à ce qui pourrait suivre.
Après avoir acquiescé sans aucune emphase pour que Fleur me laisse tranquille, je l'avais vue se remettre au travail et à mon tour j'en avais fait tout autant.
Cette nuit-là, ma meilleure amie avait essayé de plaisanter en pensant que ça détendrait l'atmosphère et que je me joindrais à elle dans ses envies de meurtre sanglant. Puis, elle avait cherché à parler de cinéma ce qu'elle savait être mon domaine de prédilection, sauf que ça n'avait pas du tout marché.
Surtout, à mesure qu'elle m'avait fixé et que je lui avais rendu la pareille, j'avais très bien compris que ci elle l'avait fait, ça avait été pour se rassurer elle-même et pour cause : tout comme moi, Fleur ne savait rien de ce qu'était réellement cette chose après laquelle s'étaient lancés les quatre adultes, pas plus qu'elle ne pouvait connaître son niveau de dangerosité.
Aujourd'hui j'ai la certitude que si mon amie avait eu la moindre idée de ce que les images de la vidéo surveillance avaient montré, elle se serait mise à supplier. À prier pour qu'on la tue avant que ce qu'elle croyait encore n'être qu'un gros cochon bodybuildé ne le fasse, car en se rendant là où c'était trouvé les archives de la vidéosurveillance et en visionnant de façon antéchronologique les enregistrements qui avaient été faits, Yves, Auréline, Malik et enfin Jeanne avaient découvert quelque chose de si insidieux qu'ils en avaient tous été profondément et irrémédiablement choqués.
Sous la ferme des 20000, dans la clarté stérile du laboratoire qui s'y trouvait caché quelque part, ce n'était pas simplement des expérimentations sur les animaux qui avaient été conduites par Jeanne et son équipe, mais une véritable entreprise de dégénérescence. Une décadence dont nous n'allions pas tarder à découvrir le pourquoi du comment.
Entre ces murs d'un blanc si pur que rien n'aurait laissé à penser que ce fut possible, une chose était née. Une créature qui s'était révélée être si intelligente et perspicace, qu'à la barbe même de ceux qui l'avaient enfantée, elle était parvenue à élaborer un plan qui allait finir par nous impliquer moi et mon amie. Mais avant d'en arriver là, elle avait tout essayé, en vain.
Lorsqu'ils s'étaient précipités tour à tour dans la salle de la vidéosurveillance, sur les images de la veille, Yves, Auréline, Malik et enfin Jeanne avaient pu voir cette chose se servir de l'un de leurs ordinateurs pour contacter Fleur. Puis une semaine auparavant, ils l'avaient vu détourner leur système de courrier postal pour lui faire parvenir le badge d'accès.
Finalement, en visionnant en accéléré près d'une année d'archive vidéo, les quatre adultes avaient découvert tout le reste et ça leur avait glacé les sangs, car à de très nombreuses reprises, la créature était parvenue à quitter sa prison pourtant réputée inviolable.
Et à chaque fois, elle l'avait dans un simple et unique but : apprendre de ses créateurs autant qu'ils avaient pu le faire avec elle avant de trouver un moyen de rejoindre l'enclos où étaient enfermées les truies. Ces bêtes qu'avec Fleur nous venions de faire s'échapper.
Pour quoi faire ? S'étaient alors interrogés les scientifiques. Pour se nourrir et grandir avait été leur unique hypothèse. Pour se nourrir et grandir avant d'être en capacité physique de les forcer à la libérer aurait dû être leur unique pensée.
Sauf qu'à cause de ses trop nombreuses tentatives et surtout de ses trop nombreux échecs, la chose avait dû se résigner et envisager une alternative à son plan de départ. Une échappatoire qui allait se révéler être aussi immuable que l'était la bêtise humaine. Ce que moi et Fleur finirions par représenter pour elle : une banale diversion.
Quoiqu'il en avait été, quand Jeanne s'était précipitée pour venir nous stopper cette créature en avait profité pour se faufiler dans son dos et ce faisant, elle avait rejoint l'enclos dont l'accès était resté ouvert par notre faute. Mais fort heureusement, de bêtes, elle n'en avait pas trouvé.
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