Avec des Six on coupe du bois
— Ce n'est pas possible...
— C'est un miracle !
— C'est l'oeuvre de Dieu...
— Elle flotte !
Il fallait le voir pour le croire mais une fois devant le fait accompli plus de doute. Le Mont Saint-Michel flottait, ou presque. L'île sur laquelle il reposait s'élevait avec les eaux. Toute la campagne avoisinante était à présent recouverte par l'océan, le pont qui reliait l'île à la terre était sous l'eau depuis longtemps mais les remparts du Mont demeuraient émergés. Le président français, accompagné de son état-major, était à bord d'une frégate naviguant dans la baie. Manu était venu constater le miracle par lui-même mais il avait également affaire dans la région. Les habitants de France, d'Europe et d'ailleurs mourraient en masse s'ils n'avaient pas fui vers les hauteurs mais, çà et là, quelques lieux étaient mystérieusement préservés, à l'image du Mont Saint-Michel.
Les pêcheurs de Bretagne avaient d'ailleurs convergé vers la baie devenue une immense marina. Des familles entières avaient préféré opter pour une vie marine plutôt qu'une fuite vers les montagnes. La vie s'organisait tant bien que mal, les aliments frais tels les fruits et légumes commençaient à manquer. Mais ils n'étaient pas les plus à plaindre, il y avait du poisson en abondance et ils avaient de l'eau potable. Pour ne rien gâcher, certains îlots rocheux sur lesquels un fort ou quelques maisons étaient bâtis restaient émergés. La vie s'organisait autour de ces points de roc et de verdure, comme de petits villages. Les Hommes du coin avaient la mer dans le sang, leur survie semblait assurée.
Manu quitta ses contemplations lorsque la frégate arriva à proximité de l'entrée du Mont, il monta avec quelques soldats lourdement armés dans un zodiac qui l'emmena à bon port. Il fut accueilli à terre par trois moines qui s'inclinèrent devant lui avec respect et par le maire qui lui serra la main. Les deux hommes n'étaient pas du même bord politique mais depuis quelques semaines cela n'avait plus d'importance.
— Monsieur le président, veuillez me suivre, ordonna poliment le plus âgé des moines.
Il mena le président à travers les rues étroites de la ville jusqu'à l'abbaye où d'autres moines les accueillirent solennellement. Ils traversaient le cloître lorsque Manu remarqua d'autres hommes, loin d'être des moines : ils portaient une armure d'argent, une large épée dans un fourreau et chacun de leurs boucliers étaient frappés d'un blason : champ d'argent et coquilles de sable. Il marqua un temps d'arrêt et ses soldats posèrent une main sur leurs armes en guise de semonce. Mais les guerriers ne prêtèrent pas attention à eux, ils leurs jetèrent à peine un regard avant de replonger dans leur discussion.
— Ce sont eux ? demanda Manu au frère prieur.
— Oui monsieur le président, répondit humblement le frère, ils ont repris possession de l'abbaye avec la bénédiction du Seigneur, sa volonté fut très claire et notre devoir à présent est de les aider dans leur combat contre le malin.
Le religieux avait dit cela comme s'il avait mentionné la couleur du ciel, il parlait pourtant d'une guerre terrible dont personne sur Terre ne pouvait se targuer d'avoir des informations. Manu n'était pas en poste depuis longtemps mais, depuis la démission subite de son prédécesseur, il avait dû faire face à l'imprévisible, l'impensable. Lui qui n'était pas spécialement croyant avait rencontré le pape la semaine passée, pape qui lui avait gentiment mais fermement expliqué que Dieu allait entrer dans une guerre ouverte avec le Diable... Sur Terre, avec les Hommes au milieu, et que l'eau qu'il voyait partout était un second Déluge. Oui, comme le Déluge biblique, avec un nombre incroyable de morts. C'était beaucoup à encaisser pour Manu. Lui qui avait déjà mal pris la nouvelle de l'existence des vampires et des loups-garous, ces fichus scientifiques n'avaient d'ailleurs toujours pas trouvé de moyen efficace de les identifier lorsqu'ils étaient sous forme humaine, était encore plus confus. Le président fit néanmoins de gros efforts sur lui-même pour paraître sérieux et imposant, il était lui aussi un chef de guerre après tout. Il traversa les bâtiments qui, de mémoire d'homme, n'avaient jamais été aussi bruyants. Les sons provenaient de tous les coins de l'abbaye, des conversations, des cliquetis, des martèlements, des battements d'ailese. L'abbaye n'avait jamais été aussi vivante. Cela paraissait même ennuyer le frère prieur qui soupira lorsqu'un homme en armure courut d'une pièce à l'autre en passant à un mètre d'eux sans s'arrêter ni esquisser un geste de salut. Enfin ils arrivèrent au pied d'un escalier de pierre qui menait vers les hauteurs de l'abbaye. Le moine s'écarta pour laisser passer Manu et l'invita à monter sans lui.
— Il vous attend, annonça-t-il avant de reculer d'un pas et de joindre les mains.
Manu fit signe aux soldats de l'attendre ici, inspira profondément et commença son ascension. Marche après marche son appréhension grandit, il avait beau savoir que la créature qu'il allait rencontrer était aussi humaine, physiquement parlant, que les autres, il stressait. La perspective d'une alliance était ce qui l'avait mené ici, ses conseillers étaient unanimes, ils avaient besoin de négocier un partenariat contre les forces venues de Woodcastle. Mais l'idée de n'être qu'une goutte dans l'océan, c'était le cas de le dire, persuadait Manu du contraire. Les Hommes n'étaient qu'une espèce parmi d'autres sur Terre, aux yeux de celui qu'il allait rencontrer il n'était rien. Rien qu'une bête sans griffes ni crocs. Enfin il arriva en haut de l'abbaye. La petite pièce carrée offrait une vue imprenable sur toute la baie, entre les colonnes de pierre, mais le président n'eut d'yeux que pour celui qui se tenait debout en face de lui, étincelant dans son armure d'argent. Il était impressionnant avec sa barbe poivre et sel, surtout sel, ses yeux gris pénétrants et le pommeau de l'épée qui dépassait au-dessus de son épaule.
— Président, salua la créature, je suis Michael.
Pas besoin de patronyme, on ne se souvient que d'un nom. 'Michel', songea Manu, comprenant l'importance du lieu dans lequel il se trouvait. En face de lui Michael sourit.
— Oui, déclara-t-il comme s'il avait lu dans ses pensées, vous êtes dans mon bastion. Je suis l'archange Michael, l'un des sept généraux de l'armée de Dieu.
En guise de preuve il ouvrit légèrement ses deux paires d'ailes avant de les replier aussitôt mais Manu remarqua qu'elles n'étaient pas blanches, mais grises voire noires par endroit. Cet ange avait connu la guerre et elle avait laissé sa marque sur lui.
— Gabriel vous envoie n'est-ce pas ?
Manu acquiesça mais n'osa toujours pas prononcer un mot. Michael grommela contre le pape, peu content d'avoir à s'occuper d'humains en plus de tout ce qu'il avait déjà à faire ici.
— Que puis-je faire pour vous ? Je suis assez occupé en ce moment, fit remarquer Michael sans cacher l'agacement que Manu lui insufflait.
— Gabriel... murmura le président, c'est aussi un archange ?
— Vous avez fait votre catéchisme non ? Vous devriez le savoir, les serviteurs de Dieu ont retranscrit ses paroles et sa volonté dans les livres saints, ce n'est pas faute de les avoir mis à votre disposition !
Cet ange lui en voulait, il en voulait même à toute l'Humanité, constata Manu. Il rétorqua que l'Homme avait suivi sa propre voie, lorsque les signes de la présence divine s'étaient amenuisés jusqu'à disparaître.
— Désolé d'avoir eu foi en votre capacité à continuer de croire en l'évidence.
— La population meurt à cause de ces inondations, Manu prit le parti de changer radicalement de sujet pour ne pas envenimer la situation déjà tendue, comment stopper le Déluge ?
