Après l'incident, Ereyne était montée se réfugier en haut du donjon, là où personne ne viendrait la déranger. Ce n'était pas la première fois qu'on essayait de la mordre mais elle ne s'y habituait pas. Son rythme cardiaque était toujours beaucoup trop rapide, elle prit de quoi dormir rapidement et se coucha sur le grand lit, s'enveloppant dans les draps et fourrures. Le sommeil vint aisément mais ses rêves ne lui accordèrent aucun répit, elle se retrouva là où tout avait commencé, à une époque depuis longtemps révolue...

Elle se réveilla en sursaut, au beau milieu de la nuit. Le feu ronronnait tranquillement au centre du cercle de pierres, éclairant la petite clairière. Ereyne regarda à côté d'elle mais Zelyan avait quitté la couche quelques heures plus tôt, au crépuscule. Elle jeta des coups d'oeil aux alentours mais ne vit rien. Tout était silencieux, immobile, les gens de son village ne s'étaient jamais aventurés si loin. Affamée, elle saisit l'un des fruits entassés non loin et mordit la chair juteuse. La fraîcheur de l'aliment associée à celle de l'air ambiant contrastait avec la douce chaleur de la couche et acheva de la réveiller. Elle se leva puis se dirigea vers le ruisseau voisin. L'eau était glacée mais elle se frictionna vigoureusement le corps et les cheveux avant de tresser ces derniers avec soin. Elle fixa sa coiffure avec des fibres végétales et retourna dans la clairière toujours vide.

Elle tourna la tête dans la direction de son village, il n'y avait qu'une épaisse forêt devant elle mais elle savait qu'il était là bas, à quelques heures de marche. Ereyne resta un moment comme cela, serrant les poings, luttant contre sa furieuse envie d'y retourner, maudissant ce pacte dont elle avait eu l'idée. Elle répéta mentalement les raisons qui l'avaient poussées à agir encore et encore, réussissant enfin à se calmer. Elle était là depuis une dizaine de jours et s'étonnait d'avoir réussi à survivre. Zelyan n'était pas vraiment un individu que l'on pouvait qualifier de tendre. Pour le compagnon idéal on repassera. Un bruissement attira son attention, elle saisit son silex et s'éloigna un peu.

Zelyan apparut, complètement ensanglanté. Ereyne porta une main à sa bouche mais ne put cacher le dégoût et l'étonnement que lui inspirait cette vision.

"Ne te réjouis pas trop vite, ce n'est pas le mien." Cru t-il bon préciser tout en montrant les deux corps qu'il traînait derrière lui. Il les lâcha et s'en fut récupérer des cordes de roseaux tressés qu'il utilisa pour les pendre tête en bas à un arbre. Elle avait connu les deux hommes, un jeune et un vieux, ils étaient des chasseurs de son village. Le vieil homme lui avait même appris à distinguer les plantes comestibles des toxiques.

"Oh impeccable." Dit-il en voyant la pierre taillée dans la main d'Ereyne, il tendit la main et elle lui remit avant de reculer un peu, peu encline à assister à la prochaine étape. En effet, il s'approcha d'un premier corps, déchira sa tunique, plongea la lame au bas de son abdomen et descendit jusqu'à gorge avant de percer la carotide, laissant s'échapper entrailles et sang. Il répéta l'opération avec le second corps puis rendit son arme à la jeune femme.

"Je n'aime pas les corps plein de sang, ça donne un mauvais goût à la cuisson."

Ereyne posa un main sur son bras, choisissant un morceau de peau à peu près propre et déposa un baiser sur ses lèvres ensanglantées, ignorant sa révulsion et son dégoût. Zelyan sourit, connaissant son sentiment, et l'attira contre lui, la couvrant de sang.

"C'est répugnant. Commenta t-elle en tentant de s'éloigner.

-Ce n'est qu'un peu de sang. Tu n'en mourras pas." Elle frissonna en entendant ce mot, la mort avait beau être chose courante sur cette terre, avec Zelyan elle prenait une toute autre ampleur. Enfin il la délaissa et retourna vers les corps pendus, il détacha celui du jeune, le transporta près du feu qu'il raviva. Ereyne sut enfin pourquoi l'âtre était si large, il empala l'homme et le posa sur le feu. La jeune femme préféra retourner nettoyer tout ce sang au lieu d'entendre la chair griller. Lorsqu'elle revint, Zelyan mordait voracement dans ce qui semblait être une cuisse noircie. Ereyne en eut la nausée et préféra s'intéresser aux fruits posés un peu plus loin. Elle les observa longuement, se forçant à rester concentrée sur ces petites choses pour oublier les bruits de Zelyan déchiquetant, mâchant le corps du villageois et attendit.

Habituellement Zelyan se couchait après la chasse, reprenant des forces pour la traque du lendemain mais, en cette fin de nuit, il se mit à rassembler leurs quelques affaires.

"Où vas tu?" Demanda la blonde étonnée par ce changement. Il sourit et lui prit la main avant de partir vers le nord, l'entraînant dans son sillage. Elle fut d'autant plus étonnée qu'ils avaient pris la direction de son village. Il marchèrent un long moment dans la forêt qui s'éveillait, le jour pointait entre les feuilles, illuminant leur route. Pratiquement arrivés, Ereyne sentit une odeur forte, chaude, piquante. Elle regarda Zelyan et prit peur, son visage exprimait une satisfaction trop grande pour être honnête et le futur lui donna raison.

Le village n'était plus que cendres. Aucune maison ne tenait debout, ça et là des cadavres calcinés jonchaient le sol. Affolée, elle se rua à travers les cendres, filant jusqu'à sa maison, indifférente aux appels de Zelyan. La cabane était à terre, noire, rien ne subsistait de l'habitation. Elle hurla, le visage ruisselant de larmes et tenta de fouiller à travers les décombres, en vain. Il la retrouva couverte de suie, cherchant de manière incohérente, l'air complètement hagard. Lorsqu'elle le vit, elle se jeta sur lui et le frappa de toutes ses forces. Chose qui n'eut guère d'effet, il ne cilla même pas, la laissant cogner de ses petits poings.

"Tu les as tués! On avait un accord! On avait un accord!" Répéta t-elle en boucle. Il patienta, environ dix secondes, avant de l'attraper et de la bâillonnée d'une main. Il avait entendu assez de cris la nuit précédente.

"Ils sont vivants, je les ai laissé fuir. Ils sont partis vers l'ouest. Elle s'arrêta et le sonda à la recherche de la vérité.

-Je n'ai qu'une parole. Dit-il d'un ton méprisant, n'appréciant guère qu'elle doute de lui. Partons, nous avons un long chemin à parcourir." Partiellement rassurée, Ereyne scruta l'horizon vers l'ouest à la recherche d'un signe de vie avant de se résigner et de suivre Zelyan.

Le périple dura plusieurs mois, ils traversèrent de nombreux paysages, croisant des villages humains que Zelyan se faisait un plaisir de dévaster pendant la nuit. Pour combler le tout, la pluie se fit leur compagne de voyage, elle avait débuté le lendemain de leur départ et ne les avait pas quitté.

"Je suis frigorifiée, murmura Ereyne, trempée,  alors qu'ils terminaient une autre longue journée de marche, ne pourrait-on s'arrêter?

-Nous sommes presque arrivés." Dit-il en désignant la montagne qui se dressait en face d'eux. Les immenses blocs de roches qui leur faisaient face n'inspirèrent que peur et frisson à Ereyne. Zelyan s'y sentit comme chez lui au premier regard. Il durent encore gravir la montagne jusqu'à mi-hauteur environ, toujours sous la pluie, pour atteindre une zone à peu près plate et une grotte naturelle plongeant dans la montagne. Il y avait une première salle à taille humaine, qui pourrait aisément leur servir de maison. Au fond, une sorte de couloir sombre s'enfonçait dans la roche.

"Ne t'y aventure pas." Ordonna Zelyan, un peu inutilement car l'inhospitalité du couloir réprimait déjà ses envies d'exploration. Elle déposa ses affaires et posa son regard sur la vaste plaine, sa rivière et la forêt. Le climat lui parut plus froid ici, l'herbe plus verte et la terre plus fertile.

"Pourquoi sommes-nous ici? Demanda t-elle à Zelyan qui ramenait du bois pour recréer un feu.

-Ordre de mon créateur, répondit-il avec un petit sourire en voyant une expression de dédain passer sur son joli visage. Remercie-le, la pluie va continuer.

-Quel rapport entre la pluie et notre voyage?

-Regarde ce magnifique paysage, dit-il en tendant le bras vers la plaine. Dans quelques semaines tout sera recouvert d'eau à perte de vue. C'est le Déluge ma chère, ajouta t-il. Je n'ai pas été assez efficace dans ma tâche, ton espèce s'est trop répandue sur Terre et mon créateur n'aime pas cela. Il va tous les noyer."

Il savoura la tristesse qu'il lut dans ses yeux avant qu'elle ne les tourne vers l'extérieur. Il se demanda à quoi ressemblaient ces sentiments, la tristesse, la compassion. C'était tellement... humain. En parlant d'humanité, il avait reçu un autre ordre de son maître, il devait se presser d'obéir.

Ereyne contemplait toujours le paysage, cette terre aux couleurs chatoyantes qui allait bientôt disparaître pour laisser place à un océan.

"Bienvenue à la maison."

Quelques coups frappés à la porte sortirent Ereyne de son sommeil, le majordome l'informait que la réception débutait et qu'elle était attendue en bas dans quelques minutes. Elle prit quelques instants pour se remettre de son rêve, laissant son regard aller vers la fenêtre offrant une vue imprenable sur le déluge qui s'abattait sur la plaine. Déluge qui avait sans aucun doute ravivé ses souvenirs.

Elle respira un bon coup et sortit du lit. Elle revêtue une longue robe bleue nuit, attacha ses longs cheveux blonds en un chignon lâche, mit un léger maquillage et se prépara longuement devant son miroir, répétant ses expressions de dédain, de mépris et de haine. Elle respira, dressa la tête, tint son dos bien droit et se fit la plus hautaine possible, sachant qu'en bas elle ne serait pas épargnée. Elle n'avait aucune amitié pour tous ces monstres et ils le lui rendaient bien. Les femelles surtout, certaines avaient soif de sang, au propre comme au figuré. Aussi prête qu'elle le pouvait, Ereyne descendit.

La grande salle de réception accueillait environ deux cent personnes se haïssant plus ou moins. Ils se turent et s'écartèrent de son chemin lorsqu'elle entra. Elle s'efforça de rester fière et avança la tête haute, ce n'était pas la première fois qu'ils étaient ainsi réunis mais elle n'appréciait toujours pas cette ambiance. Zelyan, fier de voir "sa femelle" leur tenir tête, savait pertinemment qu'ils l'effrayaient encore et il comptait bien en profiter. Il lui offrit son bras qu'elle prit avec un plaisir non dissimulé et ils fendirent la foule, sourires aux lèvres. Lui était sobrement vêtu d'un costume noir au goût du jour, elle resplendissante dans sa robe bleue, ils attiraient tous les regards, les admiratifs comme les envieux, les respectueux et les craintifs. Tous avaient en mémoire l'incident survenu dans l'après midi.

La pièce avait été magnifiquement décorée, digne des bals de la cour sous la Renaissance. Zelyan tenait à faire de ces rencontres des évènements exceptionnels, de part les festivités certes mais également par les différentes orientations militaires et politiques qu'il donnait. Il créait ainsi des lignes de conduite influant son monde et celui des humains pour plusieurs décennies. La fête n'était que façade, les grands discours des effets d'annonce, les discussions privées et autres petites réunions en revanche étaient d'une importance capitale. Mais pour l'heure place aux activités sociales, à la revue des troupes. Les membres du cercle proche de Zelyan, monstres qu'il avait lui-même créés, présentaient les membres les plus méritants, talentueux ou prometteurs de leurs descendances. Tous espéraient gravir les échelons du pouvoir, obtenir les faveurs du maître. Ereyne nota quelques petits groupes de femmes, vampires en majorité, lui jetant des regards pleins de promesses de torture. Chacune d'elle voulait sa place et régulièrement, l'une d'elle pensait l'avoir obtenu, Zelyan n'étant pas contre le fait de profiter des plaisirs qu'elles pouvaient lui procurer. Cela entraînait parfois des situations cocasses, surtout lorsque la nouvelle favorite ordonnait théâtralement à Ereyne de quitter les lieux. Difficile de savoir ce qui était le plus drôle, Ereyne répondant qu'elle partait avec joie, les serviteurs qui se positionnaient de manière à ne rien rater de la scène ou Zelyan qui lâchait l'un de ses loups garou, souvent John, sur la malheureuse favorite qui chutait lamentablement dans l'échelle sociale.

Pour l'heure tout allait bien, Waban, l'un des fils de Zelyan, présentait Sakari, l'une de ses protégées. C'était une femme approchant de la trentaine, d'origine maya tout comme son "père", et qui développait avec succès tout un trafic de viande en déviant les réseaux de passeurs à la frontière américano-mexicaine. Zelyan admira l'ingéniosité avec laquelle elle utilisait les trafics inter-humains pour alimenter leurs propres réseaux de nourriture. Sakari, toute en humilité, réaffirma sa loyauté envers le couple. Une façon discrète mais claire de préciser à Ereyne qu'elle ne serait pas une menace pour la jeune femme.

