Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Chapitre 15

C'est fou ce que les juristes ressemblent à des juristes. Comme les comptables à des comptables. Ou les publicitaires à des publicitaires.

Une question de style vestimentaire mais pas seulement. L'attitude. Un certain vocabulaire.

Mais peut être que Dürer et moi, convoqués dans cette salle de réunion du trente-deuxième étage de la tour Total à la Défense, on se ressemble plus que je ne le voudrais...

La brochette qui nous fait face rassemble trois clones d'âge et de sexe différents. Un chef de service au titre ronflant, un sous-chef qui n'attend que de prendre sa place, et une jeune juriste qui a manifestement produit l'essentiel du travail. Ce sont les seniors qui parlent. Et leurs arguments à base de mots à trois syllabes et de locutions latines me feraient craindre un passage immédiat par la case prison si je n'avais pas le cuir épais et l'habitude de ce genre d'intimidation.

Ce n'est pas ma première menace en diffamation, et ce ne sera pas la dernière.

Leurs discours rodés se succèdent et s'emboitent.

- L'explosion d'un stock de nitrate d'ammonium dans une usine pétrochimique française...

- ... une référence explicite à la catastrophe de l'usine AZF à Toulouse !

Je lance la contre-attaque, tout en essayant de retrouver le passage incriminé dans le roman.

- Pour laquelle vous avez été condamnés je crois ?

- L'exploitation de la détresse humaine à des fin romanesques...

- ... avouez que ce n'est pas très noble !

Je retrouve enfin la mention au chapitre vingt-et-un. Cela me permet de protester plus fermement.

- Ni Total ni aucune de ses filiales ne sont cités dans le livre. L'usine est située en Finlande, pas à Toulouse !

- Admettons. Mais la coulée de boue décrite au chapitre quarante-sept ?

Bon. Le chapitre quarante-sept maintenant.

Ils reprennent leur numéro bien au point.

- La localisation sur le continent africain est explicite. La description désigne sui generis une de nos usines.

- Sine nomine bien sûr !

- Le caractère parfaitement fiable de cette usine est pourtant reconnu.

- Elle a fait l'objet de nombreux contrôles.

- Il n'y a eu aucun accident ni incident à déplorer au cours des quinze dernières années.

- Aucun.

On ne sait plus qui regarder, un peu hagards devant cet assaut bien orchestré. Dürer tente de leur faire entendre raison.

- Mais... elle n'est pas nommée, comme vous venez de le préciser !

- Sans la nommer, mais reconnaissable ad litteram !

Suit une liste de détails auxquels je n'avais prêté aucune attention en lisant le manuscrit : un nom de village, une route décrite avec toute la précision lyrique d'Artus, et même le nom de famille de l'actuel directeur de la sécurité. Je ne sais pas où il est allé chercher tout ça, mais cela nous aiderait bien qu'il soit là pour s'expliquer.

- Nous avons de bonnes raisons de penser qu'au moins dix-huit des trois cent quarante-trois bouleversements cités dans le livre visent explicitement notre Groupe.

J'essaye de relativiser.

- Ou tout groupe pétrolier ou pétrochimique, quel qu'il soit !

Mais ils ne l'entendent pas ainsi et relancent un tour de manège.

- Annoncer des cataclysmes qui sont de purs fantasmes, en désignant de manière parfaitement reconnaissable des lieux qui existent dans la réalité...

- ... des entreprises et des usines tout à fait honorables, qui fournissent des milliers d'emplois aux populations locales...

- Souvent dans des régions défavorisées !

- C'est de la diffamation, de lege lata.

Je ne peux m'empêcher de me récrier.

- Mais vous avez bien conscience que c'est un roman ! Le style est unique, l'histoire est passionnante... Aucun lecteur ne va s'arrêter à des descriptions de lieux ou d'usines, imaginaires ou pas !

Ils secouent la tête dans un même ensemble.

- Si nous avons fait le rapprochement, d'autres le feront.

Je sens le couperet se rapprocher dangereusement de nos têtes.

- Qu'est-ce que vous attendez au juste ?

- La publication d'un manuscrit expurgé des passages incriminés.

J'entends un gémissement à côté de moi. Dürer s'éponge le front et c'est tout juste s'il ne sort pas une calculette pour chiffrer les dégâts.

- Mais le livre est déjà imprimé ! je tente, d'un air désespéré.

- Dura lex, sed lex, rétorquent les trois singes dans une belle unanimité, et je les imagine à cet instant mettre les mains sur leur bouche, leurs oreilles et leurs yeux, respectivement.

Merde. Si Artus a vraiment parsemé son récit de détails identifiables, impossible de publier en l'état. D'autant que si Total se reconnait dans dix-huit des causes de mortalité qui rythment le récit, on peut se demander légitimement d'où il a sorti les trois cent vingt-cinq autres !

Mais je ne vais pas les laisser altérer ce chef d'œuvre ! Si Sade, Baudelaire ou Vian ont été censurés à d'autres époques, c'est qu'ils ne m'avaient pas à leur côté ! Il nous faut une stratégie... et gagner un peu de temps.

Un bruit d'altercation nous fait sursauter et la porte s'ouvre grand sur un Artus affichant un large sourire même si ses yeux restent froids, et qui se joint à nous sans façons.

- C'est ici qu'on instruit mon procès ?

Finalement, je ne suis pas certaine que l'irruption de Monsieur Provoc dans une négociation aussi délicate soit une bonne idée.

- Si vous avez fait de la peine à mon éditrice, vous allez me fâcher !

Merci Artus ! Très utile ce petit ton plein de morgue au moment où je cherche à me concilier leurs bonnes grâces.

Mais le camp d'en face proteste bien trop faiblement. J'en déduis qu'ils ont fait le lien entre le patronyme sur la couverture du livre et celui de leur feuille de paye.

- Il ne s'agit en aucun cas de remettre en question le livre, commence le directeur du service juridique, d'une voix soudain plus conciliante.

- Qui est magnifique d'ailleurs, hasarde timidement la jeune juriste sous l'œil agacé de ses deux supérieurs.

Artus tourne vers elle son regard prédateur et la harponne en un seul sourire flibustier.

- Vous l'avez lu, vraiment ?

Elle affiche un air contrit et avoue.

- Avec un marqueur fluo... il fallait bien. Mais ça ne m'a pas empêché d'adorer !

Elle rosit et perd un peu ses moyens sous le feu du regard chauffé à blanc. J'ai l'impression de voir un gibier rôtir doucement sur une braise chaude. Cela m'agace et je ne peux m'empêcher d'intervenir d'un ton sec.

- Ils demandent des coupes de texte.

- Des amendements très légers ! corrige le directeur juridique.

Artus plante un peu plus profondément ses banderilles, sans nous accorder un regard ni se soucier de nos interventions.

- Ceux que vous avez surlignés, j'imagine ?

La jeune femme hausse les épaules, franchement désolée. Je suis sûre qu'à cet instant, elle serait prête à passer tout son dossier à la broyeuse s'il le lui demandait.

Mais il se retourne vers ses deux acolytes.

- Vous avez lu Cyrano ?

- Pardon ?

- La pièce de Rostand ! Quand de Guiche lui recommande de soumettre son texte à Richelieu...

Artus se lève dans un élan et improvise, en jouant alternativement les deux rôles de la scène.

« Il est des plus experts.
Il vous corrigera seulement quelques vers.

- Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule
En pensant qu'on y peut changer une virgule.

- Mais quand un vers lui plaît, en revanche, mon cher,
Il le paye très cher.

- Il le paye moins cher
Que moi, lorsque j'ai fait un vers, et que je l'aime,
Je me le paye, en me le chantant à moi-même ! »

Artus termine sa tirade théâtrale sous nos regards ébahis, tandis que la jeune juriste s'enhardit à faire entendre un applaudissement discret. Du coup, Artus se tourne vers elle et lui adresse un profond salut, comme vieux cabot un soir de première.

- Tu ne m'auras rien épargné ! grogne une voix sèche dans notre dos.

Je me retourne tandis que tout le monde se lève avec déférence.

Alexandre Stevenson est un homme de haute taille, des épaules carrées et une présence qui en impose. On voit tout de suite de qui Artus tient son charisme même si le grand patron nous toise pour le moment d'un regard hautain et glacé, bien moins caressant que celui de son rejeton. Manifestement, son secrétariat l'a prévenu de l'arrivée du fils indigne et il n'était pas dans ses plans de devoir perturber son agenda pour descendre à notre étage.

Artus se lève en rigolant et l'embrasse avec nonchalance.

- Sans moi ta vie serait d'un ennui mortel !

Alexandre esquisse un demi-sourire froid mais il me semble entrevoir que ses yeux rient plus franchement. Je suis surprise. Je m'attendais à une crise familiale et j'avais imaginé une relation compliquée, dans le genre « fils de riche/père de génie ». Alors qu'ils semblent au contraire se considérer avec une mutuelle affection.

- J'ai suffisamment de soucis pour que tu n'en rajoutes pas, grommelle le paternel d'un ton bougon qui le rendrait presque humain.

Bon, je ne comprends pas bien leur relation mais leur seule présence dans la même pièce suffit à nous priver d'oxygène. Un monstre froid des affaires, réputé brillant et machiavélique et... Artus, un bébé monstre dans son genre. Tant mieux : les trois perroquets sont réduits au silence et je n'ai plus à supporter leur numéro de prétoire.

Alexandre Stevenson est un homme dont le temps est compté. Il assène ses ordres en peu de mots.

- Artus, je me fiche de savoir d'où tu sors ces détails, mais il faut m'enlever tout ça.

Artus se renfrogne mais ne se démonte pas. Au contraire, il affronte son père en choisissant soigneusement ses mots comme s'il fourbissait des armes.

- Ça n'est pas une option envisageable.

L'autre hausse à peine un sourcil, en patron habitué à être obéit.

- Tu penses avoir le choix ?

Artus répond en plantant ses yeux dans ceux de son géniteur.

- Ce sont les risques potentiels et opportunités des systèmes productifs opérant en territoire international, non ? déclare-t-il sur un ton ferme, en détachant bien chaque syllabe.

Alexandre Stevenson tressaille légèrement en entendant la formulation alambiquée et mesure son fils du regard. Je ne sais pas s'il cherche à lire dans ses pensées ou s'ils sont en train de croiser l'épée dans un duel silencieux, mais le moment s'étire sur plusieurs secondes pendant lesquels nous arrêtons tous de respirer. Puis le grand patron finit par s'absorber dans les yeux infinis de son fils, qui sont de taille à supporter n'importe quel assaut.

Le numéro un du groupe Total s'adresse alors à moi sur un ton bougon.

- Il est bien au moins ce livre ?

Je m'empresse de le rassurer.

- Mieux que bien, monsieur... Mieux que très bien, même !

Il se tourne à nouveau vers son héritier, avec la mine de celui qui ne veut pas se rendre sans combattre.

- Tu ne pouvais pas écrire un polar... ou une histoire qui se passe dans une galaxie très très lointaine ?

Artus s'esclaffe et riposte avec une grimace moqueuse.

- Tu te serais reconnu en Dark Vador et tu m'aurais fait un procès !

Le père soupire en nous prenant à témoin, mais il ne parvient pas complétement à dissimuler la fierté dans son regard.

- Tu quoque mi fili !

Les trois juristes se pâment d'un rire courtisan. Si tout le monde se met à parler latin, ça va être compliqué pour le compte rendu de réunion !

- C'est bon on s'arrête là, décrète enfin le patron-père mettant un terme au débat, avant de quitter la salle sans autre mot d'explication ni un regard en arrière. Tiens, encore un truc que son fils lui a piqué !

Artus se rassoit tranquillement et adresse un petit clin d'œil à la jeune juriste.

- J'aime assez les histoires qui finissent bien. Pas vous ?



Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro