Ça faisait à présent trois semaines que Yoongi avait déménagé à Busan. Daegu lui manquait, il ne pouvait pas le nier, pour autant cette nouvelle vie lui convenait. À Busan tout se passait bien pour lui, aussi bien dans sa vie personnelle que dans sa nouvelle université. Il avait après tout choisi d'étudier dans un département qui ne comptait qu'à peine quelques centaines d'élèves au total, bien moins donc que certaines sections surpeuplées dont une seule classe remplissait un amphithéâtre à raz-bord. Ça serait sans doute plus difficile de passer inaperçu, mais au moins il s'y sentirait un peu plus à l'aise que perdu au milieu d'une foule de monde.

Il songeait parfois à ce qu'il avait perdu et gagné lors de ce déménagement, et puisque c'était plutôt équitable et qu'il ne regrettait pas vraiment son ancienne ville, il ne trouvait pas de quoi se plaindre. Les étudiants à l'université ne faisaient pas attention à lui, il n'existait pas. C'était aussi bien comme ça, il n'avait pas envie d'être remarqué. Se fondre dans la masse était une chose qu'il appréciait, ça lui permettait d'être tranquille, autrement dit d'être heureux. Il ne détestait pas les autres, mais disons qu'il était plus à l'aise seul dans son coin qu'au milieu d'un groupe d'amis.

D'ailleurs, il ne s'était pas fait un seul ami, il ne connaissait même pas les noms de ses quelques camarades de classe...

En fin d'après-midi, il quitta son établissement comme à l'accoutumée et rentra chez lui d'un pas lent, son sac nonchalamment mis sur une épaule. Il enfila ses écouteurs et fit défiler sa liste de lecture favorite tandis qu'il faisait à pieds le cours trajet entre son arrêt et chez ses parents, un appartement à une petite demi-heure de bus de là.

La soirée avait été des plus calmes, son père et sa mère étaient ennuyés qu'il ne cherche pas à créer de lien avec ses camarades, mais ils étaient rassurés que leur fils se sente bien dans son nouvel établissement. Ils lui avaient proposé à plusieurs reprises de venir se promener avec eux et d'amener son appareil photo, mais Yoongi n'était plus inspiré. Il aimait les beaux paysages aux alentours de Daegu et avoir changé de ville lui avait donné l'envie de se consacrer à autre chose. En attendant qu'il se trouve une nouvelle passion, il avait décidé que ses cours seraient sa passion – même si c'était fort ennuyeux à imaginer...

Le lendemain, lorsqu'il arriva, il était presque l'heure d'entrer en classe. Plusieurs élèves se dépêchaient de rejoindre leur amphithéâtre ou leur salle de cours de peur de déranger s'ils arrivaient en retard. Yoongi les regardait s'affoler avec indifférence et arriva devant sa salle où ses camarades attendaient déjà. Un peu en retrait, il s'était écarté de la masse pour profiter des dernières notes de la chanson qu'il écoutait. Cependant, alors qu'il avait les yeux clos et l'esprit ailleurs, il sentit tout à coup une masse s'écraser contre son épaule.

Entre le choc et la surprise, il fut incapable de se retenir où que ce soit et s'écrasa lourdement à terre et ouvrit des yeux ronds, prêt à hurler sur celui ou celle qui l'avait si violemment bousculé. Une masse gisait à ses côtés : un garçon, probablement d'à peu près sa taille, venait de se relever à moitié, à quatre pattes, son sac par terre près de lui. Il se frottait le poignet avec un air inquiet, les sourcils froncés – le reste de son visage était caché par son masque anti-pollution.

Dès l'instant où il posa ses yeux d'un marron sombre sur Yoongi, il prit un air étonné.

« J-Je suis désolé ! s'exclama-t-il d'une voix douce malgré son ton paniqué. J'étais pressé je n'ai pas fait attention, pardonne-moi !

- C'est rien, t'inquiète, souffla Yoongi en s'asseyant avec une grimace de douleur.

- Tu t'es fait mal ? s'enquit le jeune garçon.

- Non, non, et toi ? »

Le garçon examina son poignet, le fit tourner, et soupira :

« Je dois y aller...

- Tu t'es foulé le poignet ? s'inquiéta Yoongi.

- Non, rien de grave, ne t'en fais pas. »

Yoongi se releva et tendit la main à l'étudiant maladroit qui se releva sans la voir et épousseta rapidement ses vêtements.

« Tu veux que je t'accompagne voir quelqu'un ? hésita Yoongi en voyant le jeune garçon les sourcils toujours froncés.

- Non merci, ça va aller. »

Il tendit le bras et attrapa son sac ; Yoongi resta coi en voyant l'état de sa main et de son poignet. Ce jeune garçon en effet avait de nombreuses cicatrices sur les doigts, sa peau semblait former des crevasses et, pire que tout, il avait des traces de brûlures un peu partout, dont une particulièrement proéminente sur la paume. Sa peau semblait rugueuse, elle était teintée d'une couleur différente du reste de son corps, comme si la chair avait été mise à vif.

Une fois debout, le jeune garçon replaça ses manches de sorte à ce qu'elles cachent ses mains, puis il adressa un signe de tête amical à Yoongi et s'en alla en sens inverse, retournant où il venait. Pourquoi ? Ça, Yoongi n'en avait pas la moindre idée.

