ͼɧɑρɨʈɽε ¹๏
— Que suis-je ? répétai-je à voix basse.
Je n'étais plus sûr.e de savoir répondre à cette interrogation. Mes seules certitudes concernaient ce que je n'étais pas : un monstre.
Les yeux enflammés de curiosité, Liz attendait patiemment une réponse. Mais d'innombrables doutes assaillaient mon esprit. La gorge serrée, je déglutis puis ouvris la bouche sans parvenir à émettre le moindre mot.
— Apparemment, c'est un Néphilim, lança inopinément Paxton depuis le canapé en L trônant au milieu de la pièce.
Comme à chaque fois que quelqu'un prononçait cette sentence, Roger et la vampire firent tout de suite les gros yeux. Haslow, qui avançait vers son fils avec un des sachets d'herbes magique, interrompit net ses pas mollassons. Elle n'avait pas dû entendre Liz me questionner. Sur le coup, je ne parvins même pas à en vouloir à Paxton de lâcher cette bombe en toute indiscrétion. Il m'enlevait une épine du pied.
Se débarrassant de sa veste avec une grimace, l'insupportable croisa nonchalamment une main derrière sa nuque et ses pieds nus sur un petit couffin à vue d'œil prévu à cet effet. Haslow reprit sa marche tandis qu'il continuait son discours, presque insouciant, sous le regard ahuri de son père.
— Si on avait encore un doute, il a vite fait de s'envoler quand ses yeux se sont illuminés comme des phares de bagnole dans la cour. L'angoisse ! Je vous dis pas dans quelle merde on est, surtout si les protections contre-angéliques se retrouvent compromises. Mais l'idée de se frotter au Paradis, c'est plutôt excitant en fin de... aïe !
— Tais-toi, gronda la sorcière. Et puis cesse de bouger.
Assise aux côtés de Paxton, elle soignait son épaule avec une rudesse indéniable.
— Tu me fais mal, râla l'intéressé. Le sortilège de guérison est censé être indolore.
— Il le serait si tu te taisais une bonne fois pour toute.
Main pressée sur sa blessure, Haslow poursuivit son incantation en tournant un regard coupable vers Roger – je le devinai aussi éberlué que mécontent.
Tête de linotte souffla un léger juron, il avait enfin capté ; Mamounette voulait cacher le plus longtemps possible ma vraie identité à Papounet. Je me demandai derechef pourquoi.
— Misère... marmonna Liz, la première à surmonter sa stupeur.
Elle fronça ses sourcils et sa longue chevelure blanche balança dans son dos lorsqu'elle inclina la tête afin de me détailler méticuleusement. Cette insistance me mit cent fois plus mal à l'aise. Je serrai la tasse entre mes mains et plongeai les yeux dedans pour échapper aux siens – trop troublants.
— Par quel miracle ? s'étonna-t-elle d'une voix tranquille.
Je n'y décelai aucune crainte, ni dégoût quant à la révélation de mes possibles origines. Uniquement de la surprise, et peut-être bien était-elle aussi un brin émerveillée.
— J'eus cru que les Anges réprimaient et punissaient sévèrement toute tentative de fraternisation en leurs rangs ; le métissage d'autant plus.
— Oh bah, c'est toujours le cas, renchérit Paxton. Ses tontons et taties Anges n'ont pas vraiment l'air jouasses quant à son existence.
— Tu m'en diras tant ! pouffa Liz. J'ai toujours ouïe dire que les Néphilims héritèrent jadis d'une puissance, mais surtout d'émotions que ces êtres célestes ne surent appréhender et moins encore contenir. L'exploit qui me laisse sans voix, c'est qu'Aël ait pu atteindre l'âge adulte. À la place du Paradis, je m'en serai occupée au berceau.
Je relevai brusquement la tête à ces mots.
— Mh... On pense que sa maman Ange l'a protégé avec une marque, embraya le Libérateur junior.
Semblant d'un coup désintéressé par la conversation, il zappait les programmes diffusés par la grande télévision adossée au mur séparant deux portes. La vampire, redevenue aussi silencieuse que les autres, tourna un œil pensif vers lui.
— Haslow, on peut parler deux minutes ? intervint soudain Roger.
Il paraissait contrarié. Sa compagne opina et ils sortirent en refermant la porte après eux. Mon rythme cardiaque accéléra, l'idée que cet homme me rejette et que Haslow me retire son support me hacha le souffle. Je posai ma main sur mon ventre, elle serra mon haut de survêtement. L'horrible impression que tout le monde ici en savait plus que moi sur mes origines et la personne que j'étais vraiment me flanqua une grosse gifle.
Mes certitudes quant à mon identité, ce que je savais de mes parents... Tout s'effondrait ! Je me retrouvais enseveli.e sous le trouble et l'impuissance que générait mon ignorance au sujet de ma propre histoire. Franchement, là, j'étais à deux doigts de craquer et de me mettre à chialer. J'avais besoin d'un repère, d'un point fixe dans ma vie qui ne changerait jamais malgré ce foutu délire.
— Où est mon père ? haletai-je.
Les rubis tranchants de Liz revinrent à moi.
— Dans la première chambrette. C'est la porte du milieu.
Je tournai le regard vers les trois portes qui s'alignaient sur ma gauche. J'avais vu Paxton sortir de la première, la salle d'eau, quelques minutes auparavant. Sans rien ajouter, je me dirigeai prestement vers celle indiquée.
Ma précipitation s'effrita lorsque, pour la énième fois de la soirée, mes yeux tombèrent sur le corps inerte de papa. Je chassai les larmes qui me brouillaient la vue et me rapprochai lentement de son lit et détaillai son visage dont je connaissais chaque trait, chaque petite ride.
Malgré un visage assez anguleux, on m'avait toujours rabâché que je ressemblais « trop à une fille, pour un garçon ». Une critique idiote qui commença dès mon plus jeune âge. À l'époque, je ne comprenais pas encore pourquoi cet état de fait était pointé comme une mauvaise chose. Dorénavant, je m'en lavais un peu les mains. Mais à mesure que je prenais de l'âge, la tendance s'inversait. Nos proches soutenaient de plus en plus souvent que je ressemblais à mon père et penser à cette familiarité m'aida à surmonter mon début de crise d'angoisse.
J'en revins à espérer que tout ceci ne soit qu'un affreux cauchemar. Mon père ne pouvait pas à son tour être prisonnier de son corps. Il ne méritait pas ce sort ; peut-être conscient de son environnement, mais incapable d'interagir avec quiconque. Ce calvaire était aussi difficile à imaginer qu'à appréhender. Ma tristesse s'empara de mon cœur et d'énormes sanglots prirent possession de mon corps. Je grimpai sur le lit deux places et me roulai en boule à côté de mon papa. Je souhaitais de toute mon âme me réveiller demain et tomber sur son sourire vivifiant. Je souhaitais me réveiller demain, et que nous soyons de retour à la maison.
Tandis que mon esprit éreinté cherchait la délivrance par le sommeil, je perçus les voix diffuses de Haslow et Roger s'élever depuis l'extérieur et tendis l'oreille au possible.
— Mais à chaque fois c'est pareil ! lui reprochait-il. Tu te mets toujours dans ce genre de situation inextricable.
— Dois-je te rappeler la faculté qu'a Wislow de déceler le Mal, ou tu t'en souviens ? Je mettrais ma main à couper que cet enfant ne renferme rien de maléfique.
Elle paraissait sur la défensive.
— Lo... C'est quand même le plus gros interdit du Ciel, que tu ramènes chez nous !
— Je ramène une personne innocente qui, sans notre aide, se fera purement et simplement assassiner.
— OK, souffla Roger.
Lui sonnait plus qu'exaspéré. Mais surprendre Haslow à endosser mon parti me rassura et me réchauffa le cœur. Elle n'avait pas peur de moi. Elle m'acceptait, tel.le que j'étais, comme je l'avais toujours voulu.
— Écoute, darling, je sais que le besoin de secourir la vierge et l'orphelin est plus fort que toi. Mais il ne s'agit pas d'un enfant, là. On parle d'un néphilim. Adulte, qui plus est ! Ses capacités dépassent à coup sûr l'entendement, comme les précédents... Je dois te rappeler comment ça s'est terminé ?
— C'était il y a une éternité ! Le monde était différent, les sociétés moins évoluées et l'OLCCS n'existait pas... Les dons d'Aël se réveillent à peine, Gégé.
Avec l'utilisation de ce sobriquet, la voix de Haslow s'adoucit.
— Nous pourrions l'éduquer sur le monde surnaturel, lui apprendre comment contrôler ses pouvoirs et les utiliser pour la bonne cause : sauver des gens, contribuer à ce qu'ils aient une vie plus sûre... Je sais que si nous montrons à Aël comment faire face aux Anges, si nous lui donnons l'occasion de leur révéler sa valeur, Aël prouvera que sa présence sur Terre n'est pas une menace. Tout ce que je veux, c'est lui offrir la possibilité d'échapper à la fin tragique qu'ont connu ses ancêtres.
— Très louable. Mais il a le Paradis aux trousses, Lo ! Merde... Sans compter le fait que ce soit une mission suicide de vouloir le protéger des Anges, comment veux-tu qu'on explique ça au Conseil ? Ils n'accepteront jamais de se mouiller dans cette affaire.
— Laisse-moi me charger d'eux, je sais être convaincante. Et Aël ne répond pas au pronom « il », mais « iel ».
— Quoi ?
Oh, Haslow abordait ma non-binarité. J'étouffai un bâillement pour continuer à les écouter. La confusion génuine du monsieur s'entendait au son de sa voix.
— Aël est spécial.e par bien des aspects, souffla ma sauveuse. C'est une personne qui se sent un peu comme... positionnée au milieu dans son corps. Entre la femme et l'homme, ou aucun des deux, tu vois ? Je ne saurais pas trop comment mieux te l'expliquer. En tout cas, Aël préfère qu'on l'appelle par son prénom ou qu'on utilise « iel » pour lui parler.
— Pff, tu changes de sujet pour m'embrouiller.
— Mais non...
— Si ! Je te connais sur le bout des doigts, ma darling, mais d'accord. Je vais essayer de faire un effort pour respecter la demande d'Aël. Ceci dit, on doit vite trouver quoi faire de lui. Enfin, d'elle... Non, merde, d'iel.
— C'est un pli à prendre, j'avoue. Mais il suffit juste de réfléchir un peu plus avant de parler. Pour la suite, attendons déjà l'arrivée de Rayzha pour y voir plus clair et laissons cette pauvre âme se reposer. Aël m'a l'air de beaucoup craindre les contacts physiques après les assauts de ce soir. C'est d'ailleurs compréhensible. Du coup, je n'ai pas osé lui proposer mes soins ou une solution alternative pour lutter contre sa fatigue.
— C'était si intense ?
— Oui... Rayzha m'a raconté quelques-unes de ses missions, à demi-mots. J'ai pu me faire une idée de combien les Soldats sont impitoyables, mais les affronter a dépassé de loin les efforts de mon imagination. Aël a eu de la chance que Pax décèle son aura dans les couloirs de l'hôpital après la fin de notre mission. Tu sais combien notre petit est borné, il n'a pas pu résister à l'envie de savoir ce qu'était Aël. Il est arrivé dans la chambre de son père pile au moment où les Anges l'attaquaient, et il a bien raison sur un point : nous devrons nous assurer que les protections du Manoir ne soient pas compromises. Sinon, les Anges débarqueront dans la minute et je ne donne pas cher de nos matricules... Sur un autre registre, on doit aborder un sujet délicat le concernant.
— Qui ça, Pax ? Qu'a-t-il encore fait, comme ânerie ?
— Cette tête brûlée est bien décidée à changer de faction.
— Ne me dis pas qu'il veut vraiment rejoindre les Exécuteurs ! Ce ne serait pas bon pour lui, il se bâtit tout juste un bon équilibre émotionnel.
— Je le sais bien ! J'essaie de lui faire changer d'avis depuis deux bonnes semaines, mais ce gamin a la tête dure. Il n'écoute rien qui n'aille dans son sens.
— C'est à se demander d'où il tient ce trait de caractère. Mh ? Bref... Puisque, d'après lui, je suis le parent « cool, bien moins relou », je vais tenter de lui parler. Il est encore trop jeune pour ce parcours, de toute façon. Malgré ses facilités, il manque clairement d'expérience.
— Ce n'est pas le seul souci. J'ai absorbé l'esprit de ma sœur et commencé à chasser le Mal alors que j'étais bien plus jeune que lui, sans soutien de la Ruche et surtout sans mentor. Le problème de notre fils est qu'il prend son rôle comme exécutoire. Ce manque de discernement est dangereux, autant pour lui que pour les personnes qu'il est censé protéger. Et avec un comportement pareil, peu importe la faction ou sa capacité innée, ce n'est qu'une question de temps avant qu'il...
Mmmm... Je sombrai dans le noir et ne perçus plus grand-chose de leur conversation à travers le rideau du marchant de sable.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro