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Le Détroit de l'Enfer


            Le bateau venait de quitter le port de Meria à la hâte. Le capitaine et son équipage n'avait pas perdu une minute avant de lever l'ancre pour fuir Jaanan et les soldats à leur trousse. Ils avaient fini par prendre suffisamment d'avance pour être hors de portée ; ce fut le moment idéal pour que Seth ait un bref tête-à-tête avec sa prisonnière. Il allait lui expliquer les yeux dans les yeux ce qu'il attendait d'elle, il n'y avait pas de place pour la tendresse, la délicatesse ou la sympathie sur ce navire, et encore moins pour une personne de son rang. Il ordonna à l'un de ses hommes de se rendre dans la cale et de sortir la jeune femme de sa cage aux barreaux de bois.

Kali fut jetée sur le pont du bateau par un matelot qui l'abandonna là sans lui jeter un regard. Elle se releva avec peine, les jours qu'elle avait passés dans le noir, sans rien à manger ni personne à qui parler l'avaient affaiblie. Sa chemise en soie s'était imprégnée de l'odeur répugnante de coquillages et d'alcool. Elle leva les yeux vers celui qui se trouvait en face d'elle, l'homme qui l'avait arrachée à sa famille. Elle ne put réprimer un frisson, de froid et de peur. L'homme était bien plus grand qu'elle, d'une carrure imposante, une épaisse barbe couvrait le bas de son visage. Ses traits étaient durs, ses yeux presque cachés par ses sourcils fournis si froncés qu'ils se touchaient presque, il dominait ce bateau et il le savait, son air de supériorité en témoignait. Il méprisait plus que tout la jeune fille et n'aurait aucune pitié pour elle ; elle n'était désormais rien moins qu'un objet, un outil, un service. Son nom, personne ne l'utiliserait, Kali Mérlida n'existait plus au milieu de l'océan.

Seth fit un pas vers elle et sourit lorsque, pour sa plus grande satisfaction, elle recula. Elle le craignait, les hommes comme lui étaient imprévisibles ; méchants, hautains et violents, leurs coups étaient brutaux et inattendus. Il l'attrapa par les cheveux pour lui faire lever la tête et la maintenir immobile.

- Écoute-moi bien petite, on n'est pas sur une de tes croisières de luxe ici. Je t'aurais bien laissée pourrir au fond d'une cage mais j'ai besoin de tes services. Tu vas remonter tes manches et salir un peu tes délicates mains. Tu nettoieras le bateau de fond en comble, tous les jours, et tu apporteras mes repas dans ma cabine aussi. Évidemment, tu prendras tout autant soin de mon équipage, tu es aussi sous leurs ordres. Tu auras tout le temps de te familiariser avec tes outils de travail, le douillet placard à balais n'attend que toi ; et surtout, je ne veux pas entendre un mot sortir de ta jolie bouche.

Il la relâcha et la repoussa avec force. Elle serra les dents et se redressa comme elle le pouvait en s'appuyant sur ses avant bras ; des larmes perlaient aux coins de ses yeux. Avant de lui tourner le dos, la capitaine ajouta :

- Tes larmes ne suffiront pas à laver le pont, dépêche-toi de te mettre au travail. Et fais-le bien, je te garantis que tu n'aimeras pas ce qui t'attend dans le cas contraire.

La porte de la cabine claqua et Kali s'autorisa enfin à sangloter doucement. Elle leva ses mains gelées et tremblantes à son visage, s'essuyant rapidement les yeux. Les paroles du capitaine lui revinrent en tête et la peur prit le dessus. Elle ne voulait pas savoir à quel genre de punition il faisait référence. Elle avait eu envie de répondre, de crier, de le frapper, mais à quoi cela aurait-il servi si ce n'est qu'à empirer son cas. Son corps n'était pas aussi fin que les dames de la haute société, elle avait assez de force pour soulever certaines charges, mais elle ne faisait pas le poids face au colosse. Il ne lui restait plus qu'à prendre son mal en patience, faire de son mieux pour éviter les ennuis, attendre et espérer que son frère se soit lancé à sa recherche et qu'il la sauve dans peu de temps. Elle avait confiance en lui, il saurait la retrouver.

Kali remarqua le petit espace que Seth lui avait désigné plus tôt dans lequel étaient rangés tous les produits nécessaires. Elle y trouva des flacons, des seaux, des éponges et des morceaux de tissu. Elle les examina avant de faire sa sélection, personne ne lui avait appris à nettoyer un bateau mais elle pourrait se débrouiller en faisant appel à sa logique et à ce qu'elle avait appris en observant les domestiques de sa maison. En tirant sur le tissu, elle se rendit compte qu'il était épais et moins souillé que les autres chiffons. Il n'avait pas dû servir à laver quoi que ce soit ; elle le mit de côté pour plus tard pour se couvrir un peu mieux du froid. Elle souffla et regarda autour d'elle ; le soleil avait commencé à descendre dans le ciel mais les matelots s'activaient toujours autant sur le pont, il lui serait impossible de faire ce qu'on lui avait demandé sans les gêner. Et en aucun cas elle ne voulait donner une raison au capitaine de s'en prendre à elle. Elle devait se faire petite, discrète, le temps que Shyld vienne la sauver, puis tout irait mieux, elle n'aurait qu'à subir cet équipage d'immondes hommes l'histoire de quelques jours. Les bras chargés de différents produits elle se colla à la rambarde, elle commencerait par de petites zones, puis le milieu du pont viendra lorsque les autres seront attablés. À genoux, elle frotta les tâches aussi fort qu'elle le put ; elle renversa maladroitement un flacon dont le liquide lui brûla les mains.

La nuit tomba sans qu'elle ne voie le temps passer. Elle venait d'achever le pont supérieur, sans réellement savoir comment s'y prendre, elle était satisfaite de son travail, le bateau paraissait propre. Une porte claqua et de lourds pas résonnèrent sous elle. Elle se figea, n'osant plus faire un bruit, elle reconnut la démarche de Seth : lourde, pressée et les clés accrochées à sa ceinture tintaient à chaque mouvement.

- C'est pas vrai, grommela-t-il. Elle est où cette petite peste ?

Il n'y avait qu'une seule femme à bord, Kali déglutit, elle ne savait pas si elle devait se cacher ou se montrer, elle risquait de se prendre des coups dans les deux cas. Elle préféra finalement descendre du pont, mieux valait éviter d'attiser la colère de Seth.

- Te voilà ! J'attends mon repas depuis une dizaine de minutes. Je te préviens sale bourgeoise, quand je te dis quelque chose, c'est un ordre, pas une suggestion.

Il se rapprocha d'elle et lui agrippa le bras pour la trainer devant la porte du petit local de produits ménagers et la poussa dedans en refermant violemment la porte. Kali se rattrapa de justesse à une étagère manquant de se fracasser le crâne contre celle-ci, son épaule percuta quelque chose de pointu et elle gémit de douleur.

- Puisque mademoiselle n'a pas daigné me servir, elle ne mangera pas non plus ! cria-t-il de l'extérieur. Installe-toi confortablement, ceci sera ta chambre pour les semaines à venir. La prochaine fois tu penseras à faire ton boulot correctement.

« Semaines ? Ce gros balourd sous-estime largement Shyld, ce n'est qu'une question de jours avant que je ne sorte de là » pensa-t-elle.

Mais malgré la foi qu'elle avait en son frère, elle ne put s'empêcher de pleurer cette nuit-là, elle ne savait pas si elle survivrait, même quelques jours.

Elle était affaiblie par la faim, le froid et la fatigue, les coups s'ajoutaient à cela, rien de suffisant pour la mettre à terre car elle devait rester capable de servir l'équipage mais elle souffrait terriblement, ses mains étaient rouges, bleues, abimées par le froid et les produits chimiques, elle était sale. Les hommes n'avaient aucune pitié, aucun d'entre eux. Certains étaient pires que d'autres ; ils donnaient des coups de pieds dans son seau renversant tout le liquide sur elle, ils ne lui donnaient qu'une moitié de la portion de nourriture à laquelle elle avait droit, ils la traitaient comme une moins que rien, elle n'avait qu'à peine de quoi survivre. Elle ne savait pas depuis combien de temps exactement ils étaient en mer, mais chaque fois que le soleil cédait sa place à l'obscurité, elle perdait un peu plus espoir de retrouver sa vie d'avant. Kali n'avait aucune idée de ce qui l'attendait. On la tuerait, brûlerait son corps ou la jetterait au fond de l'océan ; on la vendrait à une personne plus riche et plus puissante ; elle serait condamnée à servir Seth pour le reste de ses jours, aucune de ces options ne l'enchantait. Si pendant un moment elle avait tenu à sa vie plus qu'à n'importe quoi, elle était désormais prête à la perdre pour échapper à ce cauchemar.

Un soir, alors qu'elle grelotait, recroquevillée sur elle-même, elle songea à partir de sa propre volonté, ne pas laisser les matelots avoir le contrôle sur tous les aspects de sa vie, ne pas leur laisser le plaisir de décider de sa mort. Ces idées noires revenaient sans cesse, hantant ses pensées, mais elle parvint à garder les pieds sur terre tant bien que mal. Ne pas faire un geste qu'elle regretterait. Elle s'accrocha à un dernier espoir, une dernière lueur qui brillait lors des nuits sans étoiles, lorsque les épais nuages obscurcissaient le ciel que même la clarté de la lune ne pouvait percer, il restait toujours un unique petit éclat. Il était difficile à trouver, il fallait le chercher longtemps, plisser les yeux et se concentrer, mais il était là, vivant. Le jour où elle ne parviendrait plus à le percevoir, Kali partirait, mais elle devait s'accrocher tant qu'il brillerait. Les hommes, aussi haïssables qu'ils étaient, lui avait laissé un semblant de liberté : sa porte n'était jamais verrouillée. C'est pendant ces longues et rudes nuits qu'elle sortait sur le pont, à l'abri des regards. Le vent lui fouettait le visage, l'air frais lui mordait la peau. Les yeux fixés sur cette lueur, elle se battait pour continuer de vivre, elle se battait contre ses propres pensées qui se contredisaient sans cesse. Elle ne voulait plus endurer la douleur, mais elle voulait résister pour retrouver sa famille. Une sourde voix gronda dans la cabine du capitaine, la jeune fille fit un pas en avant et se colla un peu plus au mur, fermant les yeux et tendant l'oreille. Les voix devinrent plus claires, deux hommes, peut-être trois, échangeaient et riaient. Rien qu'à leur ton Kali pouvait imaginer le nombre de bouteilles entamées.

- Une fois à terre, on doit attraper Anish.

- Anish ? Il s'est pas fait embroché lui ?

- Non, en tout cas, pas encore, dit Seth en riant. Il a toujours une dette envers moi, et j'ai déjà une petite idée de ce que je vais lui demander.

- Quels sont les plans capitaine ?

- On doit se débarrasser de Shyld à tout prix. Il n'abandonnera jamais, ce salaud sera toujours à nos trousses.

- Pourquoi pas faire un échange ? Il nous fiche la paix et on lui rend sa sœur ; c'est ce qu'il veut, c'est tout ce qui compte pour lui.

- Hors de question de s'abaisser à ça ! hurla-t-il. Les pirates ne marchandent pas avec ce genre d'hommes. Il faut l'éliminer et c'est tout, c'est notre seule option.

Kali faillit s'effondrer. Ses mains se mirent à trembler et ses yeux s'embuèrent. Shyld, son cher frère, sa tête mise à prix. Maintenant elle en était sûre, il n'arriverait pas à temps, pas avant qu'ils n'aient rejoint la terre. Et s'ils y parvenaient, ni elle ni son frère n'avaient de chance de s'en sortir. Sous le choc, elle tenta de retourner à sa cabine et trébucha sur le chemin ; elle se cogna contre plusieurs planches avant de finir étaler sur le sol, au milieu des flacons de javel. Elle tirait sur ses cheveux emmêlés ; elle devait se sortir de cette situation. S'échapper, prévenir son frère pour qu'ils fuient tous les deux très loin, mais elle ne savait pas comment s'y prendre. Elle était coincée au milieu d'un océan, elle ne savait même pas lequel, elle ne savait pas non plus vers quelle terre ils se dirigeaient. Il semblait n'y avoir aucune solution, juste se résigner à son sort. Désespérée, elle gémit et donna un coup de pied dans la planche de bois en face d'elle. Elle était promise à une belle vie, confortable, auprès de ceux qu'elle aimait, mais le destin en avait décidé autrement.

