Cahir (Partie 3) - The Witcher
Spoiler alert : Cette partie contient un léger spoiler puisque, pour développer le personnage de Cahir, j'ai utilisé des informations présentes dans le tôme La Dame du Lac qui n'ont pas encore été mentionnées dans la série. Ce sont principalement des éléments racontant son passé, que j'ai brièvement utilisées, ce n'est pas un énorme spoiler, mais je préfère le mentionner tout de même. Bonne lecture !
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Trois jours se sont déjà écoulés depuis ma rencontre avec le commandant de Nilfgaard. J'ai passé la majorité de mon temps à m'assurer que sa fièvre ne grimpe pas trop, à changer ses bandages et à préparer divers élixirs pour le maintenir dans un état le plus stable possible. La mixture que je lui ai appliquée afin de le sauver a de grandes propriétés curatives, mais également de nombreux effets secondaires qui peuvent avoir des conséquences désastreuses si le blessé n'est pas traité adéquatement.
Étant constamment dans la crainte d'être découverts, le temps s'est écoulé avec une lenteur pesante. Encore maintenant, il suffirait d'une simple petite erreur pour que tout se termine, pour lui, comme pour moi. Je serais probablement accusée de haute trahison pour avoir aidé un ennemi sur un territoire Nordien. J'évite tant que possible de penser à toutes les désastreuses issues possibles, et je me doute que Cahir fait de même. Enfermés ici, les pensées sont probablement en réalité notre pire ennemi.
Nous nous sommes donc mis à parler pour éviter de nous tourmenter inutilement et pour passer le temps. Nous avons appris à nous connaître l'un l'autre, évitant d'en dire trop lorsque l'alcool que j'ai rapporté ces derniers soirs pour l'aider à engourdir la douleur nous embrumait l'esprit. Il refuse toujours que je « gaspille » mes herbes pour lui concocter un anesthésiant, affirmant que le fort suffi, et même si ça m'ennuie de ne pas pouvoir le soulager, au fond de moi, je le remercie silencieusement en voyant la vitesse à laquelle mes réserves d'ingrédients diminuent déjà. Les paroles nous ont aidé à éviter de sombrer dans notre inquiétude, mais elles m'ont également permis de connaître l'homme derrière l'armure. Peut-être aurait-il été mieux que ce ne soit pas le cas.
Épuisés par les derniers jours, Cahir et moi avons fini par nous endormir au beau milieu de l'après-midi. Jusqu'ici confortablement allongée dans le lit, je me fais soudainement réveiller par des mouvements brusques à mes côtés. Je me redresse en sursaut puis tourne immédiatement la tête pour apercevoir Cahir, en sueur, les yeux encore clos, marmonnant des bribes de paroles :
- Aillil... N-Non... Je les détesterai... Je les... mère...
Décontenancée, je prends un moment avant de réagir. Je pose finalement une main sur son bras, le secouant doucement.
- Cahir, réveille-toi, je dis à voix basse avant de monter le ton en voyant qu'il ne réagit pas : Cahir !
Il se réveille finalement d'un coup, agrippant fermement mon bras par réflexe, ses yeux bleus fixés sur moi dans un regard qui reflète encore une terreur que je n'ai jamais connue chez lui.
- Tu as fait un cauchemar, c'est un effet secondaire possible des élixirs. Tout va bien, je lui dis doucement pour tenter de le rassurer en posant ma main sur la sienne qui serre toujours mon bras douloureusement.
Cahir réalise alors la puissance de son emprise et me relâche aussitôt, rompant au même moment le contact visuel. Il se redresse doucement pour s'adosser contre la tête de lit, sans un mot, puis passe ses mains sur son visage. Je l'observe sans trop savoir comment réagir puis me décide finalement à parler :
- Je vais m'assurer que ta plaie ne s'est pas ouverte et changer tes bandages, je peux ?
Cahir pousse un soupire et hoche de la tête. Je me relève alors pour aller chercher le matériel nécessaire et reviens m'assoir sur le lit pour m'occuper de sa blessure. Je retire avec précaution son bandage et pousse un soupire de soulagement en voyant que ses mouvements violents n'ont pas réouvert sa plaie.
- Tout va bien, la cicatrisation est même presque complète. Tu auras probablement une belle cicatrice mais je suis confiante que nous pourrons reprendre la route très bientôt, à la nuit tombée peut-être.
Il ne répond pas, se contentant d'hocher la tête et je m'attelle à nettoyer sa blessure pour ensuite appliquer la pommade. Dans le silence, je repasse en boucle dans ma tête les paroles qu'il prononçait en rêvant, et la question qui me brûle la langue finit par s'échapper de ma bouche :
- Qui... Qui est Aillil ? je demande avant de fermer les yeux, regrettant déjà d'avoir parlé.
Cahir tourne brusquement la tête vers moi, comme si la mention de ce nom venait de le ramener à la réalité.
- Quoi ? dit-il avec une certaine stupeur.
- Tu mentionnais ce nom lorsque tu rêvais.
Je me mords la lèvre et lève lentement le regard vers lui. Son air de surprise se transforme alors en ce qui semble être de la colère et je sens mon cœur s'accélérer dans ma poitrine.
- Personne, il laisse tomber sèchement avant de m'arracher des mains le bandage que je m'apprêtais à lui mettre. Et je peux m'occuper de ça, je ne suis pas infirme.
Avec un sentiment pesant de culpabilité, je descends du lit et me dirige vers la porte en évitant soigneusement de le regarder.
- Je... Je vais chercher de l'eau, je lance comme excuse pour rapidement m'éclipser hors de la pièce.
Je referme rapidement la porte derrière moi et pousse un long soupire. Qu'est-ce qui m'a pris de lui demander ça ? Ça n'a absolument aucun intérêt dans notre arrangement et ce n'est pas le moment de lui donner des envies de me trancher la tête.
En maudissant intérieurement mon impudence, je descends les escaliers de l'auberge mais m'arrête en distinguant des bruits de conversations qui me parviennent du rez-de-chaussée. Je fronce les sourcils, intriguée. Nous sommes au beau milieu de la semaine et le pub n'est pas encore ouvert à cette heure. Des voyageurs peut-être ? Discrètement, je descends quelques marches sur la pointe des pieds et jette un regard en bas. Trois hommes sont entrain de discuter avec le propriétaire, trois gardes.
Mon cœur commence aussitôt à tambouriner dans ma poitrine et je sens mes mains devenir moites. Je tends l'oreille, juste assez pour percevoir quelques bribes de conversations :
- Bien fait... or... nous en occuper... rançon...
Je n'ai pas besoin d'en entendre plus pour comprendre qu'ils sont là pour Cahir. Le souffle court, je remonte aussi rapidement que possible les marches en tentant de ne pas faire grincer les planches et me rue à l'intérieur de la chambre. En me voyant entrer aussi paniquée, le chevalier comprends que quelque chose cloche et se lève aussitôt du lit.
- Ils sont là, nous devons partir, maintenant ! je balance en me dépêchant de ramasser ce qui m'est essentiel.
Cahir fait de même, s'habillant rapidement, mais nous n'avons pas le temps d'aller plus loin que la porte s'ouvre à la volée.
- C'est bien lui ! Attrapez-les tous les deux ! lance un premier homme avant de se ruer vers nous avec les deux autres.
Le combat s'amorce aussitôt, les deux plus costaux s'attaquant directement au commandant Nilfgaardien qui se défend comme possible tandis que le troisième se dirige vers moi. Je recule, attrapant le premier objet qui me passe sous la main pour le lui balancer à la figure, ce qui ne fait que le mettre d'avantage en rage. Je réussi à lui asséner quelques coups de poings mais il ne tarde pas à réussir à me maîtriser, me plaquant violemment contre le mur. Poussée par l'adrénaline, je me débats de toutes mes forces alors qu'il entoure ma gorge de ses mains.
C'est à ce moment que, pour la première fois de mon existence, alors que j'agonise désespérément sous la pression appuyée contre ma trachée, je vois ma vie défiler devant mes yeux. Le souffle me manque, je sens mes poumons se vider d'air et l'oxygène commencer à manquer à mon cerveau. Mon regard brouillé par les larmes parcourt rapidement la pièce à la recherche de n'importe quoi pouvant me sauver la vie. Cahir est trop occupé à combattre les deux autres hommes pour réaliser ce qu'il se passe, mais alors que je crois être condamnée, j'aperçois du coin de l'œil son épée, toujours appuyée contre le mur à ma gauche. Je n'ai pas le temps de réfléchir que mon corps s'exécute tout seul : je tends la main pour l'attraper, et un instant plus tard, la lame d'acier se retrouve plantée dans le ventre de mon assailant.
La pression autour de mon cou se relâche aussitôt et je toussote fortement, cherchant désespérément à reprendre mon souffle. L'homme en face de moi se met alors à tituber vers l'arrière, portant ses mains à son abdomen à l'endroit où ses vêtements se gorgent rapidement de sang, puis s'effondre au sol.
Je reste figée sur place, le regard fixé sur l'être que je viens de tuer. L'épée glisse de ma main, trop faible pour la retenir, et un silence s'installe après un dernier cri de bagarre. Je n'ai pas le temps d'assimiler ce qu'il se passe que Cahir apparaît dans mon champ de vision puis me secoue par les épaules.
- T/P il faut y aller, d'autres ne vont pas tarder à arriver. Il est mort, c'est fini. Ramasse tout ce que tu peux et partons.
Machinalement, je m'exécute. Le monde qui défilent devant mes yeux ne sont plus que des taches de couleurs et des contours flous. J'aperçois vaguement les silhouettes des deux hommes que Cahir a battu au sol, inanimés. Celui-ci récupère d'ailleurs son épée et se dirige rapidement vers le couloir où il se met à hurler après quelqu'un. En m'approchant, je réalise qu'il s'agit de Jack, le propriétaire, recroquevillé sur lui-même alors que le chevalier lève sa lame dans l'intention de lui asséner un coup fatal.
- Non ! je l'arrête en attrapant son bras levé d'une main.
- Il nous a vendu ! s'exclame Cahir en se retournant vers moi. Il lancera d'autres hommes après nous !
- J-Je t'en prie juste... partons. Il fera rien de plus, je bégaye sans même savoir pourquoi je cherche à l'épargner.
Comme pour confirmer mes dires, Jack hoche vivement de la tête, les mains toujours en l'air en signe d'abandon. Cahir finit par abandonner en poussant un grognement de frustration et me tire avec lui vers les escaliers que nous dévalons avant de sortir par la porte arrière. Il aperçoit un cheval atteler non loin dehors et coupe la corde qui le relie à un poteau avant de monter dessus puis de m'aider à faire de même. Un instant plus tard, nous sommes déjà au galop dans les petite rues du village en direction de la lisière de la forêt.
Tout défile à une telle vitesse que je n'ai pas le temps de procéder ce qu'il se passe réellement. J'entends au loin des cris, je vois les gens s'écarter brusquement du chemin, puis soudainement des arbres nous entourent. Alors que nous pénétrons dans le petit boisé, Cahir me demande rapidement si je suis blessée, ce à quoi je réponds simplement que non, puis nous continuons notre route. Nous longeons longtemps la rivière pour éviter le plus possible la route principale et descendons lentement au sud.
- Nous ne sommes plus très loin de la frontière de Cintra, mais il est plus prudent de s'arrêter pour la nuit et de terminer le trajet à l'aube. Cette partie du territoire est trop dangereuse, m'annonce Cahir alors que le Soleil commence à se coucher à l'horizon.
Nous parcourons alors quelques kilomètres supplémentaires puis réussissons à atteindre un petit village une fois la nuit tombée. Nous réussissons à trouver une entrée qui ne semble pas être gardée puis pénétrons doucement dans les rues sombres et pratiquement désertes. Au bout d'un moment, Cahir fait ralentir le cheval devant une maison et se laisse glisser au sol.
- Que fais-tu ? je lui demande à voix basse.
- Je nous cherche un toit pour la nuit, cette maison semble vide, je vais jeter un œil.
Je le regarde inspecter la maison en montant la garde, tentant d'apercevoir quelque mouvement suspect dans la nuit sombre. Il fait le tour de la petite bâtisse et revient, me faisant silencieusement signe de le suivre. J'attache le cheval près d'un abreuvoir à l'arrière de la cabane tandis qu'il fait sauter la serrure d'une des portes avec son épée.
- Ça me semble trop dangereux, nous devrions trouver un autre endroit, je lui confie en jetant constamment de vifs regards par dessus mon épaule.
- La majorité des gens se sont pas assez stupides pour voyager la nuit; s'il n'y a personne ici, c'est qu'ils ne reviendront pas avant le jour. Et puis, ce n'est pas comme si nous avions un autre choix.
Même si je déteste déjà ce plan, je sais qu'il n'a pas tort. Je me résigne donc à trouver une autre option puis rentre dans la maison, simple mais visiblement propre. Je reste figée sur place alors que Cahir s'affaire à chercher de la nourriture et des vêtements propres. Il revient alors vers moi, et me tend une robe :
- Tu devrais te changer, il dit simplement et je baisse les yeux sur mes vêtements.
Je n'y avais pas fait attention jusqu'ici, mais ma robe est complètement tachée de sang ; le sang de l'homme que j'ai tué. Je sens un désagréable frisson me traverser l'échine et j'attrape les vêtements propres d'une main tremblante.
- Je... Je vais aller me nettoyer, je laisse finalement tomber après un moment sans réagir.
Il hoche de la tête et je me dirige machinalement vers ce qui semble être dans la noirceur de la nuit une petite salle de bain. J'allume une bougie qui me permet de voir pour la première fois de la journée mon reflet dans la glace. Je me tiens là, pâle comme la neige, impassible comme le marbre, le visage assombri par l'ombre de mes mèches et le corps taché de sang comme un boucher venant d'abattre une douzaine de porcs.
Sans m'attarder plus longtemps à ce reflet que je ne reconnais plus, je délasse ma robe et enlève mes dessous. J'attrape un linge traînant dans une petite étagère et la trempe dans un seau rempli d'eau présent sur le sol. Je m'attelle méthodiquement à une main, puis à l'autre, puis à un bras, et puis à l'autre. J'enlève toute marque que je peux voir, toute trace de mon crime. J'enfile la robe, trop grande pour moi, puis la lasse, lentement. À ce point, je ne pense plus. Je ne réfléchis plus. J'agis simplement, étape par étape, jusqu'à avoir terminé.
J'attrape les vêtements souillés puis sors de la petite pièce. Cahir a allumé quelques bougies, juste assez pour nous permettre de voir sans risquer d'attirer l'attention.
- Est-ce que ça va ? il me demande en haussant un sourcil lorsqu'il m'aperçoit finalement.
Je baisse mon regard sur les vêtements que je tiens, et pour la première fois depuis le combat, je sens les émotions m'envahir. Ce n'est pas de la peine, ni de la culpabilité, juste de la douleur. Une douleur si poignante qu'elle me met en rage. En rage contre tout ce qu'il vient de se passer, en rage contre ce que j'ai dû faire à cause de l'homme qui se tient calmement devant moi comme si rien ne s'était passé.
- Tu me le demandes sérieusement ? je dis entre mes dents, sentant la colère bouillir en moi. Je viens de tuer un homme !
- Tu as fait ce que tu devais faire, répond Cahir comme si c'était une évidence.
- Ce que je devais faire ? je m'énerve en balançant les tissus souillés au sol. Un homme est mort, Cahir ! Je l'ai tué !
- C'était lui ou nous.
- Et ce choix n'aurait jamais eu lieu si tu n'avais pas été là ! je balance sur un ton de reproche en élevant la voix.
- C'était ta décision de me soigner et de me cacher ! il s'énerve en me pointant d'un doigt accusateur.
- Je n'aurais pas eu à la prendre si je n'avais pas été prise ici à cause de cette fichue guerre que les tiens ont déclenchée !
À ce point, je commence à perdre mes moyens. J'ai mal, terriblement mal, et dans cet état, je suis incapable de le voir autrement que comme la cause de cette souffrance. Cahir commence également à s'énerver et la tension monte de manière significative dans la pièce.
- Tout ça est de ta faute, j'ai tué un homme car ils te cherchaient toi ! je continue en faisant un pas dans sa direction.
- Et tu vas finir par passer par dessus et tout ça ne sera que du passé !
- Facile à dire pour toi, tout ce que tu sais faire c'est tuer !
Son visage se décompose à mes paroles, et aussitôt, une colère noire vient déformer ses trais. Il s'avance d'un pas rapide vers moi pour m'agripper au niveau du col et me pousser jusqu'à ce que mon dos heurte le mur. De son avant bras, il me maintient contre ce dernier et je me fige aussitôt, terrorisée par son regard désormais aussi sombre que la nuit qui nous entoure.
- Car tu crois que j'aime ça peut être ? Tu crois que ça m'amuse de trancher des têtes et massacrer des hommes ? il me crache à la figure en me transperçant de ses yeux.
Je ne réponds pas, sous le choc, tremblante comme une feuille sous sa poigne tandis qu'il continue d'une voix plus basse mais pas moins glaciale :
- Chaque jour je vois les visages des vivants, et chaque nuit ceux des hommes que j'ai combattus. J'entends leurs cris dans mes rêves, et ceux de mes hommes. Je les vois se faire trancher la gorge, se vider de leur sang alors que c'est moi qui les ai mené à la bataille.
