ͼɧɑρɨʈɽε ²
L'effervescence des Urgences amplifiait mes maux de tête. Je fermai les yeux, espérant m'en déconnecter partiellement... L'échec cuisant de cette tentative de distanciation me tira un soupir de frustration.
Lors de notre passage à l'accueil, l'infirmière me demanda de lister les antécédents médicaux et chirurgicaux de mon père, ainsi que ses allergies et traitements en cours. On me remit ensuite ses effets personnels, puis plus rien. L'angoisse me bouffait petit à petit le cerveau. Je me rongeais les ongles depuis au moins aussi longtemps que nous subissions le remue-ménage des lieux, soit trois bonnes heures.
Le rappel inopiné de ma douleur au bras m'arracha à mes pensées chaotiques.
— Aïe ! râlai-je en sursautant.
— Désolé. J'ai pourtant la réputation d'être le plus doux du service, plaisanta l'infirmier. Mais ça y est, je ne vous embête plus.
Du bout des doigts, j'effleurai la compresse qui couvrait dorénavant la brûlure sur l'intérieur de mon bras. Deuxième degré, apparemment.
Un nouveau souffle exaspéré m'échappa.
Entre le moment de l'appel catastrophe et notre arrivée à l'hôpital, mon état de panique resta tel que ce fut Inaaya qui remarqua ma blessure. Celle-ci avait presque la forme et la taille de la main de mon agresseur. Par chance, ma super-héroïne intervint avant que ce taré ne m'inflige une sentence bien plus grave. L'infirmier avait juste tenu à bien me rincer les yeux au sérum physiologique avant de s'occuper de mon bobo tout dégueu.
— Comme je vous l'ai dit, l'apparition de cloques sera normale. Je vais vous prescrire un baume apaisant, il réduira la rougeur et favorisera la réparation de votre épiderme tout en limitant les démangeaisons.
J'opinai tandis qu'il griffonnait sur son bloc. Mais malgré moult suppositions, le soignant ne fut pas en mesure de me donner une réponse fixe quant au produit que mon assaillant aurait pu utiliser. Concernant mes hallucinations, il désigna le choc comme coupable puisqu'aucune trace de psychotrope n'apparaissait dans mon organisme. Il s'accordait toutefois avec Inaaya sur le fait que je devrais signaler cet incident à la police. Seulement, ce n'était pas ma priorité.
Je me mordis brièvement la lèvre avant de réclamer une faveur, ce qui n'était pas vraiment mon genre. Mais aux grands maux les grands remèdes.
— Dites... Je voudrais vraiment savoir comment va mon père. Pourriez-vous essayer de vous renseigner, s'il vous plaît ?
Levant les yeux de sa paperasse, l'infirmier m'adressa un regard compatissant et pinça ses lèvres fines avant d'acquiescer.
Papa était inconscient lors de son admission, son état s'avérait dorénavant « stable ». Voilà tout ce qu'on pu me rapporter jusqu'à présent. J'évoquai son insuffisance cardiaque à l'accueil, mais on m'intima laconiquement d'attendre qu'un médecin me donne plus de détails. Depuis, à chaque fois qu'une personne en blouse ou en uniforme hospitalier passait à nos côtés, ma poitrine s'alourdissait. Minute après minute, je craignais un peu plus de subir une annonce qui causerait l'effondrement de mon monde.
L'infirmier termina de compléter mes documents, me les remit et s'en alla en me laissant me rhabiller. Je descendis du petit lit médical pour enfiler mon sweat-shirt avec précaution, puis quittai le box d'auscultation et de soins. Inaaya me câlina à nos retrouvailles dans le grand couloir. Elle m'accompagna ensuite quand je décidai de retourner au guichet d'accueil. J'y attendis encore bien trente minutes, sans obtenir de nouvelles !
— Vous devez patienter, monsieur, me lança-t-on avec humeur.
— C'est tout ce que vous savez dire ? finis-je par m'emporter. On poirote déjà depuis des heures !
— Aël, ce n'est pas de sa faute. Viens, chouchou.
Ina s'excusa auprès de la pimbêche qui me toisait et me tira par la main.
— Chouquette, je sais qu'être renvoyé.e comme une balle commence à te taper sur le système, mais engueuler le personnel ne débloquera pas la situation. Bien au contraire.
— Je le sais... C'était juste plus fort que moi. Je n'en peux plus, d'attendre.
— Je comprends. Faut aussi dire que la nana de l'accueil n'est pas super agréable.
— Ha ! Merci. Je ne suis donc pas seul.e à l'avoir remarqué.
M'efforçant de ravaler mon amertume, je me résignai à suivre mon amie jusqu'à l'espace d'attente. Nous nous y avachîmes de nouveau, le moral à zéro.
Sans doute tout aussi crevée par ce grand huit émotionnel, Inaaya posa la tête sur mon épaule. Comme toujours, ses longues boucles brunes sentaient bon la myrtille. Elle massa gentiment le point de pression entre mon index et mon pouce pour m'aider à me calmer, ne serait-ce qu'un chouïa. Mais si sa présence et son odeur familière me gardaient indéniablement à flot, je ne voulais pas la retenir en otage.
— Tu sais, tu peux rentrer chez toi, bichette, soupirai-je alors en calant ma joue contre son crâne.
— Bien sûr que non. Hors de question que je te laisse avant qu'on ait plus d'infos, tu risques d'arracher la tête à une innocente.
Un semblant de rire m'échappa, il eut toutefois des allures de sanglot. Ma meilleure amie se redressa et repoussa mes cheveux afin de me soutenir de ses prunelles aimantes.
— Je crains vraiment le pire, Ina.
— Je m'en doute, mais ne t'avance pas trop là-dessus, chouchou. L'hôpital c'est toujours une vraie galère. Peut-être que ton papounet n'a rien de très grave... Énergie positive, d'accord ?
Elle me caressa la joue, son sourire rassurant rehaussa ses pommettes pleines encore couvertes d'une fine couche de blush. Je me mordis la lèvre et hochai la tête. Inaaya alterna ensuite entre silences nécessaires et mots de réconforts, continuant tant bien que mal de détourner mon stress avec des futilités. Mais je ne l'écoutais que d'une oreille. Ma tête devenait vraiment lourde, mon estomac partait en vrac et je frisonnais par intermittence.
Génial... Il ne manquait plus que je chope une saleté.
Je réprimai un soupir en expérimentant une chair de poule plus intense. Inaaya papotait toujours et ne se rendit compte de rien. Mais, étrangement, le type qui passait tout juste devant nous s'arrêta net.
Aurait-il remarqué que je frissonnais ?
Les mains enfoncées dans les poches de sa veste en jean, il tourna la tête dans notre direction avec un regard indéchiffrable. Son air de chien de chasse en suspens saisit tout mon être. Mon malaise redoubla et mon cœur s'emballa face à ces iris noirs comme une nuit sans lune.
— Paxton, désolée de vous avoir fait attendre.
Ouf ! L'attention de l'inconnu flippant dévia vers la femme en blousse blanche qui l'interpella. Auparavant impassible, son visage s'anima alors d'un frêle sourire. Il avança vers elle à pas lents. Mon cœur, lui, battait toujours à allure démesurée.
Sans trop savoir pourquoi, quelque chose de louche me paraissait émaner de ce gars. Je continuai donc à l'observer, mais son attitude s'avéra des plus banales. Il rejoignit la belle brune auprès d'une des grandes plantes qui décoraient le hall, glissa nonchalamment une main dans ses cheveux châtain foncé, un peu hirsutes, puis s'appuya contre le mur juste derrière lui.
Bon... Je ne pouvais plus analyser le faciès du châtain ténébreux, puisqu'il me tournait le dos. Mais si je me fiais à la façon dont son interlocutrice rougissait, petit sourire aux lèvres, tout le long de leur échange, ces deux-là flirtaient.
Mon appréhension retomba. Je me montais sûrement la tête. Avec les évènements du début de soirée, mes nerfs faisaient de grands bonds pour très peu.
— On est d'accord, c'est un pur canon, lança doucement Inaaya. Mais fixer les gens aussi intensément est assez mal vu. Surtout que la jolie doctoresse t'a devancé.e.
Je détournai le regard en poussant un souffle dédaigneux. Il était peut-être intriguant avec son faux air de Dean Winchester, mais je ne pensais pas à ça sur le moment. Et puis...
— Pff... Ça se voit que c'est le prototype même du dragueur invétéré qui mise tout sur sa belle gueule et peu sur l'intellect.
— Wow. Depuis quand tu juges un livre à sa couverture ?
— Depuis maintenant, grognai-je en me massant la tempe. Ma migraine devient atroce. Je crois qu'en plus de tout le reste, ça me met à fleur de peau. Désolé.e.
— Oh, mince... J'ai peut-être un cachet quelque part. Laisse-moi voir.
Elle commença à fouiller dans son sac lorsque je sentis à nouveau quelqu'un arriver devant nous. Je redressai instantanément la tête.
— Bonsoir. Je suis Thérèse Milani, le docteur de Mattéo Ducelinaud. Laquelle de vous est Aël ?
Enfin, un médecin ! Ina et moi nous levâmes d'un bond, nos yeux alarmés braqués sur la dame aux cheveux grisonnants.
— Bonsoir, c'est moi.
— Oh, s'étonna-t-elle en entendant ma voix. Mille excuses, j'ai cru que...
— Ce n'est rien. Comment va mon père ?
Elle se racla la gorge, dépassa sa légère confusion et plongea ses yeux bleus dans les miens.
— Son état est toujours stable. Je vais vous conduire à sa chambre, des policiers vous y attendent.
Je crus m'effondrer à ces mots.
— Que... Quoi ?
— Comment ça, des policiers ? s'exclama à son tour Inaaya.
— Oui, suivez-moi. D'après ce qui nous a été rapporté, votre père s'est effondré durant une altercation avec un inconnu, peu après son arrivée à votre domicile.
— Un inconnu ?
Je posai une main sur mon ventre, l'estomac noué. Tous mes membres tremblaient à cette nouvelle alarmante, mais la doctoresse entama son avancée sans attendre. Inaaya crocheta donc mon bras bien portant et m'entraîna à sa suite. Nous lui emboîtâmes le pas, marchâmes dans son sillage jusqu'à l'ascenseur puis dans un dédale de couloirs. Nous quittâmes ainsi le service des urgences au profit de l'unité d'hospitalisations temporaires. Milani continua ses explications tout du long, tandis que je luttais contre mon hyperventilation.
Malgré la douleur que j'éprouvais à les recevoir, j'obtenais enfin les informations tant attendues. Je ne pouvais les interrompre.
— Monsieur Ducelinaud est arrivé aux urgences avec une sérieuse arythmie cardiaque, mais son état global est désormais satisfaisant. Les prises de sang et le test salivaire ne révèlent la présence d'aucune drogue, ni de poison.
— D'accord, osai-je enfin intervenir. Donc si je comprends correctement, son cœur va bien et il n'est plus dans une situation inquiétante.
— Pas pour l'instant, non.
— Comment ça, « pour l'instant » ? m'étranglai-je presque.
— Son état risque-t-il de s'aggraver ? enchaîna Inaaya, elle aussi bouleversée.
Mon cœur aurait pu exploser dans ma poitrine, tant il battait fort. La doctoresse s'arrêta et se tourna vers nous, la mine compatissante.
— Présentement non. Monsieur Ducelinaud se porte bien, il est sous perfusion et devrait se réveiller d'un moment à l'autre. Néanmoins, nous ignorons la cause exacte de son malaise. Nous le garderons donc en observation pour l'instant. Vous pouvez demander à rester à ses côtés cette nuit si vous le souhaitez, Aël. Mais il devrait très bientôt aller mieux. D'accord ?
Avec un sourire bienveillant, elle me réconforta d'une main sur l'épaule. Alors je hochai la tête, même si son analyse de la situation ne me rassurait pas des masses.
— Fort bien, reprit-elle, nous sommes arrivés. Les inspecteurs vous attendent, je vais vous laisser avec eux. Si vous avez plus de questions, Aël, j'y répondrai dans quelques heures lorsque je passerai prendre les constantes de votre père.
J'opinai, elle nous invita à entrer avant de s'en aller. Deux hommes discutaient auprès des fenêtres de la chambre. Ils nous avisèrent du regard. Inaaya les salua, je les ignorai et me précipitai vers mon père. Tomber sur ses traits détendus me calma quelque peu, il paraissait se reposer paisiblement. Seuls son teint blafard et les perfusions reliées à son bras droit trahissaient son état de santé inquiétant. Je glissai une main dans la sienne sans plus tenter de retenir mes larmes de détresse. Elles dévalèrent mes joues en cascade.
— Papa, je suis là maintenant, murmurai-je avant de déposer un baiser sur son front.
Voir mon papa super-héros ainsi me laissait complètement désemparé.e. Ma mère étant morte en couche, je n'avais jamais eu que lui et depuis que j'avais l'âge d'appréhender cette souffrance sourde, je redoutais de le perdre aussi. Je savais que je ne supporterai pas une autre séparation prématurée. Ce soir, la crevasse qui se formait au fond de mon cœur lors de cette attente interminable confirmait que je volerai en éclats si quelque chose de grave lui arrivait.
— Hum, bonsoir, insista un des policiers après s'être raclé la gorge.
Je sèchai mollement mon visage avec la manche de ma veste et levai la tête vers eux.
— Bonsoir, soufflai-je, la boule au ventre.
— Je suis l'inspecteur Raymond, m'annonça le blond platine, et voici mon collègue, l'inspecteur Baschet. Nous sommes de la police d'Avignon et recueillons les témoignages liés à la supposée agression de votre père.
Je fronçai des sourcils mais n'eus pas le temps de questionner l'usage du mot « supposée ». Inaaya se jetta à corps perdu dans la conversation.
— Aël aussi a été agressé.e en début de soirée ! C'est peut-être la même personne, ou alors un binôme de psychopathes !
— D'accord Mademoiselle, heu... ? l'inspecteur Baschet laissa volontairement sa phrase en suspens.
— Inaaya Mas'ooda.
— Bien. Je disais donc, laissez-nous tirer les conclusions. Contentez-vous juste de nous relater les faits.
— S'il vous plaît, Mademoiselle, ajouta gentiment Raymond pour rattraper le ton antipathique de son coéquipier.
Je tendis la main vers ma petite chérie. Lèvres pincées, elle m'imita et attrapa mes doigts avant de venir se blottir contre moi. J'enroulai le bras autour de ses épaules et lui témoignai mon soutien après cette douche froide totalement gratuite.
— Comme vous l'a dit Inaaya, j'ai été la cible d'un détraqué en début de soirée. Heureusement, elle s'est montrée assez réactive pour le mettre en fuite avec son kit anti agression.
Mes yeux tinrent fermement cet inspecteur Baschet. Il haussa un sourcil perplexe en réponse.
Ina était de deux ans ma cadette, je la considérais comme ma petite sœur et n'appréciais donc pas qu'on la ridiculise. Elle pouvait se montrer un peu trop spontanée, certes. Mais ses intentions s'avéraient toujours des plus louables.
— Vous rappelez-vous l'heure approximative de votre agression ? enchaîna le blond.
— Dix-neuf heures quarante-cinq environ. C'est ça, Ina ? C'était quelques minutes avant que l'hôpital m'appelle pour m'annoncer que mon père était aux Urgences.
— Oui, je crois, et Aël a été blessé.e. L'homme l'a aggrippé.e par le bras, on ne sait pas ce qu'il a pu utiliser mais ça lui a causé une brûlure au second degré.
— Vous en avez la preuve ? lança Baschet.
Il commençait sérieusement à me courir sur le haricot, celui-là. Je me décollai pourtant d'Inaaya sans faire d'histoire et abaissai le pan de mon sweat-shirt. Dénudant mon épaule couverte de taches de rousseur, je soulevai la compresse accrochée à mon bras. Ma blessure dégoûtante se révéla à leurs regards sceptiques. L'inspecteur Raymond rangea son carnet de notes et approcha en sortant son téléphone.
— Puis-je ?
D'un hochement de tête, je l'autorisai à prendre un cliché.
— Il est étrange que votre père et vous soyez tous deux pris à partie à quelques heures d'intervalle, poursuivit son imbécile de collègue.
— C'est un peu ce que je disais y'a deux minutes.
Ina moucharda dans sa barbe inexistante. Elle croisa les bras sur sa poitrine en feignant ignorer le fait que le brun la fixe d'un air mauvais. Il parut néanmoins se calmer en changeant son angle de vue et se rinça les yeux dans son décolleté. Quel sale con ! Par chance, elle s'en rendit compte et ferma son gilet. Non sans toiser ce tocard comme il se devait.
— Vous maintenez que vous ne connaissiez pas l'agresseur ? Cela aurait-il pu être une fréquentation de votre père ? Quelqu'un avec qui il travaille, à qui il devrait de l'argent ou autre ?
Mon attention revint à Raymond.
— Mon père n'a pas ce genre de problèmes et je doute que ce gars soit surveillant pénitentiaire. Il aurait plutôt le profil inverse.
— D'accord. Dans ce cas, il pourrait donc s'agir d'un ancien détenu ou un proche cherchant une quelconque revanche. Que portait-il ? De quoi avait-il l'air ?
Inaaya jouissait d'une très bonne mémoire visuelle, elle me devança.
— Il était brun et grand, mais plus petit qu'Aël. Je dirais un mètre quatre-vingts, ou quatre-vingt-cinq à tout casser. Il portait... euh... de vieilles boots noires, un jean destroy délavé, un t-shirt avec un crâne de lapin en mode tête de mort et une veste en cuir. Tout ça de la même couleur. Ça contrastait avec ses yeux, gris, très clairs. Oh, et couverts de maquillage ! Ses yeux, je veux dire. Comme dans les anciennes séries de vampire. Il sentait bizarre, d'ailleurs. De l'encens, je crois. C'est peut-être un fou qui se prend pour un méchant de Charmed ?
Les bras à nouveau croisés elle inclina la tête, envisageant sérieusement cette théorie. Les deux inspecteurs parurent bluffés par son talent de retranscription. De mon côté, sa référence aux vieilles séries fantastiques qu'on adorait regarder durant nos soirées pyjama provoqua mon déclic.
— Merde... C'était peut-être le type chelou que j'ai vu ce matin !
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