ͼɧɑρɨʈɽε 7
Nous avions quitté l'hôpital depuis une bonne heure. Installé.e sur la banquette arrière j'observais inlassablement mon père, allongé en position presque fœtale, la tête sur mes jambes. Je frictionnais son bras ou lui massais le crâne par intermittence en repensant à ce matin, quand tout était encore normal dans nos vies.
***
Déjà en tenue de sport, je glisse mon portable et mes écouteurs dans mes poches et descends les escaliers en chantonnant du Nelly Furtado.
— Ça sent super bon, dis donc ! lancé-je en débarquant à la cuisine.
— Comme tous les matins, mon ange.
— Un point pour toi.
Je gratifie mon cuistot d'un bisou sonore sur sa pommette saillante et attrape mon bol fétiche avant d'ouvrir le placard, à la recherche de céréales.
— Je suis surpris de ne pas avoir eu à te traîner hors de ton lit. Tu es tombé.e en te retournant, ou bien...
— Tu pourrais au moins me laisser m'asseoir, avant de commencer à m'enquiquiner !
Je lui encastre un index dans les côtes, il réplique avec un léger coup de spatule sur ma main taquine. Par habitude, j'esquive sans mal. Notre rire partagé emplit la petite pièce de gaieté. Je m'installe ensuite à la table ovale et nous sers du jus d'orange en entamant les papotages du matin ; notre rituel.
— Donc, cette Pixie91 t'a traité de connard sur ton propre post Instagram. Et ça, seulement parce que tu l'as reprise sur le genre auquel tu t'identifies ?
— Non mais, t'imagines ? sifflé-je après avoir dégluti ma tartine. Prendre la mouche alors que c'est elle, l'offenseuse ! Ça a parfaitement illustré mon propos au sujet des personnes manquant sciemment de respect aux genderqueers. Je veux dire, elle aurait au moins pu m'insulter en inclusif.
À présent installé face à moi, devant une copieuse assiette d'œufs brouillés aux morceaux de lard et de champignons, mon colocataire explose de rire. Mauvaise idée de se bidonner la bouche pleine, il avale de travers.
— C'est tout ce qui te dérange ? lance-t-il en toussant dans son poing.
Une gorgée d'eau suffit à apaiser son trouble. J'esquisse un sourire espiègle.
— J'essayais juste de te faire étouffer de rire.
— Ah bah, mission quasi réussie !
Sa quinte de toux passée, il s'essuie les lèvres d'un coup de torchon avant de recommencer à manger.
— Tu sais, le lard c'est beaucoup trop gras en plus d'être déconseillé dans ton régime alimentaire.
Son regard amusé se braque sur moi. Ses iris bleus brillent de malice, malgré des yeux creusés de fatigue, et égayent son visage en diamant à peine ridé.
— J'ignorais que tu cumulais un diplôme en médecine à celui en kinésiologie.
Un infime sourire fend ses lèvres.
Ha ! Comme ça, Monsieur joue les idiots ? Je soupire et lève légèrement les yeux au ciel.
— Cette formation englobait aussi des infos diététiques, et tu le sais. Bref, fais ce que tu veux ; ton corps, ton choix. Mais ne pense pas que je te créerais gratuitement un programme sur mesure pour rattraper tes écarts. Tu vas raquer, comme tout le monde.
— Quoi ? Tu es sans pitié, ma parole !
— Eh oui ! En affaires, pas de sentiments. En attendant, tu dois continuer à prendre soin de ton cœur et surtout de ton taux de cholestérol.
— Tu es là pour ça, décrète le vieil effronté après un rire bref.
— Tu vois comme tu profites de ma dévotion ?
— Ainsi va la vie, mon cœur.
— Tu as de la chance que je sois d'un naturel attentionné. Bon, je file !
— OK. Fais attention à toi.
— Comme d'habitude. Allez, à plus, je t'aime, lançé-je à la volée en quittant ensuite la pièce après avoir débarrassé la table.
— Moi aussi, chéri.e.
Arrivé.e à l'encadrement reliant le salon et la cuisine, je me rappelle un sujet d'importance capitale. Index en l'air, je me retourne donc.
— Papa, n'oublie pas ton rendez-vous avec le cardiologue. Seize heures trente tapantes.
— Oui, oui, c'est noté dans mon agenda. Je suis un adulte responsable, vois-tu.
— 'Oia. La hamani roa i te rau 'ārī, i roto i te ōhipa, te vāvā i roto iā mātou i teie mahana. (Oui. À cinquante et une piges, des fois on se le demande encore).
— Eaha ta oe, Aël ? (Que dis-tu, Aël ?) crie mon père alors que je vais me chausser.
Il aime bien jouer à ce jeu-là : dur de la feuille quand ça lui chante. Bizarrement, quand je partage les détails de ma vie amoureuse calamiteuse avec Inaaya, il ajoute son grain de sel depuis la pièce d'à côté. Puis on ne va même pas commenter son tahitien à l'accent français ultra prononcé... C'est assez marrant que je sois plus à l'aise que lui avec sa langue maternelle.
— À ce soir, papou, éludé-je en gloussant avant de quitter la maison.
***
Un triste sourire s'empara de mes lèvres. À ce moment-là, j'étais loin de me douter de ce qui nous attendait. Je pensais notre relation basée sur la confiance, le soutien et l'échange. Mon père avait toujours été comme un meilleur ami, buté et un peu trop boute-en-train. Il était mon pilier. La seule chose que je redoutais était le déclin de son état de santé, mais je n'aurai jamais imaginé qu'il souffrait de bien pire que l'arthrose ou ses problèmes de cœur.
Je chassai prestement la larme qui menaçait de rouler sur ma joue.
D'après Haslow, papa pouvait peut-être nous entendre et même percevoir nos faits et gestes malgré son coma. Quel stress cela devait être pour lui de savoir que j'affrontais tout ceci du jour au lendemain... Il prenait à cœur son rôle d'aiguilleur et savait que, sans lui, je perdais facilement mes rails. Alors qu'allais-je devenir si Haslow ne trouvait aucun remède à son mal ? Comment surmonter cette catastrophe en sachant qu'elle découlait directement de mon existence, encore une fois considérée illégitime ?
— Ça va aller papa. On va s'en sortir.
Je tentais surtout de m'en persuader et serrai la main de mon père aussi fort que possible, espérant qu'il presserait la mienne en retour. Seulement, rien ne se produisit.
Mon téléphone vibra dans ma poche. Un message. Je sortis lentement l'objet de mon sweat-shirt afin de le consulter. Inaaya ne me revint en mémoire que lorsque mes yeux se posèrent sur sa déferlante de textos, bourrés de majuscules, de ponctuation forte et d'émojis tous plus inquiets et énervés les uns que les autres. Je poussai un soupir en commençant à taper une réponse.
« 𝙳é𝚜𝚘𝚕é.𝚎, 𝚖𝚊 𝚌𝚑é𝚛𝚒𝚎. 𝙸𝚕 𝚖'𝚊𝚛𝚛𝚒𝚟𝚎 𝚞𝚗𝚎 𝚑𝚒𝚜𝚝𝚘𝚒𝚛𝚎 𝚍𝚎 𝚍𝚒𝚗𝚐𝚞𝚎 ! 𝚃𝚞 𝚗𝚎 𝚟𝚊𝚜 𝚜𝚊𝚗𝚜 𝚍𝚘𝚞𝚝𝚎 𝚙𝚊𝚜 𝚖𝚎 𝚌𝚛𝚘𝚒𝚛𝚎, 𝚖𝚊𝚒𝚜... »
On m'arracha mon portable des mains, je tressautai en relevant la tête.
Paxton, encore légèrement penché entre les deux sièges avant, fini par se rasseoir correctement dans le sien.
Non mais, étais-je en train de rêver ou il lisait mes messages ?
— Rends-moi ça ! pestai-je en tendant le bras pour reprendre mon bien.
Ce gros con écarta sa main au loin, gardant mon portable hors de ma portée, et se tourna vers moi.
— Mais sérieux, tu pensais faire quoi, là ? gronda-t-il d'un ton un peu trop paternaliste à mon goût.
— Donner de mes nouvelles à mon amie, rétorquai-je en le toisant. Elle est morte d'inquiétude.
— C'était rhétorique, en fait. Tu ne peux pas dire à ta pote ce qui s'est vraiment passé ce soir.
— Il faut bien que...
— Non, m'interrompit Haslow en lançant un œil vers moi via le rétroviseur central. Il vaut mieux que les Humains lambdas restent dans l'ignorance quant à l'existence des Anges et des autres forces surnaturelles.
Les yeux à nouveau rivés sur mon téléphone, Paxton se permettait même de trifouiller dedans !
— Hé, qu'est-ce que tu fous ? Tout ce qui est sur mon portable est du domaine privé, je t'interdis de fouiller dedans. Et puis, si je ne réponds pas à ma meilleure amie et qu'en plus elle ne nous trouve ni à l'hôpital ni chez nous demain, elle contactera les policiers qui s'occupent de l'agression de mon père. Vous pouvez en être sûr.
— Ça va, sèche tes larmes Princesse. Je n'ai pas l'intention de mater tes photos salaces. Puis ta copine peut contacter qui elle veut, l'OLCCS est sur le coup maintenant alors elle gobera le bobard qu'on voudra bien lui raconter.
— Je ne suis pas une princesse, ni même...
— Comme tu veux, Miss Avignon.
— Paxton... le sermona Haslow avec un regard de biais.
— Écoutez, m'agaçai-je, je ne vais pas pouvoir supporter ça plus longtemps. Il faut que je vous dise quelque chose d'important.
Tout de suite, les deux levèrent leurs regards intrigués vers le rétro central. J'avais peut-être mal choisi mon entrée en matière.
— Rassurez-vous, ça n'a rien à voir avec toute cette folie. Je voulais juste vous dire que je suis transgenre. Je m'identifie non-binaire.
Silence total et sourcils froncés de leur côté. Sans doute avais-je fait la même tête à l'hôpital, lorsqu'ils tentaient de m'expliquer tout ce délire surnaturel. Je me raclai légèrement la gorge.
— Eum, en général, je ne l'annonce pas de but en blanc aux étrangers. Mais là... J'ai déjà trop encaissé, ce soir. Alors il faut que vous le sachiez ; je ne me reconnais pas dans les normes exclusivement masculines, ou féminines servant de modèle social dominant. Je me sens plutôt... Au milieu. Ni totalement l'un, ni vraiment l'autre. Et, je conçois que ce soit difficile à appréhender. Mais si je suis coincé.e avec vous, j'aimerais que vous arrêtiez les surnoms s'il vous plaît. Appelez-moi simplement par mon prénom. Et plus de « il », plutôt « iel » à la place. Mais surtout plus de « princesse » ou de « miss » quoi que ce soit, parce que sinon, je ne réponds plus de rien.
Leurs cerveaux prirent un certain temps à traiter l'information. Ce n'était évidemment pas une menace, juste un petit ras-le-bol.
Haslow me jeta de brefs coups d'œil tout le long de ma tirade, alors que Paxton me regardait fixement via le miroir. Il finit par ouvrir la bouche, sans trop savoir que dire dans un premier temps, mais se décida.
— Ça me paraît pas très rationnel comme id...
— D'accord, Aël, l'interrompit Haslow. Nous essaierons de respecter ta demande au mieux.
Paxton lui adressa une œillade perplexe, elle ne brocha pas. Alors il ramena toute son attention sur mon téléphone en secouant la tête sans ajouter plus qu'un soupir. Le sujet était clos, je me sentis soulagé.e d'un poids et remerciai Haslow de sa compréhension. Elle se contenta d'opiner.
— Bon, le voici, ton téléphone, lança soudain le Libérateur.
Il me tendit l'objet par-dessus son épaule avec une indifférence révulsante.
— Pax a paramétré une application de camouflage sur ton smartphone, repris Haslow tandis que je récupérais mon bien. Tu peux à présent répondre à ton amie sans que ta position réelle ne soit divulguée. Dis-lui simplement que tu vas bien, que ton père a été transféré dans une clinique privée en dehors de la ville et que tu lui en diras plus ultérieurement.
— En fait, vous voulez que je lui mente, moi aussi.
— Tu ne peux pas lui dire la vérité, Aël.
Cette décision était sans appel. Elle me le fit comprendre en me tenant d'un regard insistant à travers le petit rétroviseur central.
— D'accord...
D'ailleurs, comment pouvais-je présenter cette folie à Ina ? Des Anges. Le Paradis qui partait en croisade contre moi. Une organisation inconnue du grand public qui me portait secours dans ce chaos biblique... C'était un délire psychotique que j'avais moi-même encore beaucoup de mal à croire. Je fis donc ce que me demandait la sorcière, avant de ranger mon téléphone.
Mes yeux détaillèrent ensuite le paysage nocturne par la vitre. Haslow roulait à tambours ouverts, il défilait donc à toute vitesse. Nous avions dorénavant troqué les lumières de la ville pour d'étroites routes de campagne non éclairées. Face à toutes les incertitudes qui s'accumulaient en moi, mon anxiété gagnait du terrain.
— Où allons-nous ?
— Du côté de la frontière espagnole, m'informa la conductrice. Nous possédons un refuge à Andorre. Un domaine tranquille, coupé de la jungle urbaine. Tu seras en sécurité, là-bas.
— Mais c'est au moins à quatre heures de route d'Avignon.
— En bagnole, je dirais plutôt cinq ou six, marmonna le Libérateur.
Il enfonça un peu plus sa casquette afin que la visière couvre bien ses yeux, puis s'avachit dans son siège et croisa les bras contre son buste. C'était visiblement l'heure du dodo pour Bibi.
— Il est tard, statua Haslow d'un air avenant. Tu devrais aussi essayer de te reposer.
Ses yeux quittèrent encore la route l'espace d'un instant. Je fus donc seul.e à voir la menace apparaître en pleins phares.
— Attention ! hurlai-je en pointant le doigt vers l'avant.
Paxton sursauta.
— Merde ! jura-t-il en balançant sa casquette.
— Comment nous ont-ils retrouvés ? s'indigna Haslow.
À quelques mètres, au beau milieu de la route auparavant déserte, s'alignaient cinq rouquins et rouquines de carnations différentes. Tous vêtus de blanc. Debout comme des i, ils semblaient bien trop tranquilles pour des gens qui se faisaient foncer dessus par un SUV !
— Les symboles de dissimulation, Paxton ?
— Oui, ben, j'ai dû me louper quelque part. T'arrête pas, fonce dans le tas !
Il dégaina à nouveau ses armes et abaissa la vitre, prêt à tirer. Moi, je tremblais déjà de tous mes membres alors que ses gestes à lui, bien que rapides, restèrent super précis.
— Ça ne servirait à ri...
Une des rousses leva le bras, puis le tendit brusquement sur le côté. Haslow était au milieu de sa phrase quand le volant glissa entre ses mains. De son propre chef, il se braqua complètement à gauche sous mes yeux sidérés. Les pneus crissèrent et la voiture s'envola dans le décor du bord de route.
Nos corps se firent ballotter de droite à gauche dans une cohue de tôle froissée. La voiture était partie en tonneaux, le haut se confondait avec le bas. Malgré la ceinture de sécurité, ma tête frappa le siège devant moi de plein fouet. La force de l'impact me renvoya en arrière.
J'étais sonné.e. Mes oreilles bourdonnaient. Je papillonnai des yeux, ayant à peine conscience de la scène qui se poursuivait. Haslow et Paxton s'extirpèrent à grand peine du véhicule. J'entendis des cris caverneux, au milieu de détonations étouffées. Et... Tout ceci me passa au-dessus. Mon crane me faisait un mal de chien. Je devinais sans mal que le liquide chaud perlant sur mon front était du sang. Il m'obstruait la vue. Dans mon brouillard, je me souvins toutefois de mon père. Il n'était pas attaché !
— Papa ? soufflai-je en tâtonnant à mes côtés.
Mon cœur se serra lorsque je le retrouvai entre les sièges avants et arrières. Je le tirai à nouveau sur mes jambes et posai les doigts sur son cou pour prendre son pouls. Je poussai un soupir de soulagement ; il battait. Oui... Mais bien trop vite ! Mon inquiétude revint en flèche. Je pensais au pire quand une brise me fouetta tout d'un coup le visage. Je relevai la tête mais ne distinguai qu'une main, elle approchait à vive allure. Je n'eus pas le temps de comprendre qu'elle se referma sur mon crâne.
— Δυ иɸʍ δ ! θυε λ ϑиɸʍιиε θυι иε δи πασ εϰισε δισπισ πɸυ εиδιϑυε λ πɸπιε ! (Au nom de la Créatrice ! Que l'ignominie disparaisse pour endiguer la prophétie !)
Le simple contact de ces doigts remplit ma tête d'une lumière fulgurante. J'éprouvai une souffrance si intense qu'elle n'eut pas de pareil. Un hurlement de détresse retentit autour de moi. Le mien. Il me déchirait la gorge. Mais sous cette torture, il sonnait étranger à mes propres oreilles. Cette lumière, elle était destructrice ! Elle tentait de se déverser dans tout mon être. Disloquer mes os. Déconstituer ma chair... Je serrai les dents et luttai aussi fort que je le pus afin de l'en empêcher.
— Meurs, malédiction !
La voix s'intensifiait. J'ignorais de quel dialecte il s'agissait, je le compromis pourtant comme s'il était mien. Je n'en pouvais plus, de cette douleur lancinante.
Je dois sortir de son emprise !
J'eus une grosse impression de tournis, et la lumière cessa d'un coup. Le mal qui m'assaillait se replia hors de mon corps, s'échappant de mes muscles comme des gouttes de pluie rouleraient le long d'une plante après l'orage. Un coup de manche pour m'essuyer le nez confirma qu'il saignait et ma migraine était toujours présente. D'un air hagard, je regardai autour de moi. On aurait dit que je me tenais debout à l'entrée du bois bordant la route. La vision trouble, j'aperçus bien assez tôt la voiture accidentée. Assise sur ses quatre roues, comme par miracle, elle était plusieurs mètres plus loin.
— Aël, derrière toi ! cria quelqu'un.
Haslow ! Je me retournai vivement. Juste à temps pour voir une jeune femme flotter dans le ciel obscur. Sa peau foncée luisait sous les rayons de la lune. Son visage rond paraissait juvénile, mais déterminé. Ses mains se refermèrent avec acharnement autour de deux dagues, longues d'au moins dix centimètres. Les mêmes que celles du trio de l'hôpital ! Mon rythme cardiaque accéléra. Dans ses yeux clairs hyper flippants, je lisais bien son envie mettre un terme à ma vie.
L'air dans mes poumons se rarifia. Je bondis sur le côté, trébuchai, mais l'évitai de justesse lorsqu'elle atterrit au sol telle une comète. Elle s'élança vers moi sans perdre une minute et m'asséna deux coups de lame. Je les esquivai miraculeusement à la dernière minute. En témoignait ma poche tailladée.
Bon sang ! La rouquine revint immédiatement à la charge. Je reculai vivement, me baissai in extremis et plongeai sur le côté pour sauver mon œil droit de la pointe de son énorme couteau. Je me redressais à peine qu'elle fondait encore sur moi ! Jetant mon poids en arrière, j'amorçai une roulade dans les hautes herbes. Fiou... Sa dague se planta dans le sol, à l'endroit exact où je me trouvais une seconde auparavant.
La furie me fixa d'un air féroce, je me relevai sans perdre de temps. Elle poussa un cri de frustration et se propulsa à nouveau vers moi.
Cette fille ne semblait avoir que quinze ans. Merde ! Elle enchaînait pourtant ses attaques aussi vite qu'un personnage de jeu vidéo. Moi, j'étais en mode survie. Hors d'haleine. Ses gestes étaient bien trop rapides pour que je puisse répliquer. Je parvenais toujours à peine à échapper à ses lames, quand soudain : bang, bang, bang. Trois coups de feu tirés sur mon assaillante.
Le regard mauvais, la rousse se retourna vers nul autre que Paxton. Je lus un beau « Et merde... » sur les lèvres de ce dernier et me retrouvai face aux impacts de balles dans le dos laminé de l'adolescente.
Du sang coulait de ces blessures, tachant ses vêtements immaculés. Cela ne l'arrêta nullement ! D'une simple manchette dans le vide, elle projeta le Libérateur au milieu de la route. La vitesse et la violence de cette scène improbable me choquèrent tant que j'en restai paralysé.e. Et, d'un coup, la lumière dévastatrice fut de retour dans mon esprit. Une main s'était à nouveau posée sur ma tête.
Mes muscles se contractèrent. Je grognai de douleur et me sentis ballotté.e de l'intérieur. Puis, le mal s'arrêta net. Il n'avait pas duré aussi longtemps que la première fois. Pourtant, la tête me tourna. Je m'effondrai durement au sol et roulai sur le dos.
Les détonations en rafale et le chaos continuaient. Seulement, je me sentais vidé.e. Allongé.e sur l'asphalte, le souffle erratique, les bras écartés et les jambes en vrac, je tentai en vain de reprendre contenance mais fus englouti.e par le désarroi.
Étais-je à ce point une menace pour le monde ? Ma mort s'inscrivait peut-être dans un dessein qui échappait encore à mon entendement... La décision du Paradis quant au fait de m'éradiquer de cette Terre semblait irrévocable. Alors, plutôt que de subir indéfiniment ce genre d'assauts, ne valait-il pas mieux pour tout le monde que j'accepte le sort que me réservaient les Anges ?
Perdu.e dans les méandres de mon impuissance, je vis à peine deux silhouettes se dessiner devant mes yeux mi-clos. Elles étaient menaçantes, mais je ne réagis pas. Si la mission de ces êtres était de me tuer pour réparer l'impardonnable erreur de ma naissance, alors soit.
— Aël ! m'interpella encore la voix lointaine de Haslow. Utilise ton envol !
Mon... envol ? J'ignorais ce que c'était. Et puis, je n'avais plus la force d'entreprendre quoique ce soit.
— Je crois que sa batterie néphilimique est à plat, s'écria Paxton. C'est maintenant ou jamais, m'man !
Pour la première fois de la soirée, sa voix craquellait. Le jeu ne devait plus être si drôle pour lui.
Quelques détonations de plus résonnèrent, et une lueur aveuglante m'engloba tout d'un coup dans un sifflement aigu. Glaciale, elle me brûla la peau. Sembla vouloir m'emmener ailleurs.
Avais-je enfin rencontré la mort ?
Peut-être bien que non. La lumière se résorba. Mon impression de me faire happer par le néant s'envola par la même occasion.
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