Dix-moi
Deux mille dix-sept commença comme les milliers d'années avant elle, par un soleil se levant à l'est. A Woodcastle tout était redevenu tranquille depuis le départ, la veille, des fils de Zelyan chefs de cités sanctuaires. Ne restaient que John, Caius et Avanish. Le loup et les deux vampires se faisaient discrets, Zelyan n'ayant toujours pas digéré la visite d'Adam. Pourtant, lorsqu'il éveilla Ereyne ce matin-là, il arborait un grand sourire. Il avait ouvert en grand les rideaux et accueilli ce soleil matinal à bras ouverts avant de retourner se pencher au-dessus du lit pour sortir sa compagne du sommeil.
— Debout ma douce, j'aimerais que tu ne rates pas cela.
Ereyne quitta péniblement son lit, ces-derniers temps il était son refuge le plus sûr. Lorsqu'elle dormait les soucis s'éloignaient, la fin du monde aussi. Zelyan dut pratiquement la tirer hors des couvertures pour qu'elle accepte de se lever et de l'accompagner au balcon.
— N'est-ce pas magnifique ? demanda l'immortel en désignant le paysage qui s'étalait devant eux.
Greyhall brillait de l'autre côté de la vallée, baignée par les rayons dorés dont la lumière était reflétée grâce à une couche de givre hivernal. Zelyan avait raison, le spectacle était d'une beauté rare, mais plus rare encore était le fait qu'il s'y intéresse. Ce tableau était trop doux et trop tranquille pour plaire aux goûts violents du Diable.
— Que n'ai-je pas vu Zelyan ? s'enquit Ereyne en se tournant vers son compagnon dont le sourire s'accentua.
Il lui désigna la plaine du menton.
— Tu ne remarques rien ?
Ereyne resserra la couverture autour d'elle alors qu'une brise glaciale lui courait entre les jambes et se pencha un petit peu vers le sol. Elle posa une main sur la rampe froide du balcon et regarda en bas. L'herbe était toujours verte et brillante, il n'y avait pas de neige ce matin. Le sol était tel un miroir, éclatant et lisse. L'immortelle se redressa et haussa les épaules. Elle fit mention de l'absence de neige mais cela ne sembla pas être la bonne réponse.
— Tu y es presque ma douce. Tu as vu tout ce gel ?
— Oui c'est du givre, rien d'exceptionnel.
— Non, c'est du verglas, corrigea Zelyan, et toute l'importance est là.
— C'est de l'eau gelée Zelyan, d'ailleurs moi aussi je vais geler si nous ne rentrons pas bientôt. Alors quelle est cette chose que je dois remarquer ?
— Tu viens de le dire !
Ereyne leva les yeux au ciel d'exaspération et rentra dans la chambre chaude. Elle passa une robe de chambre et descendit dans les étages inférieurs pour aller prendre son petit déjeuner. Elle n'était pas spécialement fan des énigmes dès le matin. Zelyan lui emboîta le pas, non sans insister, encore une fois elle avait la réponse mais ne prêtait pas assez d'attention à ses propos pour le réaliser. Il continua à essayer de lui faire deviner jusqu'à ce qu'ils pénètrent dans la petite salle à manger où la console était déjà garnie de nourriture.
Zelyan saisit une tranche de lard d'homme frite et se posta à la fenêtre pour la déguster non sans redemander à sa douce de venir admirer la vue.
— Je t'en prie, c'est vraiment magnifique, viens voir ! Ah je ne vais pas m'en lasser !
Mais Ereyne lui préféra une chaise et s'attabla après avoir rempli son assiette et attraper des couverts. Elle lui rétorqua au passage qu'il était assez étonnant venant de lui d'apprécier un paysage où l'on voyait nettement une construction humaine.
— Ce truc me rappelle à quel point tu aimes t'attacher à ces petites choses éphémères que sont les Hommes.
L'immortelle allait répondre sur un ton fort peu aimable mais fut interrompue par l'entrée d'Avanish. Le vampire était devenu l'un des premiers fils de Zelyan voilà plus de trois mille ans, l'homme qu'il était alors s'était illustré dans un conflit avec la trinité hindoue : Brahan, Vishnu et Shiva, au nord de l'Inde actuelle. Avanish était alors un voleur de la pire espèce, sans honneur, sans parole, assoiffé de richesses. Il dépouillait et tuait sans jamais omettre de laisser des traces menant à d'autres. Son existence même était incertaine tant il était doué pour dissimuler ses traces. La fortune que Zelyan et Ereyne avait alors dans leurs bagages l'avait très logiquement attiré et si Zelyan n'avait pas été Zelyan il eut probablement réussi son coup. Avanish finit pendu par les pieds, prêt à être achevé mais Ereyne voulut qu'il confesse tous ses crimes avant de mourir. Elle avait dans l'idée de porter assistance à toutes ces familles lésées mais ce récit eut une toute autre finalité. Avanish l'écœura lorsqu'il décrit avec moult détails toutes les atrocités qu'il avait commises. Sa cruauté et son vice ne semblaient avoir eu aucune limite. Ereyne le coupa en plein discours, elle en entendu assez mais à l'inverse Zelyan était demandeur. Ce voleur lui plaisait de plus en plus. Naquit ainsi une scène totalement incroyable : Ereyne demandant la mise à mort d'un humain et Zelyan votant pour sa survie. L'immortelle faillit s'en charger elle-même, elle avait sorti son silex et s'apprêtait à l'égorger mais Zelyan la stoppa et libéra le prisonnier.
— Ereyne a raison, tu ne mérites pas de vivre comme les Hommes. Ta place est avec nous.
Puis il le maudit et en fit l'un de ses fils, sourd aux protestations de sa compagne. Elle clamait qu'il était un monstre, qu'il n'avait pas assez de grandeur pour être immortel, ce à quoi Zelyan répondit qu'elle avait raison.
— Maintenant je te rappelle qu'il n'a pas de limites dans l'horreur, il va pouvoir nous être utile. Même à toi.
Et il fut d'une efficacité redoutable au fil des siècles. Un assassin qui n'existait pas, un courant d'air, une ombre, une rumeur. Avanish avait plus de morts à son tableau de chasse que John ou Odin. Certes elles étaient bien moins glorieuses, il n'avait souvent à tuer que des Hommes, mais il était parfait pour cette tâche. Et il n'avait pas son pareil pour déstabiliser une région, voire même un pays. L'indien avait obéi aux ordres avec la discrétion d'un fantôme et la précision d'un nanomètre, contrat après contrat. Le dernier notable d'entre eux l'avait mené à Dallas, un jour de novembre mille neuf cent soixante-trois, à la demande d'un autre fils de Zelyan, Ysun, qui avait quelques soucis d'ordre politique...
— Ah ! Avanish ! Tu l'as peut-être vu toi ! s'exclama Zelyan en voyant son fils entrer et les saluer.
Ereyne ne lui décocha même pas un regard et s'occupa de son thé mais le vampire en avait l'habitude. Lui avait posé des yeux sur elle avec une étincelle lubrique que même Zelyan n'appréciait guère. C'est pourquoi l'immortel maintint son attention sur Avanish jusqu'à ce que celui-ci se soit assis à distance largement respectable de la jeune femme.
— Que suis-je censé avoir vu père ? Je n'ai rien remarqué.
— Qu'y a-t-il à remarquer ? demanda Caius en faisant lui aussi son entrée dans la petite salle à manger. Bonne année chère Ereyne.
— Bonne année Caius, répondit l'immortelle avec un sourire.
De tous les fils c'était probablement son préféré. Caius avait l'intelligence, le charisme, l'aura d'un grand leader, ce qu'il avait été. Si les Hommes avaient baissé dans son estime avec le temps il n'en était pas pour autant devenu un monstre assoiffé de sang.
— C'est pourtant évident non ? Regarde Caius !
Le vampire obéit et vint contempler la plaine. Après quelques instants il comprit et le montra à son père avec un petit assorti d'un hochement de tête.
— Enfin l'un de vous l'a vu !
— Bon, très bien ! Ereyne se leva et rejoignit son compagnon, un brin agacée. Que dois-je voir ?
Zelyan lui montra à nouveau ce miroir qu'était le sol tout en glissant un bras sur ses épaules. Il l'enlaça et déposa un baiser sur sa joue.
— Regarde ma douce, ça y est, la terre ne peut plus absorber l'eau, elle va rester et son niveau ne va qu'augmenter.
Comme pour lui donner raison, le ciel s'assombrit et la pluie se mit à tomber drue. Le Déluge était bel et bien là. Combien de temps avant que l'Homme ne se rende compte de l'urgence de la situation ?
— Plus que douze semaines avant notre anniversaire ma douce. Et d'ici-là tout changera.
Il se détacha d'elle et alla s'asseoir mais Ereyne resta immobile, perdue dans cette beauté mortelle. Ce beau miroir qui reflétait maintenant l'argent du ciel était un présage de mort à grande échelle. Woodcastle, Greyhall et toutes les cités sanctuaires étaient construites sur les hauteurs mais Ereyne songea à toutes les cités côtières, et à Venise. La ville italienne serait probablement la première à finir noyée, tout comme les Pays-Bas, ce pays qui vivait sous le niveau de la mer.
— Zelyan, murmura-t-elle.
— Quoi ?
— Arrête ça.
Elle se tourna vers lui, ignora royalement qu'ils n'étaient pas que deux la pièce et lui ordonna de cesser ce déluge.
— Tu vas tout détruire !
— C'est le principe d'une apocalypse ma douce.
— Arrête ça maintenant ou, ou...
— Ou quoi ? ricana son compagnon, que vas-tu faire ? Prier ce dieu qui te ment depuis toujours ?
— Ou je m'en vais !
— Essaye !
Ereyne joignit le geste à la parole en quittant la pièce, bien décidée à quitter le château. Elle monta dans sa chambre, prit des affaires et s'habilla chaudement, avant de prendre un sac dans chaque main. La voix de Zelyan se répercuta dans les couloirs du château, il lui hurlait que son départ ne changerait rien. Il n'arrêterait pas le déluge pour autant.
— Et si tu meurs je te retrouverai en enfer ma douce ! Nous avons un pacte !
La jeune femme maugréa qu'elle n'avait pas l'intention de mourir, c'était même le contraire, elle avait envie de vivre, elle avait envie que tout le monde vive.
Lorsqu'elle redescendit, Zelyan l'attendait de pied ferme, une longue chaîne à la main.
— Caron m'a souvent suggéré ce truc avec toi mais, il n'avait probablement pas la même chose en tête.
— Tu comptes m'enchaîner ici ? Dans un cachot ? C'est bien la chose qui m'empêchera de partir, déclara Ereyne aussi assurée que possible.
Physiquement elle ne faisait pas le poids mais elle se devait de tout tenter pour stopper ce déluge, et si Zelyan ne le faisait pas, une seule personne le pourrait. Et cette personne était quelque part dehors.
— On parie ? demanda son compagnon avec un sourire carnassier. J'avais plutôt dans l'esprit de t'enchaîner en bas. Mais si tu préfères rester au château soit.
Il recula jusqu'à la grande porte, leva le bras et, sans quitter sa compagne des yeux, frappa trois fois. Les murs lui répondirent, chaque pierre sembla s'animer et participer à ce grondement sourd général.
— Personne ne sort de ce château.
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