Chapitre 23
J'ai décliné la proposition de moto d'Artus, une fois m'a suffi ! Et j'ai piqué la Mini en espérant que Fred ne va pas porter plainte pour vol, vu que les papiers sont un peu à son nom.
Artus fait le geste de s'installer au volant.
- C'est ma voiture, Artus, c'est moi qui conduis.
- Une Cooper S ? Prête un peu tes jouets, Alix !
- Popop, mon garçon. Je t'ai vu conduire une moto : hors de question que je te mette un volant entre les mains !
- Mais c'est le rôle de l'ho...
Artus a assez de bon sens pour s'arrêter au milieu du mot, mais la phrase s'imprime dans l'air assez facilement.
- Artus si tu finis cette phrase, je t'attache à l'arrière et sur un siège enfant.
Il avale sa salive et tente de m'arracher une dernière concession.
- Tu me passeras quand même le volant sur les petites routes ?
Bon, on finit par démarrer. Nos affaires prennent toute la place dans le coffre et pourtant, le minuscule sac d'Artus doit contenir au mieux deux ou trois tee-shirts et, si on a de la chance, un slip propre.
Le petit génie s'est bombardé co-pilote, la bonne excuse pour prendre la main sur le navigateur, la musique, la clim... et s'acharner sur tous les réglages possibles. Je pense qu'il se venge de ce que je ne l'ai pas laissé conduire.
- Tu ne veux pas, je sais pas, contempler le paysage ?
Artus me regarde comme si j'étais une extra-terrestre.
- Contempler le paysage ?
Il se carre dans son siège, croise les bras, et égrène d'une voix sombre.
- Oh, je vois une voiture ! Tiens, une autre voiture ! Tiens, là, y'a un camion...
- Artus...
- OK, OK, se résigne-t-il en abandonnant la partie. Tu me dis dès que tu es fatiguée, je prendrai la relève !
Là-dessus il se tourne vers la portière et se love confortablement contre la vitre. Deux minutes après, j'entends sa respiration régulière. Je tourne la tête pour vérifier : son grand corps est affalé sans vergogne, le visage lisse, les yeux clos. Même en dormant il affiche une sorte de demi-sourire plein de morgue. Tant mieux pour lui si tout ça l'amuse.
Pour ma part, je suis bien plus tendue et je me demande encore si on a pris la bonne décision.
Le livre va paraitre, je m'y suis engagée. Mais alors que je préconisais qu'on se planque chacun dans nos familles en attendant le lancement, Artus m'a persuadé du contraire. J'oublie toujours que son cerveau est une mécanique de précision, et j'en ai un bon aperçu quand il pose méthodiquement les options sur la table.
- Si on disparait, qu'est-ce qu'il va se passer selon toi ?
- On va gagner du temps...
- Faux ! Ils vont chercher une nouvelle cible ! Dürer, ou plus haut. Ils seront bien obligés d'actionner un autre levier.
- Mais...
- C'est pas la mafia, Alix ! Ils veulent pas nous balancer à la mer après nous avoir coulé les pieds dans le béton ! Ils veulent juste empêcher la parution du livre.
- Parce que nous filmer dans l'intimité, tu ne trouves pas ça un peu mafieux ?
- Simple levier de pression. Leur objectif, c'est de te faire lâcher le bouquin, c'est tout !
Il m'explique patiemment, comme pour m'aider à comprendre.
- Est-ce que Dürer résisterait comme tu le fais ?
Mon chef de service a beaucoup de qualités, mais le courage n'est pas exactement ce qui le caractérise.
- Ils menaceraient de lui retirer sa place de parking qu'il céderait déjà !
- Tu vois..., approuve-t-il en hochant la tête.
Je soupire.
- Mais dans ce cas, pourquoi ils s'acharnent sur moi ?
- Parce que si Dürer me bloque, j'irai voir ailleurs. C'est pas les maisons d'édition qui manquent ! Et ils devront tout recommencer. Tandis que toi, tu es la pièce maitresse dans leur plan : tu peux non seulement saborder le livre, mais aussi... l'auteur.
Je me souviens des recommandations du maitre-chanteur : la parution du roman ne semblait pas vraiment le perturber... tant que je coopérais pour décrédibiliser Artus par tous les moyens.
Quelque chose me dit que la vidéo ressortira, même si j'accepte leurs conditions.
- Alors c'est quoi la solution ? Je me promène dans Paris avec une cible dans le dos ?
Le petit génie a déjà toute sa stratégie en tête, et au moins dix coups d'avance.
- Non, il faut faire semblant de fuir.
- Semblant ?
- Oui, réaction de panique. Compréhensible. Une fuite désordonnée et précipitée.
Là, il m'a perdue.
- C'est quoi l'intérêt ?
- Comme ça on les feinte ! Ils te voient comme... comme... un homard pris dans un court bouillon.
- Tu étais meilleur en métaphores dans ton bouquin !
- Paniquée, vulnérable... Du coup, pas besoin d'aller voir ailleurs : ils ont juste à attendre que tu leur tombes dans la main, cuite à point.
Je commence à comprendre son plan. Détourner leur attention en leur faisant croire qu'ils ont partie gagnée, pendant que le planning de production du livre continue à se dérouler sans accroc. S'ils pensent que je suis sur le point de céder, je reste leur meilleure option pour torpiller le lancement.
- Le côté paniqué, c'est vraiment nécessaire ?
- Oui ! Il faut qu'ils puissent nous suivre à la trace. S'ils perdent le contact, c'est fichu : ils s'attaqueront à Dürer par précaution. Tandis que s'ils nous gardent dans leur viseur, ils auront juste l'impression de relâcher la ligne pour mieux ferrer le poisson. Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que c'est nous qui tenons la canne !
- Nous ? Pourquoi nous ? C'est moi la cible, non ? Je pense que je peux très bien réussir à paniquer toute seule...
Pour la première fois, Artus semble un peu déstabilisé. Mais il se reprend vite et plaide avec une voix onctueuse.
- Heu... mais si je viens, ils auront le sentiment que leur piège fonctionne mieux. La fuite des amoureux, c'est imparable ! Ils seront totalement focalisés sur nous. Ils s'imagineront pouvoir rajouter plein de petits films à leur album photo... enfin tu me comprends !
Je maugrée, pas totalement convaincue.
- Ouais, ce que je comprends surtout, c'est que t'as pas envie de rater la suite de l'aventure.
Il réplique, avec une fatuité amusante de jeune premier.
- T'as déjà vu une série où le héros n'apparaissait pas dans les épisodes les plus palpitants ?
- Arrête d'imaginer qu'on est tous des personnages secondaires dans une histoire à ton nom, ça m'énerve !
On se marre car on sait tous les deux que je ne suis pas loin de la vérité.
- N'empêche..., je reprends avec inquiétude. Je ne suis pas convaincue que ce soit une bonne idée. Toi et moi...
Il redevient sérieux.
- C'est important, Alix.
- Pourquoi ? Je ne vois...
Il m'interrompt.
- Parce que sinon, je ne pourrai pas te protéger.
- Tu... Je...
Ah ! Je renonce. Comment voulez-vous répondre à ce genre de déclaration ? A n'importe quel gamin de son âge, j'aurais ri au nez. Mais quand Artus prononce ce genre de phrase sur un ton d'évidence, de sa voix grave et posée, en vous fixant simplement du regard, on sait qu'il ne ment pas et que c'est important.
Je me racle la gorge, un peu embarrassée.
- Artus. Ce qui s'est passé à Autun, c'était un accident. Je ne compte pas le refaire.
Mon avertissement semble le dérider, car il ouvre grand ses yeux de manga, avec un air de complète innocence.
- Mais bien-sûr Alix, c'est toi qui décides !
Je secoue la tête devant cette duplicité manifeste.
- Tu ne doutes pas de toi un seul instant, hein ?
- Je te promets que je ne ferai rien que tu ne ferais pas, répond-il gracieusement.
Je ne sais pas d'où lui vient cette confiance en lui, mais je la trouve fascinante... et terriblement agaçante.
- Tu sais que si j'en étais restée à ma première impression, quand on s'est rencontrés, je penserais que tu es un petit con imbuvable ?
Il me regarde surpris, avec l'air de se demander d'où ça sort. Mais il contre-attaque d'un ton bravache.
- Et parce que tu crois que ton air pète-sec de « Je vais te montrer que je suis une femme de pouvoir, mon petit bonhomme » m'a fait une bonne impression ?
- Je suis une femme de pouvoir, mon petit bonhomme !
Il secoue la tête d'un air affligé.
- Qui en doute ?
- C'est important de le rappeler, je réplique fermement.
Il soupire.
- Vous vous trompez de cible...
Avant de m'examiner d'un air sournois.
- Ou alors c'est pour dissimuler ton insécurité ? Mon éditrice serait-elle une petite chose fragile ?
- C'est ce que tu penses de moi ?
- Que tu es une petite chose fragile ? Non, sinon je ne t'aurais jamais choisie pour éditer Trois cent quarante-trois...
Bon sang, il ne doute de rien !
- Parce que c'est toi qui m'as choisie...
- Absolument ! Au moment précis où tu as déboulé avant moi au rez-de-chaussée, quand je t'ai faussé compagnie.
- Hé ! J'ai failli me faire une entorse à galoper dans ces fichus escaliers !
Il hausse les épaules.
- Si ça avait été le cas, je serais en ce moment dans une autre voiture, avec une autre femme sublime. Ou un mec, éventuellement. Un jeune requin-éditeur plein d'ambition.
- Crois-moi, il n'y a qu'une femme pour accepter de te suivre dans tes délires !
- Tiens ? Pourquoi tu dis ça ?
Je lui réponds, à la lumière de mes dix années d'expérience.
- En matière de boulot, les mecs sont sûrs de leur talent même quand ils n'en ont pas, tandis que les femmes pensent encore qu'elles ont tout à prouver.
Il réfléchit un instant, avant de hocher la tête.
- Je comprends ! Du coup, je préfère être avec une femme qui a tout à prouver et qui va se battre pour être à la hauteur de l'idée qu'elle se fait de son métier... plutôt qu'un homme qui ferait passer sa carrière avant.
- Bingo !
Il ajoute, sur un ton enjôleur.
- Et parmi toutes les femmes qui ont tout à prouver, je préfère être ici avec toi. Parce que cette façon nerveuse que tu as de refaire ton chignon quand tu veux affirmer ton autorité est la chose la plus mignonne que j'ai vue depuis les seins de ma première fille au pair !
Une fois encore, son insolence absurde me laisse sans voix.
Et nous voilà dans cette voiture à simuler une fuite « désordonnée et paniquée », même si ça ressemble à n'importe quel départ en week-end.
La route continue à défiler, sans que ni Artus ni moi ne relancions la conversation. J'espère qu'il est concentré sur son volant, pas sur le souvenir des seins d'Ingrid ou de Karina !
Quant à moi, j'ai une furieuse envie de remettre mon chignon en place.
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