32. Boussole
Au beau milieu du salon, les pieds sur un tapis ancien tissé à la main par une petite armée humaine, Zelyan couvrait Ereyne de baisers plus suggestifs les uns que les autres. L'immortelle, séduite par cette douceur dont son compagnon ne faisait pas si souvent preuve, ne faisait rien pour le repousser. Pour le moment il n'y avait qu'eux qui comptaient, les secondes pouvaient bien s'écouler, l'éternité leur tendait les bras, le monde ne s'arrêterait pas de tourner s'ils prolongeaient un peu leur étreinte. Le nez plongé dans le creux de l'épaule de Zelyan, une main accrochée dans son dos, Ereyne savourait l'instant. Dans les bras du Diable la menace de Dieu s'éloignait. Ereyne laissa échapper un petit rire alors que Zelyan lui chatouillait le creux du cou de sa langue. Dans ces moments intimes le Malin paraissait bien humain, mais garde à celui qui oserait lui dire. Ereyne leva les yeux par-dessus l'épaule de son compagnon et vit deux fils, un loup et un vampire, qui patientaient sur le seuil de la porte.
— Je ne vous savais pas voyeurs messieurs, leur lança-t-elle avec un léger rire.
Zelyan grogna quelque chose et s'écarta de sa compagne pour s'avancer vers ses fils qui attendaient leurs ordres. L'immortel voulut répondre à leurs attentes mais il ne savait trop quoi décider. Ils avaient déjà un rapport à faire et un message à envoyer mais ce n'était là que broutilles. Les vraies décisions n'avaient pas encore été prises. Zelyan avait mille ans de domination divine à rattraper.
Le Diable modifia son choix et se détourna d'eux pour revenir vers sa compagne. Ereyne l'accueillit par l'un de ses éternels sourires qui incitaient à l'embrasser. Il lui saisit la main, croisa leurs doigts et se rapprocha un peu plus d'elle.
— Ma douce, murmura-t-il alors qu'elle plongeait ses yeux dans les siens. M'en voudras-tu si je décime tes proches ?
C'était après tout le plan initial, celui qu'il avait conçu neuf mille ans plus tôt et qu'une petite humaine si attirante et si téméraire avait lamentablement fait échouer. Gabriel, Selaphiel, Michel et même Adam, ils auraient dû tous mourir dans leur campement en Afrique. Il aurait dû tous les tuer, les uns après les autres, laissant traîner leurs cadavres afin que se répande la peur.
Ereyne n'eut nul besoin de répondre, Zelyan savait quelle émotion avait émergé dans son cerveau. Il devinait fort bien qui s'était imposé dans l'esprit de sa douce. La première pensée avait été pour Eve, cela ne faisait aucun doute. Puis Ereyne avait certainement songé à Adam, à Seth, puis à Gabriel et aux autres archanges.
— Cela fait longtemps que je n'ai pas mangé d'archange ma douce.
— Tu n'as jamais mangé d'archange.
— J'ai bouffé Ezéchiel, avec Olorun, le seul loup ayant jamais mangé de l'archange. Il l'avait tué lui-même d'ailleurs.
Ereyne leva les yeux au ciel puis croisa les bras sur sa poitrine.
— Ezéchiel était un prophète, pas un archange ! Comment peux-tu ignorer cela ?
— Oh ? soupira Zelyan, cela explique pourquoi Olorun avait réussi à le vaincre. Cela explique aussi l'arrière-goût de terre. Il était moins bon qu'un ange, cela m'avait étonné. Mais puisque tu dis que ce n'en était pas un.
Quelle déception pour l'immortel. Ses fils étaient des menteurs nés, à se demander qui leur avait enseigné le mensonge et la trahison.
— Olorun... L'as-tu seulement connu ma douce ?
Ereyne secoua la tête, non, il était mort avant qu'elle n'ait ce plaisir.
— Père l'avait envoyé prêcher la bonne parole bien avant ma naissance, son retour avait été annoncé peu avant ton arrivée mais il n'est jamais parvenu à destination.
— Jamais vu un type aussi corruptible, ricana Zelyan, mon seul fils issu de la terre sacrée. Parfois il me manque, il avait de l'ambition, trop d'ambition.
— Tu oublies Seth, fit remarquer Ereyne, c'est un fils d'Afrique lui aussi.
— Seth est né lors de l'un des voyages d'Eve, bien loin des terres sacrées.
— Et Osiris ?
Zelyan eut un geste de main méprisant, ce croisé nord-sud n'avait pas su tenir sa cité sanctuaire, qu'il tombe dans l'oubli et toute sa descendance avec.
— J'ai beau en faire des tueurs, mes fils trouvent le moyen de se ridiculiser tous autant qu'ils sont ! Certains se rebellent, d'autres se rendent à l'ennemi, certains meurent lamentablement au combat et pire encore certains se tuent en s'étouffant avec un os d'archange, non de prophète. Quelle honte ! Quand penseront-ils à me faire honneur ?
Ereyne se retint de rire en imaginant un loup de trois mètres de haut, ce à quoi Olorun ressemblait probablement sous sa forme sauvage, s'étouffer avec un os.
— Si ce n'est pas la colère de Dieu je ne sais pas ce que c'est.
Zelyan lui jeta un regard noir. Il avait, à une époque, eu de grands projets pour Olorun. Il devait parcourir les savanes et tout détruire sur son passage, entraînant la mort dans son sillage ensanglanté. Au lieu de cela ce maudit avait menti en tuant ce qu'il avait présenté comme étant l'un des nouveaux archanges de Dieu et s'était étouffé avec. Zelyan n'avait pas eu le plaisir de lui ôter la vie lui-même en punition pour son mensonge et tous ses rêves de paysages brunis par le sang avait dû attendre.
— Il est quelque part en bas, gronda l'immortel, je vais lui apprendre à me mentir.
— Je n'en reviens pas que tu aies ignoré jusqu'à ce jour la véritable nature d'Ezéchiel, je sais que les Hommes se trompent régulièrement, mais toi ?
— Il n'a pas vécu assez longtemps pour m'intéresser voilà tout ! Il est mort et depuis j'ai eu mille choses à faire ! Qu'est-ce que vous faites encore là vous ? aboya l'immortel vers ses fils qui n'avaient toujours pas bougé.
Ils échangèrent un regard puis John bredouilla trois mots à propos du dîner et ils s'éclipsèrent, sans leur réponse, mais vivants.
Zelyan reporta son attention vers Ereyne mais celle-ci n'avait plus la tête à danser et quittait également la pièce. L'immortel l'attrapa par le bras et l'attira vers lui.
— Tu n'avais pas une envie de bébé ? murmura-t-il en glissant un bras au niveau de ses genoux et en la soulevant.
— Si, mais c'était avant que tu ne m'annonces tes envies de meurtres.
Ce fut au tour de Zelyan de maugréer, il la reposa à sa demande. Il avait toujours des envies de meurtres. Il était né pour broyer de l'archange, ou du prophète, ou n'importe quoi d'autre.
— Il faut enrayer cette épidémie de foi ma douce, sinon le monde redeviendra tel que nous le connaissions : pieu. Adam me renverra aux enfers, définitivement cette fois, tous mes fils subiront le même sort ou orneront les portes célestes sous le regard mielleux de saint-Pierre l'hypocrite et toi tu...
— Je serai à nouveau avec ma famille ?
— Pense-tu réellement qu'Adam te pardonnera ? Avec toutes les âmes qui tu récupères régulièrement ? Dieu n'aime pas la compétition, regarde Caïn, il a fondé sa religion, s'est fait passer pour Dieu et a très mal fini. Je ne sais pas quelle est sa punition là-haut mais une chose est certaine : le pardon ne lui a pas été accordé. Le royaume céleste ne contient pas que le Paradis...
— Tout comme les enfers ne contiennent pas que l'enfer, compléta Ereyne. Je sais, il y a aussi le néant, le Purgatoire, le pilier et toutes ses âmes, les pères-Noël qui ne te filent pas de chocolat chaud par -10°C, Judas et son bordel...
Les deux derniers appartenaient bien à l'enfer mais Zelyan la laissa continuer et l'entraîna vers son bureau. Ereyne n'avait visité qu'une petite partie du royaume mais cela lui suffisait amplement. Lui cependant avait eu l'occasion d'y passer des siècles, il en connaissait les moindres recoins, des torrents de lave aux lacs gelés en passant par les prairies de la noyade éternelle, ces zones si vertes et si trompeuses où les âmes s'enlisaient pour l'éternité. Pour inventer des tortures Zelyan n'avait pas son pareil, sa créativité était sans limite.
— Je t'en prie ma douce, continue, déclara-t-il alors qu'ils pénétraient dans son bureau, ce n'est pas aussi excitant qu'une conception d'enfant mais tu me rappelles à quel point j'aime ça.
— A quel point tu aimes quoi ?
— Dominer ma douce, dominer. Dominer l'âme, trouver ce qui la fera le plus souffrir et lui apporter sur un plateau d'argent.
— Délicieux, dit Ereyne avec une pointe non dissimulée d'ironie. Tu n'as pas besoin de moi pour cela, je vais me trouver une autre occupation.
Zelyan ne l'écoutait plus, il était le nez plongé dans un coffre et farfouillait à la recherche d'un objet encore non identifié. Lorsqu'il en ressortit, un sourire vainqueur étalé sur ses lèvres, Ereyne n'était plus là.
— Fitz, appela Zelyan en posant l'objet, une boussole, sur son bureau.
Le majordome apparut, subitement et silencieusement, comme de coutume. L'immortel avait un message pour sa douce, qu'elle fasse ses bagages, ils partaient en voyage.
— Nous allons voir ce que devient ma maudite descendance. Les deux fous peuvent aussi venir ! Qu'ils expliquent à leurs troupes pourquoi loups et vampires se sont battus durant mille ans.
Il était temps de renverser les croyances. Les vampires et les loups avaient peur des Hommes et des anges ? Quelle ineptie ! Zelyan avait créé les créatures de la nuit afin qu'elles utilisent l'une des armes les plus puissantes du monde : la peur. Oui, la peur devait revenir dans le bon camp. Et vite.
— Et qu'ils se dépêchent ! J'ai un bébé à faire moi !
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Merci d'avoir lu ce chapitre !
Axel.
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