14. D'or et de charbon
La colère de Zelyan dura une journée et une nuit entière. Rien ne semblait pouvoir apaiser l'immortel furieux d'avoir perdu bien plus qu'un fils. L'accès à l'Afrique lui était désormais totalement coupé. Les terres de Dieu étaient un peu plus inaccessibles. Ce maudit Adam avait bien œuvré pendant qu'il était coincé en bas, convalescent. Les blessures de Zelyan étaient alors tellement graves, il était tellement amoindri, que cela en avait distordu le cours du temps en enfer. Dieu et ses forces avaient eu des siècles pour s'établir et envahir la Terre. Face à de telles forces, diminués par des luttes inter-espèces, sans leader, les fils de Zelyan n'avaient pu que subir. Zeus tentait en vain d'expliquer ces faits à Zelyan. Son père avait toujours bien trop encouragé les rivalités vampires/loups pour espérer qu'une fois absent les deux espèces puissent cohabiter en alliés. Mais Zelyan était loin de vouloir entendre cela et cela ne faisait qu'accentuer sa colère. Le ciel noir rougeoyait au-dessus de l'Olympe. Personne ne dormit cette nuit-là, dans toute la cité ce n'était que crainte et affliction. Zelyan avait déjà tué les siens, pour bien moins que cela. Les vampires de l'Olympe avaient la chance de voir ou revoir leur dieu mais il semblait que cela soit pour le pire. Le destin de la cité paraissait incertain.
Dans la salle du conseil, à l'exception de Zeus, les vampires assis étaient moins mobiles que les statues de marbre à leur effigie. Ils s'évertuaient à demeurer silencieux, laissant Zeus, leur père, affronter la colère de Zelyan seul. Ereyne quant à elle songeait avec tristesse à tous ceux qui étaient morts durant le siège de la cité d'Osiris. Elle n'aimait pas particulièrement les loups, ni même les anges qui les avaient affrontés, mais c'était autant de morts avec vraisemblablement des pertes humaines au milieu. Les immortels ne se souciaient guère des Hommes durant leurs combats.
— Qui a mené l'attaque ? demanda Zelyan.
Zeus énonça un nom d'une voix tranchante dont il était si peu coutumier. Ereyne eut une vision fugace de sa jeunesse en l'entendant. Il arborait probablement le même sourire aujourd'hui. Un sourire qui n'était pas sans rappeler celui que Zelyan arborait avant les batailles. Jehudiel ressemblait par trop d'aspects à son compagnon. L'archange était aussi craint parmi les rangs de Zelyan que Michael ou Gabriel. Ses ailes à avaient depuis longtemps cessé d'être blanches, noircies par les combats.
Zelyan s'énerva plus encore, si c'était possible, en songeant à l'archange. Il se mit à le maudire à voix haute, à lui promettre mille et un tourments. Jehudiel avait une place toute prête en enfer, les chaînes n'attendaient que lui, ses plumes célestes lui seraient arrachées une par une avant de lui être imprimées brûlantes sur la peau. Oh Jehudiel allait mourir, de la pire façon possible.
— Je le tuerai, déclara Zeus au grand étonnement d'Ereyne et Zelyan qui lui répondit avec ironie.
— Toi mon fils ? Tu réussirais à tuer un archange entravé comme tu l'es avec tous tes rubans ?
Les tenues fantaisistes de Zeus étaient souvent sujettes à plaisanteries lors des réunions de familles, lui-même s'en amusait beaucoup. Mais cette fois Zelyan était tout sauf amusé, il mettait en doute la force de son fils. Pour toute réponse Zeus arracha ses vêtements, sa perruque, et se montra pratiquement nu face à l'assemblée silencieuse. Ereyne découvrit avec horreur les marques d'or qu'il portait sur le torse. De longues entailles d'or serties par des traces noires s'étalaient de part en part de son corps, atroce mélange de beauté et de laideur. Les dorures laissées par les lames de Jehudiel étaient un poison que le corps de Zeus contenait depuis des millénaires. Les cellules autour de l'or étaient mortes depuis longtemps.
— J'ai un compte personnel à régler avec Jehudiel, rugit Zeus, l'œil noir. Nous n'avons pas terminé notre dernière conversation.
Zelyan ricana.
— Se rappelle-t-il de toi aussi bien que tu te rappelles de lui ?
Zeus acquiesça, sa foudre était aussi empoisonnée que les lames de l'archange. L'un comme l'autre attendait la rencontre qui se solderait inéluctablement par la mort de l'un d'eux. Le vampire changeait du tout au tout à vue d'œil. Jehudiel réveillait ses pires instincts. Ereyne frémit en le revoyant aussi sauvage qu'à une autre époque qu'elle aimerait bien laisser dans le passé. Zelyan en revanche n'était toujours pas satisfait. Le pire ennemi de Zeus attaquait une cité et il restait là, les bras ballants, sans rien faire.
— Justifie ta lâcheté, ordonna l'immortel.
— Les loups peuvent tous crever la gueule ouverte, répondit Zeus aussi sombre que son père.
