— Te voilà enfin, à croire que tu avais peur de voir ton père. Des choses à te reprocher ?

Zelyan avait dit cela sur un ton badin mais il était on ne peut plus sérieux. Svarog s'inclina devant son père et le salua humblement. Il s'était creusé les méninges des heures durant, alors qu'il restait dehors avec Natalya mais aucune solution ne s'était imposée à lui. Le vampire s'était rendu à l'évidence et était finalement entré au château pour recevoir son châtiment.

Zelyan lui fit un signe de tête et s'en fut dans les couloirs sombres, suivi par Svarog. Ils laissèrent en plan Ereyne, Zeus, Ysun, Waban et Izanami venus observer la scène.

— C'est tout ? se plaignit Zeus, on ne va rien savoir de plus ?

Ereyne jeta un oeil dans la direction qu'avait pris son compagnon et annonça que Zelyan l'emmenait dans son bureau.

— Zelyan veut probablement s'épargner tes gémissements Zeus, ricana Ysun. Tu ne cesses de nous fatiguer depuis que tu es arrivé.

— Mais je veux voir père à l'oeuvre, il y a tellement à apprendre de ses punitions. Mes descendants sont tous des têtes brûlées qui n'obéissent à rien ni personne.

— Avec un père pareil tu m'étonnes qu'ils ne l'écoutent pas, murmura Waban à Ereyne qui ne put s'empêcher de pouffer.

— Zelyan lui-même dit que les vampires sont incontrôlables, répondit la blonde sur le même ton. La notion même de société n'est pas concevable pour eux apparemment.

— Ils passent leur temps à mordre ou faire la fête, va construire une société avec cela.

Ereyne eut un signe d'approbation puis décida qu'elle en avait assez vu et voulut repartir préparer Noël, il lui restait nombre de paquets à envelopper. Elle n'appréciait pas les fils de Zelyan de la même manière : pour certains elle avait du respect, de l'amitié même, d'autres la rebutaient totalement, à l'image de John. Néanmoins c'était Noël, saison de la charité et du pardon. Ereyne ne dérogeait pas à ces grands principes qu'elle avait appris bien avant l'apparition de cette fête et avait oeuvré à trouver quelque chose pour chacun d'entre eux. Ce ne fut pas chose aisée, surtout en si peu de temps mais seule l'intention comptait. De toute manière s'ils n'étaient pas contents ils pouvaient toujours aller voir en enfer si elle y était. Elle commença à monter le grand escalier en direction de son bureau mais Zeus lui courut après avec une demande des plus étonnante.

— Dis, mère, il y aurait moyen de savoir ce qu'il se passe chez père ?

Il avait hâché sa phrase, conscient de ce qu'il demandait. Espionner Zelyan était loin d'être la meilleure idée qu'il ait eu, c'était même probablement la pire. Quoique... La destruction de Troie était une stupidité assez bien positionnée dans le classement des pires erreurs du vampire.

— Ce n'est pas une bonne idée, répondit la jeune femme en continuant de monter les marches.

— Donc c'est possible ? insista t-il en lui saisissant le bras.

Ereyne lui jeta un regard noir et il ôta immédiatement sa main en s'excusant.

— S'il vous plaît, mère, vous savez à quel point il est difficile de contrôler une cité sanctuaire, Héra n'en fait qu'à sa tête, Athéna mange tout ce qui bouge et il n'y a pas un matin sans que l'on m'informe qu'un duel s'est mal fini. Et ils agissent inconsciemment depuis que les humains sont au courant pour nous, ils n'ont même plus peur d'aller chasser en plein jour. Ils mordent sans respect pour les règles...

Cette dernière remarque fit réagir l'immortelle, Ereyne n'avait pas eu vent de ces attaques en Grèce mais cela ne l'étonna pas. En revanche cela l'énerva profondément. Elle hésita quelques instants puis finit par céder.

— Suis-moi.

Elle emmena Zeus jusqu'à un petit salon situé au rez-de-chaussée, elle sortit son smartphone, inutile pour communiquer car il n'y avait pas de réseau au château mais très pratique pour les mini-jeux et en alluma la torche. Elle se dirigea vers la bibliothèque du fond et tira sur un livre. Le meuble s'écarta pour révéler une ouverture dans les épais murs de pierre.

— Ne dis à personne que cette entrée existe, lui ordonna Ereyne avant de s'engouffrer dans le passage secret, suivie du vampire.

Ils marchèrent dans les étroits passages pendant quelques minutes puis arrivèrent à l'extrémité d'un petit couloir.

— Le bureau de Zelyan est au bout, déclara Ereyne, enfin je crois, nous n'utilisons jamais ces passages.