« Vous avez vu, murmura de façon peu discrète une fille un peu plus loin, c'était le brûlé. »

Le brûlé ? Elle le connaissait ?

~ ~ ~

Yoongi avait hésité à suivre le jeune garçon pour s'assurer qu'il allait bien, mais il s'en était abstenu. Une heure plus tard, alors qu'il changeait de salle de classe, il fut surpris de voir un petit attroupement se former peu à peu auprès de la baie vitrée du couloir. La curiosité l'emportant sur sa crainte d'autrui, il se joignit aux autres pour chercher à voir ce qui attirait à ce point l'attention.

La camionnette des urgences était stationnée juste en contrebas et s'apprêtait à repartir. Yoongi eut une mine étonnée.

« C'est qui ? s'enquit un garçon de sa classe.

- Le brûlé, répondit un autre, il marchait aux côtés des ambulanciers, il avait pas l'air si mal en point.

- C'est la deuxième fois ce mois-ci, non ?

- Que je sache, oui, après va savoir, je le surveille pas moi.

- Même toi t'es pas aussi maladroit, ricana le garçon qui parlait.

- J't'emmerde, répondit l'autre d'un air agacé.

- Merde, on va être à la bourre, dépêche ! »

Les deux garçons filèrent, imités par Yoongi quand ce dernier jeta un œil à sa montre et constata qu'il allait être en retard, comme ses deux camarades.

Plus d'une semaine passa sans qu'il ne revoie le jeune garçon qui l'avait bousculé. Il n'était pas particulièrement curieux, si bien qu'il n'avait pas cherché à en apprendre plus sur lui. Les élèves à l'université n'étaient pas très bavard vis-à-vis des inconnus, ils ne cherchaient pas à se faire de nouveaux amis. De même, malgré le fait que tout le monde connaissait à peu près tout le monde – ils étaient si peu nombreux, ils s'étaient tous déjà croisés – l'incident avait vite été oublié et tout était redevenu calme.

Yoongi restait seul, et ça lui allait très bien. Comme lui, chacun s'occupait de ses fesses, si bien que personne n'avait semblé plus intéressé que ça par l'incident survenu la semaine passée. Sur le moment, c'était intéressant, il y avait des sirènes lumineuses et un attroupement de personnes, mais dès que l'ambulance était partie et que les cours avaient repris, c'était comme si « le brûlé » n'avait jamais existé. D'après des murmures qu'il avait entendus, si tout le monde connaissait l'étudiant maladroit, c'était uniquement parce qu'il avait pour habitude de finir aux urgences au moins une ou deux fois par mois, et ce depuis la rentrée scolaire. Ça cassait la routine, tout simplement.

Mais personne ne savait pourquoi.

Yoongi s'était aussi rendu compte que, comme dans sa précédente université, ils étaient trop nombreux dans l'établissement pour que quiconque juge autrui. Chacun s'occupait de lui-même et de ses propres études. Ainsi, « le brûlé » ne semblait intéresser absolument personne en dépit de sa différence : on ne s'intéressait à lui que quand il se passait quelque chose de particulier. C'était sans doute pour cette raison que les élèves des autres sections ignoraient son nom et l'avaient ainsi surnommé.

C'était un autre monde que le lycée...

Ce fut la semaine suivante que Yoongi croisa de nouveau le mystérieux garçon. Il était attablé à la bibliothèque universitaire, son masque sur le visage, visiblement attentif à ce qu'il était en train de faire. L'endroit était calme, propice à l'étude, et puisque l'établissement avait été récemment refait à neuf tout semblait brillant de propreté et à la pointe de la technologie – ça, ça changeait de l'ancienne université de Yoongi où tout croulait sous le poids des années.

Ce dernier hésita un instant à l'aborder pour discuter puis se décida malgré sa gêne à ouvrir le dialogue. Il franchit les quelques mètres qui les séparaient et s'assit à côté de lui.

Bien évidemment, puisqu'il y avait peu de monde, le brûlé releva un œil interrogateur vers son nouveau voisin : il n'était pas dupe, la rangée de chaises devant lui était totalement libre, ce n'était pas pour rien que cet étudiant s'était assis là. Il le toisa et faillit demander d'un ton froid qui osait le déranger quand il se rappela :

« Oh, mais tu es celui que j'ai bousculé ! dit-il à voix basse. Je m'excuse encore. Qu'est-ce que tu voulais ?

- Euh... juste savoir si tu allais bien. Je... j'ai vu l'ambulance peu après notre rencontre et... et tu montais dedans.

- Ne t'inquiète pas, je n'avais rien, tu vois. »

Pour preuve, il leva la main, montrant son poignet qui, malgré quelques brûlures, ne portait aucun bandage ni aucune atèle. Ses yeux rieurs indiquèrent à Yoongi qu'il souriait, chose qui l'étonna : il avait imaginé ce garçon plus secret, plus renfermé. C'était peut-être à cause de ce masque qui lui couvrait le visage, ou bien à cause du fait qu'il semblait très solitaire.

Peut-être qu'au fond, Yoongi avait espéré qu'il serait un peu comme lui, simplement pour ne pas se sentir trop seul au milieu de ces étudiants...