« En vrai j'ai grave envie d'une glace, songea Jimin à voix haute.

- Pareil, approuva Yoongi, il commence à faire vraiment chaud ces derniers jours. »

Jimin approuva d'un hochement de tête, le visage orienté vers le ciel qui s'assombrissait à mesure que le soleil disparaissait derrière Busan. Assis sur les balançoires, les deux garçons étaient restés silencieux un petit moment avant de finalement commencer à discuter de leurs cours, et puis là tout à coup Jimin avait entendu son ventre gargouiller.

« Tu fais chier, ronchonna Yoongi, maintenant j'ai trop envie d'une glace.

- Je connais un endroit où on peut en acheter, ça te plairait ?

- J'ai pas d'argent sur moi et j'habite pas dans le coin.

- C'est gênant en effet, réfléchit Jimin avec un ton étrangement malicieux. Parce que dans ce cas ça veut dire que je vais devoir te payer une glace, et que pour la rembourser il faudra que tu viennes une fois de plus te balader avec moi et qu'à ton tour tu paies les glaces.

- Ouais, c'est gênant, dit Yoongi sur le même ton, mais bon, si c'est le seul moyen pour qu'on se promène de nouveau ensemble... euh, pour avoir une glace je veux dire.

- Bon ça marche, rigola Jimin, on va faire comme ça ! Viens, ça va pas tarder de fermer. »

Son ami opina et ils s'éloignèrent tous les deux du square avant d'arriver devant un camion qui proposait diverses friandises pour les enfants. La jeune femme qui s'en occupait n'avait pas eu l'autorisation de s'installer directement dans le parc, si bien qu'elle avait demandé à se placer dans la rue juste à côté.

Les deux garçons repartirent avec des sorbets, ravis de leur petit achat. C'était vrai que pour une soirée de printemps il faisait plutôt chaud. Les températures étaient supérieures à la normale tout en demeurant correctes – on était encore loin des canicules estivales.

Ils s'assirent dos à dos sur l'herbe : Jimin ne voulait pas que son aîné le voie manger car ça impliquait de retirer son masque. De fait, cette solution leur avait semblé être la plus simple. Ainsi Yoongi ne serait pas tenté de regarder son cadet et chacun mangerait en sentant contre lui la présence de l'autre.

« Dis-moi, Jiminie, est-ce que...

- Jiminie ? le coupa l'appelé. D'où tu sors ce surnom ?

- Je trouve ça mignon, ça te va bien. Et puis tu m'appelles « hyung », je peux quand même t'appeler « Jiminie », non ?

- Oui si tu veux.

- Donc je disais... euh... non en fait, oublie. Je sais plus ce que je voulais dire. »

Jimin rigola franchement avant de porter son sorbet à sa bouche. Il se sentait heureux, bien, et normal par-dessus tout. À cette heure, le parc était désert. Il ne portait pas son masque et ça ne troublait personne. Il pouvait manger en toute tranquillité – c'était pour ça qu'il aimait à ce point venir ici le soir. Il bascula lentement la tête en arrière, si bien qu'il sentit qu'il touchait celle de Yoongi. Il gardait les yeux dirigés vers le ciel dans lequel la lune commençait à apparaître et il porta une fois de plus sa glace à ses lèvres.

« C'est agréable quelqu'un de si calme, dit Yoongi d'une voix apaisée. Je te pensais un peu plus exubérant.

- Ça dépend, aujourd'hui j'ai juste envie de profiter tranquillement de cette soirée. Je serai exubérant plus tard. »

Sa glace finie, il replaça son masque correctement, alla à côté de son ami puis s'allongea sur le dos. Yoongi, qui avait terminé un peu avant lui, l'observa faire avec une certaine tendresse dans le regard et l'imita. Il s'étendit nonchalamment sur la pelouse verdoyante et observa le ciel. C'était vrai que l'ambiance particulière de cette soirée ne lui donnait pas envie, à lui non plus, de faire autre chose que de se reposer. C'était ça, c'était le mot : tout ici était reposant. Même les oiseaux étaient déjà partis dormir pour plonger l'endroit dans un silence apaisé.

Et au milieu de ce petit endroit hors du temps et de tout, il y avait eux, eux qui, pour fuir le quotidien, s'étaient isolés ici.

Hors du temps.

Hors de tout.

