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小王


« [Elle] tenait dans le creux de sa main un pouvoir plus fort que les pouvoirs de l'argent, ou que le pouvoir de la terreur, ou que le pouvoir de la mort : le pouvoir invincible d'inspirer l'amour aux hommes. »

Le Parfum, Patrick Süskind.



Elle fixa les grosses nageoires des poissons battre doucement dans l'eau, les yeux dans le vide, les lèvres pincées d'irritation. Les lumières tamisées du bar n'arrivaient pas à apaiser la colère qu'elle ressentait. Ses ongles fraîchement vernis tapotaient à intervalles irréguliers le cuir matelassé de l'imposant fauteuil dans lequel elle semblait disparaître totalement. Elle sembla enfin remarquer le jeune homme en noir, de l'autre côté de la pièce, dont la silhouette se découpait sous le ventre d'un magnifique Discus qui avait dû coûter une petite fortune. Avant que le garçon ait le temps de lui adresser un sourire, elle tourna la tête, excédée. De son autre main, elle porta son joli cocktail à sa bouche. Il devait avoir son âge environ, belle gueule, le corps ferme. Elle joua nerveusement avec son collier en grosses perles. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien en avoir à foutre de ce garçonnet ? Ce n'était pas pour lui qu'elle s'était faite aussi renversante, ce soir. Le regard de ce mec ringard sembla persister alors elle tourna la tête sèchement dans sa direction, les sourcils froncés. Ses yeux noirs perçants la fixaient à travers l'aquarium avec une intensité sale dont elle avait l'habitude. Satisfait d'avoir obtenu quelques secondes de son attention, il leva son verre, comme pour trinquer au loin avec elle. Un poisson d'un orange criard les interrompit l'espace de quelques secondes. L'esprit de Jimin en profita pour faire un rapide calcul. Sans se défaire de sa moue, elle trempa ses lèvres dans l'alcool, comme pour confirmer l'ordre muet qu'il avait lancé. Un sourire carnassier se découpa sur les lèvres de l'homme, excité qu'elle lui obéisse aussi docilement. Ne voulant pas que la chasse soit trop facile, il fit semblant de se passionner de nouveau pour la conversation enflammée de son groupe d'amis. Pathétique, songea-t-elle.

Elle reposa brutalement le verre sur la table basse avant de relancer sa longue chevelure d'or dans son dos, toujours sous le coup de l'agacement. En fait, elle aurait eu envie de pleurer et elle l'aurait fait si elle n'était pas dans un si bel endroit. Elle aussi, elle était trop belle pour exploser en sanglots. Ç'aurait été du gâchis. Elle s'empara de son téléphone, qu'elle avait coincé entre ses cuisses nues : pas de message, pas d'appels, rien. Il ne viendrait pas. Il ne viendrait plus jamais. Elle n'aurait jamais aucune réponse quand elle lui avait demandé s'il était disponible le weekend prochain pour aller visiter l'animalerie avec elle. Elle eut un rictus douloureux à cette pensée. Quel bâtard.

Elle se leva, jugeant qu'elle s'était assez humiliée comme ça pour ce soir. Elle tira sur les pans de sa mini-robe vermeil et récupéra son sac à main et son manteau. Même haussée sur ses talons aux lanières de cuir blanc, elle restait petite. Elle jeta un coup d'œil en direction de son verre. Elle n'aimait pas le gâchis. Elle tenait ça de sa mère. Un restaurateur efficace est un restaurateur qui économise la denrée. Rageusement, elle s'empara du verre et le but d'une traite, la cachaça et le citron vert lui brûlant l'œsophage, alors que les grains de sucre roux lui picotaient la langue. C'était délicieusement trop, comme sa colère, comme son envie de retourner tout l'établissement et d'insulter l'absent de tous les mots qu'elle pouvait connaître. Elle s'essuya la bouche du revers de la main, oubliant le raffinement qui était de coutume pour les femmes comme elle. En se faisant, elle rencontra de nouveau le visage jubilatoire du jeune imbécile. Elle eut un rire méprisant. Pas sophistiqué pour un sou, il semblait excité d'une femme aux manières barbares. Elle savait exactement ce qu'il voulait d'elle, comme les hommes comme lui traitaient les femmes comme elle. Elle n'avait pas de temps à perdre avec des jeunes hommes comme lui. En un regard, elle savait que tout était faux chez lui. Son premier emploi à une bonne position, les soirées alcoolisées où le patron lui promettait argent et carrière avaient suffis à gonfler son égo stupide et médiocre, alors qu'il vivait encore chez ses parents et qu'il flambait tout son argent pour paraître auprès des filles sur lesquelles il n'avait jusqu'à lors jamais osé regarder en face. Il avait sans doute raison. L'argent était le nœud de toutes les guerres. Jimin le savait mieux que personne. Mais elle n'avait absolument pas le temps pour les jeunes employés de bureau comme lui. Ce genre de personne pensait que le monde leur était dû avant d'avoir fait leur preuve.

Alors qu'elle s'approchait du comptoir, faisant mine de peiner à chercher son portefeuille dans son minuscule sac à main, elle le sentit se coller à son dos, se penchant en avant pour tendre sa carte bancaire. Elle put sentir la chaleur de sa peau, sous sa chemise humide, alors qu'il la dévisageait en prononçant

- C'est pour moi.

Elle tourna la tête vers lui, rencontrant son visage et il souffla son haleine chaude sur sa bouche. Elle retint un frisson de dégoût mais conserva un stoïcisme irréel. Elle attendit d'entendre le ticket sortir de la machine, confirmant que la transaction était effectuée, pour souffler, gagnante :

- Merci.

Elle se tourna pour enfiler sa veste et s'apprêtait à s'éloigner quand il attrapa son bras au passage :

- Vous partez déjà ?

Il semblait déçu, agacé. Trop jeune encore pour savoir gérer sa frustration avec galanterie. Il avait dû être un enfant unique, chéris et gâté par sa mère. Jimin détestait ça. Elle le fixa violemment quelques secondes avant de baisser lentement les yeux sur ses doigts enfoncés dans la chair tendre de son bras. Elle l'entendit déglutir, comme prenant conscience qu'il était inapproprié de toucher ainsi une femme. Il la lâcha rapidement, de lui-même, embarrassé par son comportement primitif. Elle le regarda de nouveau, énervée, et il dut penser que c'était de sa faute. Ce qui était faux. Elle avait bien d'autres préoccupations que ce petit con. Elle ne put s'empêcher de vouloir l'humilier un peu plus, sachant comme sa jeune arrogance pouvait être sensible et facilement déstabilisable :

- Avec quel genre de femmes croyez-vous me confondre, au juste ?

Il baissa aussitôt les yeux. Elle jeta un regard bref à l'équipe de barmans qui s'était tus pour assister à la scène, s'assurant qu'ils étaient témoins et qu'il en avait honte. Elle tourna les talons et poussa la porte du bar. Habituellement, elle pouvait tirer une certaine satisfaction de ce genre de petite altercation. Mais ce soir la médiocrité ne la faisait pas rire du tout.

Le froid glacial de l'hiver Pékinois la saisit aussitôt, lacérant son joli minois. Elle enfila rapidement sa veste légère. Elle aurait pensé qu'il lui offrirait le taxi ou qu'ils iraient dormir bien au chaud dans les draps lourds d'un bel hôtel. Mais c'était fini tout ça. Elle pesta. Le froid a ça de bon, ma belle, ça fait passer les chagrins d'amour en second plan, songea-t-elle en remarquant qu'elle mourrait de faim. Elle se dirigea vers la station la plus proche à grandes enjambées, ses talons frappants avec colère sur le sol gelé.

Yoonji s'activait, une serviette jetée par-dessus son épaule. Le service était presque terminé et elle posa avec soulagement les deux derniers bouillons d'os de poulet pour compléter le plateau. Elle sentait seulement maintenant que sa chemise était trempée et que la transpiration coulait de ses cheveux courts. Elle souleva le plateau, poussant la lourde porte de la cuisine avec ses fesses pour pénétrer sous la tente. Mme. Park encaissait les clients, les lunettes sur le bout de son nez et de ses petits yeux perçants, elle aperçut son employée et cria :

- Yoonji, les braseros hm ?

La serveuse posa les baguettes en équilibre sur les portions de riz du couple avant de se retourner pour faire signe qu'elle allait s'en occuper. Mme Park était du genre sévère au premier abord, bien que peu méchante. En tout cas, elle ne l'était pas avec Yoonji. Elle ne l'avait jamais complimenté ouvertement mais l'étudiante servait ici tous les soirs depuis plus de deux ans à présent et elle ressentait un petit honneur à avoir été retenue pour le poste alors qu'on lui avait assuré qu'avant elle, les serveurs défilaient : « Toutes des feignasses ! », selon Mme Park. Il fallait dire qu'il ne fallait pas ménager ses efforts. La jeune femme rentrait généralement chez elle épuisée. Mais Mme Park payait bien lorsqu'elle jugeait que le travail était bien fait. Ce qui était le cas, selon elle.

Yoonji se pressa vers la cuisine pour reposer son plateau et se dirigea vers le fond de la pièce pour s'emparer du tison quand des coups fermes furent tambourinés contre la porte de service. L'employée essuya son front perlant dans son torchon avant d'aller ouvrir :

- Jim, nom d'un chien, qu'est-ce que...

La jeune femme se tenait dans l'encadrement de la porte qui donnait dans la ruelle sombre, les lèvres violettes, les jambes nues dévoilées jusqu'au haut de ses cuisses par une petite robe de soirée, une paire de talons cassée à la main. Ses boucles avaient été défaites par le vent et ses joues rougies par le froid. Elle semblait furieuse. Furieuse mais terriblement belle, comme à son habitude.

Jimin ignora l'air terrifié de Yoonji. Elle se faufila dans la salle chauffée par les hautes marmites en justifiant d'un ton monotone :

- Ma carte était déchargée. J'ai dû marcher.

Yoonji s'empressa de tirer un tabouret pour elle. Elle se laissa tomber dessus, épuisée, et posa l'arrière de son crâne contre le carrelage blanc. La serveuse resta plantée devant elle, perdue entre fascination et inquiétude. Jimin entrouvrit ses lèvres pour souffler un poil théâtralement :

- Faim...

L'étudiante bondit sur ses jambes, regardant autour d'elle, comme pris au dépourvu. Jimin entrouvrit les yeux pour observer discrètement l'étudiante s'activait. La voyant s'approcher des ravioles de porc, elle ne put s'empêcher de grogner :

- Bien chaud le bouillon, hm ?

Elle avait la même intonation autoritaire que sa mère. Mais Mme Park ne faisait pas frissonner Yoonji de la même façon. Elle lui tendit rapidement son bol et Jimin se redressa pour manger. Elle était plus silencieuse qu'à l'accoutumée. En réalité, Jimin était quelqu'un d'étonnement silencieux. Elles avaient déjà eu des conversations intéressantes depuis que Yoonji était rentrée au service de la famille. Mais elle ne parlait pas pour ne rien dire et n'était pas dérangée par les silences. Quelque fois, après le service, lorsqu'elle passait au restaurant – ce qu'elle ne faisait pas souvent – elle avait cette habitude de rejoindre Yoonji à sa table. La serveuse s'asseyait constamment à l'opposé du comptoir de sa patronne pour dîner avec les restes du service, la distance lui donnant un peu d'intimité avant de rentrer chez elle. Et tout à coup, silencieuse comme une ombre, Jimin tirait le tabouret d'en face et prenait place. Elle portait toujours une toilette différente sous sa grosse doudoune, très élégante. Elle jurait franchement avec le mobilier de plastique vieilli et le béton sale du quartier. Elle s'affalait sur la table sans un mot, regardant rêveusement les lanternes rouges pendues au plafond. Elle sentait toujours le parfum de cet homme dont Yoonji ne connaissait rien et dont elle n'évoquait jamais le sujet. Mais tout le monde savait. Tout le monde savait qu'il y avait cet homme dans la vie de Jimin. Ce n'était pas une odeur désagréable en outre. Yoonji avait toujours préféré les parfums d'homme, pour d'autres raisons.

Et puis, quand Yoonji était sur le point de ramener son assiette vide en cuisine et de retirer son tablier, Jimin sortait ses cigarettes et demandait à ce qu'elle serve le thé. Yoonji lui faisait toujours du thé fermenté au chrysanthème. Elle trouvait qu'il aurait été insensé de faire boire à Jimin quelque chose qui n'avait pas des saveurs florales. Alors la blonde croisait ses jambes scandaleusement nues, jetant sa longue crinière décolorée dans son dos et puis elle fumait avec lenteur. Les passants s'arrêtaient parfois dans la rue pour l'observer, les yeux ronds d'incompréhension, car les femmes ne fumaient pas, ici. Tout de Jimin était agressivement subversif. Sur les bouches des habitués que l'alcool faisait ouvrir en grand, le mot « Xiao Wang » circulait aigrement, moqueuses, et les mains se faisaient baladeuses quand elle avait le malheur de passer pendant le service. Cependant, Jimin ne se plaignait jamais des hommes. Elle était secrète sur ce qui aurait pu lui faire mal. Elle fumait royalement sa cigarette, son cœur ailleurs. C'était généralement à ce moment que la blonde commençait à parler. Ce n'était pas à chaque fois. Seulement quelques fois. Elle s'adressait à Yoonji seulement quelques fois, pas à chaque fois.

Yoonji resta quelques instants à l'observer ramener sa cuillère à ses lèvres pleines. Jimin avait des manières délicates. Mais pas de celles qui font de l'esbrouffe inutile. Juste assez dosées pour s'élever au rang d'art et imposer le respect. Du moins c'était l'humble avis de l'étudiante.

Yoonji se rendit rapidement compte qu'elle tremblait encore de froid et l'étudiante alla rapidement chercher son sweat-shirt et sa veste dans le bac dans lequel elle rangeait ses affaires personnelles. Elle les lui tendit sans un mot et Jimin posa simplement le bol pour les enfiler tout aussi muette. Cependant, il y avait de la reconnaissance dans ses yeux de biche quand leur regard se croisèrent. Ça encouragea le cerveau de la serveuse à chercher une solution pour ses pieds nus et souillés. Elle alluma le feu sous une grosse théière en fonte et alla chercher une bassine qu'elle emplit par la suite d'un mélange d'eaux froide et bouillante. Lorsqu'elle revint avec la bassine et le savon, Jimin avait fini de manger. Elle avait les yeux levés vers la brune avec cette même expression impénétrable qui la déstabilisé. Elle bredouilla quelque chose et Jimin hocha la tête malgré le fait qu'elle était presque sûre que c'était inintelligible. Elle rentra ses pieds dans l'eau et sembla se détendre en contact avec la chaleur. Fatiguée, elle serra davantage la veste de Yoonji sur ses épaules et laissa son crâne retomber sur la cloison. Puis, elle ne bougea plus. L'étudiante hésita mais elle finit par s'accroupir, remontant son tablier. Elle fit mousser le savon dans ses mains et se mit à la tâche de laver la peau sale, l'autre n'ayant plus l'énergie de le faire. Yoonji en profita pour masser ses muscles car elle était douée pour ça. Après tout, elle faisait des études d'ostéopathie. Elle osa relever les yeux sur la jeune femme. Elle ne tremblait plus, semblant prête à s'assoupir. Yoonji remarqua alors une marque noirâtre le long de sa joue droite, comme si une larme y avait séché. Elle se demanda pourquoi aujourd'hui Jimin ne sentait plus le même parfum entêtant. Perturbée, elle baissa les yeux sur ses doigts qui massaient en profondeur cette peau fraîchement rasée, prête à être caressée. Elles restèrent ainsi de longues minutes et Yoonji avait toujours trouvé que le silence qu'elles partageaient était le plus doux silence qui puisse exister :

- Min Yoonji ! Aboya Mme Park en pénétrant furieuse dans la cuisine : les braseros, c'est pour demain ?

La femme aperçut aussitôt son employée occupée à réchauffer sa fille, congelée, dans sa petite tenue d'apparat. Jimin avait ouvert ses yeux aussitôt, ne prenant pas le temps de se redresser. Elle fixa sa mère avec cet air insolent qu'elle prenait toujours. Les deux ne pouvaient pas se supporter. Selon Yoonji, elles se ressemblaient énormément pourtant. Mais elle gardait bien cette réflexion pour elle :

- Salut, maman, souffla-t-elle moqueuse. Et désolée pour les braseros. C'est ma faute.

Et elle rit un peu, plus pour l'irriter que parce qu'elle était vraiment amusée. Yoonji se fit la réflexion étrange qu'elle n'avait jamais entendu Jimin rire sincèrement. A chaque fois, elle riait ainsi, avec ironie et détachement, au restaurant. Est-ce qu'il arrivait à la faire rire, lui ?

Mme Park lui lança un regard dédaigneux avant de se tourner vers sa serveuse qui se releva aussitôt, ne pouvant s'empêcher de rougir un peu. Elle avait l'étrange impression d'avoir été surprise dans un moment intime et les yeux plissés de la gérante ne semblaient pas vouloir la défaire de cette idée. Le fait que Yoonji avait un physique franchement assimilable à celle d'un jeune homme n'aidait pas. Pourtant, elle ordonna simplement :

- Va t'occuper des braseros, sil-te-plaît. On s'occupera de réchauffer ma fille après les clients. Eux, au moins, ils ramènent de l'argent à la famille.

Jimin eut un rire nerveux et laissa sa tête rouler vers le fond des cuisines où Yoonji cherchait le tison. La femme renchérit, sans prendre pitié :

- Puisque tu refuses de travailler ici, tu ne seras pas ma priorité. J'ai une affaire à faire tourner et une famille à supporter. Quand tu te seras mariée, mon discours changera peut-être.

La blonde ne répondit rien. Son regard se vissa dans celui de Yoonji qui allait repartir. La serveuse marqua un temps d'arrêt, le cœur battant. La jolie blonde avait l'air si triste. Comment Mme Park ne pouvait-elle pas voir la tristesse de sa fille et lui servir des mots si durs ? Jamais elle n'avait eu un mot gentil pour Jimin. C'était toujours la même discussion entre la mère et la fille : Jimin refusait de se marier, refusait d'être la femme qu'on attendait qu'elle soit. Dans ce dernier échange de regards avant que Yoonji ne passe la porte, la serveuse aurait aimé dire secrètement à Jimin qu'elle l'admirait.

Ce n'était pas du tout le cas au début. Les premières fois qu'elle avait rencontré Jimin, cette dernière était encore au lycée. Elle envoyait balader tout ce qui s'y rattachait. Elle rentrait tard le soir, sur l'épaule le sac qu'elle avait récupéré sous l'auvent de l'entrée de service du restaurant le matin, le déposait nonchalamment au même endroit et n'y touchait plus jusqu'au lendemain. Le sac noir était resté plusieurs mois au coin de cette porte après que Jimin ait quitté le lycée. Puis un jour, il avait disparu. Ce qui l'avait dérangée chez la blonde, se rappelait Yoonji réanimant les braises noircies, c'était le détachement de Jimin, ce qu'elle avait d'abord pris pour un air hautain. Une douce chaleur commença à monter du brasero lorsque les braises se marbrèrent de orange.

Yoonji s'accroupit et souffla sur le charbon, de petites flammes commencèrent à crépiter. L'arrogance de Jimin l'avait rendue malade. La présence de la fille de sa patronne la mettait mal à l'aise. Surtout les premiers mois, alors que Jimin, censée prêter main forte, passait son temps derrière le comptoir, accoudée devant la caisse à bailler. Ou à la fixer dans ses tâches, lui souriant de temps à autres. Jimin était alors encore une adolescente que Yoonji aurait qualifiée de privilégiée si elle n'avait pas eu connaissance de la situation de sa famille. Même sans entrer dans les détails, Yoonji avait bien remarqué qu'il n'y avait pas de Mr Park dans les parages, que le petit escalier en bois sombre très étroit au fond du bar menait aux appartements de la mère et de sa fille. Elle n'y été jamais montée mais elle vivait dans une chambre desservie par un escalier similaire, dans une pension étudiante. Un chambre minuscule entre deux étages au-dessus de la cuisine de la pension. Heureusement que Yoonji n'était pas très grande. Parfois, lorsqu'elle se tenait debout devant son miroir, et cela seulement depuis qu'elle connaissait Jimin, elle s'imaginait avec des talons. Elle s'imaginait ressembler à un femme. Elle se hissait alors sur la pointe des pieds en souriant en coin, comme si avec ces quelques centimètres de plus qui la rapprochaient dangereusement du plafond, le reflet qu'elle voyait dans la glace n'était plus le sien. Elle enfilait ensuite une paire de baskets en vue du service du soir après sa journée de cours passée debout.

Derrière elle, le couple arrivé tardivement sauçait les fonds des bols avec les dernières cuillerées de riz. Elle se redressa. Ses jambes la faisaient souffrir. Yoonji était une boule de muscle qui, le soir arrivant, fatiguait. Elle frotta ses cuisses endolories : une fois rentrée à la pension, elle se badigeonnerait d'huile et masserait quelques minutes ses membres surmenés.

Les avant-derniers clients étaient en train de régler. À droite du comptoir, dans le passage sombre qui menait à la cuisine, glissée entre le battant de la porte et le mur, Jimin observait. Elle n'avait pas quitté la veste de Yoonji mais son visage était devenu plus rouge, sans doute l'effet de la chaleur de l'intérieur et de celle du bouillon. Ses yeux brillaient depuis là où se tenait Yoonji, la lumière chaude des néons tremblants tamisés par un filtre jaunissant se reflétait dans les yeux humides de Jimin.

- Excusez-moi...

La voix d'un client résonna dans le dos de Yoonji. La jeune femme détacha à contre cœur ses yeux de la fille de sa patronne. Arrogante, elle avait autrefois trouvé Jimin arrogante. Mais elle ne se souvenait plus pourquoi. Jimin était secrète. Même lors des quelques mots qu'elles avaient pu échanger ces soirs où la blonde rentrait recouverte d'un parfum d'homme, le cœur battant trop vite pour aller dormir, ou ceux où elle avait accompagné Yoonji sur quelques mètres dans la rue, en silence, avant de bifurquer vers un arrêt de bus, Jimin ne révélait rien. Mais en deux ans, elle avait appris à entrevoir ce qui se cachait derrière la fumée, le regard fuyant et les sourcils hauts de Jimin. Quelques fois, comme ce soir, le regard de Jimin accrochait celui de Yoonji et c'était suffisant. Pas besoin de mots pour voir que Jimin n'avait pas peur, mais que Jimin n'était pas heureuse. Une fois avait suffit à Yoonji pour déconstruire la désinvolture de Jimin. « Tu as des étoiles dans les yeux ce soir Jimin » avait-elle fait remarqué à la blonde alors que cette dernière, assise en face d'elle, dos au comptoir, regardait à travers la porte vitrée, le menton dans sa main, les jambes croisées. La blonde s'était alors retournée vers elle, lui lançant un regard noir. Un de ceux qu'elle adressait à ces clients qui la fixaient depuis trop longtemps, qui commandaient, même ici, des verres pour elle ou effleuraient une fois de trop sa cuisse nue. Yoonji avait été saisie d'effroi. Personne ne l'avait jamais regardée de manière aussi glaçante. Les étoiles dans les yeux de Jimin étaient des larmes. « Je sais » avait-elle répondu sur un ton assuré.

Yoonji empila les couverts vides du couple sur un plateau et leur demanda d'aller régler au comptoir quand ils le souhaiteraient. Ils la remercièrent chaleureusement. Yoonji n'avait jamais eu de soucis avec des clients. Elle mettait beaucoup d'elle même pour ça. Mais rien de plus normal.

Jimin observait la salle du restaurant depuis le passage entre la cuisine et le comptoir. Il lui manquait quelque chose. Elle se sentait vide. Elle repensa au jeune homme, son âge à peu près. Pourquoi repensait-elle à lui ? Il n'y avait pas plus barbant que des jeunes gens qui se méprenaient sur sa personne. Elle caressa doucement son poignet, celui qu'il avait saisi. Et si elle l'avait suivi à ce moment ? Il l'aurait probablement faite défiler devant ses amis avant de la raccompagner on ne sait où. Elle préférait le secret à l'exhibition. Se grimer et se couvrir d'apparats pour ne pas être montrée, pour n'être vue que par ses yeux. Pour qu'il cherche à la soustraire au regard du monde tout en sachant très bien que c'était impossible. Elle aimait qu'on la regarde en sachant que c'était pour lui qu'elle avait choisi la fente de sa robe, qu'elle avait serré la lanière de sa chaussure autour de sa cheville douce. Elle avait horreur qu'on ne reconnaisse pas les efforts qu'elle avait fait. Et ce soir, elle n'avait pas été récompensée. Elle se sentait trahie. Il était facile de faire bonne figure devant des imbéciles, mais très vite dans la nuit froide, sa solitude l'avait rattrapée. Son talon avait cassé et elle avait pleuré. Une larme, seulement une larme en sachant que Yoonji la remarquerait.

Il arrivait qu'une partie de Jimin aime se faire belle pour la petite serveuse brune aux cheveux coupés en un carré frisottant. Elle savait qu'à son retour, ou le lendemain matin quand elle rentrerait et que la brune arriverait pour son service du midi, il y aurait des yeux posés sur elle, secrètement. Dans le regard de Yoonji, elle se sentait exister un peu comme avec lui. Elle aussi aurait aimé la soustraire aux regards. Yoonji était douce, un peu comme lui. Ses mains larges et musclées lui massant les pieds lui revinrent en tête. Ses doigts fermes sur ses chevilles et ses mollets douloureux, sous la plante de ses pieds meurtris par les rues. Jimin, toujours pieds nus, caressa sa cheville de son pieds droit en mordant sa lèvre inférieure. Ses orteils la faisaient souffrir mais ils n'étaient plus bleus comme lorsqu'elle était arrivée. Un frisson parcouru son échine. Elle se sentait si seule. Abandonnée. Elle savait que ça passerait, mais elle ne voulait pas être oubliée. Allait-il retourner vers sa femme ? Ils voulaient un deuxième enfant il lui avait avoué. Mais comment une femme qui ne parvenait plus à le combler pourrait-elle lui donner un enfant en bonne santé ?

La brune accrocha son regard pendant quelques instants. Avant d'être distraite par un client. Les premières fois où Yoonji avait soutenu le regard de Jimin, ses joues se coloraient de rose. Le même rose que celui qui avait éclaté sur le visage de la serveuse lorsque Mme Park était entrée dans la cuisine.

Yoonji savait pour Jimin. La blonde lui avait même raconté un soir. À quoi pensait-elle à cet instant ? Elle aimait la provocation et elle voulait voir jusqu'où Yoonji tiendrait face à elle. Personne n'arrivait jamais à soutenir Jimin trop longtemps. Sa mère avait abandonné il y a longtemps. Et il n'y avait jamais eu personne d'autre. La brune avait rougit, gardé les yeux fixés sur son bol de bouillon, ne les relevant vers Jimin que pour lui jeter des coups d'œils intrigués. C'était donc ça le visage d'une xiao san ? Yoonji n'en avait jamais vu. Pourtant, elle ne discernait que Jimin, seul le parfum qu'elle semblait se pulvériser ne lui appartenait pas. Yoonji avait écouté toute son histoire, s'était levée, son bol vide à la main et avait disparu dans la cuisine. Jimin n'avait pas trouvé pesant ce silence dans lequel la serveuse l'avait laissé. Elle avait réapparu une dizaine de minute plus tard avec un plateau contenant trois tasses et une théière. Un premier arrêt au comptoir où elle avait servi une tasse fumante à Mme Park, penchée sur ses comptes, ses grosses lunettes glissant sur son nez. Puis, elle avait rejoint le bout de la salle, la table où Jimin l'attendait. Elle avait servi à la blonde la même chose qu'à sa mère. Une infusion de fleurs. « Tu es incroyable Jimin ». La blonde avait relevé la tête de sa tasse fumante, la vapeur d'eau se déposant sur le bout de son nez pour y former une goutte. Incroyable, ça ne voulait rien dire. Mais dans le regard de Yoonji, il y avait quelque chose qui ressemblait à de l'admiration. Ni du dégoût, ni de la déception, ni de la pitié. Et par la suite Yoonji n'avait jamais ignoré Jimin. Elles avaient continué à partager les restes de bouillons et de légumes et les thés aux fleurs en silence ou en échangeant quelques mots.

- Merci pour ce soir Yoonji.

Mme Park n'était pas du genre à ce confondre en compliments mais elle ne manquait jamais de remercier poliment Yoonji à la fin de chaque service. La brune hocha la tête. Les derniers clients venaient de quitter le chapiteau, suivis par Yoonji qui avait rabattu la porte en plexiglas derrière eux.

- Je crois qu'il nous reste quelques morceaux de viande. Je n'en ferai rien. Mange en quelques uns et emporte le reste pour tes colocataires si tu le souhaites.

- Merci, salua Yoonji.

Mme Park se retira en silence. Cela faisait plusieurs jours qu'elle ne mangeait plus le soir, laissant le soin à son employée de fermer le restaurant pour aller s'écrouler dans ses appartements. Yoonji finit de passer un chiffon sur les tables avant de monter les chaises en prévision du ménage du lendemain matin. Elle s'affairait dans un silence contrastant avec le brouhaha habituel de la rue. Yoonji aimait beaucoup le silence du restaurant le soir après le service. Quand tout redevenait calme et que Jimin la rejoignait à la table du fond. Le dernier brasero diffusait encore un peu de chaleur mais l'activité s'était figée et il faisait relativement froid. La devanture en bâches transparentes du restaurant n'était pas isolée et un filet d'air s'infiltrait entre le béton du trottoir et le mur de plastique.

Yoonji rejoignit finalement la cuisine. À peine eut-elle passé la porte qu'elle aperçut deux casseroles sur le fourneau.

- Non de non !

Elle se précipita vers les commutateurs.

- Eau chaude ? demanda une voix douce mais saisissante.

Yoonji fit volte face. La blonde était toujours là, dans le coin des boissons chaudes. Debout devant le plan de travail, sa robe descendue au maximum sur ses cuisses, prête à mettre une nouvelle bouilloire à chauffer. Les paupières de Yoonji papillonnèrent en la voyant ainsi dans la semi-obscurité de la cuisine, revêtue de sa veste, la robe crépitante et les yeux toujours brillants.

- C'est chaud, indiqua Jimin en désignant le fourneau du menton.

Des larmes avaient coulé dans son cou, remarqua Yoonji. De discrètes traînées de mascara serpentaient le long de son muscle sterno-cléido-mastoïdien jusqu'à son sternum.

- C'est pour moi ? Demanda la brune.

Jimin hocha la tête, les sourcils levés et un rictus sur le visage.

- Pour nous. J'ai encore faim.

Des phrases toujours les plus simples possibles, sans apparat. Jimin était un paradoxe. Elle mit l'eau à chauffer et se déplaça tout en souplesse vers le meuble à vaisselle. Yoonji avait tendance à oublier qu'elle avait grandi là et que cette cuisine était sa maison. Ne lâchant Jimin du regard seulement pour éteindre le gaz sous les casseroles, elle suivit la danse de la blonde du coin de l'œil. Jimin était trop belle pour cet endroit. Elle avait beau en connaître tous les recoins, avoir le visage souillé par son maquillage coulant et les larmes, de vieux sabots jaunis et troués chaussant ses petits pieds et une veste démodée lui tombant un peu trop bien sur les épaules, son corps n'en demeurait pas moins étranger à cette cuisine recouverte de graisse. Comme si la jeune femme avait atterri là par erreur.

- Je vais mettre la table, pirouetta Jimin, poussant le battant de la porte menant à la salle de restaurant.

Yoonji resta figée, l'odeur de la viande marinée retrouvant peu à peu son chemin vers ses narines. L'air de la salle de restaurant était plus frai que celui de la cuisine, au rythme du battement de la porte, il vint remettre en mouvement le corps courbaturé de Yoonji. Faisant abstraction de ses avant-bras douloureux, l'étudiante versa le contenu des casseroles dans un plat à deux compartiments, y ajouta une cuillère et se décida à rejoindre à son tour la salle.

Jimin était assise à leur table habituelle, elle avait tiré une chaise un peu à l'écart, plus proche de la porte qu'elle avait entrouverte et s'y était assise les jambes croisées. Un bras tenant la veste de Yoonji fermée, entre les doigts de l'autre une cigarette coincée qu'elle fumait tranquillement, inspirant profondément les lèvres pincées sur le bâton de nicotine avant de longuement vider ses poumons, soufflant la fumée à travers le pend de plastique entrouvert. Son pied surélevé battait à un rythme impatient, le sabot blanc pendant au bout de ses orteils.

Yoonji déposa le plat sur la table mise avant de se rapprocher de Jimin, de lui retirer des mains la cigarette presque terminée et de la jeter loin dans rue mal éclairée. Chose faite, elle libéra la porte et redonna un tour de clé. Jimin n'avait pas bougé.

La brune contourna la table et s'installa en face de Jimin. Le coin était froid, le brasero mourant était loin mais les plats fumants. L'étudiante commença à remplir leurs auges. Elle mourrait de faim. Elle déposa le bol en face de Jimin et se servit à son tour.

- Bon appétit Jim. Et merci de me tenir compagnie, sourit-elle.

À part l'odeur de la nourriture, celle mourante des charbons du brasero, il n'y avait pas d'autre arôme dans la salle. Pas de parfum.

Jimin ne sentait rien. Blottie dans la veste de Yoonji, ses cheveux retombant dans le col de la veste, la jeune femme blonde se nourrissait du bout des lèvres, le regard posé ailleurs. Ses yeux passant de secs à brillants à intervalles d'une ou deux minutes. Elle n'avait pas sur elle la fragrance habituelle des soirées où elle rejoignait Yoonji à table. Et cela semblait rendre Jimin triste. Non pas que Yoonji n'avait pas compris, seulement elle était surprise de ne s'en rendre compte que maintenant.

- Tu es très belle Jim, lâcha la brune en avançant sa serviette vers le visage de la jeune femme en face d'elle.

Elle se figea à quelques centimètres de son visage, le coin plié de la serviette en papier blanche orienté vers le coin de l'œil mouillé de la blonde. Jimin aspira ses nouilles et renifla, ses narines se dilatant. Enfin elle avança son visage vers la main de Yoonji, alpaguant le regard de la brune au passage et l'obligeant à rester plongé dans le sien. Elle déposa le haut de sa pommette sur le mouchoir et laissa Yoonji essuyer sa larme en fermant les yeux.




Notes :

En mandarin, « 小三 » [xiao san] signifie la maîtresse d'un homme marié. Une mauvaise blague reposant sur la similarité des formes des caractères « » [san] et « » [wang] que l'on m'a faite a inspiré cette histoire. Elle dit que l'on peut qualifier ces femmes de « 小王 » [xiao wang] car, à présent, elles ont un corps au-dessus d'elles.

Alexandro_moon



FIN.

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