4 : Deuil
Le lendemain matin, Namjoon dût quitter l'appartement pour se rendre au travail. Le jeune homme enseignait l'Histoire-Géo à des adolescents, de la première année du collège jusqu'en terminale du lycée. Heureusement il n'habitait pas loin et pouvait repasser à son propre appartement prendre les cours dont il avait besoin pour la journée.
Ji-Yeon leur envoyait des messages via une conversation de groupe qu'il avait créée et leur relatait l'évolution de la situation en quelques phrases brèves.
📩 Ji-Yeon :
Elle a rêvé je crois, ses yeux ont bougé.
📩 Ji-Yeon :
Le médecin vient de passer, il dit qu'elle en a plus pour longtemps.
📩 Ji-Yeon :
Je vais rentrer me doucher et changer de fringues.
Les messages se suivaient, Yoongi ne parvenait pas toujours à répondre.
Le matin à la réunion d'équipe de huit heures, il n'avait pas pipé mot, si ce n'est pour demander à Seokjin s'il pouvait l'appeler après pour lui parler. Le coach avait accepté, en précisant qu'il n'avait que quelques minutes à lui accorder avant de partir en réunion pour présenter son projet fini de la veille au client.
Il lui avait rapidement exposé la situation et Seokjin avait commencé par renifler avant de s'excuser pour prendre un mouchoir dans la boîte sur son bureau. Yoongi l'avait observé se tamponner les yeux et se tourner sur le côté pour se moucher.
Son regard à lui semblait vide, un peu comme ses pensées. Pendant quelques secondes il se demanda pourquoi son manager réagissait ainsi. Il n'était pas concerné, ce n'était pas sa famille, alors pourquoi semblait-il si touché, si émotif ?
Yoongi en conclut que Seokjin était quelqu'un de plus sensible que ce qu'il croyait et fut touché de la sollicitude dont il fit preuve envers lui :
— Yoongi, je suis vraiment désolé pour toi, pour vous. Est-ce que je peux faire quelque chose pour t'aider ?
— Je... je ne sais pas. Je ne peux pas aller à Daegu donc... je pense que je vais juste continuer à travailler, mais peut-être que je devrais m'absenter par moment... pour passer des coups de fil, tout ça... je te préviendrai bien sûr et si tu veux que je rattrape ce temps-là à un autre moment je peux aussi...
— Hors de question ! Je t'aurais bien dit de prendre ta semaine, mais je me doute que si tu proposes de continuer à travailler c'est que tu préfères te changer les idées comme ça. Tu prends tout le temps qu'il te faut, toutes les pauses dont tu as besoin et si à un moment donné tu veux t'arrêter et prendre quelques jours, surtout tu n'hésites pas une seconde et tu viens m'en parler, ok ?
— O... ok, répondit Yoongi, abasourdi.
Il ne s'attendait certainement pas à ce que Seokjin le cerne si bien. Mais après tout, ce n'était pas pour rien qu'il avait obtenu le poste de coach de cette équipe. Yoongi avait appris à apprécier les qualités managériales de son Hyung depuis quelques temps. Si au début il le trouvait imbu de sa personne et directif, à présent ils commençaient à développer une véritable relation d'amitié qui n'existait pas auparavant... même s'il arrivait que Seokjin l'énerve encore un peu de temps en temps.
— Et si tu à besoin de te confier à quelqu'un, envoie-moi un message et je me rendrais disponible. Tu en as déjà parlé à Jimin ? avait demandé Jin sachant parfaitement que c'était le collègue dont Yoongi était le plus proche.
— Non pas encore.
— Ok. Je pense qu'il peut t'apporter du soutien aussi, il t'apprécie beaucoup.
— Je sais... je vais lui téléphoner maintenant.
— Ok, prends ton temps. Je dois vraiment y aller, dit Seokjin en regardant l'heure sur la montre connectée qu'il avait au poignet. Mais on peut s'appeler plus tard si tu veux.
— Ca ira, merci Jin. Je... je te tiens au courant.
— D'accord. Courage Yoon, on est avec toi.
— Merci... souffla-t-il une dernière fois avant que la communication soit coupée.
Yoongi respira profondément pendant quelques instants, histoire de calmer l'angoisse qui montait. Il se décida à envoyer un e-mail à sa psychologue pour lui expliquer la situation et lui demander s'il était possible d'avancer la date de leur prochain rendez-vous, qui devait normalement avoir lieu samedi matin.
Il avait ensuite pris son courage à deux mains et écrit rapidement à Jimin pour lui demander s'il était disponible pour un appel. Ce dernier avait mis plusieurs minutes à répondre, sans doute occupé par son propre travail. Finalement il avait appelé directement Yoongi.
Ce dernier avait décroché et le visage souriant de son collègue était apparu à l'écran :
— Coucouuuuu Hyung ! Comment ça va ? C'est rare qu'on s'appelle de si bon matin !
Jimin et son éternel engouement.
Jimin, le rayon de soleil de l'équipe.
Jimin, le jeune homme qui égayait ses journées de travail.
— Salut Jimin. Je... ca va pas trop.
Le sourire de son interlocuteur s'était fâné instantanément et ses yeux devenus sombre, montrant qu'il avait toute son attention.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? avait interrogé le plus jeune.
Yoongi s'était lancé une nouvelle fois dans les explications concernant les évènement de la veille. Jimin eut la même réaction que Seokjin, ce qui prouva à Yoongi qu'il était réellement entouré de belles personnes qui tenaient réellement à lui. Cela lui fit chaud au coeur et il versa quelques larmes de son côté.
— Je vais pas te laisser seul, Hyung. Si Namjoon part pour Daegu pour aider ta soeur après..., tu vas te retrouver tout seul dans ton appart' et je ne veux pas de ça. Je peux venir chez toi si tu veux ?
— Oh, je... c'est gentil Jimin-ah mais je ne voudrais pas te déranger.
— Ca ne me dérange pas si toi ça ne te dérange pas non plus.
Yoongi n'avait pas répondu, réfléchissant intensément.
— Et bien... si tu voulais venir passer un peu de temps avec moi quand Nam sera là-bas... je ne dirais pas non. Il partira sans doute le week-end, j'imagine que l'école ne le laissera pas prendre autant de jours de congés.
— C'est noté, on se tient au courant. Est-ce que tu veux que je vienne faire du téléworking chez toi ? Aujourd'hui ?
— Je... tu veux ?
— Si toi tu veux, je peux venir. J'ai juste à prendre mon pc portable, ma tablette graphique et je suis ready to go.
— Mais tu n'as pas besoin d'un deuxième écran ?
— Naaaan je bosse bien sans, t'en fais pas Hyung.
Yoongi hésitait encore. C'était une chose de recevoir ses Dongsaeng pour passer une soirée ensemble ou pour dormir une nuit de temps à autre, mais que Jimin vienne passer autant de temps pour travailler chez lui et bouscule ainsi son quotidien l'angoissait un peu. Et en même temps... il sentait qu'il avait besoin de ne pas rester seul. Il avait besoin de compagnie, de chaleur humaine, de quelqu'un qui serait là, physiquement avec lui. Mais lui ne pouvait pas sortir et aller à la rencontre de ses amis, il avait cependant la chance qu'eux se proposent pour le rejoindre et le soutenir dans ces moments difficiles.
Alors il avait fini par accepter.
♦︎
📩 Ji-Yeon :
Ma collègue vient de repartir, je suis toute seule dans la chambre. Je n'aime pas ça, je sors.
📩 Ji-Yeon :
Sa voisine est passée dire bonjour. Elle non plus ne savait rien.
📩 Ji-Yeon :
Son propriétaire a appelé, ce connard voulait savoir si j'allais bientôt libérer l'appartement pour qu'il puisse le remettre en location.
Les jours s'écoulèrent, parfois semblant se traîner et s'allonger sans fin, parfois filant à une vitesse vertigineuse. Ji-Yeon continuait d'envoyer des messages, elle avait même appelé Yoongi un soir, lui demandant plus gentiment que la fois précédente si il était certain de ne pas pouvoir faire le déplacement jusqu'à Daegu. Ce à quoi Yoongi avait répondu que oui, il était sûr.
Cho avait rapidement répondu à son e-mail, programmant leur séance au jeudi soir plutôt que le samedi matin, ce qui avait beaucoup aidé Yoongi.
Jungkook lui avait envoyé un message pour lui demander si la soirée jeux-vidéo tenait toujours et Yoongi s'était aperçu qu'il avait complètement oublié l'invitation qu'il avait lancée au plus jeune. Il lui avait expliqué la situation par message en s'excusant platement de ne pas pouvoir tenir son engagement. Ce à quoi le jeune livreur avait répondu:
📩 Jungkook :
Hyung, t'excuse pas, je suis vraiment désolé 🥺 si tu as besoin de quoique ce soit, si je peux faire quelque chose pour toi, tu me le dis, ok ? Tu n'hésites pas.
Yoongi avait fixé pendant de longues minutes ces mots avant d'étouffer un sanglot de gratitude. Lui, le solitaire, l'ermite au coeur de la ville la plus peuplée du pays pouvait compter sur des gens qui l'aimaient vraiment et le soutenaient. Au contraire de Ji-Yeon qui, malgré qu'elle ne souffre d'aucun trouble, semblait peiner à trouver ne fut-ce qu'une amie pour l'épauler dans cette situation. Il s'était senti triste pour sa soeur.
Lors de la livraison suivante, Jungkook lui avait même offert un énorme cookie fourré au chocolat qu'il avait acheté dans une pâtisserie non loin de là. Yoongi n'avait pas su quoi dire et son Dongsaeng avait simplement expliqué :
— Quand je vais pas bien, je mange du chocolat. Et après, je me sens mieux. Alors j'ai pensé que tu en aurais besoin.
Emu aux larmes, Yoongi l'avait serré contre son coeur pour la première fois, au grand étonnement de Jungkook qui lui avait rendu son étreinte.
Yoongi n'était pour ainsi dire presque plus jamais seul. Jimin travaillait depuis chez lui chaque après-midi, profitant de sa pause pour faire le trajet d'un quart d'heure en métro qui le séparait de chez son Hyung. Le soir, c'était Namjoon qui débarquait après son travail, souvent pour dormir chez lui et repartir le lendemain matin.
Parfois Yoongi ne parlait pas pendant plusieurs heures, concentré sur son ordinateur, mettant en sourdine toutes les pensées qui le ramenaient à sa mère, sa soeur et cette saleté de cancer. Mais il lui arrivait d'avoir des moments d'absence. Des moments où il regardait le mur face à lui, ou le paysage au-dehors et alors ses pensées s'enchevêtraient et les larmes se mettaient à couler sans pouvoir s'arrêter.
📩 Ji-Yeon :
Elle est de plus en plus faible.
📩 Ji-Yeon :
Sa respiration est sifflante, c'est insupportable.
📩 Ji-Yeon :
Je suis sortie fumer, j'en peux plus de cette odeur d'hôpital.
📩 Ji-Yeon :
Son propriétaire a encore appelé, je l'ai envoyé se faire mettre.
Chaque message appuyait sur la pointe qui blessait le coeur de Yoongi et aggravait sa culpabilité.
Finalement, ce fut le jeudi de la semaine suivante en milieu d'après-midi qu'il reçut un appel de sa part :
— A... allô ? Ji-Yeon ?
— Yoongi...
Et il sut. Avant même qu'elle le dise :
— C'est fini.
♦︎
📩 Nam :
Salut Hyung, je suis bien dans le train, il démarre.
📨 Yoongi :
Ok Nam, merci. Tiens moi au courant.
📩 Nam :
Promis
Yoongi posa son téléphone sur la table, ferma ses deux mains et mit ses poings sur ses yeux en appuyant fort sur ses arcades sourcilières. Très fort.
Si fort qu'il commençait à avoir mal mais malgré la pression qu'il excercait sur ses yeux, cela n'empêcha pas ses glandes lacrymales de fonctionner et des larmes salées se faufilèrent jusqu'à ses joues pour en dévaler l'arrondi avant d'arriver sur les côtés de son menton et de sauter dans le vide pour s'écraser sur le bois de la table.
Ses épaules se mirent à trembler, son ventre se contracta et il eut un haut-le-coeur qu'il retint difficilement.
Ce fut à ce moment-là que Jimin entra dans l'appartement. Lui aussi connaissait le code par coeur à présent.
— Hyung, c'est moi ! J'ai croisé Jungkook en bas qui livrait des courses à tes voisins du deuxième. Il te fait dire qu'il pense à toi et qu'il t'adresse toutes ses condoléances...
Jimin laissa presque tomber son sac qu'il venait d'enlever de son épaule tout en parlant et se précipita pour enlacer Yoongi par derrière, collant son ventre à son dos et encerclant ses épaules de ses bras.
— Hyung... murmura-t-il doucement à son oreille, faisant redoubler les sanglots de ce dernier.
Jimin se décala sur le côté et s'accroupit à côté de la chaise pour pouvoir observer son collègue en contre-plongée. Quand il réalisa ce qu'il était en train de s'infliger il leva les bras et encercla ses poignets de ses doigts avant de les écarter lentement, dévoilant les yeux rougis et remplis de larmes.
— Hyung...
— Nam... joon... il est parti.
— Le train a démarré ?
— Oui...
— D'accord. On en a pour un petit moment avant qu'il arrive sur place, tu veux aller te reposer un peu ? Te mettre au lit ? Prendre un bain ?
Yoongi papillona des paupières, inspira un grand coup par le nez et pencha la tête en arrière, observant le plafond immaculé au-dessus de la table de la salle à manger.
— Je veux pas rester seul dans une pièce...
— Pas de souci, tu peux t'allonger sur le canapé, je vais te faire des pancakes à l'américaine, tu vas voir, ça va te faire du bien. Tu n'as presque rien mangé depuis avant-hier...
Autrement dit, depuis qu'il avait appris la nouvelle du décès de sa mère.
— Des pancakes ? répéta-t-il en tournant la tête vers son cadet.
— Je sais que ça peut faire gamin, mais quand j'étais petit, maman m'en faisait tout le temps quand j'étais malade ou triste. Ou la fois où je suis tombé en vélo et que j'ai eu des points de suture sur le genou... Franchement rien de tel que des pancakes bien fluffy avec des myrtilles, de la crème, du sirop d'érable ou de la pâte de cacao pour se faire du bien au coeur, argumenta le jeune homme en esquissant un sourire.
— Ok... va pour des pancakes.
— Ca marche, va t'installer je m'en occupe.
— Je me demande pourquoi vous voulez tous me soigner à coup de goûters, ironisa Yoongi en l'observant sortir les ustensiles des placards comme s'il était chez lui.
Et à bien y réfléchir, dernièrement c'était un peu le cas.
— Tous ? interrogea Jimin en se mettant sur la pointe des pieds pour attraper un saladier. Comment ça ?
— Jungkook m'a amené un cookie l'autre jour.
— Il faut croire que lui et moi avons des choses en commun... répondit Jimin d'un ton réjouit.
Yoongi se leva doucement et remit sa chaise en place avant de se diriger vers son canapé, allumant la télévision pour mettre une chaîne Youtube quelconque, quelque chose qui pourrait le détendre et lui faire oublier quelques instants sa détresse et son chagrin.
Il écouta d'une oreille distraite son ami s'affairer dans la cuisine, mélanger la farine, le lait, les oeufs et tous les ingrédients nécessaires à la confection de ses pancakes magiques. Pendant qu'il laissait reposer un peu la pâte, Jimin vint dans la partie salon et constatant que Yoongi avait les yeux fermé déplia le plaid qui se trouvait sur le fauteuil un peu plus loin pour l'en couvrir.
— Je dors pas, marmonna-t-il en ouvrant un oeil.
Jimin ne releva pas, il lui sourit simplement en plaçant tout de même la couverture sur ses jambes jusqu'à sa taille.
C'est quand l'odeur des premiers pancakes en train de cuire parvint à ses narines que Yoongi fronça les sourcils, cherchant à se souvenir de quelque chose. Il le sentait, il y avait un évènement dans sa mémoire qui était lié à ce parfum, mais il ne savait pas s'il s'agissait d'un souvenir heureux ou triste... peut-être un peu des deux.
Et puis cela lui revint tout à coup.
Il devait avoir huit ou neuf ans et un dimanche matin, Ji-Yeon s'était levée très tard parce qu'elle avait révisé jusqu'au milieu de la nuit pour ses examens de juin qui devaient commencer quelques jours plus tard.
Yoongi se souvenait qu'il était alors installé dans le petit canapé non loin de la cuisine et qu'il l'avait saluée avec un sourire timide, vu l'air renfrogné de sa grande soeur. Cette dernière avait commencé à sortir une poêle, un bol et quelques ingrédients.
Leur mère, intriguée par ce remue-ménage lui avait alors demandé ce qu'elle comptait cuisiner :
— Des crêpes à l'occidentale. Comme ils vendent à la pâtisserie française près de la gare, avait répondu Ji-Yeon.
Yoongi l'avait entendue et trouvant que c'était une très bonne idée, se réjouissant d'avance, c'était levé pour venir prendre trois assiettes, des couverts et le sucre en poudre pour les crêpes. Il avait commencé à dresser la petite table de la cuisine pour eux trois quand Ji-Yeon l'avait interpellé :
— Tu fais quoi avec tout ça ?