~ ~ ~

Ça faisait à présent un mois que Jimin et Yoongi se connaissaient – autrement dit, seuls quelques jours étaient passés depuis leur promenade au parc. La veille était un samedi, ils n'avaient pas eu cours et désormais c'était dimanche. Yoongi était affairé à finir un devoir pour le lendemain, un travail qu'il avait commencé deux semaines plus tôt et dont il était en train d'achever la conclusion.

Il fut cependant dérangé dans sa tâche quand son portable vibra, indiquant un nouveau message qu'il alla regarder avec curiosité.

Jimin – Bonjour hyung, j'espère que je te dérange pas.

Avec un sourire aux lèvres, le jeune homme s'empressa de répondre à son cadet :

Yoongi – Non t'inquiète. Tu voulais quelque chose ?

Jimin – Je vais retourner aux balançoires ce soir, tu peux venir ?

Yoongi fronça les sourcils : Jimin n'avait-il pas semblé insinuer qu'il allait dans ce parc quand il ne se sentait pas très bien ? Quand il voulait se sentir libre et oublier ce qu'il était réellement ?

Yoongi – Oui bien sûr, je vais prendre mon argent. Il me faudra par contre une bonne demi-heure avant d'arriver. On se dit à quelle heure ?

Jimin – 20h ça te va ?

Yoongi – Ok sans souci. À toute !

L'autre ne répondit pas. Pas de points d'exclamation joyeux, pas de smiley qui souriait... Yoongi avait rapidement eu l'habitude de voir ces petites marques qui témoignaient toujours de la bonne humeur de son cadet, et le fait qu'elles soient manquantes dans cette conversation... c'était dérangeant.

Est-ce que Jimin allait bien ?

Ainsi, désormais trop préoccupé par son cadet pour se soucier de son travail, il fallut à Yoongi près d'une heure pour rédiger une conclusion de quelques lignes à son exposé. C'était pathétique, mais en même temps il s'inquiétait beaucoup trop pour Jimin, il ne pouvait pas le nier. De même il n'osait pas lui envoyer un nouveau message pour lui demander s'il allait bien car Jimin le lui avait déjà affirmé : il ne voulait pas qu'il s'inquiète pour lui. Pourtant, savoir ce si jeune garçon perdu dans les ténèbres depuis toujours, seul, errant dans les miasmes immondes de ce secret qu'il gardait, ça l'écœurait. Il ne méritait pas ça, personne ne méritait ça.

Les messages qu'il lui avait envoyés étaient complètement dénués de bonne humeur, il s'était montré étrangement froid et pourtant, derrière cette distance, Yoongi pouvait percevoir sa détresse. Il finissait par le connaître mieux qu'il ne l'aurait imaginé et il savait que quelque chose clochait – du moins il le pressentait.

Il se prépara à la va-vite et attrapa son porte-monnaie puis son téléphone avant de s'en aller en indiquant rapidement à ses parents qu'il allait se promener. De toute façon, du haut de ses vingt-et-un ans, il était assez grand pour ne plus avoir de comptes à leur rendre.

Son trajet de bus dura une petite demi-heure pendant laquelle il dut prendre une correspondance. Il descendit et s'apprêtait à se rendre au bout de la rue qu'il connaissait quand il vit son cadet venir à lui en lui adressant un signe pour se faire remarquer.

« Jiminie, qu'est-ce que tu t'es fait ? » demanda Yoongi par réflexe une fois qu'ils furent face à face.

Le cadet soupira : avec ses bandages aux mains, il s'y attendait à cette question.

« J'ai oublié de mettre des gants en sortant un plat du four, je me suis légèrement brûlé, rien de très grave.

- Oh putain, les brûlures c'est le pire, ça doit faire un mal de chien...

- J'ai pris des cachets, ça va mieux. Et puis j'ai l'habitude on s'y fait. Bon, viens, j'ai envie d'aller au parc. »

Gêné, il rangea ses mains dans ses poches et baissa les yeux face au regard étonné de Yoongi. Ce dernier le suivit sans un mot, dans un silence qui leur parut pesant à tous les deux. L'aîné ne pouvait en effet pas s'empêcher de se dire que tous ces accidents à répétition... ça ne pouvait pas simplement du à une prétendue maladresse. Pourquoi s'entêter à lui faire croire le contraire ?

Et surtout... jusqu'où cette « maladresse » pouvait-elle aller ?

Jimin, lui, arborait un air peiné, plongé dans ses pensées noires. Chaque fois qu'il se blessait c'était la même chose. Il essayait pourtant de faire attention mais il fallait croire qu'il était condamné à ces allers-retours entre l'université, son domicile et les urgences.

C'était si fatigant...