Chapitre 1
Assise dans la limousine de Chef, accompagnée de ce dernier et de mon petit copain, je regardais le paysage défiler à travers les vitres. Le silence régnait dans l'habitacle. Pour ma part, j'étais trop perdue dans mes pensées pour tenir une conversation, quant aux deux autres, ils respectaient ma non-envie de parler.
C'était le jour de ma rentrée. À partir d'aujourd'hui, j'allais devoir devenir une élève modèle, jusqu'à ce que je parvienne à mes fins, et à celles du boss. Bien entendu, je ne pouvais pas faire ce que je voulais avant d'être parvenue à accomplir la mission qui m'a été confiée, mais je ne me faisais pas de soucis. Elle n'était pas si difficile que ça, j'avais vécu pire un bon nombre de fois.
Le seul problème, dans toute cette histoire, c'était que j'allais retourner à l'école. Je n'avais pas foutu les pieds dans un établissement scolaire depuis la fin du collège, quand j'avais par miracle obtenu mon brevet. Je ne comprenais toujours pas comment je l'avais eu, mais étant donné que, dans notre société, c'était le seul élément indispensable pour pouvoir arrêter les cours, je n'avais pas cherché plus loin. Surtout que Chef en était sûrement à l'origine.
Cela me fit d'ailleurs penser à un sujet que je n'avais pas encore abordé avec mon supérieur.
— Tu m'as inscrite dans la filière gardienne, lui rappelai-je. Si je me souviens bien de ce que j'ai lu dans le prospectus que tu m'as refilé, il faut avoir passé minimum deux ans au lycée pour pouvoir prétendre à intégrer cette classe. Comment t'as réussi ton coup, cette fois ?
Assis à ma droite sur la banquette où j'étais installée, mon copain posa une main sur mon genou. Il excédait ma manière de parler au patron. Il me trouvait irrespectueuse de le tutoyer, et me répétait à chaque fois que jamais il ne ferait une chose pareille. À la différence près que moi, j'avais rejoint l'organisation quand j'avais onze ans. Aujourd'hui, j'en avais vingt. Lui n'avait été engagé que l'année dernière. C'était normal que j'ai des avantages qu'il ne possédait pas. Comme, par exemple, ne pas vouvoyer le boss de la mafia la plus connue du pays sans se faire tuer juste après.
Chef ne se formalisa pas de ma manière de lui parler, comme toujours, et se contenta de me sourire. J'étais la plus jeune recrue qu'il n'avait jamais engagée. Il m'avait appris à me battre, à utiliser mes pouvoirs comme il le fallait, et même à le maîtriser mieux que certains lieutenants de la filiale Gardiens. J'étais sa soldate, et j'avais tous les privilèges.
— Comme tu le sais, l'entrée de l'Institut est équipée d'un dispositif empêchant les métamorphes comme toi de pénétrer dans l'établissement sous une fausse apparence. Tu es donc obligée d'y aller sous tes véritables traits, ce qui est une bonne chose puisque tu ne sors jamais non métamorphosée. Personne ne te reconnaîtra. Je suis parvenue à te faire échapper à la prise de sang demandée dans le dossier d'inscription et qui devait leur confirmer. Tu comprends, il aurait été difficile de le faire puisque tu as passé les deux dernières années dans un pensionnat à l'autre bout de la planète.
Il se tut, attendant que je fasse moi-même le lien avec la question que je le lui avais posé. Je gardai le silence, en pleine réflexion. Les échantillons de sang ne pouvaient pas être conservés assez longtemps pour voyager sur plusieurs pays. L'administration de l'Institut Onyx n'avait donc aucune preuve de mon identité. Je pouvais être n'importe qui, et avoir fait n'importe quoi de ma vie.
— Comme tu n'étais pas... disponible... au moment où je me suis occupé de ton inscription, puisque tu étais en prison, je me suis permis de m'en occuper moi-même. À partir de maintenant, tu t'appelles Sicélie Hopps. J'ai préféré ne pas changer ton prénom. Il se pourrait que tu croises des personnes à qui tu avais eu à faire dans ton enfance. C'est plus discret si seulement ton nom de famille leur paraît étrange. Tu n'auras qu'à leur dire qu'ils ont une mauvaise mémoire.
L'institut ne se trouvant qu'à trente minutes maximum de la maison où j'avais grandi, il était plus que possible que je croise des gens que je connaissais déjà. Son argument se tenait, même si la justification qu'il me proposait était minable.
— En ce qui concerne tes deux années d'études après le collège, tu les as effectuées en Corée, l'un des pays les plus en avance sur la maîtrise du don de métamorphose, afin de contrôler au mieux tes propres pouvoirs. Tu as étudié dans le pensionnat d'Inchong. Il y a un mois, tu es rentrée en France après avoir obtenu ton diplôme, et tu veux le compléter avec une certification française pour avoir plus de chance d'être embauchée dans une grande brigade policière.
J'avais toutes les informations que je voulais, pour le moment, du moins.
— D'accord, c'est bon.
Il allait juste falloir que je me rappelle de tout, ce qui ne devrait pas poser trop de problèmes. Le silence revint, sans qu'il ne soit brisé pendant quelques minutes. À travers les vitres de la limousine, j'observai le paysage pour essayer de nous localiser. Nous venions de sortir de la forêt, ce qui signifiait qu'il ne restait plus qu'une dizaine de minutes avant d'arriver à destination. Quinze, peut-être, s'il y avait des embouteillages.
Le chauffeur alla garer le véhicule dans lequel nous nous trouvions sur un parking presque désert, à l'exception d'une voiture tout ce qu'il y avait de plus banal. Son conducteur descendit de l'habitacle, et alla ouvrir le coffre de la limousine, où se trouvaient mes bagages. Il les sortit pour les changer de véhicule, et le patron se racla la gorge pour attirer mon attention. Il se recoiffa, bien que ses cheveux étaient toujours parfaitement en place. Il n'y avait même pas un seul frisottis qui jouait les rebelles. Je levai les yeux au ciel, un sourire en coin sur le bord des lèvres.
— On t'a déjà dit que ton tic était ridicule ? lui demandais-je.
Je connaissais déjà la réponse.
— Oui, puisque tu me le dis à chaque fois que tu me vois le faire.
J'allais rétorquer mais il reprit aussitôt son sérieux. Je m'abstins donc de parler pour écouter ce qu'il avait à me dire.
— Tu te souviens de la mission que je t'ai confiée ?
Je secouai la tête de dépit. Pour qui me prenait-il ? Une idiote ?
— Bien sûr que oui, je ne suis pas une débutante. Je te rappelle que j'ai neuf ans d'expérience.
— Parfait, se réjouit Chef. Dans ce cas, je vous laisse monter dans l'autre voiture. Tu ne peux décemment pas arriver devant l'Institut dans une limousine. Cela attirerait l'attention sur toi, et tu connais la première règle pour réussir une mission.
Je hochai la tête.
— La discrétion prime sur tout. Je sais. Tu peux compter sur moi.
Il ne paraissait pas totalement convaincu, et avait raison de ne pas l'être. S'il y avait bien une vertu qui me manquait, c'était celle-ci. J'étais bien trop impulsive pour ne pas l'ouvrir quand il fallait que je me taise, ou pour ne pas agir quand il était préférable que je ne fasse rien.
D'un soupir, il nous congédia d'un geste de la main.
— Allez, débarrassez-moi le plancher, tous les deux. J'ai un rendez-vous dans cinq minutes, et vous allez me mettre en retard.
Je fronçai les sourcils. À l'évidence, nous n'étions plus les bienvenus dans sa limousine. Par prudence, je remontai ma capuche sur ma tête et ouvris ma portière pour sortir.
— À plus, Chef, le saluai-je en descendant.
— Au revoir, Monsieur, dit mon copain.
Une fois tous deux descendus de la voiture, le chauffeur démarra immédiatement. Je regardai le véhicule partir avant de me retourner lorsque j'entendis des bruits de pas.
— James, interpellai-je mon petit-ami. Qu'est-ce que tu branles ?
Il se dirigeait dans la mauvaise direction, vers l'arrêt de bus. Les bras croisés sur la poitrine, j'attendis qu'il se tourne vers moi et me réponde.
— On peut pas te voir avec moi devant l'Institut Onyx. Je suis recherché par les flics de toute la ville, à cause du coup que j'ai foiré la semaine dernière. Tu vas te faire repérer dans la seconde à cause de moi.
Je levai les yeux au ciel devant son mélodramatisme. Il était toujours dans l'exagération, surtout que prendre le bus dans sa situation était encore plus risqué. Sans l'attendre, je me dirigeai vers la voiture et en ouvris l'une des portes.
— J'ai jamais prétendu que t'avais besoin de sortir devant les grilles avec moi. Les vitres sont teintées. Personne ne te verra, mais bon, si tu préfères te faire choper dans les transports en commun et ne pas me dire au revoir, c'est ton problème.
À vrai dire, je n'en avais rien à faire qu'il m'accompagne ou non. Sa présence m'importait peu. Je m'en fichais de lui. Notre couple n'était qu'un moyen pour lui de ne pas se faire buter par les autres membres de l'organisation. Tout le monde le détestait et voulait sa peau. Il avait, tout comme moi, la fâcheuse habitude de s'attirer des problèmes et de se créer des ennemis. La seule différence entre nous deux était que moi, j'étais intouchable. L'agent personnel de Chef, et sa protégée. Lui n'était rien d'autre qu'un pion, mais comme c'était un intello et que Chef avait besoin de ses compétences en informatique, j'avais feins de m'intéresser à lui, et je faisais semblant de l'aimer pour le protéger.
J'étais vraiment serviable, quand il le fallait.
Je montai alors à l'arrière du véhicule et comptai à rebours dans ma tête. Quelques secondes plus tard, la porte droite s'ouvrit, et James pénétra à l'intérieur pour s'installer à côté de moi. Dès que les portières furent refermées, le chauffeur démarra, prenant la direction de l'Institut.
Un nouveau silence s'installa. Je sortis mon portable, et relu encore une fois le mail que m'avait envoyé le responsable de ma licence avec toutes les instructions nécessaires à la rentrée. Étant nouvelle, je devais apparemment passer par l'entrée secondaire. Là, on me fouillerait et je devrai remettre mon certificat d'inscription au professeur qui se trouverait sur place. La suite n'était pas indiquée, mais elle devait être tout aussi chiante que le début. Verrouillant mon écran de téléphone, je posai ma tête contre l'appui-tête du siège et fermai les yeux.
Je m'appelais Sicélie Hopps. Il ne fallait pas que je l'oublie.
Une main se posa alors sur la mienne, et j'ouvris un œil pour dévisager James. Deux contacts physiques en quelques minutes ? Il en demandait beaucoup. Je détestais ça, et il le savait très bien. J'éloignai ma paume de la sienne.
— Non, me contentai-je de dire.
Il n'insista pas, mais se mit à parler ce qui, à mes yeux, n'était pas franchement mieux.
— Tu n'as pas trop peur ?
Était-il sérieux ? Je m'étais fait enfermer volontairement en prison il y avait à peine plus d'un mois, et il me demandait si j'étais effrayée de retourner à l'école ? Quel imbécile.
— Bien sûr que non.
James hocha la tête, sans rien ajouter.
Au loin, les bâtiments de l'Institut arrivaient dans mon champ de vision. Je les observai grandir peu à peu, et les battements de mon cœur s'accélèrent légèrement. Rien de très perceptible, mais cela suffit à me faire froncer les sourcils.
Je n'avais pas peur. Ce n'était pas possible, alors pourquoi est-ce que ça m'arrivait ?Intérieurement, je le savais. L'Institut Onyx était mon rêve d'enfant. Lorsque j'étais gamine, je me voyais étudier là-bas aux côtés de mon ancien meilleur ami. Aujourd'hui, je l'avais perdu de vue et je faisais partie de la mafia. Ce n'était pas vraiment comme ça que j'avais imaginé ma vie.
Le chauffeur se gara peu de temps après cela. J'attrapai mon sac de cours, où se trouvait le certificat d'inscription dont j'avais besoin, et ouvrit la porte.
— Attends ! m'interrompit James. On se revoit quand ?
Je le jaugeai de haut en bas.
— Quand j'aurais le temps, rétorquai-je. Et essaie de ne pas te faire tuer.
Je ne jouais pas la comédie depuis presque un an pour qu'il se fasse descendre maintenant. Chef avait encore besoin de lui. Je descendis de la voiture, et le chauffeur baissa la vitre de sa portière pour me tendre des papiers. Une nouvelle carte d'identité, et même un permis.
— Je sais pas conduire, lui rappelai-je.
— Il n'y a que les étudiants qui l'ont obtenu qui peuvent sortir de l'enceinte de l'Institut quand ils le souhaitent. Ça te facilitera la tâche.
Je le remerciai d'un hochement de tête, et levai les yeux vers le bâtiment qui se trouvait face à moi. Je soupirai.
— Bonne chance, mademoiselle Sicélie.
— Ce n'est pas de chance dont je vais avoir le plus besoin.
Parce que ce n'était pas ça qui allait m'aider à tuer un homme.
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