Les serviteurs s'apprêtaient à annoncer que le dîner était servi lorsqu'une bagarre éclata. C'était la première mais certainement pas la dernière de la soirée. Des anciens séparèrent les deux sorciers, Zelyan fut plutôt surpris car ils étaient rarement en conflits frontaux, préférant utiliser des malédictions et autres poisons. N'ayant pas envie de faire justice alors qu'un délicieux festin l'attendait, il les fit enfermer dans les oubliettes et se dirigea vers la grande salle à manger. La grande table et ses 150 sièges ne suffisait pas à accueillir les 218 convives qui furent triés sur le volet, les moins satisfaisant furent relégués dans la salle voisine.

Zelyan et Ereyne s'installèrent à leurs sièges curules comme usuellement et, suite à un signe du maître de maison, Fitz le majordome fit entrer les plats. De délicieux fumets émanaient des immenses plateaux d'or et d'argent couverts de cloches dans les même métaux. Rôtis, mijotés ou juste saisis, les malheureux hommes chassés la veille satisfaisaient les papilles des convives. Clou du repas, quatre valets amenèrent une fontaine à chocolat dont la douceur sucrée avait été remplacée par le sang des proies. Elle fut placée au centre de la table et les coupes se remplirent rapidement. Zelyan fit remplir son assiette copieusement, majoritairement de viande rôtie, son mode de cuisson préféré et dégusta joyeusement son trophée. A ses côtés, Ereyne continuait à sourire mais ne toucha aucunement à la viande, pas cannibale. La répugnance qu'elle éprouvait à la simple vue de cette viande qui avait un goût fort proche de celui du veau que Fitz avait spécialement fait préparé pour elle l'amusait toujours.

Vers vingt deux heures les plats furent vides, les valets emportèrent les assiettes et apportèrent le nécessaire à dessert. Zelyan décréta que le moment était opportun et se leva. Tous l'imitèrent avant de se rasseoir sur son ordre. Le silence se fit, chacun appréhendant l'annonce que le maître des lieux allait faire.

"Chers convives, vous êtes sur cette terre, que nous ne dominons pas officiellement, du moins pour l'instant, depuis plus ou moins longtemps. Aleph, notre benjamin, est parmi nous depuis quatre mois et me semble bien jeune, surtout comparé à nous, n'est ce pas ma douce?

Il inclina la tête vers Ereyne qui acquiesça de la tête.

Aleph, comme la majorité d'entre vous ne connaît rien, ou si peu, à notre histoire. A tous ces évènements qui nous ont mené ici aujourd'hui. Même Caius, l'un de nos membres les plus anciens n'a vécu que la moitié de cette histoire.

Il s'arrêta un instant, cherchant des yeux un vampire d'une vingtaine d'années qu'il savait quelque part autour de la table.

En vérité, seul trois personnes ici ont vécu l'événement dont je vais vous parler. C'est dire à quel point il est ancien. Peut-être l'avez vous remarqué dans vos différentes contrées, il pleut!

Clama t-il en désignant les grandes fenêtres éclairées par les éclairs de l'orage qui grondait.

Ah cette douce pluie. La dernière, avec l'ordre de mon créateur, nous a contraints Ereyne et moi-même à quitter la région dans laquelle ma douce est née pour venir nous établir ici. C'est d'ici que nous avons assisté à la fin d'un monde. Il y avait tellement d'eau... Devant l'efficacité de la méthode, mon créateur a décidé de réitérer. Tout à fait Seth, insista Zelyan en regardant le vampire qu'il avait trouvé un peu plus loin sur sa gauche, tu vas pouvoir leur raconter comment tu as survécu au Déluge. Raconte leur comment tu es resté pendant des semaines sur un tronc d'arbre flottant, te nourrissant de cadavres pourrissants et de sang de poissons. Raconte comment ta peau s'est abîmée sous le soleil de plomb et comment tu as juré ne plus jamais sentir ses rayons, déclenchant cette légende comme quoi les vampires brûlent au soleil.

Cette remarque fit rire une bonne partie de l'assemblée, toutes les légendes ont un fond de vérité finalement. Zelyan imposa le silence et reprit.

Préparez-vous! Mon créateur déverse sa colère sur le monde pour la seconde fois! Le niveau des mers va monter, bientôt tout sera recouvert. Le nombre d'humains va drastiquement diminuer, j'ai hâte de savoir qui Dieu va avertir cette fois alors si vous entendez parler d'un illuminé qui construit un bateau faites passez l'information! Et maintenant que ma douce vient de me fusiller du regard pour avoir critiquer son créateur, je vous invite à prendre le dessert.

Iles flottantes!"

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Merci d'avoir lu ce chapitre!

Marie