— Euh... je mets la table... pour les crêpes ? lui avait-il répondu, ne sachant trop pourquoi il avait l'impression qu'il faisait une erreur d'après le ton de sa question.
— Non mais attends, tu crois que je vais faire des crêpes pour tout le monde ?! J'ai pas l'temps moi, j'dois réviser pour mes exams ! Franchement si c'est pour me mettre la pression comme ça alors je fais rien !
Elle était sortie de la pièce après avoir attrapé une bouteille de jus d'orange et un paquet de biscuits dans l'armoire et s'était enfermée dans sa chambre en claquant la porte, laissant Yoongi au milieu de la cuisine, pantois.
Leur mère l'avait alors rassuré en passant une main affectueuse dans ses cheveux courts :
— Ne t'en fais pas mon chéri, ce n'est pas contre toi. Ta soeur est très stressée par ses examens et ça la rend un peu nerveuse. Tu peux terminer de mettre la table, je vais nous faire des crêpes pour tous les trois.
Yoongi avait acquiescé sans dire un mot et pendant que sa mère s'attelait à cuisiner les fameuses crêpes, il avait terminé de dresser la table et était retourné chercher son vieux gameboy d'occasion pour s'asseoir sur un tabouret dans un coin de la pièce et lui tenir compagnie.
Quand Jimin eut terminé d'empiler les pancakes sur une assiette il la plaça au centre de la table et prépara leurs couverts pour manger.
— Hyung, c'est prêt, murmura-t-il en se penchant sur lui.
Il constata avec peine que Yoongi laissait couler de nouvelles larmes silencieuses qui tachaient la housse de coussin claire.
Jimin s'assit en tailleur à même le tapis et sortit un mouchoir en papier de la boîte qui se trouvait perpétuellement sur la table basse.
— Tiens Hyung...
— Merci, souffla Yoongi d'une petite voix.
— Comment tu te sens ?
— Je... je ne sais pas.
— Tu veux en parler ?
— Peut-être après les pancakes.
— D'accord.
♦︎
— Donc j'ai croisé Jungkook en bas. Il m'a dit de te dire qu'il était vraiment désolé pour toi et qu'il t'adresse ses condoléances. Il passera lundi dans l'après-midi comme d'habitude pour ta livraison.
— D'accord, merci Jimin-ah.
— De rien. Il était trop cute d'ailleurs, j'ai bien failli lui demander son numéro. Comment ça se fait que c'est la première fois que je le croise ? dit le jeune homme pour lui-même.
Yoongi roula les yeux en esquissant un sourire en voyant le clin d'oeil appuyé que lui adressait son collègue de l'autre côté de la table.
— Tu sais même pas si il est gay.
— C'est rien ça, répondit en plus jeune en enfournant une grosse bouchée de pancake dégoulinante de sirop d'érable. Même s'il l'est pas, rien n'est perdu.
Yoongi fronça les sourcils.
— Comment ça ?
— Si tu savais Hyung le nombre de personnes qui pensaient ne pas être attirées par les mecs qui m'ont fait du rentre-dedans... dans tous les sens du terme, franchement tu...
— Stop. Temps-mort. C'est bon, j'veux pas savoir.
Yoongi fit un "T" avec ses deux mains, utilisant le signe comme au basket avant de se concentrer à nouveau sur son assiette.
— Okay, je dirai rien, sourit Jimin.
— Ca vaut mieux. C'est pas parce que j'ai résisté à tes avances quand t'es arrivé dans l'équipe que tu peux tout me raconter.
— Et pourtant ! On peut dire que j'avais mis tout mon talent dans ce projet ! s'exclama Jimin, mimant un air offensé et malheureux, ce qui fit sourire Yoongi en coin.
Il mangèrent quelques instants en silence avant que le plus jeune remarque que son vis-à-vis semblait perdu dans ses pensées.
— Hyung ?
— Mmmh ?
— Je sais que je suis peut-être pas la personne la plus qualifiée pour ça mais... si tu as besoin de te confier, tu peux toujours compter sur moi, d'accord ?
Yoongi releva la tête et le regarda intensément.
— Je sais. Merci d'être là.
— De rien, Hyung. C'est normal.
Un nouveau silence s'installa pendant quelques minutes jusqu'à ce que, poussé par la curiosité, le plus jeune demanda :
— Dis, Hyung ?
— Mmh ?
— Je peux te poser une question ? Mais si tu n'as pas envie de répondre, c'est okay.
— Vas-y.
Jimin se tut un instant, le temps de réfléchir à comment formuler correctement sa demande.
— On en a jamais parlé mais... vous n'aviez plus que votre maman, avec ta soeur ?
Yoongi s'attendait à beaucoup de questions, dont celle-là. Ils avaient déjà abordé le sujet maintes et maintes fois avec Cho en séance de thérapie, mais jamais il n'en parlait avec d'autres personnes. Il n'y avait que Namjoon qui savait.
— Oui. Mon père est décédé il y a une dizaine d'années, ils étaient divorcés depuis longtemps.
— Oh... je suis désolé.
— Ne le sois pas. Tu ne pouvais pas savoir. C'était légitime de me poser la question, on en a jamais parlé.
— Je sais mais... je suis désolé si j'ai été trop curieux ou maladroit.
— Non... c'est rien. En fait...
Yoongi prit une grande inspiration. Jimin était là pour lui, il le lui avait dit plusieurs fois. Il avait confiance en lui, il pouvait se confier.
Il avala sa dernière bouchée de pancakes et repoussa son assiette sur le côté avant de prendre son mug de café chaud entre ses doigts.
Son regard se perdit un instant sur le reflet de la lampe qui se trouvait au-dessus de leur tête et qui jouait avec les mouvements du liquide noir avant qu'il commence :
— En fait je pensais que je serais préparé, le jour où ça arriverait. Parce que j'ai déjà vécu ça. Cette situation, perdre un parent. Tu vois, il y a une différence entre perdre un "proche", un grand-parent, un cousin, un ami, un collègue et perdre un parent. C'est difficile à expliquer, mais ce sont les gens qui sont directement liés à ta présence sur Terre, qui sont sensés te protéger, t'apprendre la vie, te guider... jusqu'à ce que mon père décède je pensais... je sais pas, qu'ils étaient immortels. Je n'avais jamais envisagé le fait qu'un jour mes parents ne seraient plus là. Même s'ils n'étaient pas parfaits, même si il y a eu des disputes, des mensonges, des situations compliquées... comme dans toutes les familles.
Il se tut un instant pour reprendre son souffle, ses lèvres tremblant légèrement.
— Mais je me suis trompé. Parce qu'encore une fois, je ne m'y attendais pas. Je n'étais pas préparé à revivre ça. Je... ça fait des années que je ne suis plus sorti de cet appartement et maintenant je le regrette encore plus. Parce que si j'avais su, j'aurais peut-être fait plus d'efforts pour y arriver, pour me soigner et me sortir de cette situation. J'aurais peut-être réussi à retourner à Daegu et à la voir, à passer du temps avec elle. Mais je me suis laissé bercer par ce nouveau quotidien... et je m'en veux. J'ai l'impression d'avoir été lâche et fainéant, de ne pas m'être assez soigné et maintenant Ji-Yeon doit affronter cette situation toute seule, je...
Yoongi fut interrompu par la main de Jimin posée sur la sienne.
— Hyung... tu n'es pas responsable. De rien du tout. Ni du décès de ta maman, ni de ta situation. Tu n'as rien choisi de tout cela, tu ne l'as ni souhaité ni encouragé. Depuis que je te connais, je t'admire, tu es la personne la plus courageuse que je connaisse. Tu fais tout ce qui est en ton pouvoir pour aller mieux, pour te "soigner" comme tu dis et réussir à retrouver ta vie d'avant. Les gens qui te jugent ou ne comprennent pas ce qui t'arrive, ce sont eux qui manquent d'empathie. Tu n'es pas fainéant ou lâche, moi je vois à quel point tu souffres et je sais que tu fais tout pour réussir à un jour sortir de chez toi.
Yoongi serra fort la main de son vis-à-vis entre ses doigts, ses yeux humides rivés sur ceux de son collègue. Il réalisa à quel point son visage était doux, à quel point ses traits étaient ceux d'une fée, comme il semblait être à ce moment-là la personnification du réconfort. Et il en avait tellement besoin.
— Je suis là pour toi, Hyung.
★
Ohlala tous ces moments d'émotions...
J'espère que vous avez quand-même aimé ce chapitre !
Je vous dis à vendredi pour la suite et d'ici-là prenez soin de vous !
Des bisous 😘
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