Inattendu
Les repas de famille étaient bien souvent un moment de joies, de détente et de conflits. Ceux de Woodcastle n'échappaient pas à la règle. Ereyne et Zelyan trônaient, plongés dans l'un de leurs rares moments d'harmonie. Ils étaient enfermés dans leur bulle, loin du monde, et ne prêtaient aucune attention aux deux autres convives. Il fallait bien avouer que ni Natalya ni John ne donnaient envie de converser. La vampire et le loup-garou se jetaient régulièrement des regards de haine, les dents serrées. Depuis la nuit des temps les deux espèces se battaient pour avoir la place de favori dans le coeur de Zelyan sans qu'aucune ne réussisse à vaincre l'autre.
Natalya faisait la fière mais elle n'en menait pas vraiment très large, en face d'elle John était de la première génération et avait l'arrogance qui allait avec. Il dévorait sa cuisse de néo-zélandais arrivée par avion la veille avec un plaisir non dissimulé et se permettait même d'interrompre Zelyan et Ereyne de temps à autre. Elle dégustait le sang frais du malheureux en silence, avec un raffinement totalement opposé à la bestialité du loup. Personnellement Natalya préférait boire le sang directement au cou de sa victime et non dans un verre à pied mais étant invitée à la table du maître elle n'allait pas en faire la remarque de peur que le privilège lui en soit ôté.
- Quand pars tu pour Londres finalement ma douce ? Demandait Zelyan à Ereyne entre deux bouchées de viande humaine.
- Georges multiplie les apparitions télévisées et les réunions en ce moment, il a promis de m'appeler bientôt. Il a fort à faire avec la réorganisation du royaume.
- Les humains ont avalé la pilule ?
- Georges gouverne depuis plus de 50 ans, il est un point de repère fiable et il a toujours été constant et même progressiste. Cela ne m'étonne qu'à moitié qu'une bonne partie de la population lui fasse confiance.
- Progressiste, progressiste, il vient d'ordonner la fermeture de l'Eurotunnel. Rétorqua Zelyan. Les seuls flux de migrants restants passent par la mer, c'est mauvais pour nos livraisons de viande.
Ereyne leva les yeux et changea radicalement de sujet.
- Il serait temps de laisser sortir Galaad non ? Il est resté enfermé assez longtemps.
- Le fait qu'il soit toujours en vie prouve que les humains ont un accès à l'immortalité, je ne suis pas d'accord avec cela.
Zelyan engouffra ce qu'il restait de chair humaine et reprit.
- Il ne sortira que lorsque j'aurai le calice entre les mains.
- Et tu en feras quoi ? Demanda sa compagne. Et quand bien même les humains deviendraient immortels, en quoi cela te gênerait ? Tu arrêterais de les chasser ?
Il répondit que non, jamais il n'arrêterait de chasser ses proies, hors de question de devenir végétarien.
- Ils sont déjà plus de sept milliards, tu as vu dans quel état est la Terre ?
- Depuis quand te soucies tu de la Terre ? Demanda la blonde en repoussant son assiette, écoeurée par les bruits d'os brisés sous la mâchoire de l'homme loup un peu plus loin.
- Je m'en moque mais moins de mortels égal moins d'âmes dans mon royaume.
- Depuis quand l'enfer est il ton royaume ?
- Il l'a toujours été ma douce. Répondit Zelyan avec un sourire. Si tu venais plus souvent tu le saurais.
- Pour finir accrochée à une rambarde ? Ou pire rencontrer ton créateur ? Sans façon.
Fitz interrompit la dispute qui pointait le bout de son nez en annonçant qu'un certain général Wilson patientait devant le pont-levis et demandait audience.
- Fichtre ! S'exclama Zelyan, voilà que la viande sonne à la porte ! Même plus besoin de la chasser. Ces maudits humains me pourrissent jusqu'au moindre plaisir, heureusement que dans deux mois ils auront mieux à faire.
Ereyne soupira, se leva et s'en fut à la rencontre du militaire. Elle revêtit une longue et épaisse cape, jeta un coup d'oeil dans le miroir et saisit le parapluie qu'un valet lui tendait.
Il pleuvait des cordes dehors, les dalles en pierres sombres étaient trempées et seules les rigoles crées un millénaire auparavant, lorsqu'un hiver particulièrement humide avait assailli le château, évitaient que la grande cour ne se transforme en bassin. Les grandes portes furent ouvertes et l'immortelle put apercevoir, à travers la herse, le général, sous une tonnelle dressée à la hâte, et quelques officiers, l'attendre de l'autre côté du pont. La lourde herse de métal fut levée et Ereyne s'apprêtait à débuter la traversée du pont lorsque John parut derrière elle.
- Je peux m'en sortir seule John, retourne auprès de ton maître.
- J'ai reçu des ordres, sorcière. Se contenta de répondre l'homme avant de basculer sous sa forme sauvage.
***
- Général...
- J'ai vu sergent.
- Nous devrions fuir.
- Nous ne bougerons pas sergent.
- Il va nous tuer.
- Nous ne bougerons pas sergent.
- C'est un loup-garou !
- J'ai vu sergent, sergent ?
L'homme décampait en courant aussi vite qu'il le lui était possible, comme s'il avait la mort aux trousses. La désertion et sa sanction étaient bien peu de choses comparées à cette créature sanguinaire. Le général Wilson soupira et reporta son attention sur les créatures qui s'approchaient de lui. S'il se basait sur les longues discussions qu'il avait eues avec Sean Davis, le maire de Greyhall, la femme qui s'avançait était la Lady. Quant au loup derrière, et bien l'homme n'en avait jamais fait mention.
Ereyne s'arrêta à quelques mètres d'eux, toujours à l'abri grâce au bouclier, pour le moment invisible.
- Vous êtes le général Wilson ? Demanda t-elle alors que les soldats derrière Wilson serraient le poing sur leurs armes dans un vain espoir de se rassurer. Le sergent avait été le seul à fuir mais l'envie n'en taraudait pas moins les autres.
- C'est inutile, assura Ereyne qui avait vu le geste, nous sommes dans le cadre de négociations non ? Wilson acquiesça et elle poursuivit. John, elle désigna le loup derrière elle, ne vous attaquera pas en premier. Et quand bien même il le ferait, vous n'auriez pas le temps de réagir alors baissez vos armes.
Wilson fit un geste et les hommes obéirent, non sans conserver les yeux posés sur John. Le général mit personnellement Ereyne au courant des dernières activités du roi Georges. Un référendum aurait bientôt lieu, les anglais et leur flegme légendaire leur faisait prendre la situation plutôt sérieusement, avec calme. A vrai dire les ennuis venaient plutôt des pays alliés. Déjà la France avait fermé toutes ses frontières et coupé tout trafic avec l'île. Les américains menaçaient d'embargo et nombreux étaient les gouvernements à crier à la collaboration.
- Le royaume est désormais mis au rang de l'Italie durant la seconde guerre mondiale. Déclara le vieil homme avec regret. Le roi a dit que vous aviez servi durant la guerre ?
Ereyne sourit amicalement et lui raconta quelques anecdotes des années du roi dans la région.
- Greyhall est une ville remarquable vous savez ? Nombreuses sont les âmes charitables ici.
Wilson eut un rire dédaigneux, garder secret la présence de créatures aussi dangereuses n'était pas un signe de charité pour lui. Ereyne l'ignora.
- Nous avons accueillis de nombreux orphelins, aucun n'a été dévoré, à vrai dire, personne d'ici n'est mort à cause de nous. Le plus grand prédateur de l'Homme c'est lui-même. Le nombre de décès dû à Zelyan et notre... Elle chercha un terme adéquat. Monde, est négligeable face aux morts violentes causées par vos semblables.
- C'est à nous d'en décider, mylady.
Elle nota la marque de respect, il avait beau essayer de paraître sûr de lui, elle l'impressionnait.
- Que voulez vous général ?
- J'ai une offre émanent du roi, ratifiée par celui ci et par le parlement.
Ereyne haussa un sourcil, Georges connaissait l'étendue de son pouvoir mais également ses limites, que pouvait donc proposer le Royaume Uni ?
Le général Wilson lui tendit une lettre qu'elle parcourut rapidement. Au fil de sa lecture, ses yeux s'écarquillèrent de surprise. Elle leva la tête vers Wilson qui confirma en hochant la sienne.
- Vous êtes sérieux ?
- On ne peut plus mylady. Vous comprendrez que tout cela nécessite une certaine discrétion. Les autres nations ne seront pas très enthousiastes lorsqu'elles découvriront cet accord. La guerre éclatera et nous devrons lancer toutes nos forces dans la bataille, autant que cela arrive le plus tard possible.
Ereyne soupira et sourit d'incrédulité, Zelyan allait rire aux éclats lorsqu'elle lui en parlerait. Elle devina ses remarques à l'avance, la décadence de Rome ne serait rien par rapport à celle de la Grande Bretagne, cela n'arrêterait pas le Déluge prévu, ils finiraient tous par mourir, humains qu'ils étaient.
- Je ne peux pas parler au nom de Zelyan, je n'ai aucun pouvoir sur lui.
- Ce n'est pas de son assentiment dont nous avons besoin, c'est de votre protection.
- Jamais une telle action n'a été envisagée, ce serait créer une énorme cité sanctuaire, il est impossible que toute l'île soit sous protection.
- Si je peux me permettre mylady, qu'est-ce qu'une cité sanctuaire ?
L'immortelle lui expliqua que c'était le cas de Greyhall, une ville dont les habitants n'avaient rien à craindre des descendants de Zelyan.
- Le nombre de cités sanctuaires est restreint, notre vie repose sur un équilibre. Je vais faire au mieux.
Wilson s'inclina devant elle, reconnaissant.
- Faites cela et nous vous dédirons une religion.
- Je ne suis pas un dieu. D'autres l'ont pensé, ne commettez pas la même erreur. Zelyan a horreur des croyants.
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