L'aube se levait et Zelyan éclatait de rire. Zeus en revanche était la noirceur incarnée. La peur des vampires s'était déportée de Zelyan en Zeus. Leur père redevenait lui-même, ce leader qu'il fut en des temps très lointains, alors qu'ils étaient tous humains et voyageaient dans les montagnes de Grèce. A cette peur se mêlait l'admiration et l'excitation. Hera fut la première des olympiens à descendre de son siège et à s'approcher des deux immortels qui échauffaient le centre de la salle. Elle dévora Zeus du regard avant de sauvagement l'embrasser.
— Mon dieu est enfin de retour ! s'exclama-t-elle une fois qu'elle eut goûté le vampire.
Seule Ereyne ne partageait pas la joie qui s'étendait sous ses yeux, des milliers d'années d'évolution intellectuelle et de civilisation s'évaporaient. La société vampire s'était construite, sédentarisée, normalisée, pour contenir la bestialité innée des créatures. Zelyan était en train de tout détruire pour les ramener dans un monde sauvage et cruel. Elle quitta la salle et s'en fut admirer le lever de soleil du haut des remparts. L'astre était une constante, l'une des seules, sur laquelle elle pouvait se reposer. Que la Terre traverse des âges d'or ou des âges sombres, le soleil se levait toujours à l'est. Plongée dans la contemplation du paysage, l'immortelle remarqua un vampire qui quittait la cité par une petite porte. Elle nota le détail sur l'instant mais fut bientôt distraite par des cris lointains.
— Un troupeau de primaires prend ses quartiers d'été, déclara la sentinelle qui marchait le long des remparts. Ils seront là toute la saison.
— Sont-ils dangereux ? demanda l'immortelle.
— Ils ont surtout mauvais goût, grommela le vampire, arrachant au passage une grimace à Ereyne. Ils sont tout en muscles certes, mais guère malins. A distance ils sont aisés à tuer, mais il faut faire attention en corps à corps, ils sont redoutables.
Des proies difficiles à tuer en combat rapproché, Ereyne s'étonna que Zelyan ne soit pas déjà en bas à les chasser. Il ne résistait jamais aux défis.
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Le vampire qui s'était enfui de la cité parcourut la montagne au pas de course, sans jamais s'arrêter. Il gagna une petite grotte dont l'entrée était à peine visible et pénétra dans le lieu exigu. Il jeta un coup d'œil dans les recoins mais ne vit la silhouette qu'au moment où celle-ci sortit de l'ombre et lui parla.
— Quelles nouvelles du repaire des monstres ?
Le vampire sursauta et maudit son interlocuteur de l'avoir ainsi effrayé.
— L'espionnage n'est pas pour les petites natures, répondit l'autre narquois. Si tu veux arrêter libre à toi de retourner baiser les pieds de Zeus. Dieu t'oubliera sans problème.
— Jamais ! Ma loyauté demeure envers notre tout-puissant.
— Et il t'en remerciera en sauvant ton âme, assura l'individu tout de noir vêtu dont seuls les yeux sombres étaient exposés aux quelques rayons qui parvenaient dans la grotte. Maintenant parle, quelles nouvelles.
Le vampire sourit, ses nouvelles valaient le détour et il souhaitait les marchander au prix fort. Il voulait quitter l'Olympe, il voulait être sauvé, retrouver son humanité, le pardon de Dieu et gagner l'Afrique, la terre bénie. L'ange rit devant tant de doléances.
— Tes nouvelles doivent être de la plus haute importance pour que tu en demandes autant.
Le vampire acquiesça, sûr de lui.
— Dieu veut savoir cela.
— Dieu sait tout, répliqua l'ange.
— Pas ses fidèles.
Le vampire ne se laissa pas déstabiliser, il vivait dans la peur constante depuis sa première trahison, le jour où il avait mordu son mari et âme sœur à cause de l'appel du premier sang. Les vampires avaient ruiné sa vie et il se faisait un devoir de leur rendre la pareil, au nom de l'homme qu'il aimait. Mais avec cette trahison allait la peur, Zeus et les autres olympiens seraient sans pitié s'ils apprenaient qu'il n'était pas dans leur camp. Mais il n'avait plus rien à perdre, seul restait à gagner le salut de son âme. Et ce n'était pas cet ange, ce petit intermédiaire, qui l'en empêcherait.
— Dis-moi, et je ferai ce que je peux pour toi, assura l'ange.
— Je ne parlerai qu'à un archange, ou Adam.
L'ange le jaugea dans la pénombre, ni les archanges ni Adam ne se déplaçaient en terres zelyaniques sans raison. L'espion avait-il réellement des informations qui en valaient la peine ? Rien n'était moins sûr. Il n'occupait pas de position stratégique dans la hiérarchie, qu'aurait-il pu apprendre des intentions de Zeus ?
— Dis m'en un peu pour m'aider à déplacer un archange.
Le vampire hésita, longuement, mais il n'était pas en mesure de négocier plus.
— Il y a eu une arrivée massive d'humains dans la cité... Ils venaient de l'Atlantide...
— Depuis quand Zeus ouvre-t-il ses portes aux humains ? s'étonna l'ange.
— Depuis qu'ils n'étaient pas seuls...
L'ange eut un instant d'hésitation, puis écarquilla les yeux.
— Non...
— Et elle n'est pas remontée seule.
Il fallait avertir Adam, de toute urgence.
100C2
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