20. Surface
La fresque murale était telle que dans ses souvenirs, douce, colorée, antique. Les personnages effectuaient les mêmes mouvements depuis que les peintres romains les avaient figés sur le mur.
Cette simple vision arracha un sourire à l'immortelle qui sortait du couloir menant aux limbes. Ces longues heures de marche dans le noir n'étaient plus qu'un lointain et mauvais souvenir, effacés par la joie ressentie. Elle était enfin chez elle.
De toutes ses demeures, Woodcastle était la seule qu'Ereyne considérait comme sa maison. Elle en avait posé la première pierre, qui en l'occurrence était la pierre du feu de camp, puis l'avait vu émergé de terre sous ses yeux, avec le sang de centaines d'humains. L'histoire du château était aussi belle qu'atroce. Après le feu de camp était apparue une domus, après la domus les épais murs des bâtiments qui s'étaient succédé pour former l'hétéroclite demeure qu'était Woodcastle. Aucun homme n'avait construit le château, mais tant d'eux étaient morts pour nourrir les démons que Zelyan avait fait sortir de terre pour construire son domaine et tant d'autres furent sacrifiés afin que leurs âmes consolident les fondations et rendent les lieux impénétrables. Woodcastle, comme chaque pan de la vie d'Ereyne, était marqué par l'horreur mêlé à la magnificence.
L'intérieur du château était aussi beau que l'histoire en était horrible. L'immortelle arpenta ces couloirs si familiers avec un plaisir rarement ressenti. Ici et là des anecdotes lui revenaient en mémoire. C'était en haut de cet escalier que Tôt, un petit-petit-petit-petit-petit-fils de Zelyan avait tenté de la tuer, c'était un peu plus loin qu'elle avait fait placer une longue série de peintures de chasse de toutes les périodes, dont un pan entier de grotte rupestre découpée à même la roche par des démons et transporté au château pour en devenir l'un des murs. Là-bas Zelyan avait entreposé ses horreurs d'œuvres d'arts démoniaques, certaines de ces créatures étaient des humains détruits par l'enfer et renaissant sous une forme peu enviable. Ces démons, un peu moins stupides que ceux en bas, avaient hérité des dons des humains qu'ils avaient absorbé et s'étaient imaginés artistes. De Vinci et Michelangelo avaient gagné le Paradis, d'autres n'avaient pas eu cette chance. Les œuvres de Botticelli-demoni étaient aussi magnifiques que celles du peintre de son vivant, mais les sujets étaient moins... transcendants, beaucoup plus sanglants. C'était à lui que l'on devait le portrait d'Ereyne et Zelyan entourés de crânes. L'immortelle s'en serait bien passée.
Elle ne croisa pas Fitz mais la propreté des lieux prouvait sa présence. Le majordome était réellement tel que Zelyan l'avait décrit : parfait. Ereyne vit cependant Holmes et la pria de l'accompagner.
Holmes était la femme de chambre d'Ereyne. Elle veillait avec assiduité sur les vêtements millénaires de l'immortelle depuis sa mort, près de deux ans après celle de Fitz. Le majordome l'avait connue et avait reconnu la qualité de son travail si bien qu'il l'avait recommandée pour le poste, sans vraiment réaliser que cela impliquait de la tuer. Heureusement pour lui les morts-vivants ne connaissaient pas la rancœur.
Ereyne pénétra dans sa chambre et retrouva cette bonne odeur de linge parfumé. Le dressing était plein, parfaitement rangé, et la chambre était là, comme si elle l'avait quittée la veille. Une seule ombre se trouvait au tableau, par terre près de la cheminée, au milieu de tous les souvenirs rapportés des nombreux voyages.
— Ling, soupira Ereyne, il faut vraiment que l'on te trouve une autre place.
Elle ne l'avouerait jamais à Zelyan, mais lorsque celui-ci n'était pas là, l'immortelle enfermait la peau de loup dans un coffre, de peur qu'elle ne reprenne vie pendant la nuit et ne tente de la tuer.
Ereyne ôta sa longue cape d'âmes et la donna à Holmes afin qu'elle la range parmi les autres trésors de l'immortelle. Pour sa part Ereyne choisit une tenue plus confortable, un pantalon clair, une veste chaude et une paire de bottes plates en cuir. Elle voulait aller marcher en dehors du château, sur Terre.
Avant cela elle s'accorda une longue et brûlante douche pour se départir de toute l'odeur de l'enfer. Les fumets étaient tenaces et plus violents encore lorsque l'on était sur terre. Il ne fallu pas moins de trois longs nettoyages pour s'en défaire.
Enfin Ereyne quitta sa pause aquatique et, reposée, s'autorisa à regarder par une fenêtre. Le donjon avait l'une des plus belles vues du château, Ereyne voyait tout le paysage, et ce fut effarant.
De Greyhall, de l'autre côté de la plaine, il ne restait rien. Pas une pierre, pas un marquage ne permettait de se rappeler qu'autrefois une ville fortifiée se tenait là. Une larme coula sur la joue d'Ereyne tandis qu'une ardente lumière lui revenait en mémoire. La beauté du poing céleste égalait sa puissance.
Là où s'étalaient autrefois champs et prés se trouvait à présent un vaste lac, comme Ereyne s'y était attendue. L'immortelle jeta un œil sur la surface limpide et se demanda si le monstre de l'ancien lac avait étendu son territoire. La forêt s'était étendue sur toutes les montagnes avoisinantes, un vrai paradis pour les loups qu'Ereyne entendait hurler dans les bois. Sur la droite l'immortelle crut apercevoir des ruines, il était donc possible que des humains aient survécu, peut-être de Greyhall, et se soient installés là-bas. Elle décida donc de s'y rendre.
Une fois vêtue, elle descendit le grand escalier en direction des portes principales et eut la joie, ou presque, de découvrir John en train de l'attendre.
— John, tu es... semblable à toi-même, constata Ereyne sans entrain.
Le loup était aussi antipathique qu'auparavant. Certes avant qu'elle ne descende ils avaient eu l'occasion de se respecter mutuellement, mais aucune amitié inébranlable ne s'était formée entre eux.
— Je suis de passage au château, Fitz m'a informé de ta présence.
— De passage ? Tu peux donc en sortir ? Je pensais que personne ne pouvait sortir du château sans ordre de Zelyan. Il vient à peine de m'autoriser à le faire.
— Disons seulement que Caius est puissant, et que la situation l'exigeait, au point que la magie des lieux comprenne la nécessité de me laisser partir.
Ereyne eut la désagréable impression que ce n'était pas la bonne explication et que lui-même ne croyait pas à ce qu'il disait. Zelyan était passé si près du néant qu'il avait été contraint de rassembler toutes ses forces au détriment du reste. Il ne serait guère étonnant que le château eût perdu de sa puissance au point de ne pouvoir refuser le passage au loup plutôt que de lui prêter une quelconque conscience. Oui il y avait de la puissance dans ses lieux, mais une présence... mis à part les prisonniers, les invités et les morts il n'y avait personne.
— Je pars en promenade, annonça Ereyne pour John ainsi que Fitz qui les avait rejoints, je serai de retour pour le dîner.
— Est-ce bien prudent ? Des créatures rôdent dans les parages, elles sont sauvages, l'en informa John.
— Plus sauvage que des démons ? Des âmes en détresse ? Des vampires en overdose ? Je reviens de l'enfer John, je sors.
Elle joint le geste à la parole et quitta les lieux. Un vent frais l'accueillit au dehors, ainsi qu'un beau soleil, et de l'eau partout. Heureuse d'avoir pensé aux bottes, l'immortelle s'enfonça dans la forêt humide et gagna les ruines. Elle marcha lentement, admira le paysage et nota toutes les différences de végétation qu'elle voyait. Certains insectes lui étaient inconnus, d'autres avaient changé de couleur. Les fourmis par exemple, étaient devenues d'un jaune criard, peu discret. Pour autant les lieux ne paraissaient pas menaçants, au contraire. Les oiseaux chantaient, signe qu'il n'y avait pas de gros prédateur dans les parages, le vert était toujours la couleur préférée des végétaux, des fleurs tapissaient le sol de leurs multiples couleurs. La Terre était belle, comme dans les souvenirs de l'immortelle.
Sa joie se dissipa lorsqu'elle arriva au niveau des ruines. Ce qu'il restait des murs était couvert de végétation, il y avait un moment que les hommes avaient déserté ces lieux. Ereyne chercha bien un indice mais ne subsistait aucune autre trace de civilisation, ni de présence humaine. Ereyne se résolut à rebrousser chemin lorsqu'elle réalisa que les oiseaux ne chantaient plus.
La respiration coupée, elle se redressa lentement et tourna sur elle-même pour chercher l'origine du danger. Son instinct l'arrêta alors que son regard glissait sur un petit muret, elle vit l'éclat d'argent d'une pointe métallique et se figea.
— Qui est là ? demanda-t-elle en anglais, la voix un peu tremblante.
Elle s'attendait à un ange, à un vampire, ou pire un saint, mais seule la tête rousse d'un adolescent émergea, suivie par un torse et un arc bandé dans sa direction. Des yeux verts la scrutèrent du regard, à la recherche d'une information qu'ils ne pouvaient déceler.
— Vous êtes un vampire ? demanda le jeune.
— Si j'en étais une, mes dents seraient déjà plantées dans ton cou, répondit Ereyne avec un sourire aimable. Baisse ton arc, je ne te veux aucun mal.
Mais il ne bougea pas.
— Je vous ai vue sortir du château, personne n'habite là-bas, le lieu est maudit !
— Je t'accorde ce dernier point, le château n'est pas accueillant pour les humains tels que toi. Mais c'est ma maison, depuis bien longtemps.
Plus ils échangeaient de paroles, moins Ereyne avait peur de l'adolescent, au contraire elle sentait en lui quelque chose de rassurant. Il émanait de lui une aura qu'elle connaissait, qu'elle appréciait. Et elle vit que lui aussi était troublé. Ce n'était guère étonnant, Ereyne embaumait l'air d'une gentillesse oubliée depuis longtemps par les humains. Il était encore sur ses gardes mais Ereyne sentit qu'au fond de lui il la reconnaissait.
— Tu es né sous mon nom n'est-ce pas ? demanda-t-elle. Non, tu ne viens pas d'une de mes cités mais tu as reçu mon nom en bénédiction. Je connais tous mes enfants.
— Vous êtes Ereyne ? demanda le jeune troublé. C'est impossible, les dieux sont partis depuis longtemps.
— Je me suis en effet longtemps absentée, j'en suis désolée, avoua Ereyne en s'approchant. Mais je suis là maintenant. Baisse ton arc.
L'adolescent obéit, il ne restait plus grand-chose des anciennes croyances mais Ereyne était une divinité bénéfique dans toutes les légendes. Elle s'assit sur un muret et l'invita à faire de même. La journée était belle, les oiseaux avaient recommencé à chanter, John s'était éloigné. Assurément le loup l'avait suivie de loin et c'était lui la réelle menace. Pas pour elle mais pour le pauvre enfant qu'elle avait en face d'elle.
Il était sale, assez mince, à son attitude active il était toujours en mouvement, un chasseur, solitaire.
—Vis-tu loin d'ici ?
— Plus au nord, dans un village d'Ecosse. Mais je n'y suis pas souvent, j'ai à faire.
— Et que fais-tu ?
— Je chasse.
— Que chasses-tu ?
— Les vampires.
Ereyne en fut impressionnée, le monde avait vraiment changé pour que des enfants, assurément humains, chassent des vampires en plein jour. Et celui-là était spécial, Ereyne le sentait, il était vraiment particulier, et par à cause de sa bénédiction, non. Quelqu'un d'autre veillait sur cet adolescent aux aguets.
— Et quel est ton nom chasseur de vampires ?
Il tourna vers elle ses yeux émeraude et répondit non sans fierté.
— Valefor.
---
Merci d'avoir lu ce chapitre !
Axel.
Rendez-vous le 18/12/2017 !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro