19. Montée de marches
Un petit feu de camp crépitait sur les bords du Styx, à côté des tas de babioles que les morts offraient à Caron. C'était la seule source de chaleur dans toute la vaste plaine, elle attirait les âmes qui s'approchaient le plus possible de cette lumière plus « naturelle » que le ciel violet au-dessus d'elles.
Mais les âmes jamais ne touchaient les flammes, à quelques mètres autour du feu central, Caron avait disposé des ossements en cercle, des suites de crânes tournés vers l'extérieur qui effrayaient tous ceux qui s'en approchaient.
Toujours vêtue de sa nouvelle traîne scintillante, Ereyne se reposait, les mains tendues vers l'âtre. Le feu, si destructeur, purificateur, avait également des vertus apaisantes. Sa douce chaleur, le mouvement des flammes, il offrait un peu de réconfort à ceux qui avaient l'honneur de s'étendre à ses côtés.
Caron ronchonnait alors qu'il fixait des pieux de part et d'autre des rives du fleuve. Un ruisseau s'était déjà formé, les âmes errantes glissaient le long des berges et tombaient pour ne plus jamais se relever. Le passeur construisait un système simple de plateforme coulissante pour remplacer sa barge le temps que le fleuve soit renfloué. Le travail ne s'arrêtait pas pour cause de sécheresse. Les morts continuaient de payer et de vouloir traverser. Aucun ne savait ce qui l'attendait derrière mais tous espéraient le meilleur, leurs pêchés n'étaient pas si terribles, Dieu ou n'importe quelle entité supérieure allait bien leur pardonner. Dieu peut-être, mais Zelyan certainement pas.
— Veux-tu de l'aide ? demanda Ereyne en quittant ses pensées et le feu du regard.
— Non merci princesse, j'ai presque terminé, répondit Caron, et pour être honnête, je travaille mieux seul, il paraît que je suis grincheux et autoritaire lorsque je travaille en équipe.
L'immortelle avait peine à le croire, Caron était certainement le plus agréable des fils de Zelyan. Entre tous il respectait la vie de ceux qui l'avaient perdue, alors même qu'il ne rencontrait jamais de vivants.
La paix des lieux n'était troublée que par les gémissements des morts et le bruit que faisait Caron en construisant son mécanisme. Les âmes allaient et venaient sans fin. Parfois certaines se suivaient et formaient ainsi l'équivalent humain de la spirale de la mort des fourmis. Des individus égarés qui se suivaient et formaient ainsi un cercle dont la seule échappatoire était la mort. Les âmes n'avaient pas la chance des fourmis, elles ne pouvaient pas mourir. Caron s'amusait de se phénomène, la plus longue spirale avait ainsi tourné 120 ans avant qu'il ne se lasse. C'était un record personnel qui datait de plusieurs centaines d'années mais il n'avait pas réussi à le surpasser, l'un des grands plaisirs du chien étant de bondir sur les amas d'âmes.
Un amas de feu tomba du ciel et rompit le fil tranquille du temps. Dans un éclat de foudre rouge fit son entrée dans son royaume. Ereyne se releva et Caron tourna à peine la tête mais il cria à son père de venir l'aider.
— Mais qu'est-ce que vous avez fait ici ? s'exclama Zelyan en observant le fleuve devenu ruisseau. Où sont passées toutes mes âmes ?
— Demande à ta compagne, répondit Caron en lui jetant une corde. Et tire là-dessus.
Zelyan ronchonna, il n'appréciait guère qu'on lui donne un ordre, mais obtempéra. La plateforme fut rapidement achevée et les deux immortels rejoignirent Ereyne sur le campement.
— Alors ma douce, as-tu appris à te défendre ? plaisanta Zelyan avant d'écarquiller les yeux devant la rivière d'âmes qui ornait sa compagne, écartée autour d'elle en parure scintillante. Qu'as-tu encore fait ?
— Je suis tombée dans le Styx, répliqua Ereyne, ou plus précisément tu m'as précipitée dans le fleuve. J'ai manqué de mourir !
— Et donc tu décides de transformer le fleuve en manteau ? Intéressante idée mais pas très efficace contre un ange, un vampire, ou même un être humain. Ma douce tu manques clairement du sens des priorités.
Ereyne hésita avant de daigner lui répondre, il ne méritait pas d'explications. S'il voulait l'imaginer futile et impuissante et bien soit. Mais l'envie de lui montrer de quoi elle était capable l'emporta sur le reste. Elle lui raconta tout, comment elle s'était vue mourir, comment ses âmes l'avaient sauvée, comment ce feu intérieur était venu lui offrir toute sa puissance. L'immortel dut reconnaître qu'elle l'épatait, ne serait-ce qu'un peu.
— Ma douce, tu m'épates, avoua Zelyan en glissant les doigts le long de la cape de perles, tu plies ces âmes à ta volonté, elles te suivront jusqu'au bout du paradis. Je les sens capable d'affronter Dieu pour toi. Tu as une armée dans le dos, c'est original, un brin effrayant, mais original. Tu vas les garder comme ça ou bien les ranger quelque part ? Je peux te faire une place en enfer si tu veux. D'ailleurs j'ai l'emplacement parfait pour toi.
Ereyne ne parvenait pas à savoir s'il s'agissait d'un compliment ou d'une critique alors elle se contenta de lui prendre la main et de le couper d'un baiser.
— Tu as failli me tuer, n'oublies-tu donc rien ?
Zelyan haussa les épaules et l'embrassa de plus belle avant de ricaner.
— SI tu espères des excuses tu te trouves au mauvais endroit. Tu n'es pas morte que je sache, tu es l'incarnation même de ce proverbe humain « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », et si l'on en croit nos millénaires ensemble, tu devrais déjà être plus forte que ton père et moi réunis. Ou bien as-tu manqué trop d'occasion de frôler la mort ? Cela peut s'arranger tu sais ?
Ereyne s'écarta, il n'y avait rien à en tirer. Elle quitta le campement et marcha dans la plaine, l'herbe fraîche chatouillant ses pieds nus. Elle avait besoin d'air, de beaucoup d'air. Elle avait besoin du souffle du vent sur son visage, du bruissement des feuilles balayées dans ses oreilles. Elle avait besoin de se sentir en vie et le royaume des morts ne le permettait pas.
— Je remonte au château, déclara Ereyne.
— Tu risques d'avoir une surprise ma douce.
La blonde s'arrêta et se retourna vers lui, interloquée. Le château n'était-il pas protégé par un bouclier magique ? Fitz avait-il failli à sa tâche millénaire ?
— Voyons ma douce, doute de moi, doute de Dieu mais ne doute pas de Fitz ! Son embauche fut la meilleure chose qui nous soit arrivée, il a vraiment bien fait de mourir en bas des douves celui-là. Non ma douce je ne parlais pas du château ni de ses habitants, quoique l'on m'ait rapporté que John était devenu calme. Etrange. Non je pensais à la vue. Le monde à bien changé depuis notre départ, tu ne l'ignores pas.
— Greyhall fut détruite, je le sais. L'eau ne s'est probablement pas encore retirée et la végétation est certainement différente.
— C'est presque cela ma douce, tu verras par toi-même.
— Ne veux-tu pas te joindre à moi Zelyan ? proposa Ereyne. John doit mourir d'envie d'aller galoper hors des murs.
— J'ai des choses à régler ici-bas ma douce. Au cas où tu ne le saches pas, j'ai des renégats qui s'imaginent pouvoir contrôler mon royaume.
— Je croyais que Lucifer devait s'en charger.
— Il va le faire, j'ai d'autres préoccupations.
Ereyne revint vers lui et l'enlaça. Il était encore plein de trous, affaibli. Une partie d'elle se réjouissait de cela, que le Diable soit amoindri était une bonne nouvelle pour l'humanité. Mais le monde s'était forgé sur des croyances issues d'une rivalité entre deux êtres si puissants et si égoïstes que la victoire de l'un ne pouvait avoir de bonnes conséquences. La guerre perpétuelle était aussi horrible que nécessaire pour préserver un certain équilibre.
— Fais ta magie ma douce, murmura Zelyan en la serrant un peu plus contre elle. Rends-moi ma force ma douce.
Ereyne ferma les yeux et repensa à son feu intérieur, un feu qu'elle ne voulait pas purificateur, ni destructeur, mais simplement une lumière, une chaleur, un peu de bien, d'espoir. Zelyan gémit, non pas de peine comme les âmes mais de soulagement, de bien-être. Sa douce portait bien son surnom. Il se sentait redevenir fort, plus encore si possible. Oh oui il était de retour.
---
Merci d'avoir lu ce chapitre !
Prochain rendez-vous : ... 11 décembre 2017 (et demain pour le calendrier de l'avent).
<3
Axel.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro