7. Bain de lave
Ereyne était une grande lectrice, elle collectionna les œuvres manuscrites jusqu'en 1450 puis les remplaça progressivement par des impressions. Elle raffolait particulièrement des épopées fantastiques où les seules limites étaient celles de l'imaginaire humain. L'immortelle avait dévoré mille et unes aventures plus épiques les unes que les autres. Elle avait vécu avec les joies et les peines des personnages, leurs désillusions et leurs espoirs dans ces quêtes où tous ne survivaient pas mais où chacun agissait pour le plus grand bien. Elle savoura chaque instant de ces œuvres, de la fête champêtre au milieu des collines au duel final au-dessus d'un torrent de lave qui vit la fin heureuse de l'un des protagonistes, apaisé d'avoir récupéré son cher bien. Oui Ereyne aimait vivre ces péripéties, bien au chaud près du feu, installée sur son sofa, Ling étendu à ses pieds et une douce couverture passée sur le corps. En revanche elle n'aimait pas du tout sa propre aventure en enfer.
Elle n'était guère en danger, les prédateurs ici-bas mangeaient des âmes, pas de la chair, et hormis les ravins sans fond, les rocs qui éclataient sans raison, la fumée âcre et empoisonnée et les vampires renégats il n'y avait pas grand-chose qui puisse lui faire peur. Mais ce périple long et semé d'embûches n'était pas pour lui plaire. Depuis plusieurs jours elle avançait, accompagnée de Lucifer et du chien à trois têtes, à travers les entrailles du royaume de Zelyan. L'ancien archange avait eu la bonne idée de suggérer un détour par les forges, lieu encore non contrôlé par les renégats qui se cantonnaient au pilier.
— Je ne doute pas de tes pouvoirs chère reine, avait déclaré Lucifer avant de se reprendre, en fait si j'en doute un peu. Il serait donc bon de s'armer avant de partir au combat. Ces vampires sont peut-être morts mais ils ont encore des pouvoirs et connaissent ce monde mieux que toi.
Pour toute réponse Ereyne avait dégainé son silex. Lucifer eut alors un mouvement de recul en sentant la force qui émanait de la pierre.
— Qu'est-ce que c'est que ce truc ?
— Tu ne le reconnais pas ? s'étonna Ereyne, ma mère l'utilisait pour découper la viande. C'est la seule chose de ma jeunesse que j'ai gardée.
— Tu l'as un peu chargée en magie à ce que je constate, répondit Lucifer.
— Vraiment ? Je n'ai jamais remarqué, je l'ai pourtant toujours avec moi.
L'ange lui demanda de bien vouloir ranger son engin de mort et ajouta que quelques accessoires supplémentaires ne seraient pas de trop. L'ennemi avait mis la main sur tout le stock d'armes du pilier et n'hésiterait pas à s'en servir.
— Ils ont la foudre ? demanda Ereyne en se rappelant de l'arme.
Seth, son frère, avait un jour risqué sa vie ainsi que celles d'Ereyne et de Caron pour tenter de la voler. Adam, son père, la convoitait. Et pour que le Premier Homme demande à son fils de mourir pour cette mission, il fallait qu'elle soit d'une importance capitale.
— Zelyan l'a planquée quelque part, expliqua Lucifer en haussant les épaules, mais je ne sais pas où. Il a refusé de me le dire, suspicieux comme il est. Je ne suis pourtant pas Seth.
— Tu as trahi une fois Lucifer, dit Ereyne d'une voix douce, tu sais qu'il est facile d'imaginer que tu pourrais trahir à nouveau.
— Traître un jour, traître toujours... Je connais la rengaine. N'empêche que sans moi l'Olympe serait tombé.
— Et je suis certaine que Zelyan ne l'oublie pas.
Rassurée de savoir que les renégats qu'elle avait follement décidé d'affronter ne détenait pas la foudre de Zeus mais déçue de ne pas elle-même l'avoir, Ereyne continua sa marche sans fin vers les forges. Lucifer espérait que les forgerons accepteraient de choisir leur camp et leur fourniraient de quoi écraser la racaille.
Mais avant de gagner les forges il était nécessaire de longer le néant. C'était un immense lac, plus noir que la nuit. Il aspirait toute la lumière et n'en reflétait aucun rayon. De part et d'autre des geysers et des cascades de lave en escalier se déversaient sur lui pour ne jamais refaire surface.
Le chien bondissait de mare de lave en mare de lave avec un plaisir non dissimulé, Lucifer volait en esquivant les jets de vapeur et Ereyne avait mal aux pieds. Elle était en sueur, elle était fatiguée, les vapeurs de soufre lui piquaient les yeux. L'immortelle n'avait plus qu'une envie : rebrousser chemin.
— Zelyan aurait pu avoir la bonne idée de créer un réseau de voyage correct entre ses installations. Ne serait-ce qu'une route, murmura-t-elle en s'asseyant sur le rebord d'une mare de lave bouillonnante, ne pouvait-il pas simplement y avoir une route pavée ?
— Tu sais ma douce, l'enfer est pavé de bonnes intentions, répondit une voix derrière elle.
Ereyne sursauta et se retourna brusquement, une seule personne, dans tout l'univers, l'appelait « ma douce ». Elle découvrit son compagnon, immergé dans la mare, la tête calée sur un roc et les bras croisés derrière la nuque.
— Zelyan ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? Depuis quand ? Je te cherche partout et tu débarques comme cela ? Juste comme cela ? Pas de monstre à vaincre, pas de donjon, rien, juste comme cela ?
Ses répétitions et le manque de cohérence dans ses propos amusèrent Zelyan. L'immortel éclata de rire et nagea jusqu'à elle. Il salua d'un signe de tête Lucifer qui s'inclina et prit son envol. Puis Zelyan reporta son attention sur sa compagne qui débitait un flot de questions à une vitesse à peine croyable.
— Chut ma douce, c'est fini, je suis là, murmura-t-il avec douceur.
Il avança la tête afin de l'embrasser mais, au lieu d'une douce paire de lèvres il sentit une main brûlante s'écraser sur sa joue.
— « C'est fini je suis là », non mais pour qui te prends-tu ? hurla l'immortelle. Toutes les cités sanctuaires sont en péril, c'est la panique en haut, Adam a déversé la foi dans tous les cœurs, tes fils sont perdus, j'ai dû traverser une zone de guerre, un village glacé...
— Oh tu as visité le village des pères-Noël ? Cool non ?
— Tais-toi ! J'ai failli me faire violer par Judas, j'ai vu des âmes se faire torturer et maintenant je dois aller je ne sais où pour récupérer je ne sais quoi pour pouvoir entrer dans le pilier parce qu'une bande de vampires fait régner la terreur en enfer et toi tu prends un bain ?
L'attitude de Zelyan changea du tout au tout. Ereyne se tut, un violent frisson lui parcourut l'échine. On eut dit que l'air avait perdu des dizaines de degrés en un instant. Zelyan se redressa et la colère de sa compagne se transforma en horreur. Le corps de l'immortel était ponctué de trous béants. A la place de la cage thoracique il n'y avait que du vide qui entourait un cœur battant et Ereyne put admirer les vertèbres lombaires de son compagnon, il lui manquait tout le reste.
— Je vais buter Judas, déclara Zelyan avant d'être stoppé aussi net par sa compagne qui lui annonça qu'elle s'en était chargée toute seule.
Ereyne posa délicatement un doigt sur l'un des rares morceaux de peau de son compagnon et caressa doucement les contours de son torse.
— Le poing céleste fait mal ma douce. Mais ne t'inquiète pas j'ai connu pire.
Les larmes montèrent aux yeux de l'immortelle en l'entendant mentir ainsi, elle ne l'avait jamais vu en si mauvais état.
— Oh mon dieu Zelyan, murmura Ereyne tandis qu'il lui relevait le menton.
— Chut, à blasphémer tu finiras en enfer ma douce, dit-il en l'embrassant.
Il était là, il était vraiment là, tout contre elle. Ereyne le serra contre lui avant de le lâcher brusquement avec une expression de dégoût. Elle venait de toucher un bout de tissu interne et la substance poisseuse la fit frémir. Zelyan éclata une nouvelle fois de rire, l'attrapa et l'emmena avec lui dans la mare bouillonnante. La lave provoqua une douleur intense, similaire à celle qu'elle avait ressenti quelque temps plus tôt lorsque Zelyan avait réveillé les volcans sur Terre.
— Laisse-moi sortir ! hurla-t-elle à son compagnon qui maintient une poigne de fer autour de son avant-bras. Je brûle !
— Tu vas t'habituer ma douce, attends un peu. Tiens tu as mis ta robe préférée, c'est drôle elle ne brûle pas. Hyper pratique en enfer, tu me donneras ton truc ?
— Zelyan j'ai mal, laisse-moi sortir de là.
— Comme tu veux mais ils vont arriver...
— Qui ça ils ?
Un crépitement se fit entendre au loin, Ereyne se figea et porta son regard vers l'origine du bruit. Elle ne vit rien au premier abord mais le sol lui semblait étrange. Il tremblait. Puis elle distingua quelque chose, des milliers de choses. Des animaux ressemblant à des rats aux couleurs du sol galopaient en sa direction. Le convoi s'étala sur toutes les berges du lac, ses membres étaient innombrables. Les animaux passèrent là où quelques instants plus tôt Ereyne se tenait.
— Ces bestioles dévorent tout sur leur passage, commenta Zelyan, je les aime bien.
— Elles n'ont pas de peau, remarqua Ereyne, elles sont encore plus hideuses que toi actuellement, c'est dire.
— C'est pour cela que je les aime bien, les âmes en ont peur. Lorsque cette petite meute galope à travers l'enfer elle sème la panique sur son passage. C'est délicieusement divertissant. Alors, comment trouves-tu l'enfer ma douce ?
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Hello ! Comment allez-vous ? En vacances ? Moi non :-(
J'espère que ce chapitre vous a plu !
Bises
Axel.
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