La réponse ne lui plut pas du tout, il n'y avait aucun moyen. La Terre allait être purgée de la surpopulation humaine et la nature reprendrait ses droits. Manu objecta qu'il y avait des milliards de vies en jeu, sans parler de la contamination annoncée avec la noyade des réacteurs nucléaires.
— Et nous travaillons sans relâche à la sauvegarde de leurs âmes.
— De leurs âmes ? Et qu'en est-il de leurs vies ?
— Cela, murmura Michael, c'est de votre ressort. La Bible vous dit comment survivre au Déluge, suivez donc les écrits pour une fois.
— Construire des bateaux ? C'est cela votre solution ?
— Cela et traquer vos prédateurs, c'est assez non ? A moins qu'en plus du reste vous souhaitiez combattre le Diable vous-même ?
Manu ne répondit pas tout de suite, il venait de comprendre que l'étendue de sa tâche s'était encore un peu agrandie. Il y avait tellement d'urgences qu'il ne savait même pas par laquelle commencer. Evacuer les Hommes, les bêtes, les matériaux, tout, il fallait tout évacuer, tout construire à la hâte plus haut. Et gérer les conflits. Ceux qui avaient des maisons à une altitude suffisante étaient généreux mais pas assez pour aider tout le monde. Des stations d'hiver avaient été réquisitionnées, les hôtels étaient squattés, chaque pan de toit abritait une famille et l'insécurité régnait dans les zones surpeuplées et sous-alimentées.
— Mais il se peut que nous puissions fournir une certaine aide, déclara Michael après un court silence.
L'espoir naquit en même temps que la méfiance dans le cœur de Manu, l'archange était un chef de guerre, il demanderait quelque chose en échange de son aide, quelque chose de substantiel.
— Que voulez-vous ? demanda le président.
— Vous l'avez peut-être remarqué, dit Michael en s'approchant des colonnes.
Il contempla la baie illuminée par le soleil et fut rejoint dans son observation par Manu. L'archange désigna un pic rocheux au loin.
— Les bretons sont globalement restés fidèles à Dieu au cours des siècles, était-ce la présence de mon bastion ou simplement une foi inébranlable je ne saurai le dire, mais le fait est que lorsqu'ils ont appris pour les serviteurs du démon leur foi s'est renforcée, même dans le cœur des païens. Ils se sont tournés vers le Seigneur qui a tenu à les récompenser. Vous êtes probablement au courant d'ailleurs. Le Mont reste émergé car le Seigneur l'a décidé ainsi, mais il a également accordé cette faveur à certaines paroisses, à la ville de Saint-Malo par exemple.
Oui, Manu le savait, il le savait si bien qu'alors que Paris avait déjà sombré dans l'eau la cité corsaire émergeait fièrement. Le gouvernement était actuellement sur un porte-avion mais la ville fortifiée était envisagée comme nouvelle capitale. Mal située certes, mais émergée. C'était la même chose dans toute la région : le granit pointait son nez et offrait des refuges aux locaux. La Bretagne avait été bénie alors que le reste de la France mourait petit à petit. L'île de France n'était plus qu'un cimetière géant. Cela avait été horrible, une vague, une seule, pas même un énorme raz de marée, juste une douce vague qui était montée en quelques heures sur toute la région. La tour Eiffel pointait hors de l'eau mais plus le restaurant qu'elle abritait. L'arc de triomphe était submergé, seule Notre Dame de Paris et les buttes alentours avaient été bénies et hissées par Dieu. Tous les rescapés étaient devenus très croyants.
— Nous ne voulons qu'une chose, que vous fassiez comme les bretons. Vénérez le Seigneur et il vous le rendra.
'Mettez-vous à genoux devant nous' traduisit mentalement Manu, ce n'étaient rien de plus que des dictateurs comme les autres.
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Je posterai un mini-concours la semaine sur le groupe Zeleyners (comme toutes les semaines en fait), le vainqueur se verra dédicacer le chapitre à paraître. Ça crée un peu d'animation.
Bon Week-end !
Axel.
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