La colère noire jusqu'ici présente sur son visage se teinte peu à peu d'une émotion que je n'ai jamais vu chez lui ; de la souffrance, voire même de la culpabilité. Sans toutefois perdre son sang froid, il continue :
- La nuit, je revois le visage de ma mère déformé par la douleur de s'être fait arracher son plus vieux fils par la guerre avec le Nord, et je m'entends lui jurer de me venger. Et cette promesse me hante constamment. Alors oui, peut être que tout ce que je sais faire c'est tuer, mais ne crois pas que ça me laisse indifférent car ça me ronge de l'intérieur nuit et jour. Je suis né pour me battre, la guerre est tout ce que j'ai toujours connu, et je continue d'avancer pour que les visages que je vois la nuit soient ceux de mes ennemis et non ceux des personnes que j'ai juré de protéger.
Nous avons discuté de plusieurs sujets au cours des derniers jours, mais jamais il ne s'est ouvert à ce point. Je vois maintenant l'envers du décor, l'autre côté de la médaille, l'humain derrière le commandant noir que j'ai tant détesté. Je souffre des événements de la journée, mais il souffre tout autant et depuis beaucoup plus longtemps.
Sa colère et sa froideur ne camouflent plus sa douleur que je vois désormais clairement dans ses yeux bleus qui ne quittent pas les miens. La rage bouille en lui. Elle bouille avec comme source une souffrance dont les flammes lui brûlent l'intérieur jusqu'à se refléter dans son iris.
Sous le le choc de ses révélations, je ne réponds rien, incapable de faire autre chose que de continuer à soutenir son regard. Je tremble, à la fois effrayée et déstabilisée. Je comprends désormais tant de choses.
En réalisant mon état, il coupe le contact visuel pour baisser ses yeux sur sa main qui me maintient toujours fermement contre le mur. Il relâche alors sa poigne et fait un pas en arrière. Cependant, sans savoir quelle force invisible me pousse, je fais un pas vers lui pour combler de nouveau l'espace entre nous, puis je fais la dernière chose que je croyais un jour faire : je me jette sur ses lèvres.
Le chevalier me repousse presque aussitôt, attrapant fermement mon collet pour me séparer de lui. Cependant, son expression de colère s'adoucie, et visiblement poussé par ce même besoin inexplicable que je ressens, il me tire vers lui pour m'embrasser à son tour.
Notre échange dur un moment avant que nous rompions simultanément ce baiser maudit, réalisant le mal que nous sommes entrain de faire. Pourtant, l'un comme l'autre ne semblons pas être en mesure d'arrêter et l'instant d'après, je me trouve de nouveau dans ses bras pour entamer un combat dont nous finirons probablement tous les deux perdants.
Notre ébat se transforme en une véritable valse où chacun maintient un couteau sous la gorge de l'autre sans pour autant avoir la force de l'enfoncer. Alors que notre tête nous incite à planter la lame, notre corps nous indique tout l'inverse. La tension monte, nous attrapons chacun les vêtements de l'autre à la fois pour se repousser et se tirer de nouveau dans cette danse damnée. Nos pas nous mènent jusqu'au lit où nous combattons encore un certain moment avant de finalement abandonner la bataille aux mains de ce désir plus fort que notre raison.
*
À bout de souffle, je roule sur le dos à la recherche d'air frais, mais c'est la culpabilité qui me frappe en premier. Quelle bêtise est-ce que je viens de faire ? Une chose est sure, il est trop tard pour revenir en arrière, et mon corps nu à côté de celui que je considérais jusqu'ici comme mon ennemi me le confirme. Je tire la couverture du lit sur ma poitrine et me mets à fixer le plafond. Ma forte respiration et celle de Cahir est la seule chose qui brise le silence qui cherche à s'installer dans la pièce.
J'ignore ce qui m'a pris. C'était comme si une force plus puissante que moi m'y avait poussé, comme celle qui nous pousse à remonter à la surface pour aller chercher de l'air lorsque nous sommes sur le point de nous noyer. Et d'un côté, c'est ce qu'il s'est passé ; j'étais sur le point de sombrer dans la douleur qui me consumait de l'intérieur et je l'ai agrippé comme s'il était une bouée de sauvetage. J'ai voulu oublier, partager cette souffrance commune pour la camoufler sous quelque chose de plus fort. Et à bien y penser, c'est probablement ce qu'il a fait aussi.
Cependant, cette douleur revient désormais et elle est en prime accompagnée de ce sentiment infâme d'avoir fait quelque chose d'horrible. Pas uniquement des actes que je viens de poser, mais également des paroles que j'ai prononcées. Je suis allée trop loin, je n'avais pas le droit de dire de telles choses et je ne peux m'empêcher de ressentir le besoin de demander pardon.
- Je n'aurais pas dû dire ce que j'ai dit, je laisse finalement tomber sans quitter le plafond des yeux, incapable de croiser ceux de Cahir.
- Pourtant, tu n'avais pas complètement tort au fond, il répond dans un murmure.
Je fronce les sourcils et me retourne finalement vers lui. Il tourne à son tour la tête et je rencontre ses yeux bleus qui brillent à la lueur des chandelles. Il n'y plus la moindre trace de rage. La douleur est encore présente mais elle s'est déjà refoulée plus profondément. Ce que je vois désormais avant tout, c'est de la sincérité, une sincérité que je ne comprends pas.
- Si, j'avais tort. Je ne l'ai jamais pensé et je le pense encore moins maintenant, j'affirme, le cœur serré.
Il pousse un soupire et retourne sa tête pour fixer à son tour le plafond.
- Tu sais, mon père avait des contacts et j'ai rejoins l'armée peu de temps après la première guerre nordique. J'ai grandi avec cette haine, cette rage, ce besoin de vengeance. J'ai été entraîné à me battre, à tuer. Je peux tirer une flèche dans la poitrine d'un homme à l'autre bout d'un champ de bataille, en combattre une dizaine avec une seule épée, mais c'est tout ce que je sais faire.
- Tout ça ne veux rien dire...
- Si, c'est la vérité, il insiste sans quitter le plafond des yeux. J'ai juré de ramener la clé à la Flamme Blanche et j'ai échoué. J'ai juré un jour de détester ceux au Nord, de te détester... et ça aussi visiblement j'ai échoué. Je suis juste un commandant; je me bats et je tue. C'est qui je suis, c'est ma destinée.
- Je ne crois pas en la destinée, je te l'ai déjà dit. Alors retrouve cette clé, déteste moi si c'est ce que tu dois faire, mais ne crois pas que tu n'es qu'un tueur car je sais que c'est faux. Si c'était le cas, je serais déjà morte. Et si tu en es capable, pardonne-moi.
- Il n'y a rien à pardonner, mais merci.
Cahir retourne sa tête vers moi et m'affiche un léger sourire, presque imperceptible mais pourtant bien présent. Je me redresse et vient poser un doux baiser sur ses lèvres, baiser qui, je le sais intimement, sera le dernier. Avec cette lourde mais implacable certitude, je ferme mes yeux et pose ma tête sur son torse pour lentement me laisser aller dans les bras de Morphée.
*
Pour la première fois depuis ma rencontre avec le commandant de Nilfgaard, je suis réveillée non pas par des plaintes de douleur ou des mouvements brusques à mes côtés, mais par le froid. Les yeux encore clos, je me recroqueville sur moi-même, grimaçant en sentant les draps glacés sur ma peau nue. Je tends un bras sur le côté, puis ouvre brusquement les yeux en réalisant que je suis seule dans le lit. Les sourcils froncés, je me redresse, parcourant des yeux la maison encore plongée dans la pénombre du petit matin.
Une légère panique s'empare de moi lorsque je réalise que Cahir n'est plus présent. L'idée affligeante qu'il soit parti me traverse l'esprit et je m'habille hâtivement pour me diriger vers l'extérieur. En ouvrant la porte, je l'aperçois finalement auprès du cheval qu'il est entrain de seller et pousse un silencieux soupire de soulagement.
- Bien, tu es réveillée, dit-il à voix basse en m'apercevant. Nous sommes prêts à partir, ramasse ton matériel et monte.
Son ton neutre, presque froid, me secoue légèrement. Je ne m'attendais pas à autre chose après la nuit passée, mais je sens tout de même mon cœur se resserrer inexplicablement. J'hoche donc simplement de la tête avant de rentrer de nouveau dans la maison mettre un peu d'ordre et récupérer mes effets personnels. Lorsque je reviens vers lui, il est déjà sur le cheval. Il me tend une main pour m'aider à monter et nous partons aussitôt avec le Soleil qui commence paresseusement à se lever à l'horizon.
