- Où est-elle passée ? demanda Rose en s'approchant, essoufflée comme Ilyana eu l'habitude de le voir - souvent - maintenant.

D'ailleurs, ce fût sa première pensée, que la noble, après les nombreuses épreuves endurées, n'acquittait aucune endurance, loin de là, se fatiguant pour un rien. Puis la seconde - pensée - se tournait vers l'enfant disparue. Où ? Elle l'ignorait. La gamine s'était évaporée comme une goutte de rosée aux premières lueurs de soleil, dans l'immensité de cette forêt, ce qui inquiétait fortement la princesse.

Les accidents survenues dans ces lieux étaient tout de même contingents, mais pas impossible, et la jeune fille ne pouvait s'empêcher de faire les pires synopsis, se rongeant le sang.

Pour répondre à son vis-à-vis, Ilyana haussa les épaules, trop occupée à regarder autour d'elle pour, ne serait-ce, ouvrir la bouche et émettre un son.

- Elle ne peut pas se volatiliser comme ça !

- La preuve, elle l'a fait ! se moqua Ihyes.

La jeune fille avait remarqué que ces deux-là, Oshida et Ihyes, se comportaient comme chien et chat, se cherchant mutuellement dans un jeu qu'elle considéra comme puéril. Ne voyaient-ils pas qu'ils avaient mieux à faire de se chamailler comme deux gamins ? Ilyana était dépitée de leurs enfantillages !

- Et toi, Shiba, tu ne sens pas par hasard son odeur, murmura-t-elle au chien blanc en lui caressant son pelage.

Son toison se détachait singulièrement des couleurs environnantes. Vermillon-âme avait la singularité de contenir plusieurs variétés d'arbres aux feuillages pourpres et virevoltants, donnant ainsi un joli spectacle lors de chaque lever de soleil ; un manteau de sang recouvrait alors les bois et lui conférait de ce fait une allure morbide que de nombreuses personnes appréciaient.

Érable du soleil levant, Sumac, chêne aux écailles de dragon, plusieurs de ces arbres fortement célèbres, mais qui ne poussaient que dans cette région, incitaient des individus dont leur travail - tel que apothicaire, herboriste, guérisseur ou maître de potion - et leurs curiosités à visiter ses lieux. Pour les courageux, le labyrinthe des lianes, un dédale de branches et de plantes si enchevêtrés qu'ils formaient un réseau de confusion dont de nombreuses âmes restèrent prisonnières jusqu'à la fin des temps. Bien sur, ce n'était que des spéculations, toutefois, Ilyana espérait, vraiment, qu'Aura ne s'aventura pas vers cette partie de Vermillon-âme.

Le chien jappa joyeusement comme étranger à toute cette agitation autour de lui. Voyant qu'elle ne trouverait rien de son canidé, la princesse se dirigea vers Graben qui se tenait en retrait appuyé sur un hêtre aux feuilles écarlates, évidemment. Elle entendit tout juste Rose qui s'écria :

- Je n'arrive pas à croire que vous ayez perdu un enfant ! Un enfant, nom de Lune ! Est-ce si difficile que ça de s'occuper d'une gamine ? Et puis, vous n'êtes pas sensés être des chasseurs ? Donc ça devrait être facile de retrouver sa piste ! Moi je n'en peux plus !

- Vous aussi ? Demanda-t-elle timidement au ténébreux.

Leurs complicités était du temps ancien, ce qui la mettait parfois mal à l'aise car Ilyana ignorait comme s'adresser à lui. Devait-elle le tutoyer comme des anciens amis ? D'ailleurs l'avaient été t-ils seulement ou juste la fillette qu'elle était, en manque d'amour et d'attention, s'imaginait des choses. Sinon, comment expliquer son brusque changement ?

Ranimer le passé, exaltait une douleur enfouie et elle ressentit alors comme un pincement au cœur. Dans le doute, la princesse préféra le vouvoiement.

- Quoi donc ? Souffla Graben en sortant de sa torpeur, le fixait de ces yeux rubis.

Le vent souffla doucement sur leurs visages, faisant virevolter deux couleurs contraires. Le blanc et le noir. L'obscurité et la lumière. Restait juste à savoir lequel des deux se trouvait dans la lumière.

- Retrouver Aura ! Ce qu'on fait depuis l'aube !

- Retrouver Aura, répéta-t-il, pensif. Je ne vois pas en quoi cette gamine est si importante que ça ! Je pensais que la priorité était cette prophétie, que c'était le royaume ! Que je devais vous suivre aveuglement comme le ferai un bon chevalier. Mais il m'a été permit de voir que vous n'avez en aucun cas la carrure d'un chef et encore moins d'une princesse ! Vous suivez une sorte d'instinct alors que seul la logique devait compter ! Vous laissez une gamine de neuf ans vous conduire dans une impasse ! Vous permettez le désordre, le chaos ! Même vous ignorez votre rôle ! Vous enfuir durant la nuit dans une forêt hostile alors que vous êtes sous ma responsabilité, alors que je dois vous protéger ! Quand vous revenez, vous ne donner aucune explication, pire vous ramenez un inconnu avec des ailes et vous lui faites confiance, comme ça, en quelques heures ! Il vous donne une carte que vous suivez aveuglement alors que votre souveraine vous en avez donné un autre ! Vous rendez vous compte de la gravité de la situation ?

Elle écarquilla les yeux, stupéfaite. Ses choix pouvait sembler imprudentes ou même incompréhensibles et la jouvencelle l'admettait. Cependant, elle sentait comme une vive chaleur dans son ventre, dans sa pierre du destin, chaque fois qu'elle prit une décision. Chaque fois qu'elle donna sa confiance. Chaque fois qu'elle fit une rencontre. Et, elle l'avait sentit cette chaleur, plus forte, plus vive que les précédentes. Aura était importante. Ilyana en avait la certitude, comment ? La jeune fille l'ignorait, seulement, son instinct ne l'avait duper. Jamais.

- Je peux comprendre que mes actions peuvent être ambiguës, mais je ne vous demande qu'une seule chose : faites-moi confiance. Je le sais, je le sens, je le suis. J'ai décidé de changer ; je ne vais plus fuir ! Je prendrais mes responsabilités, je viendrai à bout de cette prophétie - avec votre aide - il suffit juste de me faire confiance, juste un peu. j'ai l'impression de connaître la marche à suivre : c'est claire tout en étant floue. J'ignore comment vous l'expliquer, c'est instinctif ! On a besoin d'Aura pour trouver Féeridia. S'il vous plaît !

Il la toisa. Les mèches fuligineux vinrent lui chatouiller les joues, pourtant, il ne fit aucun geste pour les dompter.

- Une princesse ne doit pas supplier : elle ordonne ! Ordonnez et j'obéirai ! Siffla-t-il impassible.

Elle soupira.

- Cherchez et trouvez moi Aura : elle est la clé !

Il inclina la tête, puis, partit, laissant la jeune fille seule. Sa discussion - si elle pouvait appeler ça comme ça - avec Graben l'avait plus ébranlé qu'elle ne s'y attentait. Le jeune homme n'avait point changé, toujours fidèle à ses pensées qu'il faisait un plaisir de partager avec les autres, du moins lorsqu'il voyait que ceux-là l'écoutaient vraiment.

Néanmoins, elle aurait souhaité qu'il ne soit plus le même. La jeune fille aurait alors une excuse toute fait à leur rupture de leur lien. Une raison à sa soudaine froideur. Cependant, il n'en était rien. Peut-être que c'était leurs destins, que le fil qui les liait était trop usé et se serait cassé, brusquement, sans crier gare, laissant les deux adultes pantois et pantelants !

Ilyana sentit une présence derrière elle et fut surprise de trouver Oshida qui l'observa avec une lueur déchiffrage ou inconnue dans les yeux.

- Tu l'as trouvée ? dit-elle d'une voix qui sonna trop faible à ses propres oreilles.

Elle se maudissait de sa faiblesse et de sa tristesse. Le passé était derrière elle, elle avait fait la promesse de changer !

- Pas encore, admit-il près un temps.

Ne trouvant rien à dire, son interlocutrice demeura muette. Il fixa pour sa part Graben - du moins son dos - et Ihyes qui discutait non loin de là. La juste formulation serait que le roux jacassait, et, le ténébreux l'écoutait d'une oreille en regardant autour de lui, comme si Aura allait jaillir d'un buisson en criant : « Surprise ! ».

- Puis-je te poser une question ?

Techniquement, tu me questionnes déjà, voulut répondre Ilyana, toutefois, à la place elle fit un geste de la main pour lui intima de continuer. Son regard dévia, alors inexplicablement, vers Rose. Celle-ci, en continuant de se plaindre et de marmonner, trouva enfin un endroit où se reposer. La dame de compagnie s'assit alors devant un buisson en soufflant.

- Que se passe-t-il entre Graben et toi ? D'après ce que j'ai pu voir, il y a une sorte de tension entre vous, je me trompe ?

Quelle perspicacité ! Il aurait été aveugle de ne pas remarquer l'air aussi lourd que du plomb et la froideur de leurs paroles. Cependant, la princesse ne fût pas sûre d'être prête à se dévoiler devant son « ami ». Pas comme ça. Pas maintenant.

Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais les mots moururent dans sa bouche devant ce qu'elle vit. Ou plutôt de ce qu'elle ne vit pas ! Le buisson où Rose se trouvait quelque instants plus tôt était vide. Elle tourna la tête pour regarder les environnants. Rien avait changé ; Ihyes et Graben bavardait toujours en cherchant Aura, les arbres étaient toujours aussi rouges, Oshida attendait toujours son explication. Et la jeune fille se figea. Une seconde.

Celle d'après, elle fût près de ledit buisson, sauf que derrière subsistait un trou assez large pour engloutir un humain. Rose avait été avalé par ce trou, tout comme Aura avant elle. Elle sourit.

Ilyana entendit vaguement Osh se plaindre de sa non-réponse, elle vit du coin d'œil les trois hommes venir vers elle, alertés par l'agitation.

- Qu'est ce que c'est ? Demanda Ihyes, intrigué.

- Je crois que Rose a trouvé le passage vers Féeridia, ainsi qu'Aura, fit-elle en observant le trou.

Finalement, la jeune noble ne fût pas aussi inutile qu'elle le pensait de prime. A ses paroles, la pierre de son ventre frémit joyeusement.