Elle avait passé des heures par terre, roulée en boule, dans la même position, les yeux fermés, espérant que tout ne soit qu'un mauvais rêve. Pourtant, quand elle se redressa, toute courbaturée, le même sol humide collait à ses vêtements, la même odeur de poisson et de sel régnait. Ses yeux la brûlaient, elle avait trop pleuré. Dehors le soleil commençait à se lever et quelques filets de lumière passaient à travers les trous de la porte usée. Encore plus épuisée qu'auparavant, elle se leva péniblement. Elle ne pouvait de toute évidence pas se laisser mourir, elle n'en avait pas le courage ; quand bien même elle l'eût eu, ce ne serait ni la faim ni le froid qui l'aurait emportée, mais les coups des matelots insatisfaits de son manquement à ses tâches.

**

Le temps ne filait plus à la même vitesse, il s'était arrêté pour Kali. Elle n'était plus qu'un fantôme, une ombre, on ne la remarquait plus. Son dos voûté, ses ongles rongés, ses cheveux abîmés, elle était méconnaissable et se laissait toujours plus aller sur cette pente, vers les abysses de l'océan sur lequel elle naviguait.

Ce jour-là, le vent sifflait une douce mélodie chassant les épais nuages noirs qui avaient dissimulé le soleil pendant de longs jours. Bien que faible, la chaleur des rayons apaisait les douleurs de la jeune femme prisonnière. Elle rassembla toutes ses forces et se dirigea vers la cale ; elle ne croisa personne en descendant, à son plus grand soulagement. Elle glissa ses cheveux derrière ses oreilles et commença à frotter le sol avec une vieille éponge marron, qui un jour fut jaune, et qui se décomposait avec le temps. Près de l'espace de stockage des vivres elle trouva une craie blanche ; elle la glissa dans sa poche, comptant la ranger à sa place plus tard. Elle passa plus de temps que prévu au même endroit, ses douleurs ralentissant ses mouvements. Il lui sembla entendre au loin quelqu'un appeler son prénom ; elle se figea de peur, son cœur palpitait. Avait-elle passé trop de temps dans la cale et encore manqué l'heure du repas ? Elle savait que le capitaine n'était que peu patient et tolérant, et elle craignait chaque jour un peu plus qu'il ne la jette par-dessus bord dans un excès de colère, bien qu'elle se demandait aussi s'il ne valait pas mieux que son corps décomposé par l'eau salée plutôt que de vivre l'enfer qu'est la condition de prisonnière. Elle avait presque arrêté de respirer pour ne pas faire de bruit et guetter les pas qui approchaient, mais rien ne vint ; elle commençait à devenir folle. Néanmoins, la peur s'était désormais réveillée en elle et la poussa à accélérer pour ne pas risquer, cette fois, de devoir faire réellement face à son bourreau. En se précipitant vers les escaliers, elle trébucha sur un lourd objet. En l'examinant de plus près, elle s'aperçut qu'il s'agissait d'un livre, vieux et abandonné depuis un moment à en juger par la couverture. Il avait dû être abandonné et glisser de sous une étagère de provisions sans qu'elle ne s'en rende compte. La jeune femme supposa qu'il n'allait manquer à personne, et quand bien même ce serait le cas, personne ne saurait qu'elle l'avait pris. En premier lieu, elle vida son seau, puis cacha l'ouvrage dedans sous une pile de chiffons pour le dissimuler. Cela servirait au moins à la divertir, lui permettre de penser à autre chose et de s'évader un peu.

Ce n'est qu'une fois la nuit tombée qu'elle trouva une occasion d'examiner sa trouvaille d'un peu plus près. À la seule lumière de la lune, elle distingua les mots d'une langue qui n'était pas la sienne mais qu'elle avait apprise plus jeune. Elle ferma les yeux pour retenir ses larmes, encore une fois les souvenirs de sa famille, heureuse, lui revenaient en tête. Kali expira doucement l'air de ses poumons et reprit sa lecture tant bien que mal. Elle avait du mal à comprendre ce qui y était conté, cela ne ressemblait pas à un récit mais plutôt à des informations ainsi qu'une liste d'instructions. Peu importe la nature du texte, le fait de pouvoir lire quelque chose que, désormais, elle possédait, l'apaisait.

Les nuits suivantes se ressemblèrent, Kali sacrifiait quelques heures de sommeil pour profiter de son nouveau loisir. Elle ressentait toujours cette angoisse que quelqu'un le découvre et l'en prive, mais jusqu'à présent, personne ne l'avait jamais dérangée. Le livre contenait également des images, des dessins, des représentations qui la fascinaient dans la manière dont ils étaient faits. Lors d'une de ses lectures, elle se rendit compte que la craie trouvée quelques jours plus tôt se trouvait toujours dans sa poche ; ainsi elle ajouta le dessin à sa courte liste de passe-temps. Elle s'amusait à reproduire dans son placard différents types de pictogrammes et elle était satisfaite de voir qu'elle s'améliorait de jour en jour. Cependant, certains signes inquiétants commençaient à apparaître dans sa lecture : des photographies de choses ressemblant à une masse d'ombres difformes, des visages torturés, du vocabulaire qu'elle reconnaissait comme appartenant à l'occulte, elle ne prenait plus autant de plaisir qu'avant, souvent des frissons parcouraient son corps lors des nuits pourtant paisibles. Ces étranges sensations ne l'arrêtèrent pas pour autant ; elle persista à se plonger dans le livre jusqu'à parvenir à sa dernière page. Ce soir-là, elle reproduisit le dernier symbole, le plus grand de tous, au milieu du plancher. Les fois précédentes, elle avait pris soin de les faire là où ils n'étaient pas trop exposés, puis s'était rendue compte que personne d'autre ne venait jamais fouiller à cet endroit et qu'elle se donnait de la peine pour rien. Elle referma l'ouvrage, sa main s'attarda sur la couverture, le bout de ses doigts retraçant les lignes dorées. Elle regarda une dernière fois vers le ciel dégagé et crut apercevoir une lueur illuminer le ciel en laissant une trainée de poussière lumineuse derrière elle. La jeune femme, s'accrochant à ce dernier espoir, fit un vœu ; une larme s'échoua sur sa joue. Elle savait que rien ne serait plus comme avant, elle ne devait pas gaspiller sa dernière chance en souhaitant quelque chose d'irréalisable, bien que cela lui brisa le cœur encore un peu plus.

Plus tard cette semaine-là, elle accomplit son devoir quotidien. Les mêmes tâches qu'elle avait accomplies depuis qu'elle était prisonnière. Kali frappa à la porte du capitaine pour lui apporter son repas. Elle entra prudemment après en avoir reçu l'autorisation ; elle n'osa pas le regarder dans les yeux, plus depuis qu'elle avait compris son dessein. Il la répugnait, son odeur, son attitude, ses mots, son être tout entier. Elle se dépêcha de quitter la pièce lugubre, mais à peine avait-elle mis un pied dehors qu'un puissant coup de vent s'engouffra dans le bureau mettant tout sens dessus-dessous. Les papiers, les cartes, les plans, tout s'était mélangé et éparpillé. Seth, les sourcils froncés et la mâchoire crispée, se dirigea vers Kali, levant sa main dans les airs, prêt à l'abattre sur elle. Elle ne pouvait plus le supporter, elle recula à petit pas avant de s'enfuir jusqu'à la cale malgré les cris de l'homme. Elle y resta durant ce qu'elle supposa être les vingt-quatre heures suivantes ; elle n'avait pas vu la lumière du jour, ni rien qui aurait pu lui indiquer combien de temps était passé depuis l'incident dans le bureau du capitaine. Mais elle savait pertinemment qu'elle ne pourrait pas se réfugier derrière les caisses de provisions éternellement, quelqu'un finirait par venir la chercher, et elle ne donnait pas cher de sa peau lorsqu'elle devrait faire face à Seth. Elle avait commis, pour lui, un immense outrage à sa personne.

Alors qu'elle n'avait toujours pas fermé un œil, elle entendit un bruit inidentifiable qui devenait de plus en plus clair. Elle essaya de le bloquer en mettant ses mains sur ses oreilles, mais les chuchotements ne s'arrêtaient pas, comme s'ils venaient de sa tête. Elle souffrait, assourdie, terrifiée, elle ne put retenir un cri de désespoir. Elle tituba en se levant, elle avait besoin d'air frais. Sa vision se brouilla, Kali était terriblement affaiblie. Toujours tapis dans l'ombre, elle observa quelques matelots faire des allers-retours, rien ne semblait les perturber ; de la même manière, personne ne semblait se préoccuper d'elle, personne ne la cherchait pour la punir, ce qui la surprenait beaucoup. Puis elle réalisa qu'elle était la raison de tous ses maux, de ce chaos dans sa tête, lorsque le calme revint autour d'elle. Elle pensait sincèrement que son vœu ne pourrait pas se réaliser, mais ses doutes commençaient à s'effacer. Elle était prête à faire n'importe quoi, même risquer sa propre vie, pour sauver celle de son frère aimé. Un choc secoua le bateau, la sortant de ses pensées. Elle hésita un instant, puis s'avança sur le pont. La mer déchaînée, la houle percutant la coque et la pluie diluvienne terrorisaient les marins qui étaient débordés et paniqués à la vue de la voile principale perforée et de l'anémomètre se brisant sous la force du vent. Une terrifiante silhouette difforme se dessina au-dessus de l'océan opaque. C'était lui, c'était le démon qu'elle avait passé des heures à observer dans son livre. Il n'y avait plus aucun doute, son vœu s'était exaucé, elle n'en était pas heureuse pour autant. Les choses semblaient hors de contrôle, ce n'était pas elle qui décidait ; elle avait réveillé une créature qui ne se soumettrait à rien ni personne, mais elle ne le réalisa que trop tard.

Le démon éleva l'ancre dans les airs et la laissa retomber dans un son assourdissant, faisant s'effondrer une partie du pont. Kali était pétrifiée, son pouvoir était plus grand que ce qu'elle pensait. Elle tremblait, le souffle court, puis se mit à tousser, s'étouffant, cherchant désespérément de l'air ; la chose n'avait aucune intention d'épargner qui que ce soit. L'équipage entier était livré à son destin, certains hommes le méritaient probablement, d'autres non, peu importe, il n'y avait aucune différence. La jeune femme à l'origine de ce chaos avait peur, elle craignait la mort malgré le fait qu'elle l'avait sollicitée. Elle ferma les yeux pensant à sa famille, elle voulait vivre ses derniers instants pour eux, c'était son sacrifice, le prix à payer. Elle sentit ses membres être engloutis dans l'eau gelée, pris sa dernière respiration et glissa sous l'eau. Des bulles s'échappèrent de ses narines, tout serait bientôt terminé, elle allait retrouver la tranquillité, tout irait mieux. Un peu plus soulagée par ses pensées, elle cessa de lutter et inspira l'eau salée naturellement ; le liquide s'infiltra dans ses poumons. Elle posa les mains sur sa gorge par réflexe et, petit à petit, ses bras se détendirent pour flotter légèrement autour d'elle. Son corps fut transporté jusque dans les profondeurs ; elle avait donné sa vie pour une autre.

     

     Dans le détroit d'Eolum, le bateau coula, son équipage avec. Ce jour-là, la légende du détroit maudit commença. Quiconque oserait y passer rencontrerait une mystérieuse force surnaturelle. Cela ne resta qu'une légende, personne ne put la confirmer, jamais personne n'en revint vivant.

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