29. Plaines étoilées
Confortablement blottie sous Ling, Ereyne rêvait, ou plutôt fuyait les monstres de ses cauchemars. Elle courait à toute allure dans une vaste plaine, poursuivie par un lion à la crinière noire comme la nuit. La lune au-dessus d'elle l'éclairait de toute sa beauté, traçant son chemin vers une destination inconnue. Ereyne courut, courut, courut, puis, elle galopa. Muée par un besoin de survie, l'immortelle avait pris sa forme sauvage. La louve blanche courrait à en perdre haleine, poursuivie par un monstre qui ne la lâchait pas d'une semelle.
Au loin s'étendait une colline, un vain espoir de salut. Ereyne accéléra et bondit jusqu'en haut. Elle s'enfonça dans un buisson dissimulé sur l'autre pan de la colline et s'y empêtra. Derrière elle rugissement du lion se fit entendre et elle crut sa dernière heure venue. Elle griffa et mordit tout ce qui passa à portée. Si Zelyan la voyait ainsi il en rirait. Elle fuyait devant un lion, devant un simple fauve. Elle, millénaire, louve, fuyait devant un chat. Ereyne s'extirpa du buisson et fit face à l'horrible bête. Les naseaux du monstre étaient dilatés, ses crocs étaient de sortie.
— Bon sang, se dit Ereyne, ce truc est moins terrifiant que Zelyan, je n'ai pas peur, je n'ai pas peur, je n'ai pas peur !
Elle bondit, toutes griffes dehors, et attaqua la bête. Le lion n'était pas si gros, ni si féroce, il détala en la voyant ainsi menaçante. Ereyne le regarda détaler avec ses yeux de louve, heureuse de ne pas avoir été contrainte de le blesser. L'immortelle reprit sa forme humaine et contempla les lieux. A perte de vue tout n'était que plaines vallonnées. Un fleuve traversait l'endroit, menant l'eau vers un océan lointain.
L'astre nocturne et le ciel sans nuages procuraient assez de visibilité pour qu'Ereyne constatât qu'il manquait quelque chose. Debout, face à l'horizon, l'immortelle cherchait un point de repère qui était devenu omniprésent. La peur l'envahit, ce n'était pas normal, elle aurait dû le voir. Elle aurait dû la voir.
— Où est la mer ? murmura-t-elle.
Que ce soit du haut de l'Olympe ou à Woodcastle, l'eau était partout. Les océans avaient recouvert le monde et nul endroit ne leur échappait. Et pourtant ici ils faisaient défauts. Ce n'était pas normal.
— Il me semblait bien avoir reconnu cette aura, ma belle création, déclara une voix grave derrière elle.
Ereyne se figea, une seule personne la qualifiait ainsi de « belle création ». Elle se retourna et fit face à l'homme.
— Père.
Adam se tenait debout à côté d'elle, semblable à celui qu'elle avait connu avant le déluge, toujours vêtu de cette même tenue beige qu'il arborait toujours. Physiquement il n'avait pas non plus changé. Le temps n'avait plus prise sur lui depuis longtemps. Il écarta les bras et lui demanda pourquoi elle ne venait pas embrasser son vieux père. Ereyne n'en croyait pas ses yeux. Il avait toujours ce sourire confiant, il émettait toujours cette douce aura qui poussait chacun à lui faire confiance. Le Premier Homme avait cette posture du bon voisin à qui l'on confierait les clefs de sa maison sans la moindre hésitation.
Le doute germa dans l'esprit de l'immortelle, bientôt repoussé par la joie de le revoir. Elle se jeta dans ses bras et profita du répit que cela lui procurait. Il sentait les effluves des plantes qu'Eve broyait pour mettre dans leurs bains, le parfum des arbres centenaires qui entouraient leur village. Il réchauffait le monde de son aura bienfaisante et poussait à la vertu. Dans ses bras, Ereyne sentit ses fardeaux remonter à la surface. Elle les avait enfoui au plus profond de son cœur mais rien ne pouvait être dissimulé au Premier Homme. Les larmes lui montèrent aux yeux alors qu'elle ressentait tout l'amour qu'il lui envoyait. Le pardon divin devenait presque accessible.
— Tu m'as manqué, ma fille.
C'en était trop, Ereyne fondit en larmes. Se pourrait-il qu'un jour l'une de leurs rencontres ne soit pas aussi émotive ? Lui aussi lui avait manqué, plus qu'elle n'accepterait de l'admettre. Ereyne demeura un moment ainsi, blottie contre Adam qui l'accepta, si imparfaite fût-elle. Puis elle se détacha et l'observa avant d'être rattrapée par le doute.
— Je rêve n'est-ce pas ?
Adam lui sourit, puis l'embrassa sur le front avec un geste paternaliste.
— Pas exactement ma belle création, il semblerait que tu aies décidé de libérer plus amplement tes pouvoirs. Bon retour en terre sacrée.
Ainsi elle avait réitéré, pour la seconde fois elle s'était transportée au loin. Et comme pour la première elle n'avait aucune idée de la manière qu'elle avait employée pour parvenir à ce miracle. Lorsque Zelyan avait disparu, terrassé par le poing céleste, plus de mille ans auparavant, Ereyne s'était retrouvée à côté de son père, de l'autre côté de la plaine de Greyhall. C'était déjà un exploit en soi, mais il n'était en rien comparable avec celui du jour. La terre sacrée se trouvait à des milliers de kilomètres du château, comment avait-elle pu voyager jusqu'ici.
— Comment est-ce possible ? Ce n'est pas possible.
— Pourquoi ne le serait-ce pas ? Tu peu faire tout ce que tu veux Ereyne, il suffit que tu en aies envie.
L'immortelle secoua la tête, peu convaincue. Seth n'avait jamais démontré de telles facultés, Caïn non plus. Pourquoi le pourrait-elle ? Une douleur au ventre lui rappela la présence de sa cicatrice, seule marque sur sa peau lisse. Zelyan lui avait insufflé beaucoup plus de pouvoir que ses frères n'en auraient jamais, la différence était là.
— Que fais-je ici ?
Ce pouvoir, si utile soit-il n'avait semble-t-il qu'une finalité : la ramener auprès de son père. La chose était cocasse, d'autant plus que Zelyan en était probablement à l'origine.
— A toi de me le dire Ereyne, j'étais en pèlerinage. Voulais-tu te joindre à moi ?
L'immortelle n'osa pas lui dire qu'elle n'en avait aucune idée. Elle souhaitait juste échapper au lion qui la poursuivait et rien au monde ne lui ferait plus plaisir que de retourner au chaud dans son lit. Mais il devait bien y avoir une raison à sa présence sur place.
— Où te rends-tu père ?
— J'arpente ces routes de villages en villages. Je laisse le ciel me guider vers les prochaines brebis égarées.
Ereyne frissonna et croisa les mains sur sa poitrine. Adam lui offrit sa cape en murmurant quelque chose en rapport avec la nudité et le jardin d'Eden. Puis il l'invita à le suivre, la prochaine destination n'était plus très loin.
— C'est la première fois que je vois ta forme sauvage ma belle création, déclara Adam, peiné. On m'avait conté que Zelyan t'avait également transmis cette malédiction mais le voir de mes yeux me trouble.
Il rappela que Dieu avait fait chaque être selon son désir et que ces changements n'étaient pas son œuvre. Ereyne que de nombreuses espèces subissaient des changements au cours de leur vie, les insectes notamment.
— Certains poissons changent de sexe avec l'âge, dit-elle, et c'est une création divine.
— Oui, concéda Adam, les escargots aussi, certains Hommes choisissent également de changer de sexe grâce à l'aide de la médecine. Tout cela Dieu l'approuve, mais changer d'espèce est l'apanage de la bête car cela relève du changement de la nature profonde des êtres. L'Homme qui change de sexe ne renie pas sa nature humaine, loin de là. Il écoute sa voix intérieure venue des anges messagers.
— Donc, déclara Ereyne, je devrais écouter ma voix intérieure et devenir un mâle ?
— Si tel est le message de ta voix, oui. Et tu demeureras une enfant du Seigneur, comme tous les autres.
— Et serai-je encore ton enfant ?
— C'est pareil ma belle création, répondit Adam. C'est pareil.
Ereyne se tut, et son père respecta un moment son silence. Ils marchaient d'un pas tranquille sous le manteau étoilé. Le vent frais était agréable, tout comme l'environnement. A côté d'Adam l'immortelle se sentait... bien, en sécurité. Le Premier Homme était invincible, du moins aux yeux de sa fille. Avec lui rien de mauvais ne pourrait jamais arriver. Adam avait voyagé à travers tous les continents, il avait créé les grandes peuplades humaines devenues civilisations. Il avait béni des terres arides et fait d'elles des foyers accueillants. Ereyne sentait toute la force de la nature sous ses pieds. Les terres d'Afrique l'avaient toujours accueillies avec cette sensation douce du retour à la maison. Le désir de rentrer dans son campement natal se fit sentir. Ereyne regarda autour d'elle et chercha des yeux une montagne solitaire qu'elle connaissait bien. Mais le Kilimandjaro était absent du paysage.
— Sommes-nous loin de la maison ?
— Oui, répondit Adam, à plusieurs jours de marche, nous sommes plus à l'ouest.
Ereyne soupira et resserra un peu plus le manteau de son père autour de ses épaules. Elle ne rentrerait pas aujourd'hui.
— Est-ce cela que te dit ta voix intérieure en ce moment Ereyne ? Veux-tu revenir parmi les tiens ?
Ereyne leva les yeux et se perdit dans le ciel étoilé. Que voulait-elle ? Que voulait-elle vraiment ? Elle avait envie de revoir son foyer, c'était certain, mais était-ce son désir le plus profond ? Elle soupira, et trouva la réponse dans son cœur. Sa poitrine se serra, les larmes lui montèrent et la première coula le long de sa joue.
— Je veux voir maman.
Adam passa un bras autour de ses épaules et l'amena contre lui.
— Moi aussi, ma belle création. Moi aussi. Mais ta mère est plus sauvage que le vent des plaines, plus libre que l'écume des océans.
— Plus têtue qu'une montagne, rit l'immortelle.
— Eve est toujours avec toi, où que tu sois, quoi que tu fasses. Elle et moi sommes dans ton cœur, à jamais.
— Je sais, murmura Ereyne. Mais j'aimerais qu'elle soit là, avec nous, j'aimerais.
Sa gorge se noua, les mots venaient difficilement. Elle savait à présent ce que sa voix intérieure voulait.
— J'aimerais pouvoir lui parler, pouvoir lui dire.
— Lui dire quoi ?
— J'ai envie d'un bébé.
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Le bon côté des choses c'est qu'il ne reste que 3 gros dodos avant le prochain chapitre. Bon le mauvais côté des choses est que j'ai 4 gros dodos de retard. Quoi vous ne comptez pas en gros dodos vous ?
Je vous présente toutes mes excuses pour le retard, j'espère que vous me pardonnerez.
Merci d'avoir lu ce chapitre !
Axel.
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