Ils avancèrent un petit peu, silencieusement pour essayer d'écouter ce qu'il se passait de l'autre côté des murs, mais soudain un bruit les fit sursauter. Un squelette bondit devant eux en criant. Ereyne et Zeus hurlèrent de toutes leurs forces à l'unisson tandis que l'amas d'os poussiéreux marchait vers eux d'une démarche inégale. Zeus fit un pas en arrière mais trébucha sur le sol caillouteux et s'étala à terre. Ereyne ne valut guère mieux car, dans sa panique, elle tomba sur lui et lâcha son appareil qui se fracassa au sol. Tout devint noir.

***

L'incertitude était certainement l'une des pires choses qu'un fils de Zelyan puisse endurer face à son père. Et l'immortel adorait cela. Il avait face à lui un vampire millénaire qui restait prostré devant lui, effaré par avance de ce qui pourrait lui arriver. Zelyan observa son fils : il est à peine assis sur le fauteuil qui lui avait été proposé. Il ne l'userait pas aujourd'hui. Svarog restait digne dans la douleur et insondable mais Zelyan n'avait aucun mal à imaginer qu'intérieurement il bouillonnait.

L'impérial immortel s'assit nonchalamment sur le bord de son bureau, les mains dans les poches du pantalon de son costume trois pièces. Avec son gilet de costume mal fermé et ses manches retroussées, Zelyan ressemblait à ces traders en fin de journée surchargée, ou à un trentenaire qui essayait de se donner un style. Dans son cas le résultat était dû à une envie de faire plaisir à sa compagne tout en n'ayant aucun attrait pour les vêtements. Il croisa un pied sur l'autre et sourit à son fils qui lui ressemblait plutôt à un vieil homme d'affaires guindé.

— Natalya m'a tout raconté tu sais ? La manière dont elle a fomenté ce complot, embauché des petites mains et promis l'immortalité à des humains. Elle pensait sérieusement que son plan allait marcher. Quelle idiote, elle misait tout sur vos similarités avec moi, elle en a oublié ma partie sauvage.

Svarog ne répondit rien, qu'aurait-il à ajouter ? Il avait raison, elle avait négligé l'attachement de son père à Ereyne, plus exactement elle l'avait sous-estimé, une erreur fatale. Natalya aurait dû tout annuler à l'instant même où elle avait appris que John serait du voyage. Ling était le seul loup à avoir trahi son père et jamais aucun autre loup fils de Zelyan n'avait ne serait-ce qu'eut l'idée de l'imiter. Les vampires étaient moins loyaux, plus exactement ils servaient leurs intérêts en premier lieu. Il n'y avait qu'à voir Seth, le premier vampire était ouvertement opposé à son père et tous savaient qu'un jour où l'autre il finirait emprisonné dans l'une des geôles de Woodcastle. Seth avait deux pères en vie et était partagé entre eux. Son âme devait être dans un état déplorable.

Une seule question taraudait Svarog, en plus de l'inquiétude quant à sa vie.

— Comment l'as-tu su père ?

Zelyan sourit largement avant de répondre que tous ses fils n'étaient pas aussi traîtres que lui.

— Caius est d'une loyauté sans faille, et pourtant lui aussi est un vampire.

Un vampire reconnaissant d'avoir été sauvé et d'avoir pu admirer dans l'ombre son fidèle bras droit massacrer les conjurés.

— Caius enquête toujours lors des déplacements d'Ereyne. Il a su pour le complot et m'en a informé. Je n'ai eu qu'à donner un ordre direct à John. La seule chose qu'il me reste à découvrir est ton implication dans cette affaire...

Svarog se leva et fit face à Zelyan la tête haute.

— Je savais que Natalya préparait quelque chose, je lui avais donné accès à toutes mes ressources. La seule chose que j'ignorais était qu'elle s'attaquerait à Ereyne. Très exactement je n'ai jamais cru à tout ce ressentiment de mes descendantes envers ta compagne. Je n'aurais jamais pensé qu'un de mes descendants s'attaquerait effectivement à elle.

— Tu es faible Svarog, il ne faut jamais sous-estimer une femelle, je l'ai...

Zelyan ne termina pas sa phrase car des hurlements de terreur retentirent de l'autre côté du mur. Il s'éloigna de Svarog, ouvrit le passage secret, attrapa le squelette dandinant et le jeta dans la pièce aux pieds de Svarog qui fit un pas en arrière. L'immortel fit ensuite de même avec Ereyne qu'il mit sur sa hanche et traîna Zeus dans le bureau.

— Je n'apprécie guère les invités surprise, déclara Zelyan en posant sa compagne par terre.

Ereyne se précipita vers la cheminée, attrapa un tisonnier et vint fracasser le squelette poussiéreux qui tentait de se mettre debout. Imitée par Zeus, elle hurla à chaque coup qu'elle portait en ne s'arrêta que lorsque le pauvre ex-humain devenu tas d'os ne soit réduit en très petits morceaux. Après quoi elle se tourna vers son compagnon et s'exclama :

— C'est quoi ce truc ? !!

— Une de mes inventions ma douce, les humains sont très utiles lorsqu'ils sont morts.