Le chemin pour atteindre la frontière de Cintra n'est pas bien long et nous le parcourons dans un silence presque total. Au fond, il n'y a rien à dire sur rien, et nous le savons tous les deux. Cependant, je ne peux m'empêcher de repenser à la nuit précédente, même si je sais que je dois l'oublier. C'est le passé, et c'est probablement mieux ainsi.
Lorsque nous arrivons à la bordure, il s'adresse à des gardes qui nous permettent aussitôt de passer. Une fois les barricades franchises, il me laisse seule un instant avant de revenir quelques longues minutes plus tard.
- J'ai discuté avec mes hommes et tu auras une escorte pour te permettre de rejoindre Nazair, il laisse simplement tomber sans m'adresser le moindre regard, presque comme s'il me fuyait.
C'est donc la fin. D'ici quelques jours, je serai de retour auprès de ma famille et toute cette histoire ne sera que du passé. J'ignore à quoi je pouvais m'attendre d'autre, c'était pourtant exactement le plan, mais j'ai l'impression que je m'apprête à quitter en laissant plus derrière moi que ce que j'aurais cru.
J'ouvre alors mon sac et lui tend une petite fiole, un élixir que j'ai confectionné alors que nous étions encore à l'auberge.
- Quelques gouttes sur ta blessure pour les trois prochains jours; ça devrait minimiser l'apparence de la cicatrice.
Cahir attrape la fiole en verre puis l'observe un instant avant de la ranger dans sa poche. Pour la première fois de la journée, il lève finalement le regard vers moi, mais je suis incapable de percer l'émotion qu'il dégage lorsqu'il s'adresse de nouveau à moi :
- Si tu as besoin de quoi que ce soit, rejoins l'armée et mentionne-moi, tu recevras toute l'aide dont tu as besoin.
- Tu sais que je ne le ferai pas, je réponds en me promettant intérieurement de ne plus approcher qui ou quoi que ce soit en lien avec Nilfgaard.
- Oui, je sais.
Des bruits de sabots se font entendre et trois hommes arrivent avec un chariot tiré par un grand étalon; mon escorte. Cahir me fait signe de monter et je prends place assise entre deux ballots de foin.
- C'est un adieu alors, je lui dis alors que, de son côté, il remonte sur le cheval volé la veille.
- Probablement. Mais qui sait, peut être que la destinée nous mèneras à croiser nos chemins de nouveau.
- Je te l'ai déjà dit plus d'une fois, je ne crois pas en la destinée.
- Oui, ça aussi je le sais.
Un petit sourire s'affiche sur mes lèvres, puis finalement sur les siennes. Nous restons un court instant à nous regarder avant qu'il finisse par couper le contact visuel pour lancer son cheval au trot, s'éloignant de moi sans se retourner. Mon escorte s'assure que je suis prête à partir et le chariot se met à rouler alors que la silhouette de Cahir disparaît lentement à l'horizon. J'essuie d'un revers de main une larme solitaire ayant coulée sur ma joue et me dis que, après tout, peut-être la destinée n'est-elle pas complètement inexistante...
*
Tu es formé pour tuer, et moi pour sauver.
Nous côtoyons tous deux la mort, mais tandis que tu l'attires, moi, je la repousse.
Tu es trop puissant sans moi, et je ne suis rien sans toi.
Alors, lorsque nous nous croiserons de nouveau tant d'années plus tard sur le sol de ce château, quand nous comprendrons que notre adieu à Cintra n'était qu'un au revoir, que mes mains tremblantes se poserons sur ta gorge tranchée et ton crâne fracassé, je t'arracherai une fois de plus aux griffes de la mort.
C'est uniquement là, lorsque je serai menée à te sauver de nouveau, te redonnant une lueur inespérée de vie, que nous comprendrons finalement que nous sommes la destinée l'un de l'autre.
Et nous vivrons.
Partie 3/3
—
Wouah, c'était clairement mon imagine le plus long (et cette partie la plus longue) ! J'avais en tête les grandes ligne de cette partie depuis des mois et j'ai finalement trouvé l'inspiration de l'écrire. Elle n'est pas parfaite, mais elle est enfin publiée ! J'espère que vous aurez apprécié cette longue histoire, j'ai hâte de lire vos commentaires :)
